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Décisions

CA Lyon, ch. juridiction premier président, 10 juin 2025, n° 25/00065

LYON

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Ethic Capital (SARL)

Défendeur :

Personae Patrimoine (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bardoux

Conseiller :

M. Bardoux

Avocats :

Me Heraud, Me Bramard, SCP Juri-Europ

CA Lyon n° 25/00065

9 juin 2025

EXPOSE DU LITIGE

La S.A.R.L. Ethic Capital, ayant pour activité la gestion de patrimoine et le conseil patrimoine, a reproché à M. [H] [X], ancien salarié licencié le 31 juillet 2023, de s'être livré à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme avec la création en septembre 2023 de la S.A.R.L. Personae Patrimoine affiliée à la plate-forme Via Plateforme Patrimoine puis en avril 2024 la société IPersonae, directement concurrentes dans les domaines du conseil en gestion de patrimoine et du conseil en investissements financiers.

La société Ethic Capital a déposé une requête le 24 juin 2024 auprès du président du tribunal de commerce de Lyon afin qu'il autorise la réalisation d'un constat afin de conserver ou d'établir, avant tout procès, les preuves des agissements déloyaux de la société Personae Patrimoine.

Par ordonnance du 4 septembre 2024, le président du tribunal de commerce de Lyon a ordonné une mesure d'investigation et de saisie des données informatiques de M. [X] et de la société Personae Patrimoine.

La mesure d'investigation et de saisie a été exécutée les 25, 26 et 27 septembre 2024.

La société Personae Patrimoine et M. [X] ont alors saisi le président du tribunal de commerce de Lyon d'une requête en rétractation de l'ordonnance du 4 septembre 2024.

Par ordonnance contradictoire du 10 mars 2025, le président du tribunal des activités économiques de Lyon a notamment :

- rétracté dans son intégralité l'ordonnance rendue le 4 septembre 2024 en l'absence d'utilité et de proportionnalité,

- ordonné la restitution par le commissaire de justice à la société Personae Patrimoine et à M. [X] de tous les éléments ayant fait l'objet de la saisie à compter du prononcé de la décision,

- condamné la société Ethic Capital à payer à la société Personae Patrimoine et à M. [X] la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Ethic Capital a interjeté appel de l'ordonnance le 18 mars 2025.

Par acte du 20 mars 2025, la société Ethic Capital a assigné en référé M. [X] et la société Personae Patrimoine devant le premier président aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire.

A l'audience du 19 mai 2025 devant le délégué du premier président, les parties, régulièrement représentées, s'en sont remises à leurs écritures, qu'elles ont soutenues oralement.

Dans son assignation, la société Ethic Capital soutient au visa de l'article 514-3 du Code de procédure civile l'existence de moyens sérieux de réformation tenant à la suffisance des indices et à la suspicion de concurrence déloyale constituant un motif légitime. Elle relève que la motivation de l'ordonnance est contra legem voire illicite car le président a identifié plusieurs indices de concurrence déloyale, à savoir la création d'une société concurrente sans agrément, la participation aux réunions du réseau professionnel d'Ethic Capital (BNI) pendant l'arrêt maladie de M. [X], la perte de neuf clients au profit de la société Via Patrimoine. Dès lors, elle en déduit que le président n'a pas tiré toutes les conséquences de ses constatations objectives.

Ensuite, la société Ethic Capital fait valoir l'existence de conséquences manifestement excessives en ce que la restitution ordonnée conduirait de facto à la suppression pure et simple des données saisies et viendrait la priver de la possibilité de démontrer, au-delà des indices qu'elle a présentés, les agissements de concurrence déloyale à son encontre ainsi que de la possibilité de réclamer des dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

Dans leurs conclusions déposées au greffe par RPVA le 14 avril 2025, M. [X] et la société Personae Patrimoine demandent au délégué du premier président de :

- déclarer les prétentions de la société Ethic Capital irrecevables et mal fondées,

- rejeter l'intégralité des prétentions de la société Ethic Capital,

- ordonner la restitution par le commissaire de justice à la société Personae Patrimoine et à M. [X] de tous les éléments ayant fait l'objet de la saisie,

- condamner la société Ethic Capital à leur verser la somme de 2 500 € chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ils soutiennent tout d'abord l'irrecevabilité de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire au motif que la société Ethic Capital n'a, à aucun moment de la procédure de première instance, formulé la moindre demande tenant à l'arrêt de l'exécution provisoire.

