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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 6 juin 2025, n° 24/02925

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 24/02925

6 juin 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°167

N° RG 24/02925 - N° Portalis DBVH-V-B7I-JKET

CC

CONSEILLER DE LA MISE EN ETAT DE NIMES

01 février 2023 RG :22/01944

S.A. [J]

C/

[J]

[J]

Copie exécutoire délivrée

le 06/06/2025

à :

Me Sylvie SERGENT

Me Barbara silvia GEELHAAR

Me Caroline ALTEIRAC

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 06 JUIN 2025

Décision déférée à la cour : Ordonnance du Conseiller de la mise en état de NIMES en date du 01 Février 2023, N°22/01944

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Christine CODOL, Présidente de Chambre

Agnès VAREILLES, Conseillère

Yan MAITRAL, Conseiller

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière à la Chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 Mai 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Juin 2025.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A. [J] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés es qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Sylvie SERGENT de la SELARL DELRAN-BARGETON DYENS-SERGENT- ALCALDE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉES :

Mme [R] [J] épouse [B]

née le 08 Mai 1945 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Barbara silvia GEELHAAR de la SCP S2GAVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D'ALES

Mme [Z] [J]

née le 17 Septembre 1942 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Isabelle MERLY CHASSOUANT, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Caroline ALTEIRAC, Postulant, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 05 Mai 2025

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 06 Juin 2025, par mise à disposition au greffe de la cour

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 7 juin 2022 par la SA [J] à l'encontre du jugement rendu le 21 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Nîmes dans l'instance n° RG 20/03118 ;

Vu l'ordonnance de radiation du 1er février 2023 rendue par le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Nîmes (RG n°22/01944) ;

Vu la déclaration aux fins de réinscription de l'affaire du 26 juillet 2024 de la SA [J];

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 29 avril 2025 par la SA [J], appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 22 avril 2025 par Madame [Z] [J], intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 24 avril 2025 par Madame [R] [J] épouse [B], intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance du 3 octobre 2024 de clôture de la procédure à effet différé au 24 avril 2025, révoquée par ordonnance du 2 mai 2025 avec nouvelle clôture fixée au 5 mai 2025.

Vu l'autorisation donnée à Madame [R] [B] de déposer une note en délibéré sur la demande en délais de paiement de la société [J].

Vu la demande de note en délibéré du 6 mai 2025 sur le caractère non avenu de l'interruption de la prescription en raison du rejet de la demande de référé.

Vu les notes en délibéré déposée le 9 mai 2025 par la SA [J] et le 12 mai 2025 par Madame [B].

***

Par contrat de bail commercial du 1er novembre 2005, Madame [F] [O] Veuve [J] a consenti à la société [J] un bail commercial pour un local situé au [Adresse 2], moyennant un loyer mensuel de 910 euros.

Madame [F] [J] est décédée le 3 avril 2009 laissant comme héritiers ses trois enfants : [V], [R] et [Z] [J].

Le 27 janvier 2020, la société [J] s'est vu délivrer un commandement de payer les loyers d'un montant de 113 360,24 euros concernant des loyers impayés depuis le 1er mai 2012.

Le 20 février 2020, la SA [J] faisait délivrer une assignation à Madame [J] épouse [B] aux fins de nullité du commandement. Par ordonnance du 10 juin 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nîmes disait n'y avoir lieu à référé, les questions posées relevant du fond.

Par exploit du 8 juillet 2021, la société [J] a fait assigner Madame [R] [J] épouse [B] en nullité du commandement de payer du 27 janvier 2020 à titre principal, subsidiairement aux fins de voir par partie prescrits les loyers y étant visés, et enfin en condamnation au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens, devant le tribunal judiciaire de Nîmes.

***

Par jugement du 21 mars 2022, le tribunal judiciaire de Nîmes a statué et :

« Constate l'intervention volontaire à la présente instance de Madame [Z] [J].

Dit que Madame [R] [B] née [J] justifie de sa qualité à agir pour le compte de l'indivision.

Déclare que le commandement de payer délivré le 27 janvier 2020 à la demande de Madame [R] [B] née [J] a été valablement délivré.

Déclare prescrite la demande en paiement des loyers commerciaux de l'indivision [J] pour la période du 1er mai 2012 au 20 février 2014.

