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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 10 juin 2025, n° 24/00313

BESANÇON

Arrêt

Autre

CA Besançon n° 24/00313

10 juin 2025

Le copies exécutoires et conformes délivrées à

BM/FA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

N° de rôle : N° RG 24/00313 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EXWP

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 10 JUIN 2025

Décision déférée à la Cour : jugement du 10 janvier 2024 - RG N°2022001051 - TRIBUNAL DE COMMERCE DE BESANCON

Code affaire : 50B - Demande en paiement du prix ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, Conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

L'affaire a été examinée en audience publique du 08 avril 2025 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [R] [P] [K]

né le 02 Juillet 1953, de nationalité française, retraité,

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Laurent MORDEFROY de la SELARL ROBERT & MORDEFROY, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représenté par Me Thibaut DE BERNON de la SELARL ALAGY BRET ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

ET :

INTIMÉES

S.A.R.L. PCA [Localité 4] capital de 37 500 €, prise en la personne de son représentant égal en exercice demeurant pour ce audit siège

Sise [Adresse 3]

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 538 428 996

Représentée par Me Mathieu SIRAGA de la SELARL MTS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Représentée par Me Claude VICAIRE, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

S.A.S.U. ASTORIA COURTAGE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice anciennement dénommée PCA EST

Sise [Adresse 2]

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 433 434 958

Représentée par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représentée par Me Hortense GRITON, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 24 novembre 2015, M. [R] [K] a souscrit auprès de la « société Feeleo » une lettre de mission de conseil en investissement financier en vue notamment d'optimiser son départ en retraite programmé au 1er juillet 2017.

Le 8 mars 2016, la société Feeleo lui a remis un document comprenant différentes simulations de ses droits à retraite ainsi que des conseils portant sur la création d'une société par M. [K] dans le cadre d'un cumul emploi-retraite.

Le 1er juillet 2017, M. [K] faisait signifier ses droits à retraite.

Le 6 janvier 2020, il adressait un courrier recommandé avec accusé de réception à la société Feeleo pour l'interroger sur la différence substantielle entre ce qu'il percevait réellement et les simulations figurant dans le document remis par la société Feeleo.

La réponse apportée par la société Feeleo le 30 octobre 2020 sur les quatre causes de minoration du montant de retraite par rapport aux simulations effectuées en 2016 ne le satisfaisant pas, M. [K] a fait délivrer une assignation à la société Feeleo 21 qui a été remise à la société PCA Est venant aux droits de «Feeleo Pat» le 22 mars 2022 puis une assignation en intervention forcée remise à la société PCA Paris le 18 octobre 2022 aux fins de comparution devant le tribunal de commerce de Besançon ; les deux procédures ont fait l'objet d'une jonction le 14 décembre 2022.

Aux termes de ces actes introductifs d'instance, M. [K] demandait notamment au tribunal de commerce de Besançon de :

- juger que la société Feeleo avait commis un manquement à sa mission et son devoir de conseil ayant entraîné pour lui une perte de chance qui ne pouvait être inférieure à 100 % ;

- condamner la société Feeleo à l'indemniser de ses préjudices soit :

. 201 012,15 euros en réparation de la perte de revenus

. 3 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Dans cette procédure, la SARL PCA [Localité 4] s'est constituée en indiquant venir aux droits de la SASU Feeleo 21.

La SASU PCA Est s'est également constituée et a indiqué venir aux droits, elle, de la SASU Feeleo Patrimoine ; la société PCA Est a changé de dénomination sociale par décision du 30 juin 2022 pour se nommer désormais Astoria Courtage.

Par jugement rendu le 10 janvier 2024, le tribunal de commerce de Besançon a :

- déclaré la société PCA Est hors de la cause ;

- déclaré l'action de M. [K] contre la société PCA [Localité 4] prescrite ;

- débouté (sic) en conséquence M. [K] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné M. [K] à verser à la société PCA Est et à la société PCA [Localité 4], chacune, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [K] aux dépens.

