Cass. com., 4 juin 2025, n° 23-12.614
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. VIGNEAU
Faits et procédure
2. Selon l'arrét attaqué (Versailles, 22 novembre 2022), [P] [Z], aux droits de laquelle vient le Fonds de Dotation [P] [Z] pour la photographie de conflit, [A] [X] et MM. [N] et [U] (les photographes), photographes professionnels, avaient confié la gestion et l'exploitation d'une partie de leurs photographies originales a l'Agence Gamma, devenue la société Hachette photo presse puis la société Eyedea presse, dont le capital social était détenue a 100 % par la société Groupe Hachette Filipacchi photos. Cette derniére a été cédée par la société Hachette Filipacchi presse a la société Green Recovery II.
3. La société Eyedea presse a été mise en liquidation judiciaire.
4. Certaines de leurs photographies confiées initialement a l'Agence Gamma ayant été perdues, les photographes, aprés avoir obtenu la fixation de leurs créances au passif de la société Eyedea presse, ont assigné les sociétés Hachette Filipacchi presse et Green Recovery II sur le fondement de l'action paulienne, aux fins de leur voir déclarer inopposables divers actes ayant eu, selon eux, pour effet un appauvrissement de la société Eyedea presse, a savoir l'acte de cession du 22 janvier 2007 de la société Groupe Hachette Filipacchi photos conclu entre les sociétés Hachette Filipacchi presse et Green Recovery Il, l'acte de prét du 2 février 2007 et son avenant du 29 juin 2009 conclus entre la société Hachette Filipacchi presse, préteur, et, notamment, la société Eyedea presse, emprunteur, le protocole transactionnel du 15 mai 2009 et le protocole de conciliation du méme jour conclus entre la société Hachette Filipacchi presse et, notamment, les sociétés Green Recovery Il et Eyedea presse.
E xamen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxiéme et troisiem e branches Enoncé du moyen
5. Les photographes font grief a l'arrét de déclarer irrecevable les demandes d'inopposabilité du protocole de conciliation du 15 mai 2009, homologué par jugement du 24 juin 2009 du tribunal de grande instance de Nanterre, et du protocole transactionnel du 15 mai 2009, annexé audit jugement, et de déclarer en conséquence irrecevable la demande d'inopposabilité de l'avenant du 29 juin 2009 au contrat de prét du 2 février 2007, alors :
« 2°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en énongant qu' "un jugement ne peut étre attaqué que par les voies de recours ouvertes par la loi au nombre desquelles n'entre pas l'action paulienne" et que "la circonstance que les appelants n'aient pas été en mesure d'attaquer le jugement homologué par le tribunal de commerce de Nanterre avant le redressement judiciaire de Eyedea presse n'est pas de nature a le ur ouvrir une voie de recours telle que l'action paulienne qui n'est pas ouverte a l'encontre des jugements", cependant que la cour d'appel n'était pas saisie d'une action paulienne exercée contre un jugement, mais contre un protocole de conciliation et un protocole transactionnel, lesquels ne constituent pas des jugements, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que si l'action paulienne est fermée contre les jugements, elle est ouverte contre les conventions homologuées par le juge ou annexées a un jugement, aux fins de les voir déclarées inopposables au créancier demandeur ; qu'en déclarant irrecevables les demandes d'inopposabilité du protocole de conciliation du 15 mai 2009 homologué par jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 24 juin 2009 et du protocole transactionnel du 15 mai 2009 annexé audit jugement, aux motifs qu' "un jugement ne peut étre attaqué que par les voies de recours ouvertes par la loi au nombre desquelles n'entre pas I'action paulienne" et que "la circonstance que les appelants n'aient pas été en mesure d'attaquer le jugement homologué par le tribunal de commerce de Nanterre avant le redressement judiciaire de la société Eyedea presse n'est pas de nature a leur ouvrir une voie de recours telle que l'action paulienne, qui n'est pas ouverte a l'encontre des jugements", la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure a celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 4 du code de procédure civile, 1167, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure a celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, 2052 du même code, dans sa rédaction antérieure a celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et 1441-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 :
6. Selon le premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Selon le deuxiéme, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits. Il résulte des deux derniers que, lorsque le président du tribunal de grande instance statue sur une demande tendant a conférer force exécutoire a une transaction, son contrôle ne porte que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité a l'ordre public et aux bonnes moeurs et n'exclut pas celui opéré par le juge du fond saisi d'une contestation de la validité de la transaction ou d'une demande d'inopposabilité de celle-ci aux tiers.
