CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 5 juin 2025, n° 22/05169
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 05 JUIN 2025
(n° 81 /2025, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 22/05169 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOFT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 février 2022- Tribunal judiciaire de PARIS (loyers commerciaux)- RG n° 21/12247
APPELANTS
M. [O] [U]
né le 30 juin 1940 à [Localité 7] (Nièvre)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Mme [B] [U]
née le 16 août 1941 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentés par Me Nicolas DUVAL de la SELEURL NOUAL DUVAL, avocat au barreau de Paris, toque : P0493
INTIMÉE
S.A.R.L. [S]
Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 500 389 101
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Morgane GRÉVELLEC, avocat au barreau de Paris, toque : E2122
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 février 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie Girousse, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Denis Ardisson, président de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Denis Ardisson, président de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous signature privée du 6 janvier 2011, M. [O] [U] et Mme [B] [U] (ci-après dénommés "les consorts [U]") ont consenti à la société [S] un renouvellement de bail commercial portant sur un local dépendant d'un immeuble situé [Adresse 3] [Localité 5] pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2011, pour l'exercice de l'activité de restaurant, en contrepartie du versement d'un loyer indexé de 32.000 € par an HT et HC.
Le 27 septembre 2019, les consorts [U] ont fait signifier à leur locataire un congé à effet du 31 mars 2020 avec offre de renouvellement du bail moyennant un loyer déplafonné fixé à la somme de 55.000 € par an. Par courrier du 17 octobre 2019, la société [S] a répondu qu'elle acceptait le principe du renouvellement du bail mais refusait le loyer proposé.
Le 14 juin 2021, les consorts [U] ont notifié à la société [S] un mémoire préalable sollicitant la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 55.000 € à compter du 1er avril 2020.
Le 15 septembre 2021, les consorts [U] ont fait assigner leur locataire devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris afin que le loyer du bail renouvelé soit fixé à la somme de 55.000 €.
Par un jugement du 10 février 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
dit que le bail commercial du 6 janvier 2011 a pris fin le 31 mars 2020 à 24h00 par l'effet du congé signifié le 27 septembre 2019 à la société [S] par M. [O] [U] et Mme [B] [U] ;
débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande principale de fixation du loyer du bail renouvelé le 1er avril 2020 à la somme de 55.000 € par an HT et HC ;
débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande subsidiaire de désignation d'un expert judiciaire pour donner son avis sur la valeur locative des lieux loués au 1er avril 2020 ;
dit qu'à défaut de l'exercice de leur droit d'option par les parties, le bail susvisé sera renouvelé à compter du 1er avril 2020 aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré, sous réserve des stipulations dudit bail susceptibles d'être en contravention avec les dispositions impératives issues de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite "loi PINEL" ;
dit qu' en ce cas, le loyer applicable au 1er avril 2020 sera fixé par application de l'indice trimestriel des loyers commerciaux conformément à l'article L. 145-34 alinéa 1 du code de commerce ;
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à payer à la société [S] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] aux dépens de l'instance ;
débouté la société [S] de sa demande aux fins de voir écarter l'exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration du 9 mars 2022, les consorts [U] ont interjeté appel du jugement.
Par conclusions d'incident du 24 mai 2022, les consorts [U] ont saisi le conseiller de la mise en état de la cour de céans, en vue d'obtenir la nomination d'un expert judiciaire afin de faire fixer le montant du loyer du bail renouvelé.
Par ordonnance du 16 janvier 2023, le conseiller de la mise en état de la cour de céans à :
rejeté la demande de désignation d'un expert judiciaire,
rejeté la demande de fixation du loyer provisionnel,
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] au dépens de l'incident,
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à payer à la société [S] la somme de 2.000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles d'instance d'incident,
rejeté toute autre demande.
