CA Paris, Pôle 4 ch. 12, 5 juin 2025, n° 24/07222
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (Sté), Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Baumann
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Dibie
Avocats :
Me Coviaux, Me Chalus-Penochet, Me Romatif
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie Andrée BAUMANN, Présidente de chambre, et par Mélissandre PHILÉAS, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
Le 14 juillet 2016, Mme [Z] [A] et sa fille mineure [M] [I]-[A], née le [Date naissance 2] 2011, se trouvaient sur la [Adresse 7], lors de l'attentat qui y a été perpétré.
Par jugement du 7 mars 2024, la JIVAT a condamné le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) à payer :
- à Mme [Z] [A] les sommes suivantes :
dépenses de santé actuelles : 780 euros
perte de gains professionnels actuels : 10 731,26 euros
déficit fonctionnel temporaire : 3 960,90 euros
souffrances endurées : 5 000 euros
préjudice d'angoisse de mort imminente : 6 000 euros
déficit fonctionnel permanent : 8 850 euros
préjudice exceptionnel spécifique des victimes d'actes de terrorisme : 10 000 euros,
Soit un total de total de 45 322,16 euros, outre 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- à sa fille [M] [I]-[A] les sommes suivantes :
dépenses de santé actuelles : 560 euros
déficit fonctionnel temporaire : 3 184,65 euros
souffrances endurées : 8 000 euros
préjudice d'angoisse de mort imminente : 6 000 euros
déficit fonctionnel permanent : 11 550 euros
préjudice exceptionnel spécifique des victimes d'actes de terrorisme : 10 000 euros,
Soit un total de 34 694,65 euros ;
le FGTI a été condamné aux dépens.
Mme [Z] [A] en son nom personnel ainsi que Mme [Z] [A] et M. [G] [I], en qualité de représentants légaux de [M] [I]-[A] (les consorts [A]/[I]), ont relevé appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 20 février 2025, les appelants demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré,
Et statuant à nouveau, de :
- condamner le FGTI à verser à Mme [Z] [A] la somme totale de 146 251,72 euros (dont à déduire la provision de 22 400 euros versée, soit un solde restant dû de 123 851,72 euros),décomposée comme suit :
dépenses de santé actuelles : 780 euros
perte de gains professionnels actuels : 25 991,72 euros
déficit fonctionnel temporaire : 4 419 euros
préjudice d'angoisse de mort imminente : 25 000 euros
souffrances endurées : 25 000 euros
déficit fonctionnel permanent : 35 061 euros
préjudice exceptionnel spécifique des victimes d'actes de terrorisme : 30 000 euros,
- condamner le FGTI à verser à [M] [I]-[A], représentée par ses deux parents, la somme totale de 141 098 euros, soit la somme de 131 058 euros provision déduite, décomposée comme suit, au titre de la réparation intégrale des préjudices qu'elle subit des suites de l'attentat de [Localité 6] :
dépenses de santé actuelles : 560 euros
déficit fonctionnel temporaires : 3 538,50 euros
préjudice d'angoisse de mort imminente : 25 000 euros
souffrances endurées : 25 000 euros
déficit fonctionnel permanent : 56 961 euros
préjudice exceptionnel spécifique des victimes d'actes de terrorisme : 30 000 euros,
- débouter le FGTI de toutes ses demandes, et le condamner à payer à chacune des victimes la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 30 janvier 2025, le FGTI demande à la cour de :
- ordonner aux appelants de retirer des débats les pièces n°C16 et C17,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré à l'exception de l'indemnisation allouée à [M] [I]-[A] au titre du préjudice de mort imminente,
Et statuant à nouveau :
- dire que le préjudice d'angoisse de mort imminente n'est pas caractérisé au bénéfice de [M] [I]-[A] et en conséquence rejeter toute demande indemnitaire de ce chef,
- débouter les consorts [A] du surplus de leurs demandes.
La CPAM des Alpes-Maritimes, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 15 juillet 2024 à personne habilitée, n'a pas constitué avocat.
Elle a fait connaître sa créance définitive au titre des débours exposés pour Mme [Z] [A], d'un montant de 12 296,95 euros, soit :
- 649,56 euros au titre des frais médicaux et pharmaceutiques,
- 11 615,41 euros au titre des indemnités journalières versées entre le 29 juillet 2016 et le 9 juillet 2017,
- 42,48 euros au titre de dépassements d'honoraires attentat,
- déduction faite de la franchise de 10,50 euros.