Dit que les loyers commerciaux dus par la SA [J] pour la période du 21 février 2014 au 31 décembre 2019 ne sont pas prescrits.

Rejette la demande de nullité du commandement de payer les loyers en date du 27 janvier 2020 est valable.

Dit que la SA [J] est redevable envers l'indivision [J] au titre de la dette locative née du contrat de bail commercial du 1er novembre 2015 pour la période du 21 février 2014 au 31 décembre 2019 à la somme totale de 90 036,42 euros.

Constate la résiliation du contrat de bail commercial en date du 1er novembre 2005 à compter du 1er mars 2020.

Rappelle que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit.

Condamne la SA [J] au paiement des entiers dépens.

Condamne la SA [J] à payer à Madame [R] [B] née [J] et à Madame [Z] [J] la somme de 1 500 euros chacune. ».

La société [J] a relevé appel le 7 juin 2022 de ce jugement pour le voir annuler ou réformer en ce qu'il a :

débouté la société [J] de sa demande de voir déclarer nul le commandement de payer délivré le 27 janvier 2020 par Madame [R] [J] épouse [B],

dit que Madame [R] [B] née [J] justifie de sa qualité pour agir pour le compte de l'indivision,

déclaré que le commandement de payer délivré le 27 janvier 2020 à la demande de Madame [R] [B] née [J] a été valablement délivré,

rejeté la demande de nullité du commandement de payer les loyers en date du 27 janvier 2020

dit que le commandement de payer les loyers en date du 27 janvier 2020 est valable,

débouté la société [J] de sa demande de voir constater, à titre subsidiaire, que les loyers visés dans le commandement sont pour partie prescrits, s'agissant des loyers antérieurs au 27 janvier 2017,

débouté la société [J] de sa demande de voir prendre acte de son opposition à commandement pour les loyers dus entre le 1er mai 2012 et le 27 janvier 2017, et les déclarer prescrits,

débouté la société [J] de sa demande de voir constater, en tout état de cause, que la demande de résiliation du bail pour non-paiement de loyer est un acte d'administration qui nécessite le consentement de tous les indivisaires,

débouté la société [J] de sa demande de voir constater que Monsieur [V] [J] n'a pas donné son consentement pour engager cette demande,

débouté la société [J] de sa demande de voir débouter Madame [J] [Z] et Madame [B] [R] de leur demande de résiliation du bail,

dit que les loyers commerciaux dus par la société [J] pour la période du 21 février 2014 au 31 décembre 2019 ne sont pas prescrits,

dit que la société [J] est redevable envers l'indivision [J] au titre de la dette locative née du contrat de bail commercial du 1er novembre 2015 pour la période du 21 février 2014 au 31 décembre 2019 à la somme totale de 90.036,42 euros,

constaté la résiliation du contrat de bail commercial en date du 1er novembre 2005 à compter du 1er mars 2020,

débouté la société [J] de sa demande de voir condamner Madame [J] [R] à payer à la SA [J] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 et de la voir condamner aux entiers dépens,

condamné la société [J] aux entiers dépens,

condamné la société [J] à payer à Madame [R] [B] née [J] et à Madame [Z] [J] la somme de 1500 euros chacune.

Dans ses dernières conclusions, la société [J], appelante, demande à la cour de :

Vu les conclusions signifiées par Mme [B] et Mme [J] le jour de l'Ordonnance de clôture ORDONNER le rabat de l'Ordonnance de clôture

« Ordonner la réinscription de l'affaire au rôle des affaires en cours

Sur le fond,

Vu l'article 2224 du code civil,

Vu les articles 815 et suivants du code civil,

Accueillir l'appel interjeté,

Le dire recevable et bien fondé,

Débouter Madame [B] et Madame [J] de toutes leurs demandes, fins et conclusions

Réformer le jugement rendu le 21 mars 2022 en ce qu'il a condamné la SA [J] à payer la somme de 90 036,42 euros au titre de la dette locative pour la période du 21 février 2014 au 31 décembre 2019 et en ce qu'il a constaté la résiliation du contrat de bail commercial en date du 1er novembre 2005 à compter du 1er mars 2020.

Statuant à nouveau,

Constater que les loyers visés dans le commandement sont pour partie prescrits,

Prendre acte de l'opposition à commandement pour les loyers dus entre le 1er mai 2012 et le 27 mai 2015 et les déclarer prescrits,

Statuer que la dette de la SA [J] au titre du commandement de payer ne saurait excéder la somme de 66 882,82 euros.

