CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 juin 2025, n° 23/02905
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Casanera (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseiller :
M. Richaud
Conseiller :
Mme Dallery
Avocats :
Me Grappotte-Benetreau, Me Heintz, Me Cordelier
FAITS et PROCÉDURE
La société [T] de la Rosa, qui a pour activité la fabrication d'articles de joaillerie et bijouterie, est intervenue en tant qu'intermédiaire pour la réalisation d'une collection de joaillerie fabriquée en Chine et commercialisée exclusivement par la société Maria B, qui a pour activité la vente de produits cosmétiques et de joaillerie.
La société [T] de la Rosa a ainsi assuré la réception des livraisons de ces produits et a été rémunérée sur la base d'une commission prélevée sur le montant des commandes, à savoir 6 pourcents puis 10 pourcents du montant des commandes.
A compter de 2018, la société Maria B a commercialisé des articles de joaillerie fabriqués par la société [T] de la Rosa sous l'enseigne " Casanera Preciosi La Luna ".
Ainsi, la société [T] de la Rosa a assuré, pour le compte de la société Maria B, des missions d'intermédiation et de production, sans que la relation commerciale ne fasse l'objet d'un contrat écrit.
Par courriel du 16 janvier 2019, la société Maria B a notifié à la société [T] de la Rosa sa décision de rompre leur partenariat au motif d'un défaut de qualité de production et d'une défaillance dans l'exécution de sa prestation d'intermédiaire.
Par acte du 21 juillet 2021, la société [T] de la Rosa a assigné la société Maria B devant le tribunal de commerce de Marseille pour obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales et de la nullité du contrat.
Par jugement du 24 janvier 2023, le tribunal de commerce de Marseille a :
- Déclaré que la société Maria B a rompu brutalement les relations qui la liait à la société [T] de la Rosa,
- Condamné la société Maria B à payer à la société [T] de la Rosa la somme de 4 355,91 euros en réparation du préjudice découlant de la rupture brutale et celle de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté la société [T] de la Rosa de ses autres demandes, fins et conclusions,
- Débouté la société Maria B de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
- Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, condamné la société Maria B aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 70,55 euros,
- Dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire,
- Conformément aux dispositions des articles 514 et 515 du code de procédure civile, dit que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire,
- Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.
La société Maria B a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 3 février 2025.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 26 mars 2025, la société Maria B demande à la Cour de :
Vu les articles 1217 et 1235-1 du Code civil,
Vu l'article 2286 du Code civil,
Vu l'article 442-6 du Code de commerce,
Infirmer le jugement rendu le 24 janvier 2023 par le tribunal de commerce de Marseille en l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de nullité formée par [T] de la Rosa,
Statuant à nouveau,
Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société [T] de la Rosa, en ce compris son appel incident,
Dire la société Maria B recevable et bien fondée en ses demandes,
En conséquence :
Condamner la société [T] de la Rosa à payer à la société Maria B la somme de 66 745,67 euros correspondant à la valeur de la marchandise non livrée,
Condamner la société [T] de la Rosa à payer à la société Maria B la somme de 332 948,00 euros correspondant à la perte de marge subie,
Condamner la société [T] de la Rosa à payer à la société Maria B la somme de 20 000,00 euros en réparation de son préjudice d'image et de réputation,
En tout état de cause :
Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société [T] de la Rosa,
Condamner la société [T] de la Rosa à payer à la société Maria B la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 21 septembre 2023, la société [T] de la Rosa demande à la Cour de :
Confirmer le jugement rendu le 24 janvier 2023 en ce qu'il a :
Déclaré que la société Maria B avait rompu brutalement les relations qui la liait à la société [T] de la Rosa,
Recevoir l'appel incident de la société [T] de la Rosa,
Statuant à nouveau,
Débouter la société Maria B de ses demandes, fins et conclusions,
Juger que le consentement de la société [T] de la Rosa a été vicié,
Prononcer la nullité du contrat,
Condamner la société Maria B au paiement de la somme de 13 067,73 euros HT correspondant à 6 mois au titre du préjudice lié à la perte d'exploitation résultant de la rupture,
Condamner la société Maria B au paiement de la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la rupture,
Condamner la société Maria B au paiement de la somme de 156 812,76 euros HT au titre du préjudice financier,
Ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision à venir, conformément à l'article L. 442-6 III ancien du code de commerce,
Ordonner l'insertion de la décision dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par le dirigeant, conformément à l'article L. 442-6 III ancien du code de commerce,
Ordonner l'exécution de la décision sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
Condamner la société Maria B à payer à la société [T] de la Rosa la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Maria B aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 février 2025.
