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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 1, 6 juin 2025, n° 23/08847

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/08847

6 juin 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 1

ARRÊT DU 06 JUIN 2025

(n° 2025/ , 17 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/08847 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHUD7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Mars 2023 - Tribunal judiciaire hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS (2ème chambre civile) - RG n° 20/11477

APPELANTE

Madame [T] [L] [S] [X] née le 31 décembre 1931 à [Localité 14] (59)

[Adresse 9]

[Localité 12]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K111, ayant pour avocat plaidant Me Alexandre LE NINIVIN de la SELARL LENINIVIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L119

INTIMÉS

Monsieur [O] [W] [M] né le 4 janvier 1991 à [Localité 15] (31)

[Adresse 8]

[Localité 13]

Représenté par Me Agnès LEBATTEUX SIMON de la SCP ZURFLUH - LEBATTEUX - SIZAIRE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P154 substituée à l'audience par Me Myléna LUCCHI, avocat au barreau de PARIS, toque : P154

S.C.P. Corinne DE BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS et [V] [A] Notaires Associés immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 342 642 998

[Adresse 6]

[Localité 11]

S.A. MMA IARD, immatriculée au RCS du Mans sous le numéro 440 048 882 prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 10]

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, immatriculée au RCS du Mans sous le numéro 775 652 126 prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 10]

Toutes trois représentées par Me Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P499, ayant pour avocat plaidant Me Christiane ROBERTO, avocat au barreau de PARIS, toque : P499

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 novembre2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Nathalie BRET pour la présidente de chambre empêchée, et Madame Catherine GIRARD-ALEXANDRE, chargée du rapport, conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Marie-Ange SENTUCQ, présidente de chambre

Nathalie BRET, conseillère

Catherine GIRARD-ALEXANDRE, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Coralie CHANUT

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour initialement pévue le 07 mars 2025 prorogé en dernier état au 06 juin 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Ange SENTUCQ, Présidente de chambre et par Madame Marylène BOGAERS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Par acte authentique du 17 septembre 2019, reçu par Me [V] [A], Mme [T] [X] a promis de vendre les lots n°77 et 78 de l'immeuble situé [Adresse 4] à [Localité 17], correspondant aux termes du règlement de copropriété à deux réserves d'une surface totale de 14,60 m2, à M. [O] [W] [M], moyennant un prix de 14 600 euros. (quatorze-mille six cent euros).

La vente a eu lieu aux mêmes conditions de prix suivant acte authentique du 18 octobre 2019, reçu par Me [V] [A], notaire à [Localité 16].

Par lettre recommandée avec avis de réception du 28 mars 2020, le conseil de Mme [X] a mis en demeure M. [W] [M] de procéder sous quinze jours au règlement d'un complément de prix de 156.000 euros, faisant valoir que le prix de vente du bien était manifestement dérisoire au regard de sa valeur vénale.

Par lettre recommandée avec avis de réception du même jour, le conseil de Mme [X] a également indiqué à Me [V] [A] que sa cliente se réservait le droit d'engager sa responsabilité.

Par courrier du 24 avril 2020, M. [W] [M], par l'intermédiaire de son conseil, a répondu que le prix de vente correspondait au prix du marché, s'agissant de locaux à usage de « réserve » et non d'habitation, l'usage d'habitation étant interdit par le règlement de copropriété.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 9 juillet 2020, le conseil de Mme [X] a de nouveau mis en demeure M. [W] [M] de payer un complément de prix.

C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier en date des 13 et 16 novembre 2020, Mme [T] [X] a fait assigner M. [O] [W] [M], la SCP Corinne de Buhren, Elisabeth Montes, Jean Pierre Bigot, Anne Guichard, Bertrand Lucas, et [V] [A], notaires associés, et ses assureurs, les sociétés MMA IARD SA et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, devant le tribunal judicaire de Paris, aux fins principales de voir prononcer la nullité de la vente pour vil prix et condamner les défendeurs à l'indemniser de son préjudice.

Par jugement en date du 30 mars 2023, le tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :

- Rejette la demande de Mme [T] [X] tendant à prononcer l'annulation de la vente du 18 octobre 2019 ;

- Rejette en conséquence les demandes de Mme [T] [X] tendant à :

- Condamner M. [W] [M] à lui restituer le bien immobilier,

- Ordonner la restitution du prix de vente perçu par Mme [X] d'un montant de 14 600 euros,

- Condamner M. [W] [M] à supporter tous frais de mutation afférents à l'acquisition et la restitution du bien,

- Condamner la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à garantir M. [W] [M], au titre du règlement des frais de mutation précités,

- Condamner M. [W] [M] à lui payer la somme de 650 euros par mois à compter de la vente et jusqu'à la restitution du bien en raison du manque à gagner au titre des loyers, - Condamner la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES ;

Avant-dire droit sur la demande fondée sur la lésion,

- Ordonne une expertise afin d'estimer la valeur vénale des lots n°77 et 78, à usage de réserve, de l'immeuble situé [Adresse 4] à [Localité 17] suivant leur état au jour de la vente du 18 octobre 2019,

- Sursoit à statuer sur le surplus des demandes dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,

- Réserve les dépens,

- Réserve les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire du présent jugement.

Mme [X] a interjeté appel par déclaration du 15 mai 2023.

PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions du 13 février 2024 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens développés, Mme [X] demande à la cour, au visa des articles 1169, 1591, 1240, 1674 et suivants du code civil, de :

A titre principal,

- INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 30 mars 2023, en ce qu'il rejette sa demande d'annulation de la vente, et celles subséquentes, et statuant à nouveau, de :

- PRONONCER l'annulation de la vente pour contrepartie dérisoire,

- CONDAMNER M. [W] [M] à restituer le bien immobilier,

- ORDONNER la restitution du prix de vente perçu par Mme [X] d'un montant de 14.600€,

- COMPENSER le montant lié à la restitution du prix de vente avec le montant des dommages et intérêts qui lui seront accordés,

- CONDAMNER M. [W] [M] à supporter tous frais de mutation afférent à l'acquisition et la restitution du bien,

- CONDAMNER la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à la garantir du règlement du montant des condamnations prononcées à l'encontre de M. [W] [M], au titre du règlement des frais de mutation précités,

- CONDAMNER M. [W] [M] à lui payer la somme de 650 € par mois, augmenté de l'indice de révision des loyers, à compter de la vente et jusqu'à la restitution du bien en raison du manque à gagner au titre des loyers, outre intérêts au taux légal et avec capitalisation,

- CONDAMNER M. [W] [M] à lui payer une somme de 10.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile concernant la procédure de première instance,

- CONDAMNER la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à garantir au profit de Mme [X] le règlement du montant des condamnations prononcées à l'encontre de M. [W] [M] au titre du règlement de l'indemnité liée aux loyers non perçus et de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

A titre subsidiaire,

RECEVOIR Mme [X] en son appel,

INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 30 mars 2023, en ce qu'il a ordonné une expertise avec pour mission d'estimer la valeur vénale des lots à usage de réserve,

Et statuant à nouveau :

- DESIGNER AVANT-DIRE DROIT conformément aux dispositions de l'article 1678 du Code Civil, trois experts qui devront estimer la valeur vénale des lots n°77 et 78, à usage d'habitation, de l'immeuble situé [Adresse 4] à [Localité 17], suivant leur état au jour de la vente du 18 octobre 2019,

- CONDAMNER M. [W] [M] à lui payer le montant de la valeur du studio déterminé à dire d'expert, minoré du prix de vente litigieux, outre les frais légaux,

CONDAMNER M. [W] [M] à lui payer une somme de 10.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile concernant la procédure de première instance,

CONDAMNER la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à garantir au profit de Mme [X] le règlement du montant des condamnations prononcées à l'encontre de M. [W] [M] au titre du règlement du complément de prix précité et de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

SURSOIR à statuer sur les demandes de Madame [X] dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,

En tout état de cause,

DEBOUTER M. [W] [M], la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, de leurs appels incidents,

DEBOUTER M. [W] [M], la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples et contraires,

CONDAMNER M. [W] [M], la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, conjointement et solidairement entre eux, à payer à Mme [X] la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi,

CONDAMNER M. [W] [M] à payer à Mme [X] la somme de 650 € par mois, augmenté de l'indice de révision des loyers, à compter de la vente et jusqu'à la restitution du bien en raison du manque à gagner au titre des loyers (sur la base du prix du loyer réglé par le précédent locataire),

CONDAMNER M. [W] [M], la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, conjointement et solidairement entre eux, à payer à Mme [X], une somme de 18.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile dans le cadre de la procédure d'appel,

CONDAMNER M. [W] [M], la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs la MMA IARD et la MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES conjointement et solidairement entre eux, en tous les dépens et autoriser leur recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de Procédure Civile par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU.

Aux termes de ses dernières conclusions du 16 novembre 2023 auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé complet des moyens de fait et de droit développés, M. [W]-[M] demande à la cour de :

' Sur la nullité

CONFIRMER le jugement rendu le 30 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de la vente du 18 octobre 2019 ;

CONFIRMER le jugement rendu le 30 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a rejeté les demandes subséquentes en restitution du prix de vente, du bien immobilier, des frais de mutation afférents à la vente ;

' Sur la rescision pour lésion

A titre principal,

INFIRMER le jugement rendu le 30 mars 2023 en ce qu'il a désigné un collège d'expert aux fins d'évaluer les lots n°77 et n°78

Et, statuant à nouveau,

DEBOUTER Madame [T] [X] de sa demande au titre de la rescision pour lésion ;

A titre subsidiaire, si la Cour ne rejetait pas les demandes de Madame [T] [X] en rescision pour lésion,

CONFIRMER le jugement rendu le 30 mars 2023 en ce qu'il a désigné un collège d'experts aux fins d'évaluer les lots n°77 et n°78, précision étant faite de leur affectation à usage de réserves,

' Sur les demandes indemnitaires

INFIRMER le jugement rendu le 30 mars 2023 en ce qu'il a sursis à statuer sur le surplus des demandes,

Et statuant à nouveau,

DEBOUTER Madame [T] [X] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires

Sur les frais irrépétibles

CONDAMNNER Madame [T] [X] à verser à Monsieur [W] [M] la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER Madame [T] [X] aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions du 15 novembre 2023, auxquelles il est expressément référé pour l'exposé complet des moyens de fait et de droit développés, la SCP Corinne de Buhren, Elisabeth Montes, Jean Pierre Bigot, Anne Guichard, Bertrand Lucas, et [V] [A], ci-après la SCP de notaires, la société MMA IARD SA et la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, demandent à la cour de :

CONFIRMER le jugement rendu le 30 mars 2023 par le Tribunal Judiciaire de PARIS en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la vente intervenue le 18 octobre 2019 entre Madame [T] [X] et Monsieur [W] [M].

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de Madame [T] [X] tendant à voir condamner la SCP Corinne DE BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS et [V] [A] et ses assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, à garantir Monsieur [W] [M] au titre du règlement des frais de mutation et du règlement de l'indemnité liée aux loyers non perçus.

INFIRMER le jugement rendu le 30 mars 2023 par le Tribunal Judiciaire de PARIS en ce qu'il a été sursis à statuer sur les demandes de Madame [T] [X] à l'encontre de la Corinne DE BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS et [V] [A] et de ses assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, dans l'attente du dépôt d'expertise judiciaire.