Par déclaration du 27 février 2024, M. [K] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 22 novembre 2024, M. [K] conclut à l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- juger que la société Feeleo 21 exerçant sous le nom commercial Feeleo Patrimoine et la société Feeleo Patrimoine ont eu une présentation trompeuse à son égard ;

- juger qu'en conséquence l'exploit introductif d'instance du 22 mars 2022 signifié à la société PCA Est venant aux droits de la société Feeleo 21 exerçant sous le nom commercial « Feeleo Patrimoine » est interruptif de prescription tant à l'égard de la société Astoria Courtage anciennement PCA Est venant aux droits de la société Feeleo Patrimoine que de la société PCA [Localité 4] venant aux droits de la société Feeleo 21 exerçant sous le nom commercial Feeleo Patrimoine ;

- le déclarer recevable et bien-fondé en son action à l'encontre des sociétés Astoria Courtage anciennement PCA Est venant aux droits de Feeleo Patrimoine et PCA [Localité 4] venant aux droits de Feeleo 21 ;

- juger que les sociétés Feeleo ont commis un manquement à leur mission et leur devoir de conseil ayant entraîné une perte de chance pour lui de bénéficier de revenus nets mensuels plus conséquents à partir de son départ à la retraite ;

- juger que cette perte de chance ne peut être inférieure à 100 % ;

- condamner in solidum les sociétés Astoria Courtage et PCA [Localité 4] à l'indemniser de ses préjudices qui sont les suivants :

201 012,15 euros en réparation de la perte de revenus

3 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner in solidum les sociétés Astoria Courtage et PCA [Localité 4] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de leur résistance abusive ;

- condamner in solidum les sociétés Astoria Courtage et PCA [Localité 4] à lui payer la somme de 12 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant pour la procédure de première instance que la présente procédure d'appel ;

- condamner les mêmes aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel ;

- ordonner, en application de l'article L. 121-6 du code de la consommation en vigueur au 24 novembre 2015, la publication de l'arrêt à intervenir selon ces modalités :

> à la charge de la société Astoria Courtage et de la société PCA [Localité 4] : l'affichage du dispositif de l'arrêt à intervenir, précédé en titre de la mention «condamnation pour pratiques commerciales trompeuses», sur la porte d'entrée principale de leurs sièges sociaux respectifs, dans le délai d'un mois à compter de sa signification, sur une affiche de dimension 120 cm x 90 cm en majuscules d'imprimerie de 7 mm de hauteur minimum, et ce sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard, et pendant une durée de 60 jours consécutifs ;

> à sa propre initiative : la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir, précédé en titre de la mention « condamnation pour pratiques commerciales trompeuses », dans trois journaux professionnels, aux frais des sociétés Astoria Courtage et PCA [Localité 4], sans que le coût ne dépasse, par périodique, la somme de 6 000 euros.

La société Astoria Courage a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 27 décembre 2024 pour demander à la cour de :

> à titre principal : confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et condamner M. [K] à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

> à titre subsidiaire, si la cour jugeait que l'action de M. [K] était recevable au titre de sa qualité à agir, de :

- juger irrecevables les prétentions nouvelles de M. [K] à son encontre en matière de pratique commerciale trompeuse ;

- « en conséquence, débouter M. [K] » de l'ensemble de ses demandes (sic) ;

> à titre infiniment subsidiaire : débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes, aucune preuve d'une faute n'étant apportée contre elle ni aucun préjudice de M. [K] ;

> en tout état de cause : confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [K] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens et le condamner à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

La société PCA [Localité 4] a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 6 août 2024 pour demander à la cour de demander à la cour de :

> à titre principal : débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

> à titre subsidiaire, si la cour jugeait que l'action de M. [K] n'était pas prescrite :

- à titre principal, débouter M. [K] de toutes ses demandes ;

- à titre subsidiaire, limiter le montant de l'indemnisation du préjudice de M. [K] à de plus justes proportions;

