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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-3, 5 juin 2025, n° 19/19430

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

JMK Invest (SARL)

Défendeur :

Finance Immo (EURL), Vivelenet (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Noel

Vice-président :

Mme Ougier

Conseiller :

Mme Vincent

Avocats :

Me Cherfils, Me Joly, Me Riglaire, Me Pietra

T. com. Nice, du 20 nov. 2019, n° 2018F0…

20 novembre 2019

FAITS ET PROCEDURE

La SARL Finance immo, la SARL MKI et M. [E] [F] ont constitué la SAS KPFI dont ils détenaient respectivement 50%, 25% et 25% des parts, et dont la SARL MKI était la présidente.

Le 11 août 2010, les SARL Finance immo et Finance immo patrimoine d'une part, et la SAS KPFI d'autre part, ont signé un accord de partenariat commercial aux termes duquel les premières mettaient à disposition de la seconde ses signes distinctifs, ses solutions logicielles et des fiches renseignées de contacts captés par le biais de son site internet, contre rétribution mensuelle. Le contrat prenant effet au 1er octobre 2009 était conclu pour trois ans puis renouvelable chaque année par tacite reconduction.

Lors de la conclusion de cet accord, la SAS KPFI, en formation, était représentée par son futur président, la SARL MKI -elle-même représentée par son gérant M. [Y] [F].

Le 28 septembre 2012, la SARL Finance immo cédait toutes ses parts sociales dans la SAS KPFI à la SARL MKI aux termes d'un protocole d'accord transactionnel qui prévoyait la transmission par la cédante à la cessionnaire des contacts de la SAS KPFI et la mise à sa disposition pendant trois mois de ses outils informatiques.

Le 1er janvier 2013, la SAS KPFI souscrivait auprès de la SARL Vivelenet un service de mise à disposition d'une solution informatique avec assistance et télé-maintenance qui prenait ainsi la suite des logiciels fournis par le groupe Finance immo.

Par courrier recommandé du 3 février 2014, la SARL Vivelenet mettait en demeure la SARL KPFI de s'acquitter d'une somme de 3 586 euros restant due sur ce contrat de service.

Le 27 avril 2015, la SARL Vivelenet cessait son activité et était dissoute, M. [I] [L] étant désigné liquidateur.

Par exploits des 31 mars et 3 avril 2015, la SARL JMK invest venant aux droits de la SAS KPFI a fait assigner devant le tribunal de commerce de Nice, la SARL Vivelenet et la SARL Finance immo aux fins de leur voir ordonner, à la première, de rétablir son accès au logiciel, à la seconde, de lui transmettre la base de données promise, et de les voir condamner à l'indemniser de ses préjudices.

La péremption de cette instance a été prononcée par jugement du 26 septembre 2018.

Par exploit du 13 novembre 2018, la SARL JMK invest venant aux droits de la SAS KPFI a fait assigner devant le tribunal de commerce de Nice, la SARL Finance immo, la SARL Vivelenet, M. [I] [L] ès qualités de liquidateur amiable de la SARL Vivelenet, aux mêmes fins.

Par jugement du 20 novembre 2019, le tribunal a

- condamné la SARL JMK invest venant aux droits de la SAS KPFI à payer à la SARL Vivelenet la somme de 3 607 euros au titre des arriérés de factures produites pour la période de septembre 2013 à novembre 2014,

- fait interdiction à la SARL JMK invest venant aux droits de la SAS KPFI d'utiliser la marque « finance immo » et ce, sous atsreinte de 1 000 euros par infraction constatée, passé un délai de trente jours à compter de la signification du jugement,

- condamné la SARL JMK invest venant aux droits de la SAS KPFI à payer à l'EURL Finance immo la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL JMK invest venant aux droits de la SAS KPFI à payer à la SARL Vivelenet la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL JMK invest venant aux droits de la SAS KPFI à payer à M. [I] [L] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que ces condamnations seront assorties de l'exécution provisoire,

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,

- condamné la SARL JMK invest venant aux droits de la SAS KPFI aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration du 20 décembre 2019, la SARL JMK invest a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer ou annuler en toutes ses dispositions, intimant M. [I] [L], l'EURL Finance immo et la SARL Vivelenet.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 mars 2023.

