CA Nîmes, 1re ch., 5 juin 2025, n° 24/01010
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
X
Défendeur :
Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel du Languedoc (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Defarge
Conseillers :
Mme Berger, Mme Gentilini
Avocats :
Me Benezech, Me Gouin, Selarl Boulaire, Scp Lobier & Associés
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 14 avril 2010, M. [F] [H] et son épouse [T] née [P] ont signé auprès de la société France Eco Energie Languedoc un bon de commande portant sur l'acquisition et l'installation de panneaux photovoltaïques, au prix de 19 500 euros, financé au moyen d'un prêt du même montant remboursable en 120 mensualités, au taux de 3,30 %, souscrit le 5 mai 2010 auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc.
L'installation a été facturée le 17 juin 2010.
La société France Eco Energie Languedoc a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire.
Par acte du 30 novembre 2022, M. et Mme [H] ont assigné la CRCAM du Languedoc aux fins d'annulation du contrat principal de vente et du contrat de crédit affecté devant le tribunal judiciaire Nîmes qui, par jugement contradictoire du 6 février 2024 :
- a jugé leur action irrecevable,
- a dit qu'ils supporteront la charge des dépens de l'instance,
- les a condamnés in solidum à payer à la CRCAM du Languedoc la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- a rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire.
M. et Mme [H] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 19 mars 2024.
Par ordonnance du 29 novembre 2024, la procédure a été clôturée le 10 avril 2025 et l'affaire fixée à l'audience du 24 avril 2025.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Au terme de leurs dernières conclusions régulièrement notifiées le 25 mars 2025, M. et Mme [H] demandent à la cour
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- de déclarer leurs demandes recevables et bien fondées,
- de condamner la CRCAM du Languedoc à leur verser les sommes de
- 19 500 euros correspondant au montant du capital emprunté, en raison de la privation de leur créance de restitution,
- 4 007,94 euros correspondant aux intérêts conventionnels et frais payés par eux en exécution du prêt souscrit,
- 5 900 euros correspondant aux travaux de réparation de l'installation,
- 5 000 euros au titre du préjudice moral,
- 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
En tout état de cause
- de prononcer la déchéance de la CRCAM du Languedoc de son droit aux intérêts contractuels,
- de la condamner à leur rembourser l'ensemble des intérêts versés au titre de l'exécution normale du contrat de prêt jusqu'à parfait paiement et de lui enjoindre de produire un nouveau tableau d'amortissement expurgés desdits intérêts,
- de la débouter de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions contraires,
- de la condamner à supporter les dépens de l'instance.
Au terme de ses dernières conclusions régulièrement notifiées le 30 juillet 2024, la CRCAM du Languedoc demande à la cour :
- de juger irrecevable l'action des appelants,
- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de débouter les appelants de leur appel et de toutes leurs demandes,
- de juger irrecevables leurs demandes tendant :
- au paiement de la somme de 5 900 euros correspondant aux travaux de réparation de l'installation,
- à la déchéance de son droit aux intérêts conventionnels,
- au remboursement des intérêts versés au titre de l'exécution normale du contrat de prêt avec injonction d'un nouveau tableau d'amortissement expurgé des intérêts,
A titre subsidiaire
- de débouter les appelants de leur appel et de toutes leurs demandes,
En toute hypothèse
- de les condamner in solidum à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est expressément fait renvoi aux dernières écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens conformément aux dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Les contrats de fourniture et d'installation de panneaux photovoltaïques et de crédit affecté ici conclus les 14 avril et 5 mai 2010, sont soumis pour le premier aux dispositions du Code de la consommation dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 et pour le second à ces dispositions dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, de sorte qu'il sera fait application de ces dispositions dans leur rédaction en vigueur avant ces dates.
* fins de non-recevoir
**fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en cause du vendeur
Pour déclarer irrecevable l'action des requérants en nullité du contrat de vente principal et du contrat de prêt affecté, sur le fondement du dol et de la violation des dispositions impératives du Code de la consommation, le premier juge a retenu que cette action était subordonnée à la mise en cause du vendeur co-contractant.
Les appelants soutiennent que la mise en cause de la société installatrice n'était pas nécessaire, dès lors qu'ils ont renoncé à leurs demandes de nullité des contrats, et que leur action est destinée à voir engager la responsabilité pour faute de la banque.
L'intimée réplique qu'en raison de l'interdépendance des contrats, la responsabilité du prêteur ne peut être examinée hors la présence du fournisseur.
Aux termes de l'article L.311-21 du Code de la consommation, en cas de contestation sur l'exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu'à la solution du litige, suspendre l'exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé.
Les dispositions de l'alinéa précédent ne seront applicables que si le prêteur est intervenu à l'instance ou s'il a été mis en cause par le vendeur ou l'emprunteur.
En première instance, M. et Mme [H] ont sollicité « l'annulation du contrat principal de vente et la nullité subséquente du contrat de prêt affecté », sur le fondement principal des articles 1109 et 1116 du Code civil dans leur version applicable à la date de signature du contrat et subsidiairement, sur celui des articles L.121-23 et suivants du Code de la consommation en raison des irrégularités du bon de commande.
Contrairement à ce qu'ils soutiennent, ils ne se sont jamais désistés de ces demandes qui ont à juste titre été déclarées irrecevables.
En cause d'appel, ils ne formulent plus ces prétentions, leur action se limitant à rechercher la responsabilité de la banque dans la délivrance des fonds et l'absence d'action en annulation du contrat principal n'interdit pas à l'emprunteur de se prévaloir des dispositions de l'article L.121-23 du Code de la consommation.