Par des conclusions déposées et notifiées par la voie électronique le 26 mars 2025, la société Casanera venant aux droits de la société Maria B selon transmission universelle de patrimoine intervenue le 3 janvier 2024, prie la Cour de :
- Révoquer l'ordonnance de clôture du 5 février 2025,
- Déclarer recevable et bien fondée l'intervention volontaire de la société Casanera,
Vu les articles 1217 et 1235-1 du Code civil,
Vu l'article 2286 du Code civil,
Vu l'article 442-6 du Code de commerce,
Infirmer le jugement rendu le 24 janvier 2023 par le tribunal de commerce de Marseille en l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de nullité formée par [T] de la Rosa,
Statuant à nouveau,
Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société [T] de la Rosa, en ce compris son appel incident,
Dire la société Casanera SAS, venant aux droits de la société Maria B recevable et bien fondée en ses demandes,
En conséquence :
Condamner la société [T] de la Rosa à payer à la société Casanera SAS , venant aux droits de la société Maria B la somme de 66 745,67 euros correspondant à la valeur de la marchandise non livrée,
Condamner la société [T] de la Rosa à payer à la société Casanera SAS , venant aux droits de la société Maria B la somme de 332 948,00 euros correspondant à la perte de marge subie,
Condamner la société [T] de la Rosa à payer à la société Casanera SAS , venant aux droits de la société Maria B la somme de 20 000,00 euros en réparation de son préjudice d'image et de réputation,
En tout état de cause :
Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société [T] de la Rosa,
Condamner la société [T] de la Rosa à payer à la société Casanera SAS , venant aux droits de la société Maria B la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par des conclusions déposées et notifiées le 7 avril 2025 par voie électronique, la société [T] de la Rosa prie la Cour de :
Vu les articles L 442-6 du code civil (devenu article L 442-1) du Code de commerce,
Vu les articles 1101 et suivants du Code civil en vigueur au moment des faits,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 24 janvier 2023,
Vu les éléments du dossier,
Vu la transmission universelle de patrimoine intervenue en date du 3 janvier 2024 au profit de la société par actions simplifiée CASANERA,
Vu les écritures signifiées le 26 mars 2025,
REVOQUER l'ordonnance de clôture du 5 février 2025,
CONFIRMER le jugement rendu le 24 janvier 2023 en ce qu'il a :
- JUGER que la Société MARIA B S.A.S.U., aux droits de laquelle vient
désormais la société CASANERA SAS, avait rompu brutalement les relations
qui la liait à la Société [T] DE LA ROSA,
- DEBOUTE la société MARIA B SASU, aux droits de laquelle vient la société
CASANERA SAS, de ses demandes, fins et conclusions reconventionnelles,
- CONDAMNE la société MARIA B SASU, aux droits de laquelle vient la société
CASANERA SAS, au paiement de la somme de 500 € (cinq cents euros) au
titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi
qu'aux entiers dépens,
RECEVOIR L'APPPEL INCIDENT de la Société [T] DE LA ROSA,
LE DECLARER RECEVABLE ET BIEN FONDE
INFIRMER LE JUGEMENT du 24 janvier 2023 en ce qu'il a :
- CONDAMNE la société MARIA B S.A.SU, aux droits de laquelle vient la
société CASANERA SAS, à payer à la société [T] DE LA ROSA S.A.SU la
somme de 4 355,91 € H.T (quatre mille trois cent cinquante-cinq euros et
quatre - vingt - onze centimes HT) en réparation du préjudice découlant de
la rupture brutale,
- DEBOUTE la société [T] DE LA ROSA S.A.S.U de sa demande tendant à
juger que son consentement avait été vicié ;
- DEBOUTE la Société [T] DE LA ROSA S.A.S.U. de sa demande de nullité
du contrat,
- DEBOUTE la Société [T] DE LA ROSA S.A.S.U. de sa demande de