Statuant à nouveau,

DEBOUTER Madame [T] [X] de l'intégralité de ses demandes de condamnations pécuniaires et de garantie à l'encontre de la SCP Corinne DE BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS et [V] [A] et des sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES,

CONDAMNER Madame [T] [X] à payer à la SCP Corinne DE BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS et [V] [A] et aux sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER Madame [T] [X] aux entiers dépens de la première instance et de l'instance d'appel, lesquels seront recouvrés en application des articles 696 et suivants du Code de Procédure Civile.

La clôture de l'instruction est intervenue le 7 novembre 2024.

MOTIVATION*

- Sur la demande de nullité de la vente

Pour débouter Mme [X] de sa demande en nullité de la vente pour contrepartie illusoire ou dérisoire, le tribunal a retenu qu'aux termes du règlement de copropriété de l'immeuble en date du 22 janvier 1958, et des actes de promesse et de vente, les lots n°77 et 78 litigieux sont désignés comme des « réserves » et non des locaux à usage d'habitation, que Mme [X] ayant dans l'acte de vente garanti que les lots vendus sont deux lots à usage de réserve et non d'habitation alors que M. [W] [M] a déclaré conserver cet usage, la configuration des lieux et le fait qu'ils aient été occupés à usage d'habitation était indifférente, de sorte qu'il convenait d'évaluer les lots litigieux en tant que lots à usage de réserve et non comme un studio à usage d'habitation, et qu'au regard des estimations comparatives estimations comparatives produites par M. [W] [M] portant sur des biens à usage de grenier, cave ou remise, le prix de vente, quoiqu'inférieur aux prix de comparaison, ne pouvait pour autant être considéré comme dérisoire...

Au soutien de l'infirmation du jugement quant à la nullité de la vente sur le fondement des articles 1169 et 1591 du code civil, Mme [X] expose que les lots vendus faisaient partie d'un ensemble allant du lot 72 au lot 95 situés au 1er étage de l'immeuble, d'une surface d'environ 7m2 chacun, et à usage de réserve, non habitables selon le règlement de copropriété, mais qui ont en réalité été dévolus au logement du personnel des propriétaires, à compter de l'année 1967. Elle ajoute qu'ils ont toujours été loués, et qu'en leur dernier état, il s'agissait d'un studio meublé d'une surface d'environ 14,74 m² habitables pour lequel elle avait demandé, en 2017, à la mairie de [Localité 16], l'autorisation de changement d'usage en biens à usage d'habitation. Elle poursuit avoir été abordée par M. [W] [M] en juin 2019 qui avait lui-même acheté quelques mois auparavant deux autres lots identiques situés en face des siens au prix de 8.181 € le m2, soit 90.000 € hors frais d'agence, et qui, informé de ce qu'elle avait envisagé au cours de l'année 2017 de vendre ces lots, lui avait demandé de visiter son appartement, visite à l'issue de laquelle il s'est porté acquéreur. Elle affirme que c'est dans ces conditions qu'elle a rédigé, sur place, à la main, et sous la dictée de M. [W] une promesse de vente au prix de 14.600 € suivie d'une promesse dactylographiée.

Elle précise qu'elle était âgée de 88 ans, raisonnait encore en anciens francs, et que le prix pour elle de 14.600 € était proche de celui auquel elle avait envisagé de le vendre quelques années auparavant, alors que M. [W] [M], en sa qualité de professionnel de l'immobilier, enseignant et juriste du groupe immobilier familial [M]), ne pouvait ignorer le caractère dérisoire du prix, tant au regard du prix du marché que des caractéristiques du bien qui correspond à un studio d'une surface de 14,60 m2 comprenant une chambre, une salle d'eau, un WC, un coin cuisine, de grandes fenêtres, une vue sur jardin, au 1er étage d'un immeuble situé dans un quartier cossu du [Localité 2] et dont elle estime la valeur réelle à environ douze fois le prix de vente. Elle soutient que le bien ne saurait être évalué comme des « lots à usage de réserves » s'agissant en réalité d'un bien affecté à usage d'habitation, ainsi que cela résulte de la promesse et de l'acte de vente, du courrier de Me [D] [G], notaire, adressé à M. [W] [M] le 17 septembre 2019, de certaines mentions de l'acte de vente faisant état de son usage d'habitation, et du fait que le bien était depuis 60 ans à usage de chambre de service et effectivement loué au moment de la vente, le locataire ayant été expulsé par l'acquéreur.

Arguant de ce que la qualification juridique d'un bien " à usage d'habitation " ne peut pas s'apprécier par rapport à la dénomination qui a pu lui être donnée dans l'acte de vente ou le règlement de copropriété, mais doit surtout être estimée au regard des caractéristiques physiques du local en cause, et de ce que les lots litigieux font partie de la surface habitable de l'immeuble, elle fait grief au jugement de ne pas avoir tenu compte de la consistance matérielle des lots qui participe des éléments objectifs qui auraient dû être retenus, afin de déterminer leur affectation à usage d'habitation. Elle ajoute que c'est à tort que le tribunal a relevé qu'elle n'avait pas obtenu l'autorisation du syndicat des copropriétaires pour transformer les lots en habitation, alors qu'il est de jurisprudence constante qu'un copropriétaire peut changer l'affectation des parties privatives, sous réserve que le changement d'affectation ne soit pas contraire à la destination de l'immeuble, qu'il ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires et qu'il ne soit pas interdit par le règlement de copropriété, et que le prix n'était pas dérisoire, alors que tel était le cas au regard de sa véritable affectation, sa qualité intrinsèque, laquelle est souverainement appréciée par les tribunaux, d'une part, et des prix du marché d'autre part. Elle cite à titre de comparaison des exemples de vente de lots similaires, dont ceux achetés par M. [W] [M].