Leur action est donc recevable et le jugement est infirmé sur ce point.
**fin de non-recevoir tirée de la prescription
Le premier juge a déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité du prêteur fondée sur le non-respect des dispositions impératives du Code de la consommation, au motif que les défauts allégués du bon du commande étaient apparents dès la signature du contrat, qui comportait le rappel des dispositions des articles L.121-23 à L.121-26 de ce code, et que les requérants étaient ainsi en mesure de vérifier les irrégularités depuis cette date qui constituait le point de départ du délai de prescription.
Il a également déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité du prêteur 'pour manquements dolosifs en couvrant les agissements du vendeur d'une installation ruineuse dont le fonctionnement ne leur a pas permis de compenser les dépenses exposées', dès lors que les requérants avaient conclu un contrat de revente de l'électricité avec EDF et avaient donc eu conscience des éventuelles man'uvres, au demeurant non démontrées, à réception de la première facture d'électricité le 24 octobre 2011, date constituant le point de départ du délai de prescription de leur action.
Les appelants soutiennent que le point de départ du délai de prescription de leur action est la date à laquelle ils ont eu connaissance du préjudice subi et une connaissance effective des faits leur permettant d'agir, que la seule reproduction des dispositions applicables au contrat de vente ne caractérise pas la connaissance, par le consommateur profane comme eux, des irrégularités affectant l'acte et que leur ignorance a été entretenue par la banque qui ne leur a signalé aucune irrégularité ; que par conséquent, le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle la nullité du contrat a été portée à leur connaissance, après vérification, par deux professionnels des contrats.
En cause d'appel, ils imputent à faute à la banque le fait d'avoir procédé au déblocage des fonds alors qu'à la simple lecture du contrat principal elle aurait dû constater que sa validité était douteuse au regard des différentes dispositions protectrices du Code de la consommation relatives au démarchage à domicile ou à la vente hors établissement.
L'intimée réplique que le point de départ du délai de prescrition doit être fixé à la date du bon commande s'agissant de ses irrégularités, et à la date de la libération des fonds s'agissant de l'absence de vérification.
Aux termes de l'article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
La reproduction, même lisible, des dispositions du Code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions en l'absence de circonstances permettant de justifier d'une telle connaissance.
Néanmoins,
- les appelants ne précisent pas la date à laquelle ils ont eu connaissance des irrégularités alléguées du bon de commande,
- ils ont réglé l'intégralité du crédit affecté au financement du contrat, sans aucun incident,
- ils ont revendu leur production d'électricité à EDF et bénéficient encore à ce jour de l'installation,
- ils ont attendu deux ans après la fin du remboursement du crédit pour assigner le prêteur en responsabilité.
La date du 10 novembre 2021 portée sur l'étude de MM. [D] et [X] ne peut constituer le point de départ du délai du prescription, s'agissant d'une consultation pour avis diligentée par un cabinet d'avocat « au sujet de l'action intentée par des emprunteurs ayant sollicité un établissement de crédit afin de financer l'acquisition d'un équipement de production d'énergies renouvelables » et le contrat litigieux ne leur ayant pas été soumis pour étude.
En outre, fixer le point du départ du délai de prescription de leur action à la date à laquelle les emprunteurs ont été informés officiellement de l'existence d'irrégularités pouvant affecter le contrat principal, qui n'est d'ailleurs pas précisée par eux, revient à laisser cette fixation à leur entière discrétion et à rendre imprescriptible leur action, au mépris du principe à valeur constitutionnelle de sécurité juridique.
Mis dès la signature du bon de commande en mesure de s'interroger sur sa validité et de solliciter des conseils juridiques fiables ils disposaient donc dès cette date de la connaissance des faits leur permettant d'exercer une action en responsabilité contre le prêteur.
L'assignation du 30 novembre 2022 à l'encontre de la CRCAM du Languedoc a été délivrée alors que leur action en responsabilité à son encontre était prescrite depuis le 14 avril 2015.
Le jugement est donc encore confirmé pour avoir déclaré cette action irrecevable.
**fin de non-recevoir tirée de la nouveauté des demandes
Selon l'article 564 du Code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
M. et Mme [H] ont sollicité en première instance la condamnation de la CRCAM du Languedoc à leur payer les sommes de 19 500 euros correspondant à l'intégralité du prix de vente de l'installation outre intérêts contractuels payés et frais en exécution du contrat, 10 000 euros au titre de l'enlèvement de l'installation et de la remise en état des existants, et 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
En cause d'appel, ils demandent la déchéance de la banque de son droit aux intérêts contractuels et sa condamnation à leur rembourser les intérêts versés au titre de l'exécution normale du contrat, avec injonction de produire un nouveau tableau d'amortissement expurgé de ces intérêts.
Ces demandes sont nouvelles en cause d'appel et comme telles irrecevables.
* autres demandes
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les appelants, succombant en leur appel, sont condamnés aux dépens de l'instance.
Ils sont également condamnés à payer à l'intimée la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 6 février 2024 par le tribunal judiciaire de Nîmes en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes de M. [F] [H] et Mme [T] [P] épouse [H] tendant :
- au prononcé de la déchéance du droit aux intérêts contractuels de la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc,
- à la condamnation de la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc à leur rembourser l'ensemble des intérêts versés au titre de l'exécution normale du contrat de prêt,
- à enjoindre à la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc de produire un nouveau tableau d'amortissement expurgé desdits intérêts,
Condamne M. [F] [H] et Mme [T] [P] épouse [H] aux dépens de la présente instance,
Condamne M. [F] [H] et Mme [T] [P] épouse [H] à payer à la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.