Statuer que la demande de résiliation du bail pour non-paiement de loyer est un acte d'administration qui nécessite le consentement de tous les indivisaires,

Statuer que Monsieur [V] [J] n'a pas donné son consentement pour engager cette demande,

Statuer que Madame [J] [Z] et Madame [B] [R] n'avaient donc pas qualité à agir à ce titre par voie de conclusions

Déclarer leur demande de résiliation du bail irrecevable.

A titre subsidiaire,

Vu l'article L145-41 du Code de commerce Vu la somme de 90.036,42 € versée entre les mains du notaire, Vu la somme de 50.000 € consignée en CARPA, ACCORDER rétroactivement à la SA [J] des délais de paiement jusqu'à la date du 27 mai 2024, ORDONNER la suspension des effets de la clause résolutoire jusqu'à la date du 27 mai 2024, date du dernier règlement entre les mains du Notaire, JUGER que la SA [J] s'est acquittée des causes du commandement du 27 janvier 2020, JUGER en conséquence que le commandement de payer du 27 janvier 2020 est dépourvu d'effets JUGER que la demande de résiliation du bail sur la base de ce commandement de payer est donc irrecevable, En tout état de cause, CONDAMNER Mme [J] [Z] et Mme [B] [R] à payer à la SA THO

En tout état de cause,

Condamner Madame [J] [Z] et Madame [B] [R] à payer à la SA [J] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens de première instance et d'appel. ».

Au soutien de ses prétentions, la société [J], appelante, expose que l'action en paiement des loyers commerciaux est soumise au délai de prescription de cinq ans en application de l'article 2224 du code civil.

Elle fait grief au tribunal d'avoir commis une erreur concernant le point de départ de la prescription en concédant un effet interruptif à l'assignation en référé puisque l'assignation en référé du 20 février 2020 n'a pas été délivrée par l'indivision [J] pour faire constater la clause résolutoire insérée dans le contrat de bail commercial mais par la SA [J] pour contester le commandement de payer, à titre principal, et prendre acte de son opposition, à titre subsidiaire. La société [J] précise que Mme [B] a conclu le 27 mai 2020 à la validité du commandement, de sorte que les loyers antérieurs au 27 mai 2015 sont prescrits.

Elle demande à la cour de ne statuer que sur la dette de loyer courant de cette date au 31 décembre 2019 qui est la date d'arrêté de compte du commandement.

De plus, la société [J] fait valoir qu'elle a payé la somme de 90.036,42 € pour s'acquitter de la condamnation de première instance pour une dette arrêtée au 31 décembre 2019. Or, à la date du commandement, la dette non prescrite était en réalité de 66.882,82 euros compte tenu de la prescription et la société [J] invoque en conséquence avoir payé un surplus de 90.036,42 € - 66.882,82 € = 23.153,60 € qui doit s'imputer sur les loyers dus depuis cette date. Elle indique avoir en outre versé une somme de 50 000 euros en compte Carpa.

La société [J] s'oppose à la demande de résiliation judiciaire des intimées au motif qu'elle nécessite le consentement de tous les indivisaires, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Elle se fonde sur le libellé de la clause résolutoire qui peut être invoquée « si bon semble au bailleur » ce qui suppose une volonté et une action du bailleur, c'est-à-dire de l'indivision [J] constituée par les trois enfants et relève que seuls deux d'entre eux demandent cette résiliation. La société [J] considère donc cette demande de résiliation comme irrégulière et conclut à l'extinction des causes du commandement par paiement de la dette.

La société [J] ajoute que la résiliation du bail lui est non seulement préjudiciable car elle perdrait une grosse partie de sa surface commerciale (elle exploite dans deux locaux) et devrait nécessairement licencier, mais elle serait également préjudiciable à l'indivision [J] qui perdrait une source de revenus non négligeable (environ 1.200 € par mois). Elle explique également les difficultés de règlement de la succession qui l'ont amené à cesser de payer le loyer.