CECI ETANT EXPOSE, LA COUR
Sur la demande de retrait des pièces
Le FGTI demande le retrait des débats des pièces C16 à C17 produites en cause d'appel au motif qu'elles sont couvertes par le secret professionnel, en application de l'article 226 du code pénal, puisqu'elles constituent des documents adressés aux médecins qu'il mandatait conformément aux dispositions de l'article L422-2 du code des assurances dans sa version antérieure à la loi du 23 mars 2019, destinés à leur à l'usage exclusif et confidentiel.
Il soutient que leur production constitue un recel de violation du secret professionnel au sens de l'article 321-1 du code pénal.
Mme [A] conclut au rejet de cette demande. Elle fait valoir que les pièces litigieuses sont neutres, comme ne concernant pas une victime en particulier, et non couvertes par le secret médical ; qu'il s'agit d'une simple notice sous forme de circulaire.
Elle reproche au FGTI de n'avoir pas communiqué cette notice alors qu'elle complète la mission d'expertise contradictoire amiable donnée aux médecins, et tend à les inciter à limiter leurs évaluations en proposant de ne pas chiffrer le poste des souffrances endurées au-delà de 5/7 et en donnant des directives d'appréciation du préjudice d'angoisse de mort imminente aux médecins censés être indépendants.
En réplique, le FGTI conteste que les médecins mandatés par lui aient reçu pour instruction de limiter certains postes de préjudices. Il fait valoir qu'ils conservent leur objectivité et leur impartialité en rapport avec leurs compétences et conformément à leur déontologie.
Il rappelle que la notice fournie précise que, compte tenu de la reconnaissance d'un préjudice d'angoisse de mort imminente par le FGTI, il n'était plus nécessaire, comme avaient pu le faire certains médecins conseils désignés par lui, de majorer artificiellement le poste des souffrances endurées pour y intégrer ce préjudice spécifique qui faisait dorénavant l'objet d'une indemnisation autonome, plus favorable aux victimes.
Sur ce,
Il est constant que les faits s'étant produits avant la loi n°n°2019-222 du 23 mars 2019 - art. 64 (V) qui a réformé le code des assurances et imposé le recours à des experts judiciaires, l'expertise litigieuse a été réalisée par le docteur [N], mandaté par le FGTI, aux fins de procéder à l'expertise des victimes, conformément à la mission que ce dernier lui donnait.
Il n'est pas contesté que s'agissant d'une expertise amiable contradictoire, le FGTI a adressé aux consorts [A]/[I], une copie de la mission donnée au médecin.
Les pièces C16 et C17 dont il est demandé le retrait des débats ne constituent pas, contrairement à ce qu'avance le FGTI, des pièces soumises au secret médical.
En effet, elles ne contiennent aucune information sur une personne dénommée, ne comportent pas un destinataire spécifique, et le caractère confidentiel du document n'est pas mentionné.
Il s'agit, comme le soutiennent les consorts [A]/[I] d'une notice d'ordre général, destinée aux experts mandatés par le FGTI pour leur permettre essentiellement, ainsi qu'il le reconnaît, d'intégrer, dans leur évaluation, le préjudice spécifique d'angoisse de mort imminente dont le caractère autonome était désormais reconnu.
Il n'y a donc pas lieu d'ordonner le retrait des pièces C16 et C17.
La demande est rejetée.
Sur la liquidation du préjudice de Mme [Z] [A]
Le FGTI a donné mission au docteur [L] [N] d'examiner Mme [Z] [A] et d'évaluer ses préjudices.
Ce praticien a effectué une première expertise médicale le 17 janvier 2018, en présence du docteur [H] [T] médecin conseil de la victime, et conclu à l'absence de consolidation.