MOYENS ET PRETENTIONS
Aux termes de leurs conclusions notifiées le 24 mai 2022, les consorts [U], appelants, demandent à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Dit que le bail commercial du 6 janvier 2011 a pris fin le 31 mars 2020 à 24h00 par l'effet du congé signifié le 27 septembre 2019 à la société [S] par M. [O] [U] et Mme [B] [U] ;
infirmer le jugement en ce qu'il a :
Débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande principale de fixation (sic) ;
En conséquence et statuant à nouveau,
à titre principal
fixer le loyer du bail renouvelé au 1er avril 2020 à un montant annuel de 57.582,00 euros (CINQUANTE SEPT MILLE CINQ CENT QUATRE-VINGT-DEUX EUROS) en principal, hors charges et hors taxes, toutes les autres clauses, charges et conditions du bail expiré demeurant inchangées ;
dire et juger que les compléments de loyers dus par le locataire porteront intérêt au taux légal, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, de plein droit à compter de la date d'effet du nouveau loyer et que les intérêts échus depuis plus d'une année produiront eux-mêmes intérêts en conformité des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
à titre subsidiaire
désigner tel expert qu'il plaira à la Cour, en application de l'article R. 145-30 du code de commerce, avec pour mission de :
se rendre sur place ;
visiter les lieux et les décrire ;
se faire communiquer tous documents et pièces utiles ;
déterminer la valeur locative des lieux loués à la date du 1er avril 2020 ;
dans ce cas, fixer le loyer provisionnel que le locataire devra régler à compter du 1er avril 2020 et jusqu'à la fin de la procédure définitive en fixation du loyer, à la somme annuelle de 55.000,00 euros HT et HC ;
en tout état de cause
condamner la société [S] au paiement de la somme de 2.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions déposées le 21 décembre 2023, la société [S], intimée, demande à la cour de :
confirmer le jugement du 10 février 2022 en ce qu'il a
dit que le bail commercial du 6 janvier 2011 a pris fin le 31 mars 2020 à 24H00 par l'effet du congé signifié le 27 septembre 2019 à la société [S] par M. [O] [U] et Mme [B] [U] ;
débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande principale de fixation du loyer du bail renouvelé le 1er avril 2020 à la somme de 55.000 € par an HT et HC ;
débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande subsidiaire de désignation d'un expert judiciaire pour donner son avis sur la valeur locative des lieux loués au 1er avril 2020 ;
dit qu'à défaut de l'exercice de leur droit d'option par les parties, le bail susvisé sera renouvelé à compter du 1er avril 2020 aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré, sous réserve des stipulations dudit bail susceptibles d'être en contravention avec les dispositions impératives issues de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, dite « loi PINEL »,
dit qu'en ce cas, le loyer applicable au 1er avril 2020 sera fixé par application de l'indice trimestriel des loyers commerciaux conformément à l'article L. 145-34 alinéa 1er du code de commerce,
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à payer à la société [S] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum [O] [U] et Mme [B] [U] aux dépens de l'instance,
débouté la société [S] de sa demande aux fins de voir écarter l'exécution provisoire du présent jugement.
débouter le bailleur de toutes ses demandes ;
juger que le bail se renouvellera aux conditions de l'ancien bail ;
débouter le bailleur de sa demande d'expertise ;
Subsidiairement
si la cour faisait droit à la demande d'expertise, la société [S] ne s'oppose pas à une expertise aux frais avancés par le bailleur ;
la cour ajoutera alors dans la mission de l'expert que ce dernier se prononce sur l'existence ou non de modifications notables dans le cadre des dispositions de l'article L. 145-34 du code de commerce.
En tout état de cause et y ajoutant
condamner les appelants à payer à la société [S] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner le bailleur aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRET
Les parties ne contestent pas le jugement déféré en ce qu'il a dit que le bail du 6 janvier 2011 avait pris fin le 31 mars 2020 à 24h par l'effet du congé signifié le 27 septembre 2019 à la société [S] par les consorts [U], ni le fait que le bail s'est trouvé renouvelé à compter du 1er avril 2020.
En revanche, elles s'opposent sur la fixation du montant du loyer du bail renouvelé.
