CA Aix-en-Provence, ch. 3-3, 5 juin 2025, n° 24/11866
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
X
Défendeur :
Sure Finances (SAS), Landsbanki Luxembourg (SA), Lex Life And Pension (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Noel
Vice-président :
Mme Ougier
Conseiller :
Mme Vincent
Avocats :
Me Cherfils, Me Dieudonne, Me Ermeneux, Me Gicqueau
FAITS & PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 13 août 2007, réitéré par acte authentique le 18 septembre 2007, M. et Mme [T] ont obtenu de la SA Landsbanki, filiale luxembourgeoise d'une banque islandaise éponyme, une ouverture de crédit Equity Release de 1 600 000 euros remboursable in fine au bout de 20 ans en francs suisses CHF.
La SAS Axess Finances, devenue la SAS SURE Finances, établie à [Localité 12], est intervenue en qualité de courtier.
M. et Mme [T] ont soldé divers crédits immobiliers en cours pour un montant de 310 000 euros.
Par contrat du 24 septembre 2007, ils ont placé la somme de 1 120 000 euros dans une assurance-vie souscrite en unités de compte auprès de la SA Lex Life & Pension.
Le remboursement du prêt était garanti :
- par une hypothèque inscrite le 18 septembre 2007 sur le domicile principal de M. et Mme [T], une villa située [Adresse 3], cadastrée section [Cadastre 8], et
- par un nantissement du contrat d'assurance-vie consenti le 23 juillet 2007, étant précisé que l'article 9.3 du contrat autorisait la banque à prononcer la déchéance du terme si la valeur desdites garanties s'avérait inférieure à 90 % des sommes dues par les emprunteurs (« ratio de couverture de gagerie »).
La SA Landsbanki [Localité 11] puis la SA Lex Life & Pension ont subi le contre-coup de la crise financière de 2008 :
- par jugement du 12 décembre 2008, le tribunal d'arrondissement de Luxembourg a prononcé la liquidation judiciaire de la SA Landsbanki [Localité 11] et a commis Maître [J] en qualité de liquidateur ;
- par jugement du 13 juillet 2011, cette même juridiction a prononcé la liquidation judiciaire de la SA Lex Life & Pension et a commis M. [Y] en qualité de liquidateur.
Le 8 juin 2009, Maître [J] a prononcé la déchéance du terme et exigé de M. et Mme [T] le remboursement immédiat du prêt, soit une somme de 1 863 155 euros, au vu de l'évolution de la parité EUR / CHF et d'une baisse prononcée de la valeur de rachat du contrat d'assurance-vie (la SA Landsbanki [Localité 11] étant l'actionnaire principal de l'assureur Lex Life & Pension).
Le contrat a été racheté pour un montant de 969 428 euros au cours du mois d'octobre 2009. Maître [J] a mis en demeure M. et Mme [T] de lui régler le solde restant dû en francs suisses, soit une somme de 879 897,17 euros. M. et Mme [T] ont produit cette créance de 879 897,17 euros au passif de la liquidation judiciaire de la SA Landsbanki [Localité 11] : Maître [J] l'a rejetée.
Par acte d'huissier du 19 mars 2010, M. et Mme [T] ont contesté cette décision de rejet de Maître [J] devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg. Par jugement du 16 février 2011, confirmé par la cour d'appel de Luxembourg du 29 janvier 2014, leur demande a été jugée irrecevable et ils ont été condamnés reconventionnellement à payer au liquidateur la somme de 920 265,88 euros avec intérêts au taux de 6,92 % par an sur la somme de 881 646,35 euros à compter du 1er décembre 2010.
Sur le plan pénal, M. et Mme [T] ont déposé plainte le 18 juin 2009 entre les mains du procureur de la République de [Localité 10] du chef d'escroquerie et d'abus de con'ance. Une information judiciaire a été ouverte. M. et Mme [T] se sont constitués partie civile le 2 décembre 2009. Le magistrat instructeur s'est dessaisi au profit d'un juge d'instruction parisien. Mise en examen le 21 octobre 2011, la SA Landsbanki [Localité 11] a été renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris le 24 septembre 2015 et relaxée par jugement du 28 août 2017. Par arrêt du 31 janvier 2020 devenu définitif, la cour d'appel de Paris a confirmé la relaxe.
Sur le plan civil, M. et Mme [T] ont saisi le tribunal de grande instance de Grasse, par acte d'huissier de justice du 21 décembre 2009, d'une action en nullité pour dol des contrats de prêt et d'assurance, dirigée contre la SA Landsbanki [Localité 11] et la SA Lex Life & Pension.
Le 13 juillet 2011, l'assureur (SA Lex Life & Pension) a été placé à son tour en liquidation judiciaire, M. [Y] étant désigné en qualité de liquidateur.
Par acte d'huissier du 14 avril 2014, M. et Mme [T] ont assigné le courtier en intervention forcée pour manquement à ses obligations de conseiller en investissements financiers.