Le 29 janvier 2019, un nouvel examen de Mme [A] a eu lieu et le docteur [N] a rendu son rapport d'expertise définitif dans lequel il a conclu comme suit :
- pas d'hospitalisation,
- arrêt de travail :
* du 29 juillet 2016 au 6 janvier 2017,
* mi-temps thérapeutique à partir du 7 janvier 2017,
* temps partiel thérapeutique de 70% à partir du 10 avril 2017,
* reprise à temps complet le 10 juillet 2017,
- angoisse de mort imminente : importante,
- déficit fonctionnel temporaire total : néant,
- déficit fonctionnel temporaire partiel :
* classe II (25%) du 15 juillet 2016 à la date de reprise à temps complet le 10 juillet 2017 (361 jours)
* classe I (10%) jusqu'à consolidation (568 jours)
- consolidation le 29 janvier 2019 (à plus de 2 ans et demi de l'évènement traumatique)
- déficit fonctionnel permanent : 5%, en raison de la persistance d'éléments résiduels caractérisés par une réactivité émotionnelle et des conduites d'évitements,
- souffrances endurées : 2,5/7,
- préjudice d'agrément : évoqué pour l'éviction des lieux de spectacle et les activités de foule,
- incidence professionnelle : néant.
Les consorts [A]/[I] rappellent que l'expertise a été réalisée en 2019 avant l'application de la réforme sur l'expertise médico-légale en matière de victimes d'attentats imposant un cadre légal à l'expertise amiable, et le recours à des experts judiciaires, l'envoi du pré-rapport et la possibilité d'adresser des dires.
Indiquant être épuisés par leur parcours indemnitaire, raison pour laquelle ils ne sollicitent pas une contre-expertise, ils demandent à la cour de tenir compte du fait qu'il s'agit du rapport d'un médecin 'de compagnie' dont les conclusions doivent être discutées procéduralement, et qui n'est pas opposable aux juges du fond.
La cour relève que l'expertise sur laquelle est fondée la demande d'indemnisation, s'est déroulée contradictoirement, en présence de Mme [Z] [A] et de sa fille, qui étaient assistées de leur avocat et de leur médecin conseil.
Certes, si le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, même si celles-ci étaient présentes, elle constitue une preuve admissible dès lors que le rapport a été produit aux débats, soumis à un débat contradictoire et qu'il est corroboré par d'autres éléments de preuve.
En l'espèce, si l'expert n'a effectivement pas répondu aux dires du conseil des consorts [A]/[I], ceux-ci sont en mesure d'en discuter ses conclusions et de proposer une autre évaluation des postes de préjudice contestés. Ils ne souhaitent d'ailleurs pas qu'une nouvelle expertise soit ordonnée, et demandent à la cour 'sous les réserves qui précèdent' d'examiner les postes dont appel.
Il appartient ainsi à la cour, qui n'est pas tenue par les conclusions de l'expert, d'apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve soumis à son examen.
Au vu de ces développements, le préjudice corporel de Mme [Z] [A], rédactrice principale à la société la Ligne d'Azur et âgée de 35 ans au jour de l'agression et de 37 ans à la consolidation, comme née le [Date naissance 1] 1981, est indemnisé comme suit :
Préjudices patrimoniaux
* temporaires avant consolidation
- dépenses de santé actuelles
Les parties s'accordent sur ce poste et demandent la confirmation du jugement qui l'a fixé à 780 euros.
- perte de gains professionnels actuels
Mme [Z] [A] réclame la somme de 25 991,72 euros.
Elle critique la décision qui lui a alloué la somme de 10 731,26 euros en retenant, pour évaluer ses pertes de gains, les seules périodes d'arrêts de travail mentionnées par le docteur [N] dans son rapport d'expertise, au lieu de calculer son préjudice sur la totalité de la période temporaire jusqu'à la consolidation de son état.
Elle soutient qu'à partir de juillet 2017, elle a effectué une formation diplômante d'un an, nécessaire pour redonner de l'entrain à son activité professionnelle, ce qui constituait une réaction saine et compréhensible après le choc subi et son travail à temps partiel thérapeutique, et lui permettait d'éviter la présence dans l'entreprise.
Elle calcule sa perte de gains jusqu'au 24 août 2018, sur la base d'un salaire de référence de 39 835 euros par an et actualise sa demande sur la base du taux d'augmentation du SMIC en France.
Le FGTI qui sollicite la confirmation du jugement, réplique que le docteur [N] n'a pas retenu l'existence d'arrêts de travail postérieurs au 9 juillet 2017 imputables à l'attentat, et que les éventuelles pertes de revenus en raison de la formation suivie par Mme [A] ne sont pas en lien avec l'événement traumatique ; qu'il n'a jamais été question, durant les opérations d'expertise, de la nécessité d'une réorientation professionnelle, et que cette formation s'inscrit dans le cadre d'une évolution de sa carrière professionnelle, probablement décidée et financée avant la survenue des attentats.