- en toutes hypothèses, condamner M. [K] à lui verser la somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Pour l'exposé des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile . Ces moyens seront repris dans la partie motivation de l'arrêt.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mars 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 8 avril 2025 suivant et mise en délibéré au 10 juin 2025.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

- Sur la mise hors de cause de la société PCA Est devenue Astoria Courtage :

Décision critiquée et moyens des parties

Le jugement soumis à la cour a prononcé la mise hors de cause de la société PCA Est devenue Astoria Courtage venant aux droits de la société Feeleo Patrimoine. Il a considéré que M. [K], qui était cadre juridique, ne pouvait avoir confondu le nom commercial et la dénomination sociale de la société avec laquelle il échangeait qui était la société Feeleo 21 ; que l'assignation délivrée pour le compte de M. [K] le 22 mars 2022 visait d'ailleurs initialement la société Feeleo 21 avant d'être modifiée de façon manuscrite pour viser la société PCA Est venant aux droits de la société Feeleo Patrimoine ; et qu'il ne justifiait pas d'un mandat apparent laissant supposer que cette dernière, aux droits de laquelle venait la société PCA Est, agissait pour le compte de la société Feeleo 21.

M. [K] demande que le jugement soit infirmé et que son action dirigée contre la société Astoria Courtage soit déclarée recevable en soutenant que la société Feeleo Patrimoine s'est comportée en co-contractant aux côtés de la société Feeleo 21 depuis le début des relations contractuelles avec lui et que les deux sociétés Feeleo ont eu une présentation trompeuse à son égard puisqu'elles sont structurellement imbriquées et qu'elles ont toutes deux agi de manière à induire une confusion en elles.

La société Astoria Courtage, qui vient aux droits de la société Feeleo Patrimoine, demande la confirmation du jugement. Elle fait valoir que M. [K] a confié la mission d'étude retraite à la société Feeleo 21, selon l'identité clairement inscrite sur les documents contractuels, et qu'elle-même n'était pas partie au contrat et est donc dépourvue de la qualité de défenderesse dans l'instance menée par M. [K] qui était d'ailleurs diligentée à l'origine à l'encontre de la société Feeleo 21. Elle soutient ne s'être jamais immiscée dans le contrat et ne pas détenir le capital de la société Feeleo 21.

Elle indique enfin que M. [K] ne saurait être considéré comme un simple consommateur alors qu'il reconnaît avoir exercé sa carrière en qualité de cadre juridique et n'apporte pas la preuve d'une croyance légitime qu'il ait contracté avec la société Feeleo Patrimoine pour pouvoir prétendre à la théorie du mandat apparent.

Réponse de la cour :

M. [K] recherche la responsabilité contractuelle de son conseiller en gestion de patrimoine.

Le nom commercial utilisé par la société Feeleo 21 à savoir « Feeleo Patrimoine » qui apparaît sur les documents contractuels et l'intervention de la société Feeleo Patrimoine au cours du contrat ont indubitablement induit une confusion entre les deux sociétés qui ont conduit à l'erreur de destinataire de l'assignation du 16 mars 2022.

Pour autant, les éléments produits par M. [K] ne suffisent pas à caractériser, sur le principe de la théorie de l'apparence, que la société Feeleo Patrimoine, avait mandat pour représenter la société Feeleo 21 et encore moins qu'il s'agissait de la même société.

En effet, la lettre de mission du 24 novembre 2015, valant contrat, acceptée par M. [K], comporte clairement, au bas de chaque page paraphée par M. [K], le nom de la société Feeleo 21, sa dénomination sociale, sa forme juridique et son numéro RCS qui sont distincts de la société Feeleo Patrimoine. Ces éléments précis d'identification figurent également en première page du mémorandum remis à M. [K] le 8 mars 2016.

Dans les pièces versées à la cour, il est établi que la seule intervention de la société Feeleo Patrimoine se situe à l'occasion de la réponse du 30 octobre 2020 faite au courrier de réclamation de M. [K] du 6 janvier 2020.