Sur le déplafonnement du loyer du bail renouvelé
Il résulte de l'article 9 du code de procédure civile, qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Selon les dispositions des articles L. 145-33 et L. 145-34 du code de commerce, dans le cadre d'un bail commercial, le montant du loyer des baux renouvelés doit correspondre à la valeur locative, toutefois, à moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° du premier de ces textes, le taux de variation du loyer applicable lors du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux (ou des activités tertiaires selon le cas) intervenue depuis la fixation initiale du loyer.
Les éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 précité sont les caractéristiques du local, la destination des lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité.
Au soutien de leurs prétentions, les appelants font valoir tout d'abord, sur le fondement des articles L. 145-33, 145-34 et R. 145-6 du code de commerce, que les prix couramment pratiqués dans le voisinage démontrent que le montant du loyer est manifestement sous-évalué. Pour appuyer leurs prétentions, ils font référence à un rapport amiable établi par M. [L], lequel n'est pas versé aux débats, qui fixerait un prix au m² par an de 622,10 euros, soit pour une surface de 92,56 m2 un loyer annuel de 57.581,83 euros à compter du 1er avril 2020, compte tenu de ce que les lieux loués sont situé dans un quartier très recherché, bien desservi par le métro, et que la rue est dynamique et commerçante, comme étant composée de nombreux restaurants, théâtres et salles de spectacle. Les appelants se prévalent en outre du fait que le quartier a bénéficié d'un développement rapide du fait de la construction, à proximité, d'une résidence pour jeunes actifs, et qu'ils ont réalisé de nombreux travaux et notamment le ravalement complet de l'immeuble sur rue, ainsi que le changement des fenêtres.
L'intimée fait de son côté valoir, sur le fondement des mêmes articles, qu'une modification notable des facteurs locaux de commercialité ne peut constituer un motif de déplafonnement qu'autant qu'elle est de nature à avoir une incidence sur le commerce considéré. L'intimée indique ensuite que les éléments évoqués par les appelants, comme les prix pratiqués dans le voisinage ou encore la construction d'une résidence pour actifs à proximité, ne sont justifiés par aucune pièce. Par ailleurs, que si la rue est commerçante, il y a aussi une grande concurrence. Concernant le métro à proximité, l'intimé précise qu'il ne s'agit pas d'un élément nouveau. En outre, certains commerces engendrant des flux de visiteurs ont fermé. Enfin, concernant les prétendus travaux réalisés par le bailleur, il s'agit de travaux réalisés pour d'autres locaux leur appartenant, comme en attestent les factures communiquées par les appelants en première instance.
Les parties ne font que reprendre devant la cour les prétentions et les moyens développés en première instance, étant précisé que les appelants n'ont pas déposé de dossier de plaidoirie et ne produisent donc aucune des pièces visées dans leurs écritures et figurant au bordereau joint à ces dernières, malgré la demande adressée par la cour de céans, par RPVA en date du 26 mars 2025.
En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties. Il convient en conséquence d'approuver celui-ci pour avoir relevé que les consorts [U] ne produisaient aucune pièce de nature à justifier un déplafonnement du loyer.
Il sera simplement ajouté que la carence des bailleurs à rapporter la double preuve qui leur incombe de l'existence d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 précité, étant au demeurant précisé que les prix pratiqués dans le voisinage ne sont pas de nature à justifier à eux seuls le déplafonnement du loyer, et de leur incidence favorable sur le commerce de la SARL [S], le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [U] de leur demande de voir fixer le montant du loyer renouvelé le 1er avril 2020 à la somme de 55.000 €HT/HC/an.
Sur la demande d'expertise
Il résulte l'article 146 du code de procédure civile qu'une mesure d'instruction peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
A titre subsidiaire, les appelant font valoir que si la cour devait ne pas s'estimer suffisamment éclairé sur la valeur locative applicable, il y aurait lieu d'ordonner une expertise judiciaire, aux frais avancés des locataires et il conviendrait alors de fixer, pendant le cours de la procédure, le loyer de renouvellement à la somme annuelle de 55.000 euros hors charges et hors taxes.