Au soutien de la confirmation du jugement de ce chef, M. [W] [M] fait valoir qu'aux termes du règlement de copropriété, non modifié depuis 1958, les deux lots litigieux sont désignés comme des réserves non habitables, tout comme auprès du cadastre et du service de la publicité foncière, ce que le syndic de l'immeuble lui a rappelé dans son courrier du 31 janvier 2017, Mme [X] ayant en vain essayé de modifier l'usage de ses lots. Il ajoute que tant la promesse de vente que l'acte de vente mentionnaient bien des lots à usage de réserve, de sorte qu'ils ont été vendus avec leur réelle qualification et à un juste prix. S'agissant des lots qu'il a acquis en mars 2019, il explique qu'ils ont été vendus en qualité de studio et non de réserves, et pouvaient prétendre à cette qualification au regard de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation, du fait d'une affectation continue à usage d'habitation remontant à 1970. Il conteste la relation des faits de Mme [X] en soulignant que celle-ci, bien qu'âgée de 87 ans est en pleine possession de ses moyens, avait déjà tenté par le passé de vendre ses locaux comme étant à usage d'habitation et avait entamé des démarches auprès de la mairie, en vain, et que c'est elle qui l'a recontacté afin de les lui vendre, et qu'en sa qualité de loueur meublé professionnel, propriétaire de plusieurs studettes dans [Localité 16], assistée d'un conseiller en gestion de patrimoine, elle était bien plus habituée des transactions immobilières que lui, ce qui explique qu'elle a refusé d'être assistée par son propre notaire et a fait elle-même procéder aux diagnostics par un diagnostiqueur qu'elle connaissait. Il ajoute qu'elle a été destinataire des projets d'actes qu'elle a réceptionnés personnellement

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1169 du code civil, un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire.

De plus, par application des dispositions de l'article 1591 du même code, le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties, ce dont la jurisprudence déduit que le prix doit, notamment être sérieux et non vil.

Il est constant que le vil prix est un prix excessivement bas, sans aucun rapport avec la valeur de la chose vendue, c'est-à-dire à prix dérisoire ou inexistant. L'absence de contrepartie sérieuse est assimilée à l'absence totale de contrepartie dans la vente.

Pour que la vente soit nulle, il faut que le prix soit tellement bas qu'il peut être considéré comme inexistant ou dérisoire. Le caractère réel et sérieux du prix ne se confond pas avec la valeur du bien vendu en sorte que le juge n'est aucunement obligé de rechercher la valeur réelle de la chose vendue dès lors qu'elle l'a été en contrepartie d'un prix qui n'est pas dérisoire.

Par ailleurs, les juges du fond apprécient souverainement si le prix stipulé est dérisoire, en fonction de l'ensemble des conditions de vente, et le caractère sérieux du prix s'apprécie à la date de la vente.

Il incombe donc à Mme [X] qui sollicite la nullité de la vente litigieuse pour vileté du prix, de rapporter la preuve que le prix convenu ne correspond pas à un prix réel et sérieux et s'assimile ainsi à une absence de prix.

En l'espèce, il résulte du règlement de copropriété établi le 22 janvier 1958 que le premier étage du bâtiment sur cour de l'immeuble du [Adresse 4] est aménagé à usage de dépôt distribué en vingt-quatre réserves non habitables, formant les lots n° 72 à 95, dont les lots 77 et 78 objet de la vente du 18 octobre 2019.

Toutefois, il sera relevé en premier lieu que tant la promesse de vente en date du 17 septembre 2019 que l'acte de vente du 18 octobre 2019, désignent les biens vendus de deux façons différentes:

1°/ Désignation telle qu'elle résulte de l'état descriptif de division et règlement de copropriété de L' IMMEUBLE

Les lots de copropriété suivants :

Lot numéro soixante-dix-sept (77)

Bâtiment sur cour, une réserve au premier étage, portant le numéro 6.

Et les six /cinq mille six centièmes (6 /5600 èmes) des parties communes générales.

Lot numéro soixante-dix-huit (78)

Bâtiment sur cour, une réserve au premier étage, portant le numéro 7

Et les six /cinq mille six centièmes (6 /5600 èmes) des parties communes générales.

Tels que lesdits BIENS sont désignés dans le règlement de copropriété - état descriptif de division et ses actes modificatifs publiés, existent, se poursuivent et comportent avec tous immeubles par destination pouvant en dépendre, sans aucune exception ni réserve.

"2°/ Désignation actuelle des BIENS (souligné par la cour)

Le VENDEUR déclare que la configuration actuelle des BIENS est la suivante :

«une chambre, une salle d'eau et un W.C. ''

En second lieu, si comme retenu par le tribunal, il est indiqué à la clause "Usage du bien" que "le VENDEUR déclare et garantit que les BIENS sont à usage autre que l'habitation et étaient antérieurement comme tels, notamment au 1er janvier 1970. (') L'ACQUEREUR déclare qu'il entend les affecter au même usage", il est cependant également mentionné, en page 8 à la clause "PURGE DU DROIT DE RETRACTATION:

L'ACQUEREUR déclare :

' que les présentes constituent l'exécution d'une promesse de vente reçue par Maître [V] [A] notaire soussignée le 17 septembre 2019,

' qu'il est un "acquéreur non professionnel" de l'immobilier au sens de l'article L.271-1 du Code de la construction et de l'habitation,

' qu'il destine les locaux à un usage d'habitation,

' qu'une copie simple de la promesse lui a été notifiée par courrier recommandé avec accusé de réception électronique le 17 septembre 2019 et réceptionnée le 17 septembre 2019 par Monsieur [W] afin de permettre la mise en 'uvre du délai.

