CA Bordeaux, 4e ch. com., 10 juin 2025, n° 24/05424
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 10 JUIN 2025
N° RG 24/05424 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-OCCD
S.A.R.L. I.BOAT
c/
S.E.L.A.R.L. ARVA
S.C.P. SILVESTRI BAUJET
Nature de la décision : AU FOND
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 décembre 2024 (R.G. 2023J00368) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 16 décembre 2024
APPELANTE :
S.A.R.L. I.BOAT, RCS 532 431 723, agissant en la personne de son gérant en exercice, Monsieur [S] [C], domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]
Représentée par Maître Louis COULAUD de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. ARVA, prise en la personne de Maître [Y] [T], ès qualité d'administrateur judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la SARL I.BOAT, nommé à cette fonction par jugement du 5 avril 2023, et ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement, nommé à cette fonction par jugement du 4 décembre 2024, dont le siège est situé [Adresse 3]
Non représentée
S.C.P. SILVESTRI BAUJET, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL I.BOAT, nommée à cette fonction selon jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 5 avril 2023, domicilié en cette qualité [Adresse 2]
Représentée par Maître Patrick TRASSARD de la SELARL TRASSARD & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 avril 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE:
La SARL Iboat exerce son activité de bar et club dans un ancien ferry amarré au bassin à flot à [Localité 4].
A la suite de sa déclaration de cessation des paiements, le tribunal de commerce de Bordeaux a, par jugement en date du 5 avril 2023, ouvert à son égard une procédure de redressement judiciaire, a nommé la SELARL Arva en qualité d'administrateur judiciaire et la SCP Silvestri Baujet en qualité de mandataire judiciaire.
Au terme de la période d'observation, la société a présenté un plan de redressement.
Par jugement du 4 décembre 2024, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit:
Vu le rapport du juge-commissaire,
Après avoir entendu le ministère public,
- considère que le plan proposé par la société I. Boat SARL permet la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi ainsi que l'apurement du passif, conformément aux prescriptions de l'article L.631-1 du code de commerce.
- rejette la requête en liquidation judiciaire,
- arrête le plan de redressement proposé par Madame [R] [D], en sa qualite de représentante légale de la société I. Boat SARL et la désigne comme tenue de la bonne exécution du plan ;
En application de l'article L.626-12 du code de commerce, le tribunal fixe la durée du plan à 9 ans, soit jusqu'au 4 décembre 2033,
- prend acte de l'acceptation expresse de ce plan par 31 créanciers, représentant 46,48 % du passif soumis au plan:
- dit que pour les 28 créanciers restés taisant, représentant 19,72% du passif soumis, l'absence de réponse vaut accord tacite, ce qui porte à 59 le nombre de créanciers ayant donné leur accord, représentant 66,2 % du passif soumis au plan.
- dit que pour les créanciers ayant accepté le plan, de manière expresse ou tacite, les remboursements du passif échu et à échoir s'effectueront donc à 100 % en 9 pactes annuels progressifs de 3% la première année, de 5% la deuxième année, de 7% la troisième année, de 11 % la quatrième année, de 12% la cinquième année, de 14% la sixième année, et de 16% des années 7 à 9, le paiement du premier pacte intervenant à la première date anniversaire du jugement arrêtant le plan de redressement.
- prend acte du refus initial de ce plan par 4 créanciers, représentant 33,80% du montant du passif soumis au plan, soit les deux créanciers fiscaux et sociaux qui au 29 octobre 2024 étaient réglés des créances postérieures,
- dit que pour les créanciers ayant refusé le plan, le tribunal leur impose les mêmes
délais,
- dit que les créances superprivilégiées et/ou privilégiées des salariés seront réglées dès l'adoption du plan,
- prend acte de la mise en place d'un moratoire par les AGS, accepté par courrier du 18 octobre 2024, avec un remboursement étalé sur 15 mois des 86 226,88 euros dus par la société I. Boat,
- dit que les créances de moins de 500 euros d'un montant de 3 124,15 euros seront remboursées immédiatement, dans la limite de 5 % du passif,
- rappelle que les créances contestées ne seront réglées, selon les dispositions du plan, qu'a partir de leur admission définitive,
- nomme la SELARL Arva, sise [Adresse 3], en qualité de commissaire à l'exécution du plan, avec les missions et pouvoirs qui lui sont donnés par le code de commerce ; il rappelle toutefois que la Scp Sivestri-baujet, sise [Adresse 2], demeure en fonctions en sa qualité de mandataire judiciaire pour la vérification des créances,
- ordonne au débiteur de verser entre les mains du commissaire à l'exécution du plan les sommes destinées au remboursement des créanciers ; fixé le principe de règlements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées et justifiées tous les 6 mois auprès du commissaire à l'exécution.
- dit que le juge-commissaire restera en fonctions jusqu'à la clôture de la procédure et procèdera au contrôle des éléments joints au rapport du commissaire à l'exécution du plan,
- met fin à la mission de l'administrateur judiciaire,
- dit que le commissaire à l'exécution du plan assurera les missions et utilisera les pouvoirs et les moyens prévus par le code de commerce ainsi que les missions particulières fixées par le présent jugement ; il fera immédiatement rapport au président du tribunal et au procureur de la République en cas d'inexécution du plan,
- demande, dans le cadre de ces missions particulières, au commissaire à l'exécution du plan de répartir entre les créanciers les sommes reçues du débiteur en paiement des pactes du plan ; il devra également surveiller la situation financière de la société et exiger la remise des documents comptables et de prévisions de trésorerie dans les 5 semaines suivant la fin de chaque semestre social, attestés par un expert-comptable,
- demande au commissaire à l'exécution du plan de faire un rapport annuel sur l'exécution des engagements du débiteur qui sera déposé par ses soins au greffe du tribunal et tenu à disposition du procureur de la République et de tout créancier et ce dans le délai maximum de 30 jours des dates d'échéances fixées pour ces engagements.
- dit que le mandat du commissaire à l'exécution du plan prendra fin avec le jugement constatant que l'exécution du plan est achevée ou, le cas échéant, avec le jugement du tribunal prononçant sa résolution.
- invite le commissaire à l'exécution du plan à le saisir pour constater que l'exécution du plan est achevée dans un délai maximum de six mois à compter de la fin du plan.
- Prononce l'inaliénabilité du fonds de commerce de la société I. Boat SARL et des biens qui le composent, sauf en ce qui concerne les biens corporels, en cas de remplacement par des biens d'une valeur équivalente ou supérieure, pendant toute la durée du plan afin d'en garantir la bonne exécution,
- Rappelle qu'en application de l'article L.626-13 du code du commerce, l'arrêt du plan entraine la levée de plein droit de toute interdiction d'émettre des chèques conformément à l'arlicle L 131-73 du code monétaire et financier, mise en 'uvre à l'occasion du rejet d'un chèque émis avant le jugement d'ouverture de la procédure.
- Ordonne les publicités, mentions, notifications prévues par les articles R 626-20 et R626-21 du code de commerce.
Par déclaration au greffe du 16 décembre 2024, la SARL Iboat a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SELARL Arva et la SCP Silvestri Baujet.
Par acte de commissaire de justice du 16 janvier 2025, l'appelant a fait signifier à la SARL Arva ès qualités la déclaration d'appel, l'avis d'orientation, l'avis de jonction et les conclusions d'appelant. La société Arva ne s'est pas constituée.
L'affaire n°RG24/05454 a été jointe à l'affaire n°RG24/05424.
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 15 avril 2025.
Par avis du 20 février 2025, le Ministère public a sollicité l'infirmation du jugement, relatif à l'adoption d'un plan de redressement imposant des charges autres que les engagements souscrits par la dirigeante.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 8 janvier 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la SARL Iboat demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles L.232-22, L.626-10 L.626-18 et L 626-25 du code de
commerce,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces visées,
Vu ce qui précède,
- Infimer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 4
décembre 2024 en ce qu'il :
Fixe le principe de règlements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées et justifiées tous les 6 mois auprès de commissaire à l'exécution
Demande au commissaire à l'exécution du plan de surveiller la situation financière de la société et exiger la remise des documents comptables et de prévision de trésorerie dans les 5 semaines suivant la fin de chaque semestre social, attestés par un expert-comptable
Statuant à nouveau :
- Dit que la SARL I.Boat remboursera annuellement les pactes du plan à la date anniversaire du plan, la première échéance devant intervenir à la date anniversaire du plan ;
- Dit que le commissaire à l'exécution du plan exercera sa mission dans le strict cadre de l'article L 626-25 du code de commerce ;
Et,
- Juger que les dépens de la présente instance seront pris en charge par le Trésor Public.
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 27 janvier 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la SCP Silvestri Baujet ès qualités demande à la cour de :
- lui donner acte à la SCP Silvestri Baujet ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL I.Boat qu'elle s'en remet à la sagesse de la Cour sur l'appel sur la validité de l'appel.
- condamner la SARL Iboat aux entiers dépens.
La déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante ont été signifiées à personne habilitée par acte du 16 janvier 2025 à la Selarl Arva, prise en la personne de Maître [T], en sa qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan.
Celle-ci n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er avril 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DECISION :
1- Selon les dispositions de l'article L.626-18 du code de commerce, le tribunal donne acte des délais et remises acceptés par les créanciers dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 626-5 et à l'article L. 626-6. Ces délais et remises peuvent, le cas échéant, être réduits par le tribunal.
Le tribunal homologue les accords de conversion en titres acceptés par les créanciers dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 626-5, sauf s'ils portent atteinte aux intérêts des autres créanciers. Il s'assure également, s'il y a lieu, de l'approbation des assemblées mentionnées à l'article L. 626-3.
Pour les créanciers autres que ceux visés aux premier et deuxième alinéas du présent article, lorsque les délais de paiement stipulés par les parties avant l'ouverture de la procédure sont supérieurs à la durée du plan, le tribunal ordonne le maintien de ces délais.
Dans les autres cas, le tribunal impose des délais uniformes de paiement, sous réserve du cinquième alinéa du présent article. Le premier paiement ne peut intervenir au-delà d'un délai d'un an. Le montant de chacune des annuités prévues par le plan, à compter de la troisième, ne peut être inférieur à 5 % de chacune des créances admises, et, à compter de la sixième année, à 10 %, sauf dans le cas d'une exploitation agricole.
2- Selon les dispositions de l'article L.626-10 alinéa 4 du code de commerce, les personnes qui exécuteront le plan, même à titre d'associés, ne peuvent pas se voir imposer des charges autres que les engagements qu'elles ont souscrits au cours de sa préparation, sous réserve des dispositions prévues à l'article L. 626-3.
3- Le jugement arrêtant le plan a prévu des réglements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées et justifiées tous les 6 mois auprès du commissaire à l'exécution du plan, ce qui n'est ni conforme au projet de plan (pièce 4 de l'appelante), prévoyant un apurement de 100 % des créances sur une durée de 9 ans par annuités progressives, ni aux dispositions précitées de l'article L.626-18.
En outre, lors de l'audience, puis par note en délibéré de son conseil du 26 novembre 2024, la société avait fait part de son refus de ces modalités de paiement, selon elle techniquement complexes, et qui constituent en toutes hypothèses une charge supplémentaire.
4- En outre, dés lors qu'elle constituerait également une obligation supplémentaire non acceptée, il n'y a pas lieu de prévoir que le commissaire à l'exécution du plan pourra exiger la remise des documents comptables et de prévision de trésorerie dans les 5 semaines suivant la fin de chaque semestre social, attestés par un expert-comptable, alors qu'en la matière, la seule exigence légale est celle du dépot des comptes annuels, ainsi que prévu par l'article L. 232-22 du code de commerce, selon lesquelles toute société à responsabilité limitée est tenue de déposer ses comptes annuels au greffe du tribunal, pour être annexés au registre du commerce et des sociétés, dans le mois suivant leur approbation des comptes par l'assemblée ordinaire des associés ou par l'associé unique ou dans les deux mois suivant cette approbation lorsque ce dépôt est effectué par voie électronique.
5- Dès lors, le jugement sera infirmé sur ces deux points.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort :
Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 4 décembre 2024 en ce qu'il :
Fixe le principe de règlements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées et justifiées tous les 6 mois auprès de commissaire à l'exécution,
Demande au commissaire à l'exécution du plan de surveiller la situation financière de la société et exiger la remise des documents comptables et de prévision de trésorerie dans les 5 semaines suivant la fin de chaque semestre social, attestés par un expert-comptable,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à règlements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées ni à justificatifs tous les 6 mois auprès de commissaire à l'exécution,
Dit que la SARL Iboat remboursera annuellement les pactes du plan à la date anniversaire du plan, la première échéance devant intervenir à la date anniversaire du plan,
Dit que la mission du commissaire à l'exécution du plan sera exécutée conformément aux dispositions de l'article L.626-25 du code de commerce,
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure de redressement judiciaire.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 10 JUIN 2025
N° RG 24/05424 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-OCCD
S.A.R.L. I.BOAT
c/
S.E.L.A.R.L. ARVA
S.C.P. SILVESTRI BAUJET
Nature de la décision : AU FOND
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 décembre 2024 (R.G. 2023J00368) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 16 décembre 2024
APPELANTE :
S.A.R.L. I.BOAT, RCS 532 431 723, agissant en la personne de son gérant en exercice, Monsieur [S] [C], domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]
Représentée par Maître Louis COULAUD de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. ARVA, prise en la personne de Maître [Y] [T], ès qualité d'administrateur judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la SARL I.BOAT, nommé à cette fonction par jugement du 5 avril 2023, et ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement, nommé à cette fonction par jugement du 4 décembre 2024, dont le siège est situé [Adresse 3]
Non représentée
S.C.P. SILVESTRI BAUJET, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL I.BOAT, nommée à cette fonction selon jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 5 avril 2023, domicilié en cette qualité [Adresse 2]
Représentée par Maître Patrick TRASSARD de la SELARL TRASSARD & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 avril 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE:
La SARL Iboat exerce son activité de bar et club dans un ancien ferry amarré au bassin à flot à [Localité 4].
A la suite de sa déclaration de cessation des paiements, le tribunal de commerce de Bordeaux a, par jugement en date du 5 avril 2023, ouvert à son égard une procédure de redressement judiciaire, a nommé la SELARL Arva en qualité d'administrateur judiciaire et la SCP Silvestri Baujet en qualité de mandataire judiciaire.
Au terme de la période d'observation, la société a présenté un plan de redressement.
Par jugement du 4 décembre 2024, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit:
Vu le rapport du juge-commissaire,
Après avoir entendu le ministère public,
- considère que le plan proposé par la société I. Boat SARL permet la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi ainsi que l'apurement du passif, conformément aux prescriptions de l'article L.631-1 du code de commerce.
- rejette la requête en liquidation judiciaire,
- arrête le plan de redressement proposé par Madame [R] [D], en sa qualite de représentante légale de la société I. Boat SARL et la désigne comme tenue de la bonne exécution du plan ;
En application de l'article L.626-12 du code de commerce, le tribunal fixe la durée du plan à 9 ans, soit jusqu'au 4 décembre 2033,
- prend acte de l'acceptation expresse de ce plan par 31 créanciers, représentant 46,48 % du passif soumis au plan:
- dit que pour les 28 créanciers restés taisant, représentant 19,72% du passif soumis, l'absence de réponse vaut accord tacite, ce qui porte à 59 le nombre de créanciers ayant donné leur accord, représentant 66,2 % du passif soumis au plan.
- dit que pour les créanciers ayant accepté le plan, de manière expresse ou tacite, les remboursements du passif échu et à échoir s'effectueront donc à 100 % en 9 pactes annuels progressifs de 3% la première année, de 5% la deuxième année, de 7% la troisième année, de 11 % la quatrième année, de 12% la cinquième année, de 14% la sixième année, et de 16% des années 7 à 9, le paiement du premier pacte intervenant à la première date anniversaire du jugement arrêtant le plan de redressement.
- prend acte du refus initial de ce plan par 4 créanciers, représentant 33,80% du montant du passif soumis au plan, soit les deux créanciers fiscaux et sociaux qui au 29 octobre 2024 étaient réglés des créances postérieures,
- dit que pour les créanciers ayant refusé le plan, le tribunal leur impose les mêmes
délais,
- dit que les créances superprivilégiées et/ou privilégiées des salariés seront réglées dès l'adoption du plan,
- prend acte de la mise en place d'un moratoire par les AGS, accepté par courrier du 18 octobre 2024, avec un remboursement étalé sur 15 mois des 86 226,88 euros dus par la société I. Boat,
- dit que les créances de moins de 500 euros d'un montant de 3 124,15 euros seront remboursées immédiatement, dans la limite de 5 % du passif,
- rappelle que les créances contestées ne seront réglées, selon les dispositions du plan, qu'a partir de leur admission définitive,
- nomme la SELARL Arva, sise [Adresse 3], en qualité de commissaire à l'exécution du plan, avec les missions et pouvoirs qui lui sont donnés par le code de commerce ; il rappelle toutefois que la Scp Sivestri-baujet, sise [Adresse 2], demeure en fonctions en sa qualité de mandataire judiciaire pour la vérification des créances,
- ordonne au débiteur de verser entre les mains du commissaire à l'exécution du plan les sommes destinées au remboursement des créanciers ; fixé le principe de règlements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées et justifiées tous les 6 mois auprès du commissaire à l'exécution.
- dit que le juge-commissaire restera en fonctions jusqu'à la clôture de la procédure et procèdera au contrôle des éléments joints au rapport du commissaire à l'exécution du plan,
- met fin à la mission de l'administrateur judiciaire,
- dit que le commissaire à l'exécution du plan assurera les missions et utilisera les pouvoirs et les moyens prévus par le code de commerce ainsi que les missions particulières fixées par le présent jugement ; il fera immédiatement rapport au président du tribunal et au procureur de la République en cas d'inexécution du plan,
- demande, dans le cadre de ces missions particulières, au commissaire à l'exécution du plan de répartir entre les créanciers les sommes reçues du débiteur en paiement des pactes du plan ; il devra également surveiller la situation financière de la société et exiger la remise des documents comptables et de prévisions de trésorerie dans les 5 semaines suivant la fin de chaque semestre social, attestés par un expert-comptable,
- demande au commissaire à l'exécution du plan de faire un rapport annuel sur l'exécution des engagements du débiteur qui sera déposé par ses soins au greffe du tribunal et tenu à disposition du procureur de la République et de tout créancier et ce dans le délai maximum de 30 jours des dates d'échéances fixées pour ces engagements.
- dit que le mandat du commissaire à l'exécution du plan prendra fin avec le jugement constatant que l'exécution du plan est achevée ou, le cas échéant, avec le jugement du tribunal prononçant sa résolution.
- invite le commissaire à l'exécution du plan à le saisir pour constater que l'exécution du plan est achevée dans un délai maximum de six mois à compter de la fin du plan.
- Prononce l'inaliénabilité du fonds de commerce de la société I. Boat SARL et des biens qui le composent, sauf en ce qui concerne les biens corporels, en cas de remplacement par des biens d'une valeur équivalente ou supérieure, pendant toute la durée du plan afin d'en garantir la bonne exécution,
- Rappelle qu'en application de l'article L.626-13 du code du commerce, l'arrêt du plan entraine la levée de plein droit de toute interdiction d'émettre des chèques conformément à l'arlicle L 131-73 du code monétaire et financier, mise en 'uvre à l'occasion du rejet d'un chèque émis avant le jugement d'ouverture de la procédure.
- Ordonne les publicités, mentions, notifications prévues par les articles R 626-20 et R626-21 du code de commerce.
Par déclaration au greffe du 16 décembre 2024, la SARL Iboat a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SELARL Arva et la SCP Silvestri Baujet.
Par acte de commissaire de justice du 16 janvier 2025, l'appelant a fait signifier à la SARL Arva ès qualités la déclaration d'appel, l'avis d'orientation, l'avis de jonction et les conclusions d'appelant. La société Arva ne s'est pas constituée.
L'affaire n°RG24/05454 a été jointe à l'affaire n°RG24/05424.
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 15 avril 2025.
Par avis du 20 février 2025, le Ministère public a sollicité l'infirmation du jugement, relatif à l'adoption d'un plan de redressement imposant des charges autres que les engagements souscrits par la dirigeante.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 8 janvier 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la SARL Iboat demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles L.232-22, L.626-10 L.626-18 et L 626-25 du code de
commerce,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces visées,
Vu ce qui précède,
- Infimer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 4
décembre 2024 en ce qu'il :
Fixe le principe de règlements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées et justifiées tous les 6 mois auprès de commissaire à l'exécution
Demande au commissaire à l'exécution du plan de surveiller la situation financière de la société et exiger la remise des documents comptables et de prévision de trésorerie dans les 5 semaines suivant la fin de chaque semestre social, attestés par un expert-comptable
Statuant à nouveau :
- Dit que la SARL I.Boat remboursera annuellement les pactes du plan à la date anniversaire du plan, la première échéance devant intervenir à la date anniversaire du plan ;
- Dit que le commissaire à l'exécution du plan exercera sa mission dans le strict cadre de l'article L 626-25 du code de commerce ;
Et,
- Juger que les dépens de la présente instance seront pris en charge par le Trésor Public.
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 27 janvier 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la SCP Silvestri Baujet ès qualités demande à la cour de :
- lui donner acte à la SCP Silvestri Baujet ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL I.Boat qu'elle s'en remet à la sagesse de la Cour sur l'appel sur la validité de l'appel.
- condamner la SARL Iboat aux entiers dépens.
La déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante ont été signifiées à personne habilitée par acte du 16 janvier 2025 à la Selarl Arva, prise en la personne de Maître [T], en sa qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan.
Celle-ci n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er avril 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DECISION :
1- Selon les dispositions de l'article L.626-18 du code de commerce, le tribunal donne acte des délais et remises acceptés par les créanciers dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 626-5 et à l'article L. 626-6. Ces délais et remises peuvent, le cas échéant, être réduits par le tribunal.
Le tribunal homologue les accords de conversion en titres acceptés par les créanciers dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 626-5, sauf s'ils portent atteinte aux intérêts des autres créanciers. Il s'assure également, s'il y a lieu, de l'approbation des assemblées mentionnées à l'article L. 626-3.
Pour les créanciers autres que ceux visés aux premier et deuxième alinéas du présent article, lorsque les délais de paiement stipulés par les parties avant l'ouverture de la procédure sont supérieurs à la durée du plan, le tribunal ordonne le maintien de ces délais.
Dans les autres cas, le tribunal impose des délais uniformes de paiement, sous réserve du cinquième alinéa du présent article. Le premier paiement ne peut intervenir au-delà d'un délai d'un an. Le montant de chacune des annuités prévues par le plan, à compter de la troisième, ne peut être inférieur à 5 % de chacune des créances admises, et, à compter de la sixième année, à 10 %, sauf dans le cas d'une exploitation agricole.
2- Selon les dispositions de l'article L.626-10 alinéa 4 du code de commerce, les personnes qui exécuteront le plan, même à titre d'associés, ne peuvent pas se voir imposer des charges autres que les engagements qu'elles ont souscrits au cours de sa préparation, sous réserve des dispositions prévues à l'article L. 626-3.
3- Le jugement arrêtant le plan a prévu des réglements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées et justifiées tous les 6 mois auprès du commissaire à l'exécution du plan, ce qui n'est ni conforme au projet de plan (pièce 4 de l'appelante), prévoyant un apurement de 100 % des créances sur une durée de 9 ans par annuités progressives, ni aux dispositions précitées de l'article L.626-18.
En outre, lors de l'audience, puis par note en délibéré de son conseil du 26 novembre 2024, la société avait fait part de son refus de ces modalités de paiement, selon elle techniquement complexes, et qui constituent en toutes hypothèses une charge supplémentaire.
4- En outre, dés lors qu'elle constituerait également une obligation supplémentaire non acceptée, il n'y a pas lieu de prévoir que le commissaire à l'exécution du plan pourra exiger la remise des documents comptables et de prévision de trésorerie dans les 5 semaines suivant la fin de chaque semestre social, attestés par un expert-comptable, alors qu'en la matière, la seule exigence légale est celle du dépot des comptes annuels, ainsi que prévu par l'article L. 232-22 du code de commerce, selon lesquelles toute société à responsabilité limitée est tenue de déposer ses comptes annuels au greffe du tribunal, pour être annexés au registre du commerce et des sociétés, dans le mois suivant leur approbation des comptes par l'assemblée ordinaire des associés ou par l'associé unique ou dans les deux mois suivant cette approbation lorsque ce dépôt est effectué par voie électronique.
5- Dès lors, le jugement sera infirmé sur ces deux points.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort :
Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 4 décembre 2024 en ce qu'il :
Fixe le principe de règlements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées et justifiées tous les 6 mois auprès de commissaire à l'exécution,
Demande au commissaire à l'exécution du plan de surveiller la situation financière de la société et exiger la remise des documents comptables et de prévision de trésorerie dans les 5 semaines suivant la fin de chaque semestre social, attestés par un expert-comptable,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à règlements semestriels calés sur la saisonnalité des rentrées de trésorerie cumulées ni à justificatifs tous les 6 mois auprès de commissaire à l'exécution,
Dit que la SARL Iboat remboursera annuellement les pactes du plan à la date anniversaire du plan, la première échéance devant intervenir à la date anniversaire du plan,
Dit que la mission du commissaire à l'exécution du plan sera exécutée conformément aux dispositions de l'article L.626-25 du code de commerce,
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure de redressement judiciaire.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président