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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 5 juin 2025, n° 24/06629

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/06629

5 juin 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30Z

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 JUIN 2025

N° RG 24/06629 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WZXY

AFFAIRE :

[K] [E] [C] [M] [L]

...

C/

[R] [X]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 17 Octobre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 4]

N° RG : 22/00360

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 05.06.2025

à :

Me Claire CORBILLE LALOUE, avocat au barreau de CHARTRES (19)

Me Vanessa BARTEAU, avocat au barreau de CHARTRES (15)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ JUIN DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [K] [E] [C] [M] [L]

née le 21 Octobre 1948 à [Localité 13]

[Adresse 9]

[Localité 4]

Monsieur [T] [I] [Z]

né le 03 Novembre 1973 à [Localité 4]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentant : Me Claire CORBILLE LALOUE de la SCP POISSON & CORBILLE LALOUE, Postulant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000019 - N° du dossier E00072MY

Plaidant : Me Peter SCHMID, du barreau de Paris

APPELANTS

****************

Monsieur [R] [X]

né le 30 Juillet 1971 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 4]

Représentant : Me Vanessa BARTEAU de la SELARL CABINET JURIDIQUE CHARTRAIN, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000015

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Avril 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,

Madame Marina IGELMAN, Conseillère,

Monsieur Hervé HENRION,

Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,

EXPOSE DU LITIGE

Le 30 juin 1998, M. [R] [X] a acquis un fonds de commerce de pâtisserie, viennoiseries, glaces, confiseries, salon thé et boulangerie situé [Adresse 3] à [Localité 4]. Il a acquis également le droit au bail de ces locaux dans lesquels le fonds de commerce était exploité, soit un bail consenti par la SCI du [Adresse 3] portant sur la parcelle AK[Cadastre 2], et un bail consenti par Mme [K] [L], veuve [Z], Mme [V] [Z], épouse [W], et M. [T] [Z] portant sur le lot 9 parcelle AK[Cadastre 8].

Le local loué par Mme [L], M. [Z] et Mme [Z] est un local en rez-de-chaussée et une réserve en sous-sol. Il est utilisé en tant que laboratoire de la boulangerie. Ce local est adjacent à une boutique dépendant de l'immeuble appartenant à la SCI du [Adresse 3] et utilisé comme espace de vente. Les deux locaux communiquent par une porte.

Par acte du 7 août 2002, M. [X] a donné à bail son fonds de commerce à la S.A.R.L. [X], moyennant une redevance mensuelle de 8 980 euros.

En janvier 2022, la société [X] a constaté un affaissement du plancher du fournil. M. [X] et la société [X] ont alors effectué une déclaration de sinistre auprès de leur assureur, la compagnie Mapa.

Par courrier du 30 mars 2022, M. [X] et la société [X] ont été sommés, par la commune de [Localité 4], de procéder à la fermeture de leur établissement à compter du 31 mars 2022.

Une expertise a été diligentée en date du 1er avril 2022. Le rapport d'expertise, déposé le 5 avril 2022, a confirmé le péril et préconisé plusieurs mesures pour mettre en sécurité l'immeuble.

Par arrêté du 12 avril 2022, une interdiction temporaire d'exercer toute activité commerciale a été ordonnée par le maire de [Localité 4], et ce jusqu'à la levée de l'interdiction liée à la réalisation des travaux de sécurité.

Par acte de commissaire de justice délivré les 7 et 8 juin 2022, la société [X] et M. [X] ont fait assigner en référé la SCI du [Adresse 3], Mme [L], M. [Z], Mme [Z], ainsi que la compagnie Mapa, assureur de M. [X] et de la société [X], aux fins d'obtenir principalement :

- la suspension des loyers commerciaux payés par M. [X] à la SCI du [Adresse 3] et à Mme [L] jusqu'à la notification de l'arrêté de mainlevée ;

- la condamnation in solidum de la SCI du [Adresse 3], de Mme [L], M. [Z], Mme [Z], et la compagnie Mapa à payer à la société [X] la somme provisionnelle de 52 532,65 euros en réparation de son préjudice correspondant aux indemnités de licenciement qu'elle a dû supporter en raison de la fermeture de son fonds de commerce ;

- la condamnation in solidum de la SCI du [Adresse 3], de Mme [L], M. [Z], Mme [Z], et la compagnie Mapa à payer à la société [X] la somme provisionnelle de 29 530 euros correspondant à la marge brute moyenne réalisée lui permettant de s'acquitter de ses charges courantes ;