Une copie du courriel et de son accusé réception électronique est annexée aux présentes. (Annexe n°5)

L'ACQUEREUR reconnaît avoir reçu la correspondance en date du 17 septembre 2019 ci-annexée ainsi que l'ensemble des pièces visées dans ladite correspondance."

L'étude notariale a en effet notifié à M. [W] [M], par lettre recommandée avec demande d'avis de réception électronique du 17 septembre 2019, une copie de la promesse de vente accompagné du texte suivant :

" Comme suite à la signature de la promesse de vente à votre profit par Madame [N] intervenue le 17 septembre 2019, et dans la mesure où d'une part le bien objet de cette promesse est destiné à être affecté à l'habitation et d'autre part vous êtes non-professionnel de l'immobilier, vous bénéficiez des dispositions de l'article L 271-1 du code de la construction et de I'habitation qui vous accordent un délai de rétractation." (pièce n°34 Mme [X]).

De même, plusieurs autres mentions de l'acte de vente ne peuvent s'expliquer que par référence à la vente d'un bien à usage d'habitation et non à usage de réserve.

Ainsi :

- en page 9 ET 10 :

NOTION DE LOGEMENT DECENT

L'ACQUEREUR est averti qu'aux termes des dispositions du décret numéro 2002-120 du 30 janvier 2002 et de ceux subséquents, le logement dit "décent" se caractérise soit par une pièce principale d'au moins neuf mètres carrés et d'une hauteur sous plafond au moins égale à deux mètres vingt, soit par un volume habitable de vingt mètres cubes au minimum. La pièce principale doit être dotée d'une ouverture à l'air libre, d'une cuisine ou d'un coin-cuisine, d'une douche ou d'une baignoire, d'un water-closet séparé.

L'installation sanitaire d'un logement d'une seule pièce peut être limitée à un water-closet extérieur au logement à condition que ce water-closet soit situé dans le même bâtiment et facilement accessible.

(')

Il est précisé que ces conditions sont obligatoires pour toute location, sauf une location saisonnière ou une mise à disposition à titre gratuit.

A défaut, le locataire pourra demander la mise en conformité du logement ou la révision du loyer auprès du tribunal d'instance.

De plus, l'ACQUEREUR est averti que le règlement sanitaire départemental peut prévoir des prescriptions spécifiques à l'entretien, l'utilisation et l'aménagement des locaux d'habitation qu'il devra respecter.

Le VENDEUR déclare que le BIEN correspond aux caractéristiques tant du règlement sanitaire départemental que du logement décent telles que celles-ci sont définies par le décret ci-dessus visé."

- en pages 12 et 13 :

DISPOSITIONS SUR LE CHANGEMENT D'USAGE OU DE DESTINATION

CHANGEMENT D'USAGE - INFORMATION

Dans la mesure où l'ACQUEREUR entendrait affecter directement ou indirectement tout ou partie du BIEN actuellement à usage d'habitation (en tout ou partie) à un autre usage, le notaire soussigné l'avertit du contenu impératif des dispositions de l'article L631-7 du Code de la construction et de l'habitation relatif au changement d'usage, aux inconvénients pouvant résulter à son encontre de l'inobservation de ce texte, ainsi que du respect des normes dont relève l'usage envisagé.

Le domaine d'applicabilité de l'article L631-7 est le suivant : (')"

- en pages 18 et 19 au titre des diagnostics :

"Contrôle de l'installation intérieure d'électricité

Conformément aux dispositions de l'article L 134-7 du Code de la construction et de l'habitation, la vente d'un bien immobilier à usage d'habitation comportant une installation intérieure d'électricité réalisée depuis plus de quinze ans doit être précédée d'un diagnostic de celle-ci.

Le BIEN dispose d'une installation intérieure électrique de plus de quinze ans.

Le VENDEUR a fait établir un état de celle-ci par la société E-N France susvisée le 18 juin 2019 (visite effectuée le même jour) est annexé aux présentes. (Annexe n°3). L'ACQUEREUR déclare en avoir eu préalablement connaissance."

Par ailleurs, il n'est pas contesté que les lots vendus, initialement à usage de réserve, ont été réunis en un seul local et utilisés comme la quasi-totalité des pièces à usage de réserve du premier étage de l'immeuble, dans un premier temps comme chambres de service, puis comme un local à usage d'habitation consistant en un studio d'une surface de 14,60 m2 , comprenant une chambre, une salle d'eau, un WC, un coin cuisine, de grandes fenêtres, une vue sur jardinet, et ont été ainsi loués, ainsi qu'il résulte des contrats de bail produits aux débats par Mme [X], le bien vendu étant d'ailleurs occupé au moment de la vente, comme le reconnaît M. [W] [M] dans ses écritures puisqu'il précise même qu'il a été contraint de faire libérer les lieux par son occupant après la vente.

Il s'ensuit que, nonobstant la désignation des biens au règlement de copropriété, les biens vendus étaient, dans la commune intention des parties à usage d'habitation ou étaient destinés à un usage d'habitation, ce que confirment la déclaration de l'acquéreur dans la clause relative à la purge du droit de rétractation, le rappel de la notion de logement décent qui ne s'explique pas si le bien vendu est à usage de réserve, ou encore le rappel des modalités de modification de l'usage du bien stipulé actuellement à usage d'habitation, ainsi que l'affectation réelle des biens au moment de la vente.

Dès lors, c'est bien en considération d'un local à usage d'habitation, et non de réserve, qu'il convient d'apprécier si le prix convenu a un caractère dérisoire devant conduire à l'annulation de la vente.