Il s'oppose en outre à l'actualisation de ce poste de préjudice compte tenu des provisions versées à Mme [A] afin de pallier les répercussions de ses arrêts de travail.
Sur ce,
Lorsque l'attentat est survenu, Mme [A] était salariée au service juridique de la régie de transports urbains la Ligne d'Azur, au poste de rédacteur principal.
Il est établi et non contesté qu'en raison de l'attentat, elle a placée en arrêt de travail du 29 juillet 2016 au 6 janvier 2017 puis a repris son emploi à temps partiel thérapeutique à partir du 7 janvier 2017, à 50 % jusqu'au 9 avril 2017, et ensuite à 70 % jusqu'au 7 juillet 2017.
En page 6 de son rapport, le docteur [N] notait : ' Très investie sur le plan professionnel, elle a obtenu un diplôme universitaire de droit et religion qui lui a permis de s'impliquer au niveau animation et formation au sein de sa société de travail.
Elle poursuit une certification en prévention des risques psycho-sociaux en milieu
professionnel et envisage une progression au sein de son entreprise ».
Il résulte du rapport de l'expert, qu'aucune des pièces médicales communiquées par Mme [Z] [A] ne vient contredire, qu'elle était, à partir du 8 juillet 2017, médicalement apte à reprendre son emploi à temps plein dans les conditions antérieures.
Rien ne permet de retenir une contre-indication au retour dans l'entreprise qui l'employait.
En l'absence de toute autre pièce justificative, il n'est pas démontré qu'elle ait été contrainte de suivre une formation diplômante à partir du mois de juillet 2017, pour des motifs liés à son état de santé consécutif à l'attentat, plutôt que de reprendre le poste qu'elle exerçait avant les faits.
Cette formation lui a permis d'obtenir un DU 'formation civile et civique, décerné le 27 juin 2918, puis de devenir 'responsable du service Santé et Bien être au travail' en 2018.
Dès lors, à supposer l'existence d'une perte de gains du fait de la formation entreprise, Mme [Z] [A] n'est pas fondée à conclure utilement qu'elle constitue un préjudice direct et certain en lien avec l'attentat, justifiant une indemnisation par le FGTI.
Il s'ensuit que le poste des pertes de gains professionnels actuels est évalué pour la période écoulée du 29 juillet 2016 au 9 juillet 2017.
Mme [A] produit ses avis d'imposition dont il résulte qu'elle a perçu les revenus nets imposables (ou assimilés), incluant les indemnités journalières suivantes (les déclarations de revenus détaillées ne sont pas communiquées) :
- En 2013 : 34.417 euros
- En 2014 : 35.169 euros
- En 2015 : 39.835 euros
- En 2016 : 30.040 euros
- En 2017 : 32.178 euros
- En 2018 : 35.712 euros
- En 2019 : 38.143 euros
- En 2020 : 41.651 euros
Pour le calcul du salaire de référence, la cour retient, comme le propose le FGTI et comme l'a retenu la Jivat, les salaires perçus en 2014 et 2015, l'année 2015 n'étant pas représentative ; l'affirmation de Mme [Z] [A] selon laquelle l'année 2015 qui correspond aux 4 ans de sa fille et à son entrée en maternelle, lui aurait permis de reprendre un rythme de travail plus soutenu, n'est en effet pas étayée, étant précisé qu'elle ne s'est pas arrêtée de travailler pour élever sa fille et n'a pas aménagé ou réduit son temps de travail.
Le salaire de référence s'élevant à 37 502 euros, la perte de salaire est de 12 786 euros soit :
7 462 euros (37 502 euros - 30 040 euros en 2016) + 5 324 euros (37 502 euros - 32 178 euros en 2017).
Le FGTI s'oppose à la réactualisation sollicitée par Mme [Z] [A] sur la base de l'évolution du SMIC alors qu'elle était salariée pour un salaire brut très supérieur au SMIC, et qui aboutit à une augmentation de 8,18% de la somme initialement sollicitée en indemnisation de ce poste de préjudice. En outre, il rappelle que Mme [A] a bénéficié du versement de provisions d'un montant total de 22 400 euros qui lui ont évité de souffrir d'une baisse de ses revenus entre l'attentat et juillet 2017.