Ils font observer que la société Ethic Capital ne démontre pas l'existence d'éléments nouveaux survenus postérieurement à la décision de première instance, susceptibles de justifier de l'introduction tardive de cette demande. Ils sollicitent donc que la demande d'arrêt de l'exécution provisoire soit écartée car irrecevable.

Ils font valoir ensuite l'irrecevabilité et le caractère mal fondé de la demande en l'absence de moyens sérieux d'annulation ou de réformation. Ils estiment que la demande est dépourvue de tout motif légitime en l'absence de concurrence déloyale, le principe de la libre concurrence s'appliquant et les griefs formulés étant artificiels.

Ils rappellent aussi que le président du tribunal a relevé que la prétendue absence d'agrément ne présentait aucun lien avec les éléments de preuve à réunir dans le cadre de la mesure sollicitée, et ce dans la mesure où il n'existe aucune opacité sur ce point car ils exercent leur activité en toute légalité.

Ils estiment que les demandes de pièces ne présentent aucun lien avec la question des obligations d'agrément ou d'immatriculation, ce qui fait que la mesure était donc à cet égard disproportionnée voire inutile. Ils indiquent d'ailleurs qu'un contrôle de l'ACPR a été réalisé sur les activités de M. [X] et a conclu à leur validité sur la période considérée.

Enfin, ils réfutent toute conséquence manifestement excessive en ce que non seulement la société Ethic Capital ne justifie pas du chiffre d'affaires évoqué forfaitisé à 60 000 € mais elle a volontairement dissimulé lors de la requête une dernière information déterminante à savoir qu'elle est indemnisée du départ de chacun de ses clients par les conventions de courtage, ce dont ils justifient pour chacune des personnes visées à la requête. Ils en concluent que même en suivant le raisonnement de la société Ethic Capital, il ne resterait rien à indemniser au titre du prétendu détournement de clientèle ni aucune information à obtenir puisque la société Ethic Capital connaît parfaitement les montants qui lui sont versés et que dès lors qu'elle a admis une indemnisation contractuelle, elle ne peut solliciter une indemnisation ou une réparation par un autre biais.

Ils soulignent que les ordres de remplacement adressés à la société Ethic Capital témoignent du fait qu'elle n'était pas en mesure de conserver ses clients puisque cela lui donnait la possibilité de se rapprocher d'eux afin d'échanger sur ce souhait.

Dans ses conclusions déposées au greffe par RPVA le 7 mai 2025, la société Ethic Capital maintient les demandes contenues dans son assignation.

Elle soutient être recevable à solliciter l'arrêt de l'exécution provisoire dans la mesure où, le juge ne pouvant pas écarter l'exécution provisoire de droit lorsqu'il statue en référé, il ne peut être reproché au demandeur de ne pas avoir sollicité du juge de première instance qu'il écarte ladite exécution.

Elle rappelle également, s'agissant du moyen relatif à l'absence d'agrément, qu'à l'époque litigieuse, la société Personae Patrimoine ne disposait pour sa part d'aucun agrément et ne justifie d'ailleurs pas d'en disposer à l'heure actuelle. Elle explique que la société IPersonae n'a obtenu les agréments nécessaires que fin avril 2024 alors que les transferts, qu'ils soient intervenus auprès de la société IPersonae ou Personae Patrimoine, sont presque tous intervenus avant la fin avril 2024, c'est-à-dire à une date où elles ne possédaient pas lesdits agréments.