Pour justifier du caractère dérisoire du prix de vente, Mme [X] produit aux débats en premier lieu l'acte de vente en date du 22 mars 2019, par lequel la SCI [M], dont dont M. [W] [M] est le gérant, les lots n° 86 et 87 du même immeuble, également désignés comme des "réserves" tant dans le règlement de copropriété que dans l'acte de vente, moyennant le prix principal de 90.000 € pour une superficie loi Carrez de 14,35 m², soit une superficie légèrement inférieure à celle des lots litigieux de 14,60 m2 vendu au prix de 14.600 €.

En second lieu, elle justifie des ventes intervenues entre 1998 et 2023 concernant les autres lots situés à la même adresse et au même étage, tous désignés au règlement de copropriété comme étant à usage de réserve, desquelles il résulte que :

- les lots n°91 à 93 formant un ensemble de 26,2 m2 ont été cédés en 1999 au prix de 76.224,51 € , soit un prix au m2 de 2.909 €;

- le lot n° 95, d'une superficie de 10,40 m2, a été vendu en 2005 au prix de 75.500 €, soit 7.260 € / m2;

- les lots n°79 à 81, d'une superficie totale de 20,08 m2 ont été vendus en 2007 au prix de 137.000 €, soit 6.922 € / m2;

- le lot n°94, d'une superficie de 11 m2 a été vendu en 2010 au prix de 72.000 €, soit 6.545 € / m2;

- les lots n°75 et 76, d'une superficie de 14,19 m2 ont été vendus en 2015 au prix de 105.000 €, soit 7.400 € / m2;

Enfin, elle produit les éléments de comparaison suivants :

- dans un immeuble voisin (parcelle DZ [Cadastre 3]), vente le 22 mai 2019 d'une surface de 29 m² au prix de 320.000 €, soit 11.034,48 € / m² (pièce 23 -Extrait de la base de données demande de Valeur Foncière (dvf.etalab.gouv.fr) ' parcelle DZ [Cadastre 3]);

- vente le 13 décembre 2017 d'une surface de 12 m² au prix de 100.000 € (parcelle DZ [Cadastre 5]), soit 8.333,33 € / m² (pièce 24 ' id. DZ [Cadastre 5] ).

- vente le 29 juillet 2016 d'une surface de 7 m² au prix de 104.000 € le 29 juillet 2016 (parcelle DZ [Cadastre 5]), soit 14.857,14 € / m² (Pièce 25 - Extrait de la base de données Demande de Valeur Foncière (dvf.etalab.gouv.fr) ' parcelle DZ [Cadastre 5] (ii)).

- vente le 31 décembre 2015 d'une surface de 10 m² au prix de 110.000 € (parcelle DZ [Cadastre 7]), soit 11.000 € / m² (Pièce 26 ' id. parcelle DZ [Cadastre 7]).

L'analyse de ces différentes données indique, pour un bien de type studio, d'une surface comprise entre 7m² et 29m², un prix médian de : 11.649,95 € / m², alors que la vente des lots litigieux a été conclue au prix de 1.000 € / m².

Au regard de l'ensemble de ces éléments, Mme [X] rapporte la preuve qui lui incombe que le prix de vente stipulé à l'acte du 18 octobre 2019 est un prix dérisoire, de sorte qu'il convient de faire droit à sa demande, et infirmant le jugement, de prononcer la nullité de la vente susvisée.

Par suite de l'annulation de la vente, les parties sont remises dans leur état antérieur, l'acquéreur devant restituer le bien immobilier et le vendeur le prix de vente, de sorte qu'il n'y a pas lieu de condamner les parties à ce titre, et il appartient au vendeur de publier le jugement à intervenir au service de publicité foncière, et de solliciter à l'administration fiscale la restitution des droits réglés. S'agissant des frais de mutation afférent à l'acquisition et à la restitution du bien, il convient de faire droit à la demande de Mme [X] tendant à la mise à la charge de M. [W] [M] de ces frais.

- Sur la demande au titre de la perte de loyers

Mme [X] demande, sur le fondement de l'article 1231- 2 du code civil la condamnation de M. [W] [M] à lui la somme mensuelle de 650 €, augmenté de l'indice de révision des loyers, à compter de la vente et jusqu'à la restitution du bien en raison du manque à gagner au titre des loyers perdus, outre intérêts au taux légal et avec capitalisation, en faisant valoir que les lots vendus étaient loués au prix de 650 € / mois ainsi qu'il résulte du contrat de bail conclu avec M. [J] [K] le 15 février 2019.

M. [W] [M] conclut au rejet des demandes indemnitaires de Mme [X].

Réponse de la cour

Il résulte du contrat de bail produit par Mme [X] en date du 15 février 2019 que le bien vendu a été loué à M. [K], pour une durée d'une année, moyennant un loyer mensuel de 650 €, ce que M. [W] [M] qui a mis en demeure ce dernier de libérer les lieux, suivant courrier recommandé du 23 janvier 2020, ne conteste pas, pas plus qu'il ne fait état d'élément de nature à contredire utilement la valeur locative de ce bien pouvant en être déduite.

Par conséquent, il convient de faire droit à la demande de Mme [X] de condamnation à lui payer la somme mensuelle de 650 € à compter du 18 octobre 2019 et jusqu'à la restitution du bien, sans indexation, avec intérêts au taux légal à compter de chaque date d'échéance, et capitalisation des intérêts échus depuis une année au moins.

- Sur la demande de condamnation de la SCP Corinne de BUHREN, Elisabeth MONTES, Jean-Pierre BIGOT, Anne GUICHARD, Bertrand LUCAS, [V] [A], Notaires associés et ses assureurs à garantir au profit de Mme [X] le règlement du montant des condamnations prononcées à l'encontre de M. [W] [M], au titre du règlement des frais de mutation et du montant des condamnations prononcées à l'encontre de M. [W] [M] au titre du règlement de l'indemnité liée aux loyers non perçus et de l'article 700 du code de procédure civile.

Comme indiqué précédemment, l'annulation de la vente emporte obligation de restitution réciproque entre les parties à la vente.