La cour relève que Mme [Z] [A] fait valoir à juste titre que s'agissant d'une dette de valeur, le préjudice des pertes de gains professionnels actuels doit être actualisé au jour de la liquidation pour tenir compte de l'érosion monétaire.
La circonstance que des provisions, qui sont à valoir sur l'intégralité du préjudice corporel de la victime, aient été versées, est en l'espèce, indifférente.
Si le salaire brut de Mme [Z] [A] était effectivement supérieur au SMIC, dans la mesure où elle démontre que son salaire a évolué sur une base supérieure à celle du SMIC (16,70% entre 2018 et 2020 et 21,25% entre 2018 et 2022), l'indexation sur l'évolution du SMIC est justifiée.
Conformément au calcul proposé par Mme [Z] [A], il lui est alloué la somme revalorisée de 14 850,93 euros (12 786 euros x 16,15%).
Préjudices extra-patrimoniaux
* temporaires avant consolidation
- déficit fonctionnel temporaire
L'incapacité fonctionnelle partielle subie par la victime durant la maladie traumatique pour la période antérieure à la date de consolidation ainsi que sa perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante et la privation de ses activités privées souffertes durant cette même période sont indemnisées sur la base d'un taux journalier de 30 euros pour un déficit fonctionnel temporaire total, (au lieu de 27 euros comme alloué par la Jivat) soit :
déficit fonctionnel temporaire à 25% du 15 juillet 2016 au 10 juillet 2017 (361 jours)
361 jours x 30 euros x 25% = 2 707,50 euros
déficit fonctionnel temporaire à 10% du 11 juillet 2017 à la consolidation soit le 29 janvier 2019 (568 jours)
568 jours x 30 euros x 10% = 1 704 euros
total : 4 411,50 euros, somme allouée à Mme [A].
- souffrances endurées
Les souffrances endurées par Mme [A] en raison du psycho-traumatisme résultant de l'attentat, des traitements anti-dépresseurs et anxiolythiques subis avant la consolidation et du suivi psychiatrique et psychologique entrepris pendant plusieurs mois, sont indemnisées par la somme de 20 000 euros.
- préjudice d'angoisse de mort imminente
Il a été alloué à Mme [Z] [A] la somme de 6 000 euros.
Elle soutient que la Jivat a reconnu l'ampleur de son préjudice, mais l'a réduit sur le plan indemnitaire. Elle demande que son indemnisation soit portée à 25 000 euros. Elle précise être restée seule avec sa fille et s'être réfugiée dans les cuisines d'un restaurant au niveau de la plage ; qu'elle était tétanisée et ne pouvait obtempérer aux instructions des policiers ; qu'elle a ensuite décidé de se réfugier dans les toilettes toujours avec sa fille en entendant les cris de la foule.
Le FGTI sollicite la confirmation du jugement en exposant que Mme [A] ne se trouvait pas sur la [Adresse 7] au moment du passage du camion mais sur les escaliers menant à la plage ; qu'elle n'a donc vu le camion qu'une fois le chauffeur neutralisé par les forces de police ; qu'elle n'a pas été séparée de sa fille.
Sur ce,
Mme [A] se trouvant le soir du 14 juillet 2016, à quelques mètres de l'endroit où le camion a stoppé sa course, et de la fusillade, a été exposée directement à un risque de mort. Elle a craint pour sa vie et pour celle de sa petite fille ainsi que celle de ses proches dont elle a été séparée.
La terreur qui a été la sienne, majorée par le fait qu'elle devait protéger son enfant âgée à l'époque de 4 ans et demi et qu'elle avait perdu ses amis et son compagnon dans l'affolement général, avant de ressortir de l'endroit où elle était cachée et de retrouver les siens, justifie de réparer son préjudice par la somme de 6 000 euros, telle qu'allouée par la Jivat.
Le jugement est confirmé de ce chef.
* permanents après consolidation
- déficit fonctionnel permanent
La JIVAT a alloué à Mme [A] la somme de 8 850 euros.
Mme [A] demande à la cour, aux motifs que le barème du Concours médical n'appréhende pas les douleurs permanentes, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence, d'appliquer la méthode d'évaluation du déficit fonctionnel permanent en opèrant un calcul du taux journalier rapporté à l'espérance de vie.
Elle sollicite la somme de 35 061 euros.