L'intimé fait valoir, que les appelants ne visent aucun élément pour justifier un déplafonnement et que la désignation d'un expert ne peut être ordonnée pour suppléer la carence des appelants dans l'administration de la preuve, conformément à l'article 146 du code de procédure civile.
Par ailleurs, l'intimé soutient que le rapport non contradictoire de l'expert mandaté par les consorts [U], dont ces derniers se prévalent, comprend de nombreuses erreurs et ne justifie d'aucun facteur de modification notable. Par ailleurs, l'expert évoque des éléments défavorables sans en tirer les conséquences. Les références y sont inefficaces et imprécises. Dès lors, le rapport n'est pas de nature à obtenir la désignation d'un expert.
Les consorts [U] ne fondent pas leur demande en droit et, faute d'avoir déposé devant la cour leur dossier de plaidoirie, ne rapportent pas la preuve d'un motif de déplafonnement du loyer relatif au bail en cause, de sorte que le prononcé d'une mesure d'instruction ne pouvant suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, c'est par motifs pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le premier juge a estimé qu'il convenait de les débouter de leur demande d'expertise judiciaire et ainsi de fixer le loyer applicable au 1er avril 2020 par application de l'indice trimestriel des loyers commerciaux, conformément à l'article L.145-34 alinéa 1er du code de commerce.
Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement entrepris étant confirmé en son entier, il le sera également en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Les consorts [U], qui succombent en appel, seront condamnée in solidum aux entiers dépens de la procédure d'appel.
En outre, l'équité commande de les condamner in solidum à payer à la société [S] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés par cette dernière devant la cour d'appel.
Les demandes des bailleurs seront donc rejetées sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 10 février 2022 (RG 21/12247) en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à payer à la société [S] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à supporter la charge des dépens d'appel.
La greffière, Le président,
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 05 JUIN 2025
(n° 81 /2025, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 22/05169 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOFT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 février 2022- Tribunal judiciaire de PARIS (loyers commerciaux)- RG n° 21/12247
APPELANTS
M. [O] [U]
né le 30 juin 1940 à [Localité 7] (Nièvre)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Mme [B] [U]
née le 16 août 1941 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentés par Me Nicolas DUVAL de la SELEURL NOUAL DUVAL, avocat au barreau de Paris, toque : P0493
INTIMÉE
S.A.R.L. [S]
Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 500 389 101
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Morgane GRÉVELLEC, avocat au barreau de Paris, toque : E2122
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 février 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie Girousse, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Denis Ardisson, président de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Denis Ardisson, président de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous signature privée du 6 janvier 2011, M. [O] [U] et Mme [B] [U] (ci-après dénommés "les consorts [U]") ont consenti à la société [S] un renouvellement de bail commercial portant sur un local dépendant d'un immeuble situé [Adresse 3] [Localité 5] pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2011, pour l'exercice de l'activité de restaurant, en contrepartie du versement d'un loyer indexé de 32.000 € par an HT et HC.
Le 27 septembre 2019, les consorts [U] ont fait signifier à leur locataire un congé à effet du 31 mars 2020 avec offre de renouvellement du bail moyennant un loyer déplafonné fixé à la somme de 55.000 € par an. Par courrier du 17 octobre 2019, la société [S] a répondu qu'elle acceptait le principe du renouvellement du bail mais refusait le loyer proposé.
Le 14 juin 2021, les consorts [U] ont notifié à la société [S] un mémoire préalable sollicitant la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 55.000 € à compter du 1er avril 2020.
Le 15 septembre 2021, les consorts [U] ont fait assigner leur locataire devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris afin que le loyer du bail renouvelé soit fixé à la somme de 55.000 €.