Elle insiste par ailleurs sur le fait que M. [X], placé en arrêt maladie, n'était pas autorisé à se rendre aux réunions du réseau professionnel BNI or, il y participait en qualité de salarié de la société Ethic Capital, alors membre du BNI. Elle considère que le fait que le transfert de 9 clients au profit de la société Via Patrimoine ait ou non donné lieu à indemnisation est parfaitement indifférent. Elle indique que le préjudice n'est pas une condition requise aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, même si dans son cas il est caractérisé.

Enfin, elle expose que le commissaire de justice était autorisé à prendre connaissance des courriels ou courriers adressés par M. [X] aux clients visés par l'ordonnance ou relatifs à la société Ethic Capital et que leur date ou leur contenu sont susceptibles de confirmer l'existence d'une concurrence déloyale.

Dans leurs conclusions déposées au greffe par RPVA le 14 mai 2025, M. [X] et la société Personae Patrimoine maintiennent les demandes contenues dans leurs précédentes conclusions.

Ils insistent notamment sur le fait que la société Ethic Capital n'apporte aucun élément de preuve de son préjudice, ce qui permet de douter de son intérêt à agir.

Pour satisfaire aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties, à la décision déférée, aux conclusions régulièrement déposées et ci-dessus visées, comme pour l'exposé des moyens à l'énoncé qui en sera fait ci-dessous dans les motifs.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire

Attendu que les défendeurs soutiennent au visa de l'article 514-3 du Code de procédure civile que la demande d'arrêt de l'exécution provisoire de la société Ethic Capital est irrecevable en ce qu'elle n'a présenté aucune observation devant le président du tribunal de commerce sur la question de l'exécution provisoire et en ce qu'elle ne rapporte pas la preuve de conséquences manifestement excessives révélées depuis qu'il a statué ;

Attendu que comme l'invoque la société Ethic Capital, l'article 514-1 du Code de procédure civile dispose que «Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire.

Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.

Par exception, le juge ne peut écarter l'exécution provisoire de droit lorsqu'il statue en référé, qu'il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l'instance, qu'il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu'il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état. » ;

Attendu qu'il n'est pas discuté par les parties que le président du tribunal de commerce de Lyon a été saisi en application de l'alinéa 2 de l'article 496 du Code de procédure civile qui prévoit que «s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance» et qu'il a statué à tout le moins en la forme des référés ;

Attendu qu'une ordonnance dite de «référé rétractation» est de plein droit exécutoire par provision en ce qu'elle constitue une procédure accélérée au fond au sens des dispositions des articles 481-1 et 876-1 du Code de procédure civile s'assimilant au référé visé dans l'article 514-1 comme ne permettant pas au juge saisi d'écarter l'exécution provisoire ;

Qu'il était alors interdit à ce président d'écarter l'exécution provisoire de sa décision d'ailleurs dite rendue par la «juridiction des référés», et il était inopérant à double titre de le saisir d'observations sur le risque de conséquences manifestement excessif susceptible d'être encouru par la société Ethic Capital, à raison des termes de l'alinéa 3 de l'article 514-1 qui lui interdisent d'écarter l'exécution provisoire et ensuite en ce que ces éventuelles observations n'auraient pas nécessairement répondu au critère du premier alinéa du même texte ;

Attendu que la société Ethic Capital n'encourt pas cette irrecevabilité et est déclarée recevable en sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire ;

Sur le bien fondé de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire

Attendu que l'exécution provisoire de droit dont est assortie l'ordonnance rendue le 10 mars 2025 par le président du tribunal des activités économiques de Lyon ne peut être arrêtée, que conformément aux dispositions de l'article 514-3 du Code de procédure civile, et lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ; que ces deux conditions sont cumulatives ;

Attendu que s'agissant de l'existence de conséquences manifestement excessives, il y a lieu de rappeler qu'il appartient seulement au premier président de prendre en compte les risques générés par la mise à exécution de la décision rendue en fonction des facultés de remboursement de l'intimé si la décision était infirmée, mais également de la situation personnelle et financière du débiteur ;