Le FGTI rappelle que la méthode de la valeur du point tient compte des trois composantes du déficit fonctionnel permanent, et que rien ne justifie de s'écarter de cette méthode ; il demande la confirmation du jugement.
Sur ce,
L'évaluation par l'expert du taux de déficit fonctionnel permanent à 5%, en raison de la persistance d'éléments résiduels caractérisés par une réctivité émotionnelle et des conduites d'évitements, reflète la réduction définitive du potentiel physique et psychologique de la victime après la consolidation de son état. La cour considère qu'il n'est pas justifié, de procéder par référence à une indemnité journalière capitalisée sur l'espérance de vie pour indemniser un préjudice extra-patrimonial.
Les atteintes aux fonctions physiologiques, les douleurs ainsi que la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales qui découlent des séquelles conservées justifient, compte-tenu de l'âge de la victime lors de la consolidation de son état, l'octroi de la somme de 10 000 euros.
- préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme
La JIVAT a indiqué que ce poste de préjudice était une aide forfaitaire allouée par le FGTI, ne reposant pas sur l'expertise médico-légale mais fondée sur la prévalence du syndrome de stress post-traumatique chez les victimes d'actes terroristes. La somme de 10 000 euros a été allouée à Mme [A].
Mme [A] rappelle que l'attentat du 14 juillet 2016 était incontestablement un acte destiné à semer la terreur dans l'ensemble de la nation ; que, comme toutes les victimes d'actes de terrorisme, elle a subi non seulement la violence de l'acte, la peur extrême de mourir, le stress post traumatique et ses séquelles indemnisés dans les préjudices précédents, ainsi que la médiatisation de l'événement. Elle ajoute que la définition du préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme du FGTI n'a pas de valeur normative et ne s'impose pas aux juges du fond. L'appelante sollicite l'allocation de la somme de 30 000 euros.
Le FGTI rappelle que ce poste de préjudice relève d'une décision qui lui est propre, et qu'il s'agit d'une aide forfaitaire et symbolique. Il estime par ailleurs que Mme [A] n'a ni justifié ni caractérisé l'existence d'un poste de préjudice permanent exceptionnel distinct de ceux d'ores et déjà indemnisés ; qu'il propose déjà une indemnisation au titre des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent et que la résonnance médiatique n'est pas de nature à modifier le ressenti de Mme [A]. Le FGTI demande à la cour de confirmer le jugement ayant alloué la somme de 10 000 euros.
Sur ce,
Le poste des préjudices permanents exceptionnels indemnise des préjudices extra-patrimoniaux atypiques, directement liés au handicap permanent qui prend une résonnance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable, notamment de son caractère collectif pouvant exister lors de catastrophes naturelles ou industrielles ou d'attentats.
Pour pouvoir ouvrir droit à réparation au titre du préjudice permanent exceptionnel, il appartient à la victime de justifier qu'en raison de ces éléments, ses séquelles ont pris une résonnance particulière générant un préjudice extra patrimonial qui n'a pas déjà été réparé par un autre poste de préjudice.
En l'espèce, Mme [Z] [A] ne caractérise pas un tel préjudice extra patrimonial autre que ceux déjà mentionnés, qui serait généré par la résonnance particulière que prendrait son handicap. En outre, l'indemnisation du fait générateur et de son retentissement médiatique tant actuel que futur ne relève pas des obligations du FGTI tenu à la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne
Il s'ensuit qu'il y a lieu de confirmer la disposition du jugement qui a alloué à Mme [Z] [A] la somme de 10 000 euros de ce chef, le FGTI en sollicitant la confirmation.
Sur la liquidation du préjudice de [M] [I]-[A]
Le docteur [L] [N] a effectué l'expertise médicale de [M] [I]-[A] le 17 janvier 2018, en présence du docteur [H] [T] médecin conseil de la victime, et conclu à l'absence de consolidation compte tenu de l'âge de l'enfant.
Puis le docteur [V] [O], psychiatre, a été mandaté par le FGTI pour évaluer les préjudices de [M] [I]-[A]. Dans son rapport daté du 4 mai 2019 le docteur [V] [O] décrit une enfant calme, de bon contact souriante, vive, avec une bonne socialisation.
Concernant ses souvenirs de l'attentat, elle décrit les souvenirs lacunaires suivants : ' elle [sa mère] m'a bouché les oreilles... on est descendu aux toilettes... enfermées à clé... pour ne pas voir ce qui se passait... je ne me suis pas trop inquiétée...'.