- la condamnation in solidum de la SCI du [Adresse 3], de Mme [L], M. [Z], Mme [Z], et la compagnie Mapa à payer à M. [X] et la société [X] la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance réputée contradictoire rendue le 17 octobre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Chartres a :

- annulé l'assignation délivrée le 7 juin 2022 à l'encontre de Mme [Z] ;

- au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront mais dès à présent ;

- rejeté les fins de non-recevoir formées par Mme [L] et M. [Z] ;

- reçu l'intervention volontaire de la société MME Iard Assurances Mutuelles ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de suspension des loyers à compter du 1er mai 2022 en application de l'article L. 521-2 du code de la construction et de l'habitat ;

- ordonné la suspension du loyer et des charges dues par M. [X] aux bailleurs pour le mois d'avril 2022 ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de provisions de la société [X] ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles des consorts [Z] en paiement des loyers ;

- dit n'y avoir lieu à la mise hors de cause de la compagnie Axa France et de la société Bftb ;

- ordonné une expertise confiée à M. [N] [G], expert auprès de la cour d'appel de Versailles, [Adresse 11]. Port. : [XXXXXXXX01]. Mèl : [Courriel 12], avec pour mission de :

- se rendre sur les lieux du litige, [Adresse 3] et [Adresse 6] (cadastre AK226 et AK360 lot 9)

- se faire remettre tous les documents et notamment les rapports des cabinets Ceres Solution et de M. [S] ainsi que les devis, factures, notes techniques des travaux réalisés par Bati Conseil28, Cpc et Bftb en 2014-2015 ;

- entendre les parties et toutes personnes qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;

- examiner et décrire les désordres allégués sur l'ensemble des deux bâtiments donnés à bail à la société [X] ;

- déterminer les causes et l'origine des désordres et dire s'ils résultent d'un vice de conception, d'installation, de réalisation ou d'utilisation, d'un vice des matériaux, d'un défaut d'entretien ou d'un souci d'économie excessive ;

- indiquer et évaluer les travaux nécessaires à la réfection et chiffrer, le cas échéant, le coût de la remise en état et le trouble de jouissance ;

- fournir tous les éléments techniques et de fait, de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer les préjudices subis ;

- compte tenu de l'urgence, émettre un avis à l'issue de la première réunion d'expertise sur la nécessite de reprendre les travaux de remise en état imposés par l'arrêté du 12 avril 2022 avant le dépôt du rapport d'expertise ;

- faire toutes observations utiles à la solution du litige ;

- dit que l'expert désigné pourra, en cas de besoin, s'adjoindre le concours de tout spécialiste de son choix, dans un domaine distinct du sien, après en avoir simplement avisé les conseils des parties et le magistrat chargé du contrôle des expertises ;

- désigné le magistrat chargé du contrôle des expertises pour suivre les opérations d'expertise et, en cas d'empêchement de l'expert, procéder d'office à son remplacement ;

- dit que l'expert devra tenir informé ce magistrat de l'exécution de sa mission et de toute difficulté qu'il pourrait rencontrer pour l'accomplir ;

- dit que l'expert soumettra aux parties un pré-rapport et leur impartira un délai d'au moins quatre semaines pour remettre leurs dires à l'issue duquel il déposera son rapport définitif ;

- dit qu'il devra déposer son rapport dans les six mois de sa saisine ;

- dit que dans le but de limiter les frais d'expertise, les parties sont invitées, pour leurs échanges contradictoires avec l'expert et la communication des documents nécessaires à la réalisation de la mesure, à utiliser la voie dématérialisée via l'outil Opalexe. Cette utilisation se fera dans le cadre déterminé par le site http://www.certeurope.fr et sous réserve de l'accord express et préalable de l'ensemble des parties ;

- subordonné l'exécution de l'expertise au versement à la régie d'avances et de recettes du tribunal de ce siège par la SCI du [Adresse 3] d'une avance de 4 000 euros (par chèque de banque libellé à l'ordre de "TJ CHARTRES REGIE AV REC ") dans les deux mois de la présente décision ;

- dit qu'à défaut de versement avant cette date, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;

- dit qu'à l'issue de la première réunion des parties, l'expert nous soumettra et communiquera aux parties un état prévisionnel détaillé de ses frais et honoraires et, en cas d'insuffisance de la provision allouée, demandera la consignation d'une provision supplémentaire ;

- rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que chacune des parties supportera ses dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 16 octobre 2024, Mme [L] et M. [Z] ont interjeté appel de cette ordonnance, uniquement à l'encontre de M. [X], en ce qu'elle a :