7. Pour dire irrecevables les demandes d'inopposabilité du protocole de conciliation du 15 mai 2009, homologué par jugement du 24 juin 2009, et du protocole transactionnel du 15 mai 2009, annexé audit jugement, fondées sur l'action paulienne, l'arrêt retient qu'un jugement ne peut être attaqué que par les voies de recours ouvertes par la loi, au nombre desquelles n'entre pas l'action paulienne.
8. En sta tuant ainsi, alors que l'action paulienne des photographes n'attaquait pas le jugement d'homologation du 24 juin 2009, mais le protocole d'accord et le protocole de conciliation du 15 mai 2009, et qu'elle n'était pas rendue irrecevable par I'homologation de ces protocoles par le jugement, la cour d'appel a violé les textes susvisés. Sur ce moyen, pris en sa sixième branche Enoncé du moyen
9, Les photographes font le même grief a l'arrêt, alors « que la cassation de l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable les demandes d'inopposabilité du protocole de conciliation du 15 mai 2009, homologué par jugement du 24 juin 2009 du tribunal de grande instance de Nanterre, et du protocole transactionnel du 15 mai 2009, annexé audit jugement, entrainera par voie de conséquence sa cassation en ce qu'il a déclaré en conséquence irrecevable la demande d'inopposabilité de l'avenant du 29 juin 2009 au contrat de prêt du 2 février 2007, en raison du lien de dépendance nécessaire par application de l'article 624 du code de procédure civile. » Réponse de la Cour Vu l'article 624 du code de procédure civile :
10. Selon ce texte, la censure qui s'attache a un arrét de cassation est limitée ala portée du moyen qui constitue la base
11. Pour déclarer irrecevable la demande d'inopposabilité de l'avenant du 29 juin 2009 au contrat de prêt, l'arrét retient qu'il a été régularisé 4 la suite de la cession a la société Green Recovery II de la créance de prêt de la société Hachette Filipacchi presse, cession qui résulte du protocole de conciliation et du protocole transactionnel dont les demandes d'inopposabilité sont jugées irrecevables, et en déduit qu'en tant qu'acte subséquent, la demande d'inopposabilité de cet avenant est elle-même irrecevable.
1 2. La cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant irrecevables les demandes d'inopposabilité du protocole de conciliation et du protocole transactionnel ent raine donc, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif de cet arrêt déclarant irrecevable la demande d'inopposabilité de l'avenant au contrat de prêt, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire. Et sur le second moyen, pris en sa premiére branche Enoncé du moyen
1 3. Les photographes font grief a l'arrét de rejeter les demandes d'inopposabilité de l'acte de cession du 22 janvier 2007 et du contrat de prét du 2 février 2007, alors « que la cassation de l'arrét attaqué au titre du premier moyen entrainera la censure de la décision en ce qu'elle a rejeté sur le fond l'action paulienne dont elle était saisie, par application de l'article 624 du code de procédure civile, en raison du lien de dépendance nécessaire. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
14. Pour rejeter les demandes d'inopposabilité de l'acte de cession du 22 janvier 2007 et du contrat de prêt du 2 février 2007, l'arrêt, après avoir déclaré irrecevable l'action paulienn e en tant qu'elle est relative au protocole transactionnel du 15 mai 2009, au protocole de conciliation du même jour et a l'avenant du 29 janvier 2009 au contrat de prêt, retient que ni l'acte de cession ni le contrat de prêt n'ont emporté un appauvrissement de la société Eyedea presse. 15. Dés lors que l'irrecevabilité des demandes d'inopposabilité de trois des cinq actes litigieux prononcée par la cour d'appel n'a pas permis a cette dernière de rechercher si, ainsi que le soutenaient les photographes, l'appauvrissement de la société Eyedea presse ne résultait pas de la succession de ces cinq actes, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt déclarant irrecevables les demandes d'inopposabilité du protocole transactionnel, du protocole de conciliation et de l'avenant au contrat de prêt entraine, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif rejetant les demandes d'inopposabilité de l'acte de cession et du contrat de prêt, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessair e.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour:
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement rendu le 20 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Nanterre, il déclare irrecevable les demandes d'inopposabilité du protocole de conciliation du 15 mai 2009, homologué par jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 24 juin 2009, du protocole transactionnel du 15 mai 2009, annexé audit jugement, et de l'avenant du 29 juin 2009 au contrat de prêt du 2 février 2007, en ce qu'il rejette les demandes d'inopposabilité de l'acte de cession du 22 janvier 2007 et du contrat de prêt du 2 février 2007, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état ou elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Green Recovery II et la société Hachette Filipacchi presse aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Hachette Filipacchi presse et la condamne avec la société Green Recovery II a payer au Fonds de Dotation [P] [Z] pour la photographie de conflit, a MM. [J] et [L], a M. [N] et a M. [U] la somme globale de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général prés la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou a la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cing par mise a disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.