Enfin, à titre subsidiaire, la société [J], rappelant que non seulement elle a régularisé la somme de 90.036,42 € à la date du 27 mai 2024 mais qu'elle a également versé la somme de 50.000 € en CARPA en avril 2025, demande à la cour de lui accorder rétroactivement des délais de paiement jusqu'à la date du 27 mai 2024 et de suspendre en conséquence les effets de la clause résolutoire jusqu'à cette date, ce qui rendra le commandement dépourvu d'effet et la demande de résiliation de bail irrecevable.

***

Dans ses dernières conclusions, Madame [R] [J] épouse [B], intimée, demande à la cour de :

« Confirmer le jugement du 21 mars 2022 en ce qu'il a :

- déclaré la demande de Madame [R] [B] née [J] recevable et validé le commandement délivré le 27 janvier 2020.

- déclaré prescrite la demande en paiement des loyers commerciaux de l'indivision [J] pour la période du 1er mai 2012 au 20 février 2014.

- condamné la S.A. [J] à régler la somme totale de 90.036,42 euros.

- constaté la résiliation du contrat de bail commercial en date du 1er novembre 2005 à compter du 1er mars 2020.

- condamné la SA [J] à payer à Madame [B] née [J] et à Madame [Z] [J] la somme de 1 500 euros chacune, ainsi qu'aux dépens.

Condamner en outre la S.A. [J] au paiement de la somme arrêtée au 31 décembre 2019 de 113 360,24 euros diminuée de la partie déclarée prescrite par le jugement en date du 21 mars 2022 mais augmentée de 82 889,47 euros (arrêté au 05 décembre 2024) + 5852,36 (du 5 janvier au 5 avril 2025) soit 88 747,83 euros au titre des indemnités d'occupation dues dont à déduire les éventuelles versements régularisés par la S.A. [J].

Débouter la S.A. [J] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner la S.A. [J] au paiement de la somme de 4000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que tous les dépens de l'appel. ».

Au soutien de ses prétentions, Madame [R] [J] épouse [B], intimée, expose que la S.A. [J] avait elle-même reconnu en première instance l'effet interruptif du commandement visant la clause résolutoire du 27 janvier 2020 en demandant de déclarer prescrits les loyers antérieurs au 27 janvier 2015, et non comme elle le fait en appel antérieurs au 27 mai 2015. Madame [B] maintient que le commandement a un caractère conservatoire et interrompt la prescription, par application de l'article 2243 du code civil.

Elle explique, en tout état de cause, qu'à la dette locative au 1er juin 2015 de 46 477,42 € reconnue par la S.A. [J] s'ajoute la dette locative entre le 27 janvier 2015 et le 1er juin 2015 reconnue par le tribunal et celle non réglée depuis le 1er janvier 2020 dont elle est bien fondée à solliciter la condamnation de la SA [J] dans l'intérêt de l'indivision, soit au 5 décembre 2024 la somme de 82 889,47 €.

Elle ne donne aucune valeur au règlement de la somme de 50 000 euros en compte Carpa car ce versement aurait dû intervenir entre les mains du notaire chargé du règlement de la succession.

Madame [B] soutient être en droit de demander le paiement de l'indemnité d'occupation postérieure au 31 décembre 2019 en application de l'article 566 du code de procédure civile.

Elle qualifie la demande de résiliation d'acte d'administration nécessitant le consentement de deux tiers des indivisaires, ce qui est le cas en l'espèce.

Elle précise qu'il n'est pas demandé la résiliation mais la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire intervenue de plein droit du fait du commandement infructueux.

Madame [B] conteste l'histoire familiale décrite par la société [J], soutient que cette dernière pourrait continuer à exploiter la bijouterie même si la surface était réduite en raison de la résiliation du bail et fait grief à son frère de s'être abstenu volontairement de payer les loyers, ce qui prive l'indivision de revenus.

***

Dans ses dernières conclusions, Madame [Z] [J], intimée, demande à la cour, au visa des articles 815, 815-2 et suivants du code civil, et de l'article 224 du code civil, de :

« Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel interjeté par la SA [J]

Au fond

A titre principal

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- déclaré la demande de Madame [R] [B] née [J] recevable et validé le commandement délivré le 27 janvier 2020

- constaté l'intervention volontaire de Madame [Z] [J]

- dit que les loyers commerciaux dus par la SA [J] pour la période du 21 février 2014 au31 décembre 2019 ne sont pas prescrits

- dit que la SA [J] est redevable envers l'indivision [J] au titre de la dette locative née du contrat de bail commercial du 1er novembre 2005 pour la période du 21 février 2014 au 31 décembre 2019 à la somme totale de 90.036,42 euros

- constaté la résiliation du contrat de bail commercial en date du 1er novembre 2005 à compter du 1er mars 2020

- condamné la SA [J] à payer à Madame [B] née [J] et à Madame [Z] [J] la somme de 1500 euros chacune ainsi que les entiers dépens.