- ordonné la suspension du loyer et des charges dues par [R] [X] aux bailleurs pour le mois d'avril 2022,

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles des consorts [Z] en paiement des loyers,

- rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 25 avril 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, Mme [L] veuve [Z] et M. [Z] demandent à la cour, au visa de l'article 1728 du code civil, de :

'- infirmer l'ordonnance entreprise du 17 octobre 2022 en ses chefs critiqués

et statuant à nouveau :

- débouter M. [X] de sa demande de suspension du loyer et de charges en ce qui concerne le local pris à bail auprès des consorts [Z],

- condamner M. [X] à payer à M. [Z] et à Mme [Z] la somme de 4 143,61 euros à titre de provision sur loyers et charges impayées pour la période antérieure au mois de mars 2022,

y ajoutant :

- condamner M. [X] à payer à M. [Z] et à Mme [Z] la somme de 12 952,48 euros TTC à titre de complément de provision sur les arriérés de loyer et de charges afférents à la période antérieure au 1er mars 2022 (juin 1017 ' mars 2022),

- condamner M. [X] à payer à M. [Z] et à Mme [Z] la somme de 78 345, 80 euros TTC à titre de provision sur les arriérés de loyers et de charges afférents à la période postérieure au 1er mars 2022,

en tout état de cause,

- condamner M. [X] à payer à M. [Z] et à Mme [Z], la somme globale de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [X] aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Poisson & Corbillé-Laloue,

- débouter M. [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 7 avril 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [X] demande à la cour, au visa des articles 564 et suivants, 834 et 835 du code de procédure civile, 1719 du code civil, L. 521-2 alinéa 2 du code de la construction et de l'habitat, de :

'- déclarer irrecevables les demandes nouvelles présentées par les consorts [Z] ;

- constater les demandes provisionnelles présentées se heurtent à plusieurs contestations sérieuses ;

en conséquence,

- confirmer les dispositions critiquées de l'ordonnance rendue le 17 octobre 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Chartres ;

- condamner les consorts [Z] à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les consorts [Z] aux entiers dépens.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 avril 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la fin de non-recevoir liée à l'existence de demandes nouvelles

Mme [L] et M. [Z] indiquent que leurs demandes ne tendent qu'à compléter celles formées en première instance, qu'elles sont, pour partie, liées à la survenance de faits nouveaux et qu'elles sont donc recevables.

M. [X] invoque l'irrecevabilité des demandes nouvelles présentées par les consorts [Z], faisant valoir qu'ils ont ajouté à leur prétention initiale deux demandes en paiement, l'une de 12 952, 48 euros pour la période de juin 2017 à mars 2022 et l'autre correspondant aux loyers postérieurs au mois de mars 2022.

Sur ce,

En application des articles 565 et 566 du code de procédure civile, le premier texte disposant que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent, et le second autorisant les parties à former en appel des demandes qui, quoique nouvelles, sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de la demande originaire soumise aux premiers juges, il convient de dire que les demandes en paiement formées par les consorts [Z] ont le même fondement contractuel que les demandes initiales, poursuivent la même fin, et constituent le complément de celles formées en première instance.

La fin de non-recevoir sera rejetée.

Sur l'exigibilité des loyers

Mme [L] et M. [Z] exposent que la suspension des loyers ne peut s'appliquer qu'en cas d'impossibilité totale de jouissance du bien, le défaut de délivrance devant porter sur l'usage des locaux et non une impossibilité d'exploiter le fonds de commerce, le bailleur n'étant pas le garant de cette possibilité, dès lors que par ailleurs, il délivre au locataire des locaux en état d'être utilisés.

Ils affirment qu'en l'espèce, les lieux loués, qui étaient utilisés par M. [X] comme laboratoire en arrière-boutique ne présentent pas le moindre désordre, de sorte qu'ils sont entièrement aptes à leur destination telle qu'elle résulte des termes du bail.

Les appelants précisent que les désordres n'affectent que le bâtiment adjacent et soulignent que la mairie de [Localité 4] a prononcé la mainlevée partielle de l'arrêté de mise en sécurité urgente au regard de l'absence de tout risque affectant leur immeuble.

Ils font valoir que la fermeture administrative de la partie de la boulangerie comprise dans le local adjacent pris à bail par M. [X] ne leur est pas imputable et concluent à l'exigibilité des loyers les concernant. Ils affirment que les désordres survenus sur la boulangerie contiguë n'ont en rien affecté la « destination » de l'arrière-boutique, au sens de l'article 1719 du code civil, qui peut servir d'atelier auxiliaire à une activité principale de boulangerie.