condamnation au paiement de la somme de 10 000 € au titre du préjudice
moral résultant de la rupture,
- DEBOUTE la Société [T] DE LA ROSA S.A.S.U. de sa demande de
condamnation au paiement de la somme de 156 812,76 € HT au titre du
préjudice financier,
- DEBOUTE la Société [T] DE LA ROSA S.A.S.U. de sa demande tendant
à ORDONNER la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision à venir,
conformément à l'article L. 442-6 III ancien du Code de commerce,
- DEBOUTE la société [T] DE LA ROSA S.A.SU de sa demande tendant à
ORDONNER l'insertion de la décision dans le rapport établi sur les opérations
de l'exercice par le dirigeant, conformément à l'article L. 442-6 III ancien
du Code de commerce,
STATUANT A NOUVEAU :
- DEBOUTER la société CASANERA SAS, venant aux droits de la société MARIA
B, de ses demandes, fins et conclusions,
- JUGER que le consentement de la société [T] DE LA ROSA a été vicié,
- PRONONCER la nullité du contrat,
- CONDAMNER la société CASANERA SAS, venant aux droits de la société MARIA B, au paiement de la somme de 10 000 € au titre du préjudice moral résultant de la rupture,
- CONDAMNER la société CASANERA SAS, venant aux droits de la société
MARIA B, au paiement de la somme de 156 812,76 € HT au titre du préjudice
financier,
- ORDONNER la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision à venir,
conformément à l'article L. 442-6 III ancien du Code de commerce,
- ORDONNER l'insertion de la décision dans le rapport établi sur les opérations
de l'exercice par le dirigeant, conformément à l'article L. 442-6 III ancien du Code
de commerce,
- ORDONNER l'exécution de l'arrêt sous astreinte de 50 € par jour de retard,
- CONDAMNER la société CASANERA SAS, venant aux droits de la société
MARIA B, à payer à la société [T] DE LA ROSA la somme de 30 000 € au titre
de l'article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNER la société CASANERA SAS, venant aux droits de la société Maria B aux entiers dépens.
A l'audience du 8 avril 2025, l'ordonnance de clôture a fait l'objet d'une révocation et une nouvelle ordonnance de clôture est intervenue.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies, le préjudice moral et la demande de publication de la décision
Exposé des moyens
Au soutien de son appel, la société Casanera venant aux droits de Maria B dénie toute rupture brutale des relations commerciales établies. Elle affirme que la société [T] de la Rosa a commis des manquements d'une gravité telle qu'ils ont justifié la rupture sans préavis de la relation commerciale. Elle expose que ces manquements graves sont détaillés dans son courriel du 16 janvier 2019, lequel fait état de retards dans la livraison des marchandises au moment de Noël alors même qu'elle avait procédé à un investissement important, de l'absence de livraison de certains lots, de la rupture dans l'approvisionnement d'accessoires sans l'avertir, et notamment d'une désorganisation générale.
En réponse, la société [T] de la Rosa souligne que la rupture de la relation commerciale, notifiée par courriel du 16 janvier 2019 n'a été précédée d'aucun préavis lui permettant de disposer du temps nécessaire pour se réorganiser de sorte qu'elle revêt un caractère brutal. Elle soutient, en outre, qu'aucun manquement contractuel de sa part n'est établi, de surcroit suffisamment grave pour justifier la rupture sans préavis de la relation commerciale. S'agissant de la durée de préavis, elle soutient que le tribunal a fait une mauvaise appréciation de la durée de la relation commerciale pour retenir qu'un délai de préavis de 2 mois aurait dû être appliqué. Elle se prévaut d'une relation commerciale d'une durée de 6 ans, pour avoir débuté en 2014 et sollicite l'application d'un délai de préavis de 6 mois.