A titre subsidiaire

Juger la demande de Madame [R] [B] née [J] recevable et valider le commandement délivré le 27 janvier 2020

Constater l'intervention volontaire de Madame [Z] [J]

Juger que les loyers commerciaux dus par la SA [J] pour la période du 21 février 2014 au 31 décembre 2019 ne sont pas prescrits

Constater la résiliation du contrat de bail commercial en date du 1er novembre 2005 à compter du 1er mars 2020

Condamner la SA [J] au paiement de la somme de 66.882,82 euros au titre de l'arriéré locatif pour la période allant du 20 mai 2015 au 31 décembre 2019

En tout état de cause

Y ajoutant

Condamner la SA [J] au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer à compter du 1er janvier 2020 et jusqu'à complet départ des lieux.

Débouter la SA [J] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions

Condamner la SA [J] à payer à Madame [Z] [J] la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance ».

Au soutien de ses prétentions, Madame [Z] [J], intimée, expose que dans les conclusions développées en première instance la société [J] avait elle-même sollicitée de voir déclarer prescrits les loyers antérieurs au 20 janvier 2015 et non 20 mai 2015 comme elle le soutient désormais en cause d'appel. En tout état de cause et selon l'analyse de la SA [J], elle remarque que la prescription est interrompue au plus tard au 20 mai 2015 tenant les conclusions notifiées par Mme [B].

Elle soutient être fondée à solliciter le paiement des loyers échus et non réglés depuis le 1er janvier 2020 car il ne s'agit pas pour la cour de statuer sur une demande nouvelle prohibée en cause d'appel mais bien d'une stricte application des dispositions de l'article 566 du code de procédure civile permettant aux parties « d'ajouter aux prétentions soumises au premier juge, les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ».

Madame [J] demande à la cour de constater que ce n'est qu'à la suite de la radiation de son appel que la SA [J] va finir par consigner entre les mains du notaire :

- Une somme de 60.000€ en mars 2023

- Deux sommes de 20.000 et 10036,42€ en mars 2024.

Mme [J] fait sien les moyens développés par Madame [B] en ce qui concerne la résiliation du bail.

Elle précise que ce n'est qu'à la suite de la résistance de la SA [J] à régler les loyers et du comportement de Monsieur [V] [J] entretenant le flou entre sa personne et la société dans le cadre du règlement de la succession qu'elle a fini par intervenir à la procédure simplement pour protéger ses droits d'indivisaire

***

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Au préalable, il convient de rappeler que la clôture a été révoquée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 2 mai 2025 et que la demande de rabat de clôture est donc devenue sans objet.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

Toutes les parties s'accordent à dire que les loyers commerciaux dus par la société [J] pour la période du 1er mai 2012 au 20 février 2014 sont prescrits.

La société [J] a assigné Madame [R] [B] en nullité du commandement le 20 février 2020.

Par ordonnance du 10 juin 2020, le juge des référés a dit n'avoir lieu à référé.

Aux termes de l'article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Selon l'article 2241 du Code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.

En vertu de l'article 2243 du Code civil, l'interruption de la prescription est non avenue si la demande est définitivement rejetée. Cet article ne concerne que la demande en justice et ne peut s'appliquer à un commandement de payer.

Cass. 2ème civ. 26 septembre 2019 n° 18-10.962

Une décision du juge des référés disant n'y avoir lieu à statuer en raison de sa compétence d'attribution est une décision de rejet sur le fond même du référé, ce qui en application des textes sus cités, rend non avenue l'interruption de la prescription résultant de l'assignation en référé. Par conséquent, les conclusions du 27 mai 2020 déposées dans le cadre de l'instance en référé n'ont aucun effet interruptif de prescription.

Il sera donc fait droit à la demande de la société [J] tendant à voir juger prescrits les loyers dus entre le 1er mai 2012 et le 27 mai 2015, l'appelante ne pouvant modifier ses prétentions sans y avoir été autorisée par la presidente et par application de l'article 910-4 du code de procédure civile.