Mme [L] et M. [Z] sollicitent en conséquence la condamnation de M. [X] à verser à Mme [Z] les sommes provisionnelles de :

- 4 143, 61 euros et 12 952, 489 euros au titre des loyers et charges échus et impayés entre juin 2017 et mars 2022,

- 70 864, 28 euros au titre de l'arriéré locatif postérieur à février 2022.

Ils soutiennent que le loyer n'a pas à être réclamé dès lors qu'il est stipulé 'portable' dans le bail et réfutent toute prescription puisqu'ils ont formé une demande en matière d'arriéré locatif le 13 juin 2022 et qu'en outre un jugement avant-dire-droit du 24 octobre 2019, rendu à la suite d'une assignation du 27 avril 2019, a fixé à titre provisionnel le montant du loyer commercial, dans l'attente d'une fixation définitive du loyer.

Les appelants concluent à l'absence de toute contestation sérieuse tirée de l'existence d'une procédure de fixation du loyer en raison de l'existence du jugement du 24 octobre 2019 susmentionné.

Concluant à l'existence d'une contestation sérieuse, M. [X] invoque en premier lieu la prescription au motif que pour la première fois le 24 décembre 2024, les consorts [Z] ont sollicité le paiement de charges pour la période de 2016 à 2022 alors que ces demandes étaient prescrites pour celles antérieures au 24 décembre 2019.

En deuxième lieu, l'intimé expose qu'une procédure en fixation du loyer est actuellement en cours, le tribunal judiciaire de Chartres ayant à sa demande, fixé le loyer commercial à la somme de 11 000 euros par an à compter du 1er janvier 2019, ce qui implique que les consorts [Z] sont redevables à son égard des loyers indûment perçus.

M. [X] fait valoir en troisième lieu que le loyer a été suspendu entre le 1er avril 2022 et la levée de l'arrêté de péril le 21 février 2024, qu'il a en effet été privé temporairement de la chose louée et qu'aucune somme ne peut lui être réclamée à ce titre.

Postérieurement au mois de mars 2024, l'intimé expose que l'obligation de délivrance conforme implique le respect de la destination prévue contractuellement et qu'en l'espèce, alors que le bail prévoit un usage exclusif de boulangerie, le local loué ne dispose pas d'évacuation permettant l'installation d'un four à sols, ni d'espace permettant l'installation d'un fournil et d'une boutique, ni de système de chauffage.

Il en déduit qu'il ne peut être tenu au paiement des loyers dès lors qu'il ne peut jouir du local conformément à sa destination.

Sur ce,

Selon l'alinéa 2 de l'article 835 du code de procédure civile :'Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il (le président ) peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire'.

Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision : celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Doivent être précisés les éléments de la contestation qui rendent celle-ci sérieuse.

Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

À l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle. Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

En vertu des dispositions de l'article 1719 du code civil, ' le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;

2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;'

En l'espèce, le contrat de bail du 29 juin 1990 prévoit en son article 2 dénommé 'destination des lieux' : ' les lieux loués, tels que décrits ci-dessus, sont à usage exclusif de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie, glaces confiseries'.

Il est constant que M. [X] était titulaire de 2 baux :

- l'un portant sur une maison à usage de commerce et d'habitation sise [Adresse 3] à [Localité 4], le bail étant consenti par la société civile immobilière du [Adresse 3],

- l'autre, conclu avec les consorts [Z], relatif à une boutique située en rez-de-chaussée constituant le lot n°9 et une réserve en sous-sol.

Par acte du 12 avril 2022, le maire de [Localité 4] a pris un arrêté de 'mise en sécurité procédure urgente' pour ces deux locaux, ordonnant à leurs propriétaires respectifs de prendre des mesures urgentes et précisant 'pour des raisons de sécurité, compte tenu des désordres constatés, le bâtiment, à savoir le logement et les deux lots commerciaux, devra être entièrement évacué par ses occupants à compter de la notification du présent arrêté et jusqu'à sa mainlevée'.

Dans sa note aux parties n°7 du 25 janvier 2024, l'expert désigné par le tribunal judiciaire de Chartres le 17 octobre 2022 a indiqué que 'concernant la propriété [Z], aucun désordre d'ordre structurel (risque solidité) n'a été constaté.'

Par arrêté du 21 février 2024, le maire de [Localité 4] a prononcé la mainlevée partielle de l'arrêté de mise en sécurité urgente pour la partie concernant le lot n°9 de la parcelle AK [Cadastre 8].