Elle invoque un préjudice économique, au regard de la perte d'exploitation subie évaluée à la somme de 26 135,46 euros en 2019 (pièce n°17 de [T] de la Rosa), soit 13 067,73 euros sur 6 mois.
Elle invoque également avoir subi un préjudice moral, faisant valoir que l'arrêt brutal de la relation commerciale a entravé son activité, perturbé son organisation et troublé son fonctionnement, lui causant une atteinte à sa réputation et à son image de marque. A cet égard, elle soutient que son nom est depuis 4 ans, associé à de nombreuses procédures et fait état de plusieurs commentaires anonymes négatifs sur internet à son sujet, depuis qu'elle a assigné la société Maria B.
Elle sollicite donc la réparation de son préjudice moral à hauteur de 10 000 euros, outre, la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision à venir, ainsi que l'insertion de la décision dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par le dirigeant, possibilité offerte à l'article L442-6 III ancien du code de commerce.
Réponse de la Cour
L'article L. 442-6, I 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour le producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.
La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial. L'absence de contrat écrit n'est pas incompatible avec l'existence d'une relation établie.
La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de ce dernier.
Le délai de préavis, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné.
Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause.
Le préavis doit se présenter sous la forme d'une notification écrite.
En l'espèce, l'appelante n'établit par aucun élément les manquements qu'elle impute à la société [T] de la Rosa dans son courriel de rupture du 16 janvier 2019, tenant, au retard de livraison, au défaut de qualité des pièces livrées et d'une manière générale à la désorganisation de la société.
Or, ainsi que l'a justement retenu le tribunal, l'existence de relations commerciales entre les parties est établie depuis le mois de juin 2016, date des premières factures produites.
En effet, contrairement à ce que soutient la société [T] de la Rosa, les échanges de courriels de 2014 et de 2015, de même que les extraits de compte produits ne sauraient suffire à établir une relation suivie, stable et habituel à compter de l'année 2014 en l'absence de flux financiers avant cette date.
Par conséquent, les parties entretenaient des relations commerciales établies depuis deux ans et demi au jour de la rupture le 16 janvier 2019.
Aucun préavis n'ayant été accordé à la société [T] de la Rosa par la société Maria B désormais Casanera, celle-ci doit indemniser son partenaire commercial du montant du préjudice correspondant à deux mois de préavis dont elle a été privée pour lui permettre de se réorganiser, délai de préavis justement retenu par le tribunal.
Le préjudice causé par la rupture brutale d'une relation commerciale établie s'entend de la perte de marge pendant la durée du préavis qui n'a pas été exécuté.
La perte de marge correspond à la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture durant la même période (Com., 28 juin 2023, n° 21-16.940).
Au vu du rapport d'expertise de M [L] [E] du 8 mars 2021 faisant apparaître une perte de marge brute annuelle moyenne de 26135,46€HT, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a alloué la somme de 4 355, 91€ à la société [T] de la Rosa en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations établies.
S'agissant du préjudice moral invoqué, la société [T] de la Rosa ne rapporte pas la preuve de l'atteinte à sa réputation et à son image de marque qu'elle allègue. A cet égard la production de deux avis de clients mécontents sur son site en juin 2020 ne permet de faire aucun lien avec la société Maria B devenue Casanera.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Enfin, s'agissant de la demande de publication du jugement présentée par la société [T] de la Rosa sur le fondement de l'article L 442-6 III ancien du code de commerce, publication estimée nécessaire pour réparer le préjudice lié à sa réputation, prévenir les actuels et futurs contractants de la société Casanera, et prévenir la mise en 'uvre de telles pratiques par d'autres acteurs, le jugement est confirmé en ce que cette demande a été rejetée.
En effet, les faits de l'espèce ne nécessitent nullement de faire application de cet article qui permet à la juridiction si elle l'estime nécessaire, d'ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision ou d'un extrait de celle-ci.