Le dossier a été plaidé le 11 avril 2023 et mis en délibéré au 15 juin 2023. Le délibéré a été prorogé.

Par arrêt avant dire droit du 12 décembre 2024, la cour a

- sursis à statuer sur les demandes des parties,

- ordonné la réouverture des débats à l'audience du 18 février 2025 à 14h,

- invité chacune des parties à présenter, par voie de conclusions, ses observations

1. sur l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt prononcé par la cour d'appel de Paris le 29 mars 2023 (RG2115416) et ses incidences sur l'issue du présent litige,

2. sur les incidences des évolutions du droit positif et du revirement opéré par la Cour de cassation dans son arrêt du 18 octobre 2023, relatif à l'article L. 442-6 du code de commerce (irrecevabilité ou incompétence de la juridiction) et ses incidences sur l'issue du présent litige,

- réservé les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Les parties ont conclu après réouverture des débats et la clôture de l'instruction a été prononcée le 18 mars 2025.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 14 février 2025, la SARL JMK invest venant aux droits de la SAS KPFI, appelante, demande à la cour de

- reconnaître être valablement saisie de l'appel de la société JMK invest,

- reconnaître son incompétence au profit de la cour d'appel de Paris,

- renvoyer l'affaire pour le tout devant la juridiction spécialisée, en l'espèce, la cour d'appel de Paris.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 février 2025, la SARL Vivelenet représentée par son liquidateur M. [I] [L], M. [I] [L], et l'EURL Finance immo, intimées, demandent à la cour de

- juger la cour de céans incompétente pour connaître des demandes présentées sur le fondement des dispositions des articles L.442-1 du code de commerce,

- juger que la cour d'appel de Paris a déjà décliné sa compétence,

en conséquence,

- débouter la société JMK invest de toutes ses demandes, fins et conclusions telles qu'exposées dans le cadre de ses conclusions en réouverture des débats,

- la condamner à payer à chacun des intimés la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

Par arrêt contradictoire du 29 mars 2023 -communiqué aux débats par le conseil des intimés par voie électronique le 12 avril 2023 à la demande de la cour formulée à l'audience du 11 avril 2023, la cour d'appel de Paris a déclaré irrecevable l'appel par la société JMK invest à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Nice du 20 novembre 2019, et condamné cette société aux dépens et aux frais irrépétibles.

L'arrêt précise que la cour avait été saisie par déclaration d'appel de la SARL JMK invest reçue au greffe de la cour d'appel de Paris le 9 août 2021.

Il mentionne que l'appelante avait intimé en l'instance M. [I] [L] ès qualités de liquidateur amiable de la société Vivelenet, la SARL Vivelenet et l'EURL Finance immo.

Conformément aux dispositions de l'article 125 du code de procédure civile, la cour a relevé d'office la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée et, par arrêt avant dire droit du 12 décembre 2024, invité les parties à présenter ses observations sur cette fin de non-recevoir.

La SARL JMK invest, appelante, soutient que l'autorité de chose jugée de l'arrêt rendu le 29 mars 2023 par la cour d'appel de Paris ne peut lui être opposée alors que cette décision se fonde, pour déclarer son appel irrecevable, sur une jurisprudence désormais obsolète de la Cour de cassation.

Elle considère que le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation constitue un fait nouveau, un événement postérieur venant modifier la situation reconnue antérieurement en justice, et en conclut que, conformément à la nouvelle règle jurisprudentielle édictée, la cour d'appel d'Aix-en-Provence doit se déclarer régulièrement saisie et se déclarer incompétente au profit de la cour d'appel de Paris.

Les intimés observent que la cour d'appel ne fait pas partie des juridictions spécialisées puisque seule la cour d'appel de Paris aurait été compétente pour trancher les demandes présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce. Ils relèvent que, sans se désister de son appel devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, l'appelante a inscrit également un appel à l'encontre du même jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice le 20 novembre 2019 auprès de la cour d'appel de Paris, laquelle l'a déclaré irrecevable. En l'état de l'autorité de la chose jugée par cet arrêt du 29 mars 2023 de la cour d'appel de Paris, l'affaire ne peut plus être renvoyée devant elle et il convient de mettre fin à l'instance.