Mme [X] n'explicite pas à quel titre le notaire aurait à supporter les "frais de mutation" en en garantissant le paiement par M. [W] [M], étant rappelé que les frais de mutation ne peuvent être mis qu'à la charge des parties à la mutation ou à l'opération immobilière concernée, et non à un tiers à l'acte.

Par ailleurs, il est constant que la restitution des loyers prononcée à la suite de l'annulation d'un contrat de vente ne constitue pas un préjudice indemnisable, de sorte que le notaire ne peut être condamné, quand bien même aurait-il commis une faute, à garantir l'acquéreur d'un immeuble du montant des condamnations prononcées à son encontre au titre de la perte locative.

Mme [X] sera donc déboutée de ces demandes.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice économique et moral

Madame [X] demande la condamnation solidaire de M. [W] [M] et de la SCP de notaires, sous la garantie de ses assureurs, à lui payer la somme de 20.000 € en réparation du préjudice économique et moral qu'elle estime avoir subi.

Sur la faute quelle impute au notaire, elle fait valoir que compte tenu des incohérences manifestes affectant les réponses apportées dans le questionnaire relatif à la vente, révélant une réelle difficulté imposant une vigilance particulière du notaire, et de l'incohérence du prix de cession du bien avec sa description figurant à l'acte de vente, Me [A] aurait dû attirer l'attention de Mme [X] sur le caractère dérisoire du prix et, au minimum, solliciter l'assistance du notaire de famille de la venderesse, et ne peut prétendre qu'il ne disposait d'aucun élément afin de douter des déclarations des parties tant aux termes de la promesse de vente régularisée le 17 septembre 2019, qu'aux termes de l'acte ultérieur réitéré par les parties personnellement présentes lors des signatures; que cette vente n'a été rendue possible que par l'intermédiaire de l'office notarial de Me [A], notaire rédacteur unique de l'acte de vente, ce qui justifie sa condamnation à garantir le règlement par M. [W] [M] des condamnations prononcées à son encontre au titre des frais de mutation et de la perte de loyers.

La SCP de notaires fait valoir que contrairement à ce que prétend Mme [X], elle a été invitée à plusieurs reprises, non seulement par Me [A], mais également par M. [W] [M] afin de transmettre les coordonnées de son notaire personnel, que cette dernière qui a été en contact à de nombreuses reprises avec le notaire dans le cadre de la préparation de l'acte authentique de vente, a été destinataire des projets d'actes, a indiqué systématiquement ne pas entendre être assistée par son propre notaire pour la vente des lots 77 et 78 et a demandé à être rendue personnellement destinataire de l'ensemble des éléments du dossier et projets d'acte.

Sur le caractère dérisoire du prix, elle fait valoir concernant la détermination du prix de vente, que l'équilibre économique et financier d'une opération immobilière relève exclusivement de l'accord contractuel entre les parties, et ce d'autant plus lorsque l'accord est intervenu hors le concours et la présence du notaire, et qu'en matière de détermination du prix de vente, la Cour de cassation exclut tout devoir de conseil de la part du rédacteur de l'acte notarié quant à la détermination du prix de vente, sauf lésion manifeste, le notaire n'étant pas tenu d'une obligation de conseil et de mise en garde concernant l'opportunité économique d'une opération; qu'enfin, le notaire a été saisi par les parties à la suite d'une promesse de vente signée sous-seing-privé par Madame [X], n'est pas intervenu à l'occasion de la rencontre des volontés entre Mme [X] et M. [W] [M] sur la chose et le prix en juin 2019.

Elle ajoute que les parties ont déclaré que l'usage des biens mentionnés aux termes du règlement de copropriété n'avait pas fait l'objet de modification, au sens juridique du terme, la configuration des lieux étant indifférente, alors qu'à réception du règlement de copropriété, Me [A] a effectivement constaté que les lots 77 et 78 étaient deux réserves et qu'il était, en outre, fait interdiction de les utiliser pour un usage autre, et ce bien que les deux lots aient été réunis par le propriétaire, et que sur interrogation expresse des parties, tant Mme [X] que l'acquéreur, ont déclaré qu'ils n'entendaient pas modifier l'usage de réserve des locaux, tel que résultant du règlement de copropriété.

Réponse de la cour

Par application des dispositions de l'article 1240 du code civil, tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il importe de rappeler que le devoir de conseil du notaire a été consacré par la jurisprudence comme un devoir impératif : ' les notaires institués pour donner aux conventions des parties les formes légales et l'authenticité, ont également pour mission de renseigner leurs clients sur les conséquences des engagements qu'ils contractent : responsables en vertu de l'article 1382 du Code civil, ils ne peuvent stipuler l'immunité de leurs fautes et par suite décliner le principe de leur responsabilité en alléguant qu'ils se sont bornés à donner une forme authentique aux conventions des parties' (Cour de cassation - 21 juillet 1921- D. 1925. I. P.29).

De plus, il est constant que le notaire, tenu professionnellement de s'assurer de l'efficacité des actes qu'il rédige et d'éclairer les parties sur leur portée, leurs effets et leurs risques, doit attirer l'attention du vendeur sur le caractère dérisoire du prix et sur les conséquences de ses engagements.

En l'espèce, il résulte de l'analyse qui précède quant à l'usage des biens vendus, que l'acte comportait un grand nombre de mentions contradictoires quant à l'usage actuel des biens vendus, et quant à l'usage auquel l'acquéreur les destinait, ce qui aurait dû, à tout le moins, alerter le notaire rédacteur quant à l'existence d'une difficulté sur cet usage, et l'inciter à questionner plus précisément les parties pour s'assurer de la réelle destination des biens vendus, et par conséquent, sur la cohérence entre le prix convenu et l'usage des biens vendus.