Sur la demande de nullité du contrat de la société [T] de la Rosa au titre de l'appel incident
Exposé des moyens
La société [T] de la Rosa soutient qu'elle a été victime d'un dol lors de la formation du contrat dans la mesure où que la société Maria B lui a promis une rémunération pour ses activités alors qu'elle n'a été rémunérée que par des commissions pour ses activités d'intermédiaire de sorte que son consentement a été vicié. Elle affirme qu'elle ne se serait jamais engagée dans cette relation commerciale si elle avait su qu'elle ne percevrait pas de rémunération au titre de ses activités. A tout le moins, elle estime avoir commis une erreur portant sur les qualités essentielles de la prestation due. Par conséquent, elle sollicite l'annulation du contrat et la condamnation de la société Maria B devenue Casanera au paiement de la somme de 156 812,76 euros en réparation de son préjudice financier.
La société Maria B devenue Casanera rétorque que ni le dol ni l'erreur ne sont démontrés S'agissant du préjudice financier sollicité, elle fait valoir que la remise des parties dans l'état antérieur au contrat, en tant que conséquence de l'anéantissement rétroactif du contrat, ne permet pas à la société [T] de la Rosa de solliciter le remboursement des pertes d'exploitation sur l'ensemble de la période durant laquelle les parties ont été en relation. Aussi, elle dit que le prétendu dommage ne pourrait être constitué que des sommes investies pour le projet et non des gains espérés.
Réponse de la Cour
La société [T] de la Rosa poursuit la nullité du contrat verbal conclu avec son partenaire commercial pour cause de dol, ou d'erreur.
Si, aux termes de l'article 1109 ancien du code civil, "il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol", l'article 1116 ancien du même code, dispose :
"Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas et doit être prouvé."
En l'espèce, la société appelante ne justifie d'aucunes man'uvres de la société Maria B qui auraient provoqué son erreur lorsqu'elle s'est engagée dans sa relation commerciale avec cette dernière.
Elle ne justifie pas davantage d'une erreur qui aux termes de l'article 1110 ancien du code précité n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.
En l'espèce, elle ne rapporte la preuve d'aucun erreur, étant observé que la société appelante reconnaît avoir perçu, outre des droits d'auteurs, des commissions.
Le jugement qui a débouté la société [T] de la Rosa de sa demande en paiement de son préjudice financier fondée sur de nullité de contrat, est confirmé.
Sur l'appel incident de la société Maria B devenue Casanera au titre de la rétention des stocks
Exposé des moyens
La société Maria B devenue Casanera invoque une inexécution de l'obligation de livraison de marchandises dont elle est propriétaire par la société [T] de la Rosa. Elle fait valoir que non seulement elle a payé chacun des fournisseurs mais aussi qu'elle s'est acquittée du paiement de la commission d'intermédiation de 10% auprès de son partenaire commercial. Elle ajoute que la société [T] de la Rosa a expressément reconnu retenir les marchandises lui appartenant.
Elle soutient que la société [T] de la Rosa ne dispose d'aucun droit de rétention qui lui soit opposable sur le fondement de l'article 2286 du code civil dès lors que la créance de rémunération invoquée, quine repose sur aucun fondement, n'est ni certaine, ni exigible.
Elle ajoute qu'à supposer établis ces caractères, il n'existe aucun lien de connexité entre la prétendue créance de rémunération liée à des prestations de consultant et d'accompagnement et la rétention des marchandises.
Elle fait état d'un préjudice résultant du défaut de livraison des biens, évalué à la somme de 66 745,67 euros, d'un préjudice résultant de la perte de marge causée par les agissements de la société [T] de la Rosa, évalué à la somme de 332 948 euros, et d'un préjudice d'image résultant du refus opposé par la société [T] de la Rosa d'assurer le service après-vente de sa marque, abstention estimée à la somme de 20 000 euros.