Sur ce,

Les parties s'accordent à bon droit à retenir que la cour d'appel d'Aix-en-Provence, pas plus que le tribunal de commerce de Nice, ne sont compétents pour statuer sur le présent litige qui porte sur des pratiques restrictives de concurrence et se fonde sur l'article L. 442-6 du code de commerce.

Aux termes de l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet de la décision de justice. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formées par elles et contre elles en la même qualité.

En l'espèce, s'agissant d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 29 mars 2023 sur l'appel interjeté contre le même jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice le 20 novembre 2019, la triple identité ne fait pas de doute et n'est d'ailleurs aucunement contestée.

Pour autant, l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation reconnue antérieurement en justice (3è Civ., 28 mars 2019, pourvoi n°17-17.501 ; 2è Civ., 8 février 2024, pourvoi n°22-10.614).

En l'espèce, l'arrêt rendu le 29 mars 2023 se fondait sur la jurisprudence de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, établie depuis 2013, selon laquelle la méconnaissance du pouvoir juridictionnel exclusif de statuer sur les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce, était sanctionnée par une fin de non-recevoir, laquelle devait être relevée d'office (Com., 24 septembre 2013, pourvoi n°12-21.089 ; 31 mars 2015, pourvoi n°14-10.016).

Depuis lors, et par arrêt du 18 octobre 2023, la Cour de cassation a opéré un revirement radical de jurisprudence, en jugeant désormais que « la règle découlant de l'application combinée des articles L. 442-6 III devenu L. 442-4 III et D.442-3 devenu D.442-2 du code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l'application des dispositions du I et du II de l'article L. 442-6 précité, devenues l'article L. 442-1, institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir » (Com., 18 octobre 2023, pourvoi n°21-15.378).

Ce revirement était fondé, aux termes mêmes de la Cour de cassation, sur l'observation que la construction jurisprudentielle complexe jusque-là retenue ne correspondait pas aux textes qui se réfèrent à la compétence des juridictions et non à leur pouvoir juridictionnel, et aboutissait à des « solutions confuses et génératrices d'insécurité juridique, la complexité de sa mise en 'uvre ne répondant pas aux objectifs de bonne administration de la justice".

Le même constat conduit également la Cour de cassation à juger désormais que la règle découlant de l'application combinée de ces articles, désignant la cour d'appel de Paris seule compétente pour connaître des décisions rendues par lesdites juridictions, institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir (Com., 29 janvier 2025, pourvoi n°23-15.842).

Par application de cette jurisprudence, la cour d'appel d'Aix-en-Provence est valablement saisie de l'appel interjeté par la SARL JMK le 20 décembre 2019 à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice le 20 novembre 2019.

Bien plus, ce revirement, extérieur aux parties à la présente instance, postérieur à l'arrêt rendu le 29 mars 2023, constitue un événement postérieur qui modifie la situation reconnue antérieurement en justice puisque faisant disparaître la fin de non-recevoir retenue.

Il fait donc obstacle à ce que soit opposée l'autorité de la chose jugée par cet arrêt et il convient donc de renvoyer l'affaire pour le tout devant la juridiction d'appel spécialisée, la cour d'appel de Paris.

L'équité ne commande pas, en l'état actuel de la procédure, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. De même, les dépens sont réservés.

PAR CES MOTIFS

La cour

Reçoit l'appel interjeté par la SARL JMK le 20 décembre 2019 à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice le 20 novembre 2019 ;

Dit que l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Paris par arrêt du 29 mars 2023 ne peut être opposée à l'appelante dès lors qu'un événement postérieur a modifié la situation reconnue antérieurement en justice ;

Se déclare incompétente au profit de la cour d'appel de Paris ;

Dit que le présent dossier sera transmis par les soins du greffe à la cour d'appel de Paris, en application de l'article 82 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à application à ce jour des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Réserve les dépens ;

Rejette les autres demandes.

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