Il en résulte que le véritable co-contractant de M. [K] est la société Feeleo 21, ce sur quoi M. [K] ne s'est pas trompé en demandant à l'huissier de justice d'assigner celle-ci en sa qualité de co-contractant.

Dès lors, la cour confirme le jugement qui a mis hors de la cause la société Astoria Courtage venant aux droits de la société Feeleo Patrimoine, pour défaut de qualité, mais, au vu du comportement de cette société, rejette sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Sur la prescription de l'action à l'égard de la société PCA [Localité 4] ;

Décision critiquée et moyens des parties

Le jugement critiqué a prononcé l'irrecevabilité de l'action dirigée par M. [K] contre la société PCA [Localité 4] venant aux droits de la société Feeleo 21 pour prescription. Il a considéré que le point de départ du délai de prescription était fixé au jour où M. [K] avait eu connaissance des montants notifiés par les différentes caisses de sa retraite et donc que toute demande relative à ses droits à retraite au titre de l'assurance vieillesse générale était prescrite puisque la notification de ses droits datait du 20 mars 2017 et que la première assignation datait du 22 mars 2022. Pour les demandes relatives à ses droits à retraite complémentaire, la prescription était acquise puisque les notifications dataient du 6 avril 2017 (IRCANTEC) et du 14 août 2017 (AGIRC et ARRCO), et qu'aucun acte n'avaient interrompu ce délai : l'assignation du 18 octobre 2022 est intervenue postérieurement au délai de cinq ans et l'assignation du 22 mars 2022 n'était pas interruptive de prescription puisque remise à la société PCA Est.

M. [K] demande l'infirmation du jugement pour absence de prescription en invoquant que la confusion entretenue par les sociétés Feeleo avait uniquement pour but de soulever artificiellement une prescription pour tenter de rendre l'action du concluant irrecevable ; l'assignation qu'il a fait délivrer le 22 mars 2022 a donc interrompu la prescription à l'égard des deux sociétés.

Sur le point de départ de la prescription quinquennale, il soutient qu'il doit être fixé seulement à compter de la réception de la dernière notification de ses droits donc dans les quelques jours suivants la réception du courrier du 14 août 2017, date à laquelle il a eu réellement connaissance de l'ampleur de l'erreur de calcul commise par la société Feeleo.

La société PCA [Localité 4], venant aux droits de la société Feeleo 21, demande la confirmation du jugement et soutient que le délai de prescription court à compter de la remise à M. [K] du mémorandum soit à compter du 8 mars 2016 ; qu'elle est donc prescrite quelle que soit l'assignation retenue ; que si la cour retenait comme point de départ le jour où M. [K] eu connaissance du montant net mensuel de retraite qu'il allait percevoir, le montant de la retraite de base lui a été communiqué le 20 mars 2017, la demande relative à ce montant est donc prescrite ; qu'en tout état de cause, étant la seule à venir aux droits de la société Feeleo, et l'assignation ne lui ayant été délivrée que le 18 octobre 2022, toute demande est prescrite ; que l'assignation du 22 mars 2022 délivrée à la société PCA Est ne saurait interrompre son propre délai de prescription puisqu'il s'agit d'un acte nul en ce qu'il comporte une adresse erronée du siège social de la société assignée, qu'il ne précise par l'organe qui la représente, et qu'il a été remis à la société PCA Est qui ne représente pas la société Feeleo 21 ni la société PCA Feeleo dissoute sans liquidation avec transmission universelle de patrimoine au profit de la société PCA [Localité 4] ; l'assignation du 18 octobre 2022, même jointe à l'instance initiale, ne saurait régulariser rétroactivement celle-ci, la jonction ne créant pas d'instance unique.

Réponse de la cour :

En liminaire, la cour relève que, si un moyen de nullité de l'assignation initiale est évoqué dans le corps des conclusions, aucune exception ne figure dans le dispositif, de sorte que la cour n'en est pas saisie.