Dans le cadre de la procédure engagée par M. [X] aux fins de renouvellement du bail avec diminution de loyer, le tribunal judiciaire de Chartres a ordonné une expertise par décision du 24 octobre 2019. Le rapport d'expertise décrit notamment : 'les locaux , sommairement décrits au bail, sont une cellule du centre Noël Ballay (...) Les locaux étudiés ont une vitrine ancienne sur la galerie marchande, (...) Ils sont distribués comme suit :

- au rez-de-chaussée : laboratoire avec vitrine et porte sur la galerie marchande, relié aux autres locaux de la boulangerie par une baie (...)

- au sous-sol accessible par un escalier de bois sans contremarches, à quart tournant : réserve et vestiaire.' (...)

' Au total, le local est une annexe de la boulangerie 'La Fournée',. De petite surface, il est toutefois fonctionnel pour l'activité exercée et permet la conservation de matières premières et la préparation de nombreux produits avec une vitrine sur la galerie marchande'.

Il est donc établi que les locaux loués par les consorts [Z] sont exploitables et ne sont pas concernés par la problématique d'affaissement constatée dans l'immeuble loué par la société civile immobilière du [Adresse 3].

Cependant, il ressort également des pièces produites que, alors que ces locaux constituent une annexe de la boulangerie, M. [X] se trouve dans l'impossibilité d'exploiter ce fonds de commerce depuis l'arrêté municipal du 12 avril 2022.

Dès lors, il existe une contestation sérieuse quant à la possibilité pour M. [X] d'utiliser les locaux loués conformément à leur destination faisant obstacle à l'octroi en référé d'une provision au titre des loyers et des charges postérieurement à cette date.

Pour la période antérieure au 12 avril 2022, le locataire est incontestablement tenu au paiement des loyers et des charges, dans la limite de la prescription éventuelle.

En vertu des dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

L'article 2241 du code civil dispose quant à lui que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.

Il en résulte que le bailleur ne peut pas obtenir le recouvrement des arriérés de loyer échus plus de cinq ans avant la date de sa demande en justice, sauf interruption de la prescription mais cette interruption de la prescription ne profite qu'à celui qui a réalisé l'acte interruptif et ne peut s'étendre d'une action à une autre.

Dès lors, il convient de dire qu'est sérieuse la contestation de M. [X] quant à la prescription susceptible d'affecter la créance de loyers dont se prévalent les consorts [Z] en ce qu'elle concerne les sommes réclamées pour la première fois dans des conclusions du 24 décembre 2024 au titre des charges antérieures au 24 décembre 2019.

S'agissant du montant du loyer, la chronologie des rapports entre les parties s'établit comme suit :

- le bail prévoit un loyer hors charges mensuel de 1298 euros,

- M. [X] a notifié aux consorts [Z] les 17, 18 et 23 mai 2018 une demande de renouvellement du bail commercial avec demande de diminution de loyer à la somme de 8400 euros hors charges par an, à effet au 1er janvier 2019,

- par jugement du 24 octobre 2019, le tribunal judiciaire de Chartres a ordonné une expertise et le loyer provisionnel a été fixé au montant du loyer en vigueur actualisé à compter du 1er janvier 2019,

- par jugement du 20 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Chartres a fixé le montant du bai renouvelé à la somme de 11 000 euros par an à compter du 1er janvier 2019,

étant précisé qu'un appel est actuellement pendant à l'encontre de cette décision.

Au regard de la contestation sérieuse tenant au montant du loyer exigible dans ce contexte, il y a lieu de dire que celui-ci peut, avec l'évidence requise, être fixé à la somme mensuelle de 1298 euros jusqu'au 31 décembre 2018 et à la somme annuelle de 11 000 euros à compter du 1er janvier 2019.

Au regard des décomptes produits par les appelants, après soustraction des sommes possiblement prescrites et en prenant pour base de calcul un loyer annuel de 11 000 euros à compter du 1er janvier 2019, aucune dette locative n'est établie avec certitude.

En conséquence, l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes provisionnelles formées par les consorts [Z].

Sur les demandes accessoires

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, les consorts [Z] ne sauraient prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devront en outre supporter les dépens d'appel.

L'équité commande en revanche de débouter M. [X] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Confirme l'ordonnance querellée en ses dispositions contestées ;

Y ajoutant,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne Mme [K] [L] veuve [Z] et M. [T] [Z] aux dépens d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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