Il s'ensuit que la somme de 46 477,72 euros mentionnée dans le commandement de payer au titre de la dette locative arrêtée au 1er juin 2015 doit être retranchée et que la société [J] restait redevable de la somme de 66 882,82 euros à la date du commandement.

Sur le quantum de la dette

Aux termes de l'article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Une actualisation d'une créance de loyers est donc recevable, par application de l'article précité. Cependant, une telle condamnation ne peut être prononcée que si la résiliation du bail n'est pas acquise. En effet, les intimées ne demandent pas de fixation d'une indemnité d'occupation.

La société [J] justifie avoir versé au notaire chargé de la succession [J] les sommes suivantes :

60 000 euros le 13 mars 2023,

20 000 euros le 20 mai 2024,

10 036,42 euros le 27 mai 2024.

La dette locative non prescrite, arrêtée au 31 décembre 2019 est donc apurée.

Sur la résiliation du bail :

Aux termes de l'article 815-3 du code civil, « Le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :

1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ;

2° Donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration ;

3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision ;

4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Ils sont tenus d'en informer les autres indivisaires. A défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers.

Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°' »

La constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du bail tend à sanctionner le non-respect par le preneur de son obligation essentielle au paiement des loyers et n'engage pas pour l'avenir les droits des indivisaires comme la conclusion, le renouvellement d'un bail commercial qui sont visés par l'article 815-3,4°du code civil. Il s'agit par conséquent d'un acte d'administration nécessitant la majorité des deux tiers des indivisaires, condition remplie en l'espèce.

Il est patent que le bailleur s'est réservé la possibilité ou non d'invoquer la clause résolutoire en insérant la mention « si bon semble au bailleur » mais il demeure que l'application de cette clause est invoquée par deux tiers des indivisaires qui souhaitent voir sanctionner l'inexécution contractuelle de l'obligation de payer un loyer, ce qui est un acte d'administration.

Aux termes de l'article L.145-41 du code de commerce, « Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. »

La clause résolutoire prend effet dès lors qu'aucun paiement n'est intervenu dans le délai d'un mois sans que le juge ne dispose d'un quelconque pouvoir d'appréciation.

En l'espèce, le preneur ne s'est pas acquitté des sommes mentionnées dans le commandement, tel que cantonné, dans le délai d'un mois suivant le commandement du 27 janvier 2020.

La clause résolutoire est donc acquise.

Il est constaté que les causes du commandement tel que cantonné, étaient apurées le 20 mai 2024 et il y a lieu par conséquent de suspendre la résiliation jusqu'à cette date, de dire que la clause résolutoire ne joue pas, le locataire s'étant libéré dans les délais.

Par conséquent, la société [J] est bien redevable des loyers dus entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2024, soit la somme de 82 889,47 euros.

La dette locative totale était donc de 82 889,47 euros + 66 882,82 euros= 149 772,29 euros, dont il convient de déduire les fonds versés au notaire, soit 90 036,42 euros, ce qui donne un solde de 59 735,87 euros. La société [J] sera condamnée au paiement de cette somme, le versement de la somme de 50 000 euros sur un compte Carpa n'étant pas libératoire.

Sur les frais de l'instance :

La société [J], qui succombe en la plupart de ses demandes, devra supporter les dépens de l'instance et payer tant à Mme [R] [B] qu'à Madame [Z] [J] une somme équitablement arbitrée à 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions déférées à la cour,

Et statuant à nouveau,

Déclare prescrits les loyers dus entre le 1er mai 2012 et le 27 mai 2015,

Déclare recevable la demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire formée par deux tiers des indivisaires,

Dit que la clause résolutoire du bail commercial est acquise à compter du 1er mars 2020,

Suspend les effets de la clause résolutoire jusqu'au 20 mai 2024,

Constate que les causes du commandement de payer les sommes non prescrites sont apurées à cette date,

Dit en conséquence que la clause résolutoire ne joue pas,

Condamne la société [J] à payer à l'indivision [J] la somme de 59 735,87 euros au titre de la dette locative arrêtée au 31 décembre 2024,

Condamne la société [J] à payer à chacune des intimées la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société [J] aux dépens d'appel.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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