Elle n'évoque pas d'autres souvenirs.
Sa mère indique à l'expert qu'elle va 'globalement bien'. Cependant, elle décrit la peur du kidnapping de sa fille, au cours duquel elle a peur qu'on la tue, éléments relatés surtout au moment de l'endormissement.
[M] [I]-[A] a effectué un suivi psychothérapeuthique auprès de plusieurs psychologues soit 2 séances d'EMDR en juillet 2016, trois consultations auprès de Mme [S], psychanalyste, puis six consultations auprès de Mme [B], psychologue, entre septembre 2017 et mars 2018 et de M. [X], psychologue les 7 et 19 février 2019, dans une démarche de recherche de l'expression verbale des émotions.
Dans son rapport d'expertise définitif rendu le 4 mai 2019, le docteur [O] a conclu comme suit :
- déficit fonctionnel temporaire partiel :
* 25% du 14 juillet au 14 décembre 2016
* 10% du 15 décembre 2016 au 20 février 2019
- consolidation : le 20 février 2019, correspondant à l'attestation du dernier psychologue consulté M. [X],
- déficit fonctionnel permanent : 5%, en raison d'un état de stress post-traumatique caractérisé par des troubles de l'endormissement épisodiques avec expression de réminiscences pénibles dans un contexte d'angoisse au cours duquel la peur de la mort et du kidnapping sont présents, d'un comportement d'évitement des jeux vidéo où la violence n'est pas accessible par l'enfant, qui apparaît être en lien avec les faits, de troubles anxieux à type de somatisation avec douleurs abdominales, une labilité émotionnelle avec anxiété lors des moments de séparation mère enfant, lorsque sa mère s'absente plus de 24 heures pour son travail,
- souffrances endurées : 3/7,
- préjudice scolaire : néant.
- préjudice d'angoisse de mort imminente : non retenu, « compte tenu de l'incapacité à faire le lien entre l'angoisse du moment du 14 juillet 2016 avec l'objet exclusif des faits de l'attentat ».
Au vu de ces éléments et de l'ensemble des pièces versées aux débats, le préjudice corporel de [M] [I]-[A], alors élève en classe maternelle âgée de presque 5 ans au jour des faits et de 7 ans à la consolidation, comme née le [Date naissance 2] 2011, est indemnisé comme suit :
Préjudices patrimoniaux
* temporaires avant consolidation
- dépenses de santé actuelles
D'accord entre les parties ce poste de préjudice est confirmé.
Préjudices extrapatrimoniaux
* temporaires avant consolidation
- déficit fonctionnel temporaire
L'incapacité fonctionnelle partielle subie par la victime durant la maladie traumatique pour la période antérieure à la date de consolidation ainsi que sa perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante et la privation de ses activités privées souffertes durant cette même période sont indemnisées sur la base d'un taux journalier de 30 euros pour un déficit fonctionnel temporaire total de 3 538,50 euros.
- souffrances endurées
La JIVAT a alloué à [M] [I]-[A] la somme de 8 000 euros dont elle réclame qu'elle soit portée à 25 000 euros.
Sur ce,
Le traumatisme subi imputable à la situation, due à l'angoisse très importante et anormale ressentie par l'enfant, qui a également intériorisé celle de sa mère, les souffrances morales endurées après les faits et les traitements psychologiques entrepris avant la consolidation, sont indemnisées par la somme de 20 000 euros.
- préjudice d'angoisse de mort imminente
La JIVAT a rappelé que l'expert n'avait pas retenu de préjudice d'angoisse « compte tenu de l'incapacité à faire le lien entre l'angoisse du moment du 14 juillet 2016 avec l'objet exclusif des faits de l'attentat », mais que [M] avait notamment déclaré « depuis ce jour-là j'ai peur qu'on me tue ». Le tribunal a précisé que bien qu'une enfant de 5 ans n'ait pas la même perception et appréhension de la mort qu'un adulte, [M] a nécessairement ressenti une angoisse très importante et anormale imputable à la situation et indemnisé ce préjudice à hauteur de 6 000 euros.