A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler qu'alors qu'il est indiqué à l'acte que les parties ont déclaré que les biens étaient à un usage autre que l'habitation, l'acquéreur entendant les affecter au même usage, l'étude notariale a malgré cela notifié à M. [W] [M], par lettre recommandée avec demande d'avis de réception électronique du 17 septembre 2019, une copie de la promesse de vente en rappelant que le bien objet de la promesse étant destiné à être affecté à l'habitation, il bénéficiait des dispositions de l'article L 271-1 du code de la construction et de I'habitation lui accordant un délai de rétractation, et a fait mention dans l'acte de vente de la purge du droit de rétractation de l'acquéreur, laquelle n'est obligatoire que pour les biens à usage d'habitation.

Dès lors, il est établi que Me [A] a bien commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile délictuelle à l'égard de Mme [X].

Par ailleurs, dès lors qu'il a été considéré que les biens vendus étaient, dans la commune intention des parties à usage d'habitation ou étaient destinés à un usage d'habitation, et que le prix convenu était en conséquence dérisoire au regard de cet usage, et au rappel que M. [W] [M], gérant de la SCI [M] qui avait acquis six mois auparavant les lots n° 86 et 87 du même immeuble, situés sur le même palier que les biens objet de la vente annulée également désignés comme des "réserves" tant dans le règlement de copropriété que dans l'acte de vente, moyennant le prix principal de 90.000 € pour une superficie loi Carrez de 14,35 m², ne pouvait ignorer le caractère dérisoire du prix convenu, il est incontestablement établi que ce dernier a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité.

S'agissant du préjudice économique invoqué, Mme [X] ne justifie d'aucun préjudice autre que celui déjà réparé par l'allocation de dommages et intérêts destinés à réparer le gain dont elle a été privée au titre des loyers.

En revanche, il ne saurait être contesté qu'elle a subi un préjudice moral certain constitué par elle justifie d'un préjudice moral certain en lien de causalité certain résultant des tracas de la procédure et, comme elle l'indique elle-même, du sentiment de honte et de vulnérabilité qui l'affecte depuis la vente litigieuse.

Il convient en conséquence de condamner in solidum M. [W] [M] et la SCP de notaires, sous la garantie de ses assureurs qui n'est pas contestée, à lui payer la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice moral.

- Sur la demande de compensation

L'article 1347 du code civil dispose que la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes. Elle s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies.

Aux termes de l'article 1348 du code civil, la compensation peut être prononcée en justice, même si l'une des obligations, quoique certaine, n'est pas encore liquide ou exigible. A moins qu'il n'en soit décidé autrement, la compensation produit alors ses effets à la date de la décision.

En l'espèce, il convient de faire droit à la demande de Madame [X] et de dire que la dette de restitution du prix de Madame [X] se compensera à due concurrence avec la dette de M. [W] [M] à l'égard de la venderesse au titre de la perte locative, à la date de la présente décision.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement en ce qu'il a réservé les dépens et les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et à condamner in solidum M. [W] [M], la SCP Corinne de Buhren, Elisabeth Montes, Jean Pierre Bigot, Anne Guichard, Bertrand Lucas, et [V] [A], la société MMA IARD SA et la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES aux dépens de première instance et d'appel.

M. [W] [M] est condamné à payer à Mme [X] la somme de 15.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

M. [W] [M], la SCP Corinne de Buhren, Elisabeth Montes, Jean Pierre Bigot, Anne Guichard, Bertrand Lucas, et [V] [A], la société MMA IARD SA et la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES seront déboutés de leurs demandes au titre des frais non taxables.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 30 mars 2023;

Statuant de nouveau,

PRONONCE la nullité de la vente conclue le 18 octobre 2019 entre Madame [T] [L] [S] [X] et Monsieur [O] [C] [R] [I] [W] [M], avec toutes conséquences quant aux restitutions entre les parties au contrat;

CONDAMNE Monsieur [O] [W] [M] à supporter tous frais de mutation afférents à l'acquisition et la restitution du bien;

CONDAMNE Monsieur [O] [W] [M] à payer à Madame [T] [X] la somme mensuelle de 650 € à compter du 18 octobre 2019 et jusqu'à la restitution du bien objet de la vente annulée, avec intérêts au taux légal à compter de chaque date d'échéance, et capitalisation des intérêts échus depuis une année au moins;

CONDAMNE in solidum Monsieur [O] [W] [M], la SCP Corinne de Buhren, Elisabeth Montes, Jean Pierre Bigot, Anne Guichard, Bertrand Lucas, et [V] [A], la société MMA IARD SA et la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à payer à Madame [T] [X] la somme de 8.000 € de dommages et intérêts;

DEBOUTE Madame [T] [X] de sa demande de condamnation de la SCP Corinne de Buhren, Elisabeth Montes, Jean Pierre Bigot, Anne Guichard, Bertrand Lucas, et [V] [A], la société MMA IARD SA et la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à garantir à son profit le règlement du montant des condamnations prononcées à l'encontre de M. [W] [M] au titre du règlement des frais de mutation et du montant des condamnations prononcées à l'encontre de M. [W] [M] au titre du règlement de l'indemnité liée aux loyers non perçus et de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE la compensation, à due concurrence, entre la dette de restitution du prix de Madame [X], et la dette de M. [W] [M] à l'égard de la venderesse au titre de la perte locative;

CONDAMNE in solidum Monsieur [O] [W] [M], la SCP Corinne de Buhren, Elisabeth Montes, Jean Pierre Bigot, Anne Guichard, Bertrand Lucas, et [V] [A], la société MMA IARD SA et la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES aux dépens de première instance et d'appel;

CONDAMNE Monsieur [O] [W] [M] à payer à Madame [T] [X] la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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