S'agissant d'une action en responsabilité, par application des dispositions de l'article 2224 du code civil, le point de départ du délai quinquennal de prescription court à compter de la date à laquelle le dommage s'est réalisé ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance.

En l'espèce, le point de départ du délai de prescription d'une action fondée sur une erreur d'appréciation sur les revenus qu'il tirerait de ses droits à retraite, M. [K] n'en a connaissance qu'au jour de la notification de l'ensemble de ses droits par les différentes caisses de retraites, générale ou complémentaires. Le point de départ doit donc être fixée au 16 août 2017, correspondant à la date du courrier de la notification de ses droits de la dernière caisse de retraite complémentaire augmentée du délai d'acheminement du courrier.

Les seuls actes interruptifs de prescription invoqués par les parties sont les assignations délivrés aux sociétés Feeleo, ou leurs ayants-droit, en 2022.

Comme il a été vu au paragraphe précédent, l'utilisation par la société Feeleo 21 du nom commercial « Feeleo Patrimoine » qui apparaît sur les documents contractuels et le courrier du 30 octobre 2020 qui émane de la société Feeleo Patrimoine, alors que ces deux sociétés ont été créées par la même personne, sont dirigées par les mêmes personnes physiques, ont la même adresse, le même code activité et un objet social similaire induisent une possible confusion entre les deux sociétés.

Les deux sociétés concernées (21 et Patrimoine) ont fait l'objet, entre la souscription du contrat et l'assignation, de fermeture d'établissement, de changement de nom, de changement d'adresse, de transmission à titre universel, radiation, qui ont conduit l'huissier de justice instrumentaire à remettre l'assignation dirigée contre la société Feeleo 21 à une salariée de la société PCA Est venant aux droits de « Feeleo Pat » (selon la mention manuscrite figurant sur la première page de l'assignation). L'imbroglio entre les deux sociétés, corroboré par l'acceptation de la salariée de la société PCA Est qui s'est dite habilitée à recevoir l'acte, est tel que la vigilance de l'auxiliaire de justice, spécialiste de la signification des actes, a été trompée ; ce montage juridique et cette attitude ont eu pour effet, sinon pour finalité, de créer une confusion permettant de tenter d'échapper à sa responsabilité par le biais notamment d'une prescription.

De sorte que, la cour, infirmant le jugement, retient que l'assignation délivrée le 22 mars 2022 à la société PCA Est venant aux droits de « Feeleo Pat » doit être considérée comme ayant été valablement remise à la société Feeleo 21 dont la société PCA [Localité 4] est aujourd'hui l'ayant droit.

Par voie de conséquence, la cour infirmant le jugement, juge que le délai de prescription a été interrompu et que M. [K] est recevable en son action dirigée contre la société PCA [Localité 4].

- Sur les manquements invoqués par M. [K] relatifs aux erreurs de calcul de ses droits à retraite :

Prétentions et moyens des parties :

M. [K] soutient que la société Feeleo a commis un manquement à sa mission et son devoir de conseil en commettant une erreur conséquente dans l'évaluation du montant net mensuel des revenus qu'il percevrait lors de son départ à la retraite puis en lui donnant des conseils en optimisation, notamment ceux afférents à la création d'une SASU, qui se sont révélés insuffisants à combler le manque à gagner de son départ en retraite avancé. Il évoque un différentiel de plus de 800 euros entre le montant annoncé de ses droits à retraite par la société Feeleo et ce qu'il perçoit réellement. Selon lui, ce professionnel du conseil était tenu à une obligation de résultat vis-à-vis de lui, consommateur profane.

Sur le lien de causalité, il fait valoir que c'est à la suite des calculs et conseils de la société PCA [Localité 4], qui se sont révélés erronés, qu'il a décidé de prendre sa retraite en 2017.

La société PCA [Localité 4] soutient que le conseiller n'a commis aucun manquement à son obligation d'information quant à la situation patrimoniale de son client, son niveau de connaissance en matière financière, dans l'établissement de son profil et dans la prise de connaissance des objectifs de M. [K], autant d'éléments qui sont retranscrits dans le mémorandum et qui n'ont fait l'objet d'aucune contestation de sa part ; et qu'il n'a pas davantage commis de manquement quant à son obligation de conseil qui est une obligation de moyen et non de résultat, le droit et la fiscalité étant mouvants par nature ; que M. [K] a été informé des risques et de l'aléa et les a acceptés ; que l'inexécution résulte également du comportement de M. [K] qui a fait le choix d'une options non proposée par le conseiller.

Réponse de la cour :

Quelle que soit la nature de l'obligation de la société PCA [Localité 4], M. [K], demandeur à l'action en responsabilité, doit d'abord établir le fait qu'il invoque, en l'espèce, une erreur dans l'évaluation de ses droits à retraite ; ce n'est que si ce fait est établi, que le juge recherche dans les pièces versées par les parties les éléments permettant de le qualifier de manquement contractuel.

Or, si M. [K] indique percevoir comme revenus réels de retraite la somme mensuelle de 3 532,37 euros net au 1er juillet 2017, il n'en justifie pas. Il se contente de verser aux débats les notifications de ses droits à retraite de l'année 2017 qui, pour ce qui concerne la retraite au titre du régime général de base, est donnée en montants nets, et pour les retraites complémentaires, en montants bruts. Il ne communique pas le taux des prélèvements sociaux appliqué sur ces données brutes permettant la conversion en montant net global afin de les additionner et connaître effectivement son revenu global.

Il compare ensuite ce revenu mensuel de 3 532,37 euros qu'il dit percevoir à l'évaluation faite par la société PCA [Localité 4] dans le mémorandum à savoir 4 391 euros net pour le 31 mars 2017. Or, ce montant était donné dans la situation où M. [K] rachèterait 12 trimestres de cotisation, alors qu'il a fait le choix de n'en racheter que 7, ce qui aurait modifié le montant estimé. L'autre option évaluée par la société PCA [Localité 4] était la situation où il ne procédait à aucun rachat de trimestre ; dans ce cas, en juillet 2017, il aurait eu 154 trimestres et aurait perçu une somme inférieure à 3 896 euros net par mois.

Ainsi, M. [K] ne met pas la cour en situation de pouvoir comparer les revenus estimés et ses revenus réels et donc de retenir l'existence d'un différentiel substantiel entre les deux.

Celui-ci ne saurait se réfugier derrière le courrier du 30 octobre 2020 dans lequel un salarié de la société Feeleo, autre que celui qui avait rédigé le mémorandum, s'est penché sur ce différentiel ; en effet, dans ce courrier, il s'agit d'une comparaison entre les revenus de retraite réellement perçus par M. [K] en 2020 (sur la base des éléments communiqués par ce dernier, dit le courrier, mais dont la cour n'a pas connaissance) et les estimations chiffrées qui seraient tirées du mémorandum mais que la cour ne peut vérifier puisque les chiffres donnés en brut apparaissent en net sans explication sur la conversion.

Ainsi l'existence et l'importance de la différence alléguée n'étant pas établie, la cour déboute M. [K] de toutes ses demandes (pertes de revenus, préjudice moral et résistance abusive, frais irrépétibles). Il sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au vu du comportement de la société Feeleo 21, sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique :

Infirme le jugement rendu entre les parties le 10 janvier 2024 par le tribunal de commerce de Besançon sauf en ce qu'il a mis hors de la cause la SASU Astoria Courtage ;

Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Déclare M. [R] [K] recevable en ses demandes dirigées contre la SARL PCA [Localité 4] mais rejette celles-ci dans leur intégralité :

Condamne M. [R] [K] aux entiers dépens de première instance d'appel ;

Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute toutes les parties de leurs demandes.

Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,

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