Mme [A], en qualité de représentante de sa fille [M] rappelle que le docteur [O] a relevé, en dépit de ses conclusions, « il persiste à ce jour des troubles de l'endormissement épisodiques avec expression de réminiscences pénibles dans un contexte d'angoisse au cours duquel la peur de la mort et du kidnapping sont présents » ; qu'en outre [M] a été examinée par le docteur [F] qui a retenu qu'elle avait « présenté après exposition aux événements des troubles somatiques avec vomissements, maux de ventre mais aussi cauchemars et angoisse face à la foule ». Elle demande l'infirmation du jugement et l'allocation de la somme de 25 000 euros.
Le FGTI rappelle que l'expert n'a pas retenu ce poste de préjudice qui correspond à la conscience de la victime de sa fin imminente, et n'est pas caractérisé en l'espèce ; que la jeune [M] âgée de 5 ans au moment des faits, n'avait pour sa part rien vu de ce qui se passait au niveau de la [Adresse 7], et se trouvait sur la plage avec sa mère qui lui a caché son environnement. Il ajoute que le tribunal s'est fondé sur des éléments postérieurs à l'attentat, notamment la persistance de « de troubles de l'endormissement épisodiques (') dans un contexte d'angoisse au cours duquel la peur de la mort et du kidnapping sont présents ».
Sur ce,
Le préjudice d'angoisse de mort imminente indemnise la victime qui confrontée à un danger mortel, prend conscience de sa possible voire probable, mort imminente. En effet, ce préjudice, par nature temporaire, s'apprécie in concreto en fonction d'une part de la démonstration de la réalité de la conscience de la victime du péril auquel elle est exposée et de ses conséquences, d'autre part des circonstances objectives dans lesquelles elle aura été confrontée à la situation.
Ce préjudice moral ne peut exister à défaut d'une conscience suffisante permettant à la victime de se rendre compte que sa fin est inéluctable et proche ou qu'elle encourt un tel risque.
En l'espèce, si la jeune [M] a ressenti l'angoisse liée à la situation exceptionnelle dans laquelle elle a été placée avec sa mère le 16 juillet 2016, il ne peut être considéré, alors qu'elle n'avait pas encore 5 ans, qu'elle a eu conscience du risque de mort encouru.
L'angoisse qu'elle a éprouvée au moment de l'attentat a été réparée au titre des souffrances endurées.
Il n'y a pas lieu à indemnisation au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente.
Le jugement est infirmé de ce chef.
* permanents après consolidation
- déficit fonctionnel permanent
La JIVAT a alloué à Mme [A], en qualité de représentante légale de sa fille [M], la somme de 11 550 euros.
Mme [A] ès-qualités sollicite l'application de la méthode de calcul consistant à fixer un euro journalier rapporté à l'espérance de vie et demande l'allocation de la somme de 56 961 euros pour ce poste.
Le FGTI sollicite la confirmation du jugement.
Sur ce,
Il n'est pas justifié de se référer à une indemnité journalière capitalisée sur l'espérance de vie pour indemniser ce préjudice, que l'expert a évalué en tenant compte de toutes ses composantes.
Les atteintes aux fonctions physiologiques, les douleurs ainsi que la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales qui découlent des séquelles conservées justifient, compte-tenu de l'âge de la victime lors de la consolidation de son état, l'octroi de la somme de 12 500 euros.
- préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme
Pour les mêmes motifs que ceux exposés pour Mme [Z] [A], le jugement qui a alloué à [M] [I]-[A] la somme de 10 000 euros est confirmé.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Rejette la demande de retrait des pièces C16 et C17,
Infirme partiellement la décision déférée,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Alloue à Mme [Z] [A], en deniers ou quittances, provisions et sommes versées en vertu de l'exécution provisoire non déduites, les sommes suivantes :
- 14 850,93 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels
- 4 411,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 20 000 euros au titre des souffrances endurées,
- 10 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent
Alloue à Mme [Z] [A] et à M. [G] [I], en qualité de représentants légaux de leur fille [M] [I]-[A], en deniers ou quittances, provisions et sommes versées en vertu de l'exécution provisoire non déduites, les sommes suivantes :
- 3 538,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 20 000 euros au titre des souffrances endurées,
- 12 500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
Dit que les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus,
Rejette la demande au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente de [M] [I]-[A],
Confirme le jugement entrepris pour le surplus,
Alloue à Mme [Z] [A] en cause d'appel, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel formulée dans l'intérêt de [M] [I]-[A],
Laisse les dépens d'appel à la charge de l'Etat.