Par un jugement du 10 février 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
dit que le bail commercial du 6 janvier 2011 a pris fin le 31 mars 2020 à 24h00 par l'effet du congé signifié le 27 septembre 2019 à la société [S] par M. [O] [U] et Mme [B] [U] ;
débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande principale de fixation du loyer du bail renouvelé le 1er avril 2020 à la somme de 55.000 € par an HT et HC ;
débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande subsidiaire de désignation d'un expert judiciaire pour donner son avis sur la valeur locative des lieux loués au 1er avril 2020 ;
dit qu'à défaut de l'exercice de leur droit d'option par les parties, le bail susvisé sera renouvelé à compter du 1er avril 2020 aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré, sous réserve des stipulations dudit bail susceptibles d'être en contravention avec les dispositions impératives issues de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite "loi PINEL" ;
dit qu' en ce cas, le loyer applicable au 1er avril 2020 sera fixé par application de l'indice trimestriel des loyers commerciaux conformément à l'article L. 145-34 alinéa 1 du code de commerce ;
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à payer à la société [S] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] aux dépens de l'instance ;
débouté la société [S] de sa demande aux fins de voir écarter l'exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration du 9 mars 2022, les consorts [U] ont interjeté appel du jugement.
Par conclusions d'incident du 24 mai 2022, les consorts [U] ont saisi le conseiller de la mise en état de la cour de céans, en vue d'obtenir la nomination d'un expert judiciaire afin de faire fixer le montant du loyer du bail renouvelé.
Par ordonnance du 16 janvier 2023, le conseiller de la mise en état de la cour de céans à :
rejeté la demande de désignation d'un expert judiciaire,
rejeté la demande de fixation du loyer provisionnel,
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] au dépens de l'incident,
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à payer à la société [S] la somme de 2.000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles d'instance d'incident,
rejeté toute autre demande.
MOYENS ET PRETENTIONS
Aux termes de leurs conclusions notifiées le 24 mai 2022, les consorts [U], appelants, demandent à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Dit que le bail commercial du 6 janvier 2011 a pris fin le 31 mars 2020 à 24h00 par l'effet du congé signifié le 27 septembre 2019 à la société [S] par M. [O] [U] et Mme [B] [U] ;
infirmer le jugement en ce qu'il a :
Débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande principale de fixation (sic) ;
En conséquence et statuant à nouveau,
à titre principal
fixer le loyer du bail renouvelé au 1er avril 2020 à un montant annuel de 57.582,00 euros (CINQUANTE SEPT MILLE CINQ CENT QUATRE-VINGT-DEUX EUROS) en principal, hors charges et hors taxes, toutes les autres clauses, charges et conditions du bail expiré demeurant inchangées ;
dire et juger que les compléments de loyers dus par le locataire porteront intérêt au taux légal, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, de plein droit à compter de la date d'effet du nouveau loyer et que les intérêts échus depuis plus d'une année produiront eux-mêmes intérêts en conformité des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
à titre subsidiaire
désigner tel expert qu'il plaira à la Cour, en application de l'article R. 145-30 du code de commerce, avec pour mission de :
se rendre sur place ;
visiter les lieux et les décrire ;
se faire communiquer tous documents et pièces utiles ;
déterminer la valeur locative des lieux loués à la date du 1er avril 2020 ;
dans ce cas, fixer le loyer provisionnel que le locataire devra régler à compter du 1er avril 2020 et jusqu'à la fin de la procédure définitive en fixation du loyer, à la somme annuelle de 55.000,00 euros HT et HC ;
en tout état de cause
condamner la société [S] au paiement de la somme de 2.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions déposées le 21 décembre 2023, la société [S], intimée, demande à la cour de :
confirmer le jugement du 10 février 2022 en ce qu'il a
dit que le bail commercial du 6 janvier 2011 a pris fin le 31 mars 2020 à 24H00 par l'effet du congé signifié le 27 septembre 2019 à la société [S] par M. [O] [U] et Mme [B] [U] ;
débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande principale de fixation du loyer du bail renouvelé le 1er avril 2020 à la somme de 55.000 € par an HT et HC ;
débouté M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande subsidiaire de désignation d'un expert judiciaire pour donner son avis sur la valeur locative des lieux loués au 1er avril 2020 ;
dit qu'à défaut de l'exercice de leur droit d'option par les parties, le bail susvisé sera renouvelé à compter du 1er avril 2020 aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré, sous réserve des stipulations dudit bail susceptibles d'être en contravention avec les dispositions impératives issues de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, dite « loi PINEL »,
dit qu'en ce cas, le loyer applicable au 1er avril 2020 sera fixé par application de l'indice trimestriel des loyers commerciaux conformément à l'article L. 145-34 alinéa 1er du code de commerce,
condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à payer à la société [S] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum [O] [U] et Mme [B] [U] aux dépens de l'instance,
débouté la société [S] de sa demande aux fins de voir écarter l'exécution provisoire du présent jugement.