En réponse, la société [T] de la Rosa conteste être restée en possession de l'ensemble des marchandises facturées, et précise avoir ainsi seulement conservé celles portant déjà son estampille. Elle estime que son partenaire échoue à établir un droit de rétention qu'elle aurait exercé. Elle soutient que son partenaire commercial ne démontre pas avoir exécuté son obligation de paiement des marchandises, estimant insuffisant l'établissement d'un lien entre les factures et les montants réglés pour justifier de l'exécution de son obligation. Elle maintient sa demande de rémunération des prestations accomplies par son dirigeant, M. [T] [Y], au profit de la société Maria B, pour un montant de 150 000 euros HT.
Elle ajoute que les montants sollicités ne sont pas justifiés, le montant de sa créance n'étant de surcroit pas arrêté dès lors que celle-ci reconnait elle-même avoir, d'une part, réceptionné certains biens, et d'autre part, être dans l'incapacité d'estimer la valeur d'un collier prétendument retenu.
Réponse de la Cour
Au vu des pièces produites par la société Maria B aux droits de laquelle se trouve la société Casanera (pièces 461 à 4-8, 6-1à 6-21 et 11-1 à 11-12), la Cour estime qu'est justifié le paiement des factures Aarya des :
- 11/12/2018 n° 01251 d'un montant de 13 020,08 USD (pièce 6-10),
- 17/09/2018 n° 01212 d'un montant de 622,80 USD (pièce 6-10),
- 11/12/2018 n°01245 d'un montant de 6 380,32USD (pièce 6-11),
- 12/12/2018 n°01252 d'un montant de 3 497,64 USD (pièce 6-12),
pour un montant total de 23 520,84 USD, soit 20 723€ par deux virements des 13/12/2018d'un montant de 10 723€ et du 14/12/2018 de 10 000€ (pièce 11-2 )
ainsi que le paiement des commissions à la société [T] de la Rosa (respectivement pièces 6-10, 6-10, 6-11, 6-12).
En revanche, à l'instar du tribunal et par des motifs pertinents adoptés, la Cour estime que ne peuvent être retenus les autres paiements invoqués au regard des différences de référence entre factures et virements, du défaut de cohérence de dates et/ou de montants.
Il sera juste ajouté qu'aucune explication plausible n'est fournie à cet égard en cause d'appel.
Ainsi la Cour retient la somme de 20 723€ sur celle de 63 545,67€ invoquée.
Cependant, comme le tribunal l'a retenu, ces éléments ainsi que le courriel du 16 janvier 2019 (sa pièce 7) sont insuffisants pour établir que ces pièces payées n'ont pas été livrées par la société [T] de la Rosa. Il sera ajouté que la lettre du conseil de cette dernière du 10 avril 2019 reconnaissant exercer un droit de rétention sur un stock de produits d'une valeur estimée entre 30 000 et 40 000 € (pièce 8), ne permet pas davantage de dire que cette marchandise fait partie des produits retenus.
Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de la société Maria B aux droits de laquelle se trouve la société Casanera d'un montant de 66 745,67 euros au titre de la marchandise non livrée, de sa demande au titre d'un préjudice résultant de la perte de marge, évalué à la somme de 332 948 euros, et d'un préjudice d'image estimé à la somme de 20 000 euros.
Il sera ajouté que la Cour n'est pas saisie de la demande de la société [T] de la Rosa du chef de la rémunération des prestations accomplies par son dirigeant, M. [T] [Y], au profit de la société Maria B, pour un montant de 150 000 euros HT, cette demande n'étant pas non reprise au dispositif de ses écritures.
Sur l'exécution de la décision sous astreinte
Cette demande de la société [T] de la Rosa non motivée, est rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les parties succombant en leurs prétentions respectives, les dépens d'appel seront partagés par moitié entre elles, le jugement étant toutefois confirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la société Maria B, auteur de la rupture brutale ainsi qu'une somme de 500 € au titre des frais irrépétibles.
L'équité commende ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Reçoit la société Casanera venant aux droits de la société Maria B en son intervention volontaire, ;
Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises ;
Y ajoutant,
Déboute la société [T] de la Rosa de sa demande d'exécution de la décision sous astreinte et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société Casanera venant aux droits de la société Maria B de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Partage les dépens par moitié entre les parties.