Qu'en outre, le caractère manifestement excessif des conséquences de la décision rendue ne saurait exclusivement résulter de celles inhérentes à la mise à exécution d'une obligation de faire, mais ces conséquences doivent présenter un caractère disproportionné ou irréversible ;

Attendu que la société Ethic Capital soutient que l'exécution provisoire de l'ordonnance de rétractation et leur restitution va conduire à un dépérissement des données informatiques inhérent à leur nature, la société Personae patrimoine et M. [X] pouvant procéder à leur suppression pure et simple ;

Attendu que les défendeurs sont infondés à soutenir qu'il appartient à la société la société Ethic Capital de fournir des éléments de preuve de son préjudice, alors même qu'elle se trouve par nature dans l'ignorance comme le délégué du premier président du résultat des investigations et saisies réalisées par le commissaire de justice instrumentaire ;

Que l'existence ou l'absence d'un préjudice résultant d'une éventuelle concurrence déloyale est en l'espèce inopérante s'agissant du risque de conséquences manifestement excessives invoqué par la société Ethic Capital ;

Attendu que M. [X] et la société Personae Patrimoine procèdent par allégations concernant le contenu de ces investigations et en estimant qu'elles ne recèlent que des contrats de clients sur lesquels la société Ethic Capital sollicite des informations ;

Attendu que le ou les procès-verbaux dressés par le commissaire de justice en exécution de l'ordonnance du 4 septembre 2024 n'a ou n'ont pas été versés aux débats et la société demanderesse ne permet pas plus au délégué du premier président de procéder à une vérification concrète du type et du volume des documents saisis, et en particulier de la possibilité éventuelle pour ses adversaires de procéder à leur destruction définitive ;

Que cette carence interdit à la société Ethic Capital de faire présumer la fragilité intrinsèque des éléments recueillis uniquement décrits comme composés de correspondances électroniques et de documents figurant sur un support informatique ;

Attendu qu'elle ne peut ainsi se contenter d'alléguer des conséquences irréversibles sans tenter de préciser les documents qu'elle ne serait pas susceptible de disposer en cas d'infirmation de l'ordonnance de rétractation et en quoi ils sont de nature à être détruits définitivement ;

Attendu que sa demande en arrêt de l'exécution provisoire est rejetée en l'état de cette carence et sans avoir besoin d'apprécier le sérieux des moyens de réformation qu'elle articule ;

Sur la demande de restitution des documents saisis

Attendu que M. [X] et la société Personae Patrimoine sollicitent du délégué du premier président qu'il ordonne la restitution par le commissaire de justice de tous les éléments ayant fait l'objet de la saisie ;

Que cette prétention échappe au pouvoir juridictionnel du premier président et au surplus, il est relevé que le président du tribunal des activités économiques a d'ores et déjà statué positivement ;

Attendu qu'elle est déclarée irrecevable ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Attendu que compte tenu du résultat obtenu par les parties et du fait qu'il leur était aisé dans le cadre de l'appel de laisser les documents saisis entre les mains du commissaire de justice dans l'attente de l'arrêt à intervenir, elles doivent garder la charge de leurs propres dépens et la demande respectivement présentée par les défendeurs au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ne peut prospérer ;

PAR CES MOTIFS

Nous, Pierre Bardoux, délégué du premier président, statuant publiquement, en référé, par ordonnance contradictoire,

Vu la déclaration d'appel du 18 mars 2025,

Déclarons recevable, mais rejetons la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par la S.A.R.L. Ethic Capital,

Déclarons irrecevable la demande de restitution présentée par la S.A.R.L. Personae Patrimoine et par M. [H] [X],

Disons que chaque partie garde la charge de ses propres dépens et rejetons la demande présentée par la S.A.R.L. Personae Patrimoine et par M. [H] [X] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

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