débouter le bailleur de toutes ses demandes ;
juger que le bail se renouvellera aux conditions de l'ancien bail ;
débouter le bailleur de sa demande d'expertise ;
Subsidiairement
si la cour faisait droit à la demande d'expertise, la société [S] ne s'oppose pas à une expertise aux frais avancés par le bailleur ;
la cour ajoutera alors dans la mission de l'expert que ce dernier se prononce sur l'existence ou non de modifications notables dans le cadre des dispositions de l'article L. 145-34 du code de commerce.
En tout état de cause et y ajoutant
condamner les appelants à payer à la société [S] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner le bailleur aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRET
Les parties ne contestent pas le jugement déféré en ce qu'il a dit que le bail du 6 janvier 2011 avait pris fin le 31 mars 2020 à 24h par l'effet du congé signifié le 27 septembre 2019 à la société [S] par les consorts [U], ni le fait que le bail s'est trouvé renouvelé à compter du 1er avril 2020.
En revanche, elles s'opposent sur la fixation du montant du loyer du bail renouvelé.
Sur le déplafonnement du loyer du bail renouvelé
Il résulte de l'article 9 du code de procédure civile, qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Selon les dispositions des articles L. 145-33 et L. 145-34 du code de commerce, dans le cadre d'un bail commercial, le montant du loyer des baux renouvelés doit correspondre à la valeur locative, toutefois, à moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° du premier de ces textes, le taux de variation du loyer applicable lors du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux (ou des activités tertiaires selon le cas) intervenue depuis la fixation initiale du loyer.
Les éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 précité sont les caractéristiques du local, la destination des lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité.
Au soutien de leurs prétentions, les appelants font valoir tout d'abord, sur le fondement des articles L. 145-33, 145-34 et R. 145-6 du code de commerce, que les prix couramment pratiqués dans le voisinage démontrent que le montant du loyer est manifestement sous-évalué. Pour appuyer leurs prétentions, ils font référence à un rapport amiable établi par M. [L], lequel n'est pas versé aux débats, qui fixerait un prix au m² par an de 622,10 euros, soit pour une surface de 92,56 m2 un loyer annuel de 57.581,83 euros à compter du 1er avril 2020, compte tenu de ce que les lieux loués sont situé dans un quartier très recherché, bien desservi par le métro, et que la rue est dynamique et commerçante, comme étant composée de nombreux restaurants, théâtres et salles de spectacle. Les appelants se prévalent en outre du fait que le quartier a bénéficié d'un développement rapide du fait de la construction, à proximité, d'une résidence pour jeunes actifs, et qu'ils ont réalisé de nombreux travaux et notamment le ravalement complet de l'immeuble sur rue, ainsi que le changement des fenêtres.
L'intimée fait de son côté valoir, sur le fondement des mêmes articles, qu'une modification notable des facteurs locaux de commercialité ne peut constituer un motif de déplafonnement qu'autant qu'elle est de nature à avoir une incidence sur le commerce considéré. L'intimée indique ensuite que les éléments évoqués par les appelants, comme les prix pratiqués dans le voisinage ou encore la construction d'une résidence pour actifs à proximité, ne sont justifiés par aucune pièce. Par ailleurs, que si la rue est commerçante, il y a aussi une grande concurrence. Concernant le métro à proximité, l'intimé précise qu'il ne s'agit pas d'un élément nouveau. En outre, certains commerces engendrant des flux de visiteurs ont fermé. Enfin, concernant les prétendus travaux réalisés par le bailleur, il s'agit de travaux réalisés pour d'autres locaux leur appartenant, comme en attestent les factures communiquées par les appelants en première instance.
Les parties ne font que reprendre devant la cour les prétentions et les moyens développés en première instance, étant précisé que les appelants n'ont pas déposé de dossier de plaidoirie et ne produisent donc aucune des pièces visées dans leurs écritures et figurant au bordereau joint à ces dernières, malgré la demande adressée par la cour de céans, par RPVA en date du 26 mars 2025.
En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties. Il convient en conséquence d'approuver celui-ci pour avoir relevé que les consorts [U] ne produisaient aucune pièce de nature à justifier un déplafonnement du loyer.
Il sera simplement ajouté que la carence des bailleurs à rapporter la double preuve qui leur incombe de l'existence d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 précité, étant au demeurant précisé que les prix pratiqués dans le voisinage ne sont pas de nature à justifier à eux seuls le déplafonnement du loyer, et de leur incidence favorable sur le commerce de la SARL [S], le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [U] de leur demande de voir fixer le montant du loyer renouvelé le 1er avril 2020 à la somme de 55.000 €HT/HC/an.
Sur la demande d'expertise
Il résulte l'article 146 du code de procédure civile qu'une mesure d'instruction peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
A titre subsidiaire, les appelant font valoir que si la cour devait ne pas s'estimer suffisamment éclairé sur la valeur locative applicable, il y aurait lieu d'ordonner une expertise judiciaire, aux frais avancés des locataires et il conviendrait alors de fixer, pendant le cours de la procédure, le loyer de renouvellement à la somme annuelle de 55.000 euros hors charges et hors taxes.
L'intimé fait valoir, que les appelants ne visent aucun élément pour justifier un déplafonnement et que la désignation d'un expert ne peut être ordonnée pour suppléer la carence des appelants dans l'administration de la preuve, conformément à l'article 146 du code de procédure civile.
Par ailleurs, l'intimé soutient que le rapport non contradictoire de l'expert mandaté par les consorts [U], dont ces derniers se prévalent, comprend de nombreuses erreurs et ne justifie d'aucun facteur de modification notable. Par ailleurs, l'expert évoque des éléments défavorables sans en tirer les conséquences. Les références y sont inefficaces et imprécises. Dès lors, le rapport n'est pas de nature à obtenir la désignation d'un expert.
Les consorts [U] ne fondent pas leur demande en droit et, faute d'avoir déposé devant la cour leur dossier de plaidoirie, ne rapportent pas la preuve d'un motif de déplafonnement du loyer relatif au bail en cause, de sorte que le prononcé d'une mesure d'instruction ne pouvant suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, c'est par motifs pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le premier juge a estimé qu'il convenait de les débouter de leur demande d'expertise judiciaire et ainsi de fixer le loyer applicable au 1er avril 2020 par application de l'indice trimestriel des loyers commerciaux, conformément à l'article L.145-34 alinéa 1er du code de commerce.
Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement entrepris étant confirmé en son entier, il le sera également en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Les consorts [U], qui succombent en appel, seront condamnée in solidum aux entiers dépens de la procédure d'appel.
En outre, l'équité commande de les condamner in solidum à payer à la société [S] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés par cette dernière devant la cour d'appel.
Les demandes des bailleurs seront donc rejetées sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 10 février 2022 (RG 21/12247) en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute M. [O] [U] et Mme [B] [U] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à payer à la société [S] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [O] [U] et Mme [B] [U] à supporter la charge des dépens d'appel.
La greffière, Le président,