Par jugement du 4 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Grasse a :
- déclaré irrecevable la demande en nullité du contrat de prêt conclu entre M. et Mme [T] et la SA Landsbanki [Localité 11],
- déclaré irrecevable la demande en nullité du contrat d'assurance-vie conclu entre M. et Mme [T] et la SAS Axess Finances,
- déclaré recevable l'action en responsabilité de M. et Mme [T] à l'encontre de la SA Landsbanki [Localité 11] à raison des évènements postérieurs à l'ouverture de la procédure de liquidation, et les en a déboutés au fond,
- débouté M. et Mme [T] de leur demande en annulation des intérêts conventionnels du prêt,
- débouté la SAS Axess Finances de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamné M. et Mme [T] à payer à la SAS Axess Finances une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement M. et Mme [T] à payer à la SA Landsbanki [Localité 11] représentée par son liquidateur Maître [J] et à la SA Lex Life & Pension, représentée par son liquidateur Maître [Y], une somme de 3 000 euros à chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision en l'état du rejet des demandes,
- condamné M. et Mme [T] aux dépens dont distraction au profit de Maîtres Verstraete, Kieffer et Audrey Bagarri, avocats.
Par déclaration du 31 octobre 2018 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. et Mme [T] ont interjeté appel du jugement en visant chacune des mentions de son dispositif.
Par arrêt du 26 novembre 2020, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a :
- confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamné M. et Mme [T] à payer à la banque, à l'assureur et au courtier, la somme de 4 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et
- condamné M. et Mme [T] aux dépens.
M. et Mme [T] se sont pourvus en cassation.
Par arrêt du 19 juin 2024, la première chambre civile de la cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elle a jugé :
au visa de la règle de concentration des moyens et de l'article 33 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions civiles et commerciales, que la règle prétorienne de la concentration des moyens faisant obligation au défendeur à une action en paiement de présenter l'ensemble de ses moyens dès l'instance initiale, ne s'applique pas lorsque l'instance initiale s'est déroulée devant une juridiction étrangère, aucun moyen de fond précis n'ayant été soulevé en l'occurrence par les emprunteurs devant la juridiction luxembourgeoise ;
au visa des articles 31 et 122 du code de procédure civile et 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que l'exécution d'un contrat, fût-elle totale, ne prive pas les parties de leur droit d'agir en nullité du contrat pour dol ;
au visa des articles 2224 du code civil et L.110-4 du code de commerce, que le manquement du conseiller en investissements financiers qui, ayant proposé d'associer un prêt avec remboursement in fine du capital et souscription d'une assurance-vie nanti en garantie du prêt, omet d'attirer l'attention du souscripteur sur le risque d'une demande de remboursement par anticipation par le prêteur en cas de dégradation de la valeur de la garantie, prive l'emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle le prêteur rend exigibles les sommes dues au titre du prêt ;
- condamné la SAS SURE Finances à payer la somme de 3 000 euros à M. et Mme [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné aux dépens Mme [J], liquidateur de la SA Landsbanki [Localité 11] et M. [Y], liquidateur de la SA Lex Life & Pension, et la SAS SURE Finances.
La cour de cassation a renvoyé les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.
Par déclaration de saisine enregistrée au greffe le 30 septembre 2024, M. et Mme [T] ont saisi la cour d'appel de renvoi.
L'arrêt rendu sera contradictoire, conformément à l'article 467 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de leurs dernières conclusions d'appelant n°2 notifiées par la voie électronique le 10 mars 2025, M. et Mme [T] demandent à la cour de :
À titre principal,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
déclaré irrecevable la demande de nullité du contrat de prêt conclu avec la SA Landsbanki [Localité 11],
déclaré irrecevable leur demande de nullité du contrat d'assurance-vie conclu avec la SA Lex Life & Pension,
déclaré irrecevable comme prescrite leur demande de dommages et intérêts à l'encontre de la SAS Axess Finances,
déclaré irrecevable leur action en responsabilité à l'encontre de la SA Landsbanki [Localité 11],
les a déboutés de leur demande en annulation des intérêts conventionnels du prêt,
les a condamnés à payer à la SAS Axess Finances une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
les a condamnés solidairement à payer à la SA Landsbanki [Localité 11], représentée par son liquidateur M. [J] et à la SA Lex Life & Pension, représentée par son liquidateur, M. [Y], une somme de 3 000 euros, chacun, au titre de leurs frais irrépétibles,
les a déboutés du surplus de leurs demandes,
les a condamnés aux dépens,
Et, statuant à nouveau :
- déclarer leurs demandes recevables et bien fondées,
- juger que leur consentement a été vicié,
- annuler le contrat de prêt du 13 août 2007,
- annuler le contrat de gage du 23 juillet 2007,
- annuler le contrat d'assurance-vie à effet du 24 septembre 2007,
- ordonner la mainlevée de l'hypothèque consentie le 18 septembre 2007 sur l'immeuble,
Subsidiairement,
- juger que ces contrats forment un tout indivisible et que l'annulation de l'un emporte annulation de l'opération entière,
Très subsidiairement,
- annuler l'article 9 du contrat de prêt comme purement potestatif,
- réputer non écrites les stipulations des articles 3, 9, 11, 18 et 21 en tant que clauses abusives,
- annuler le contrat de prêt en tant que les articles 3, 9, 11, 18 et 21 constituent des clauses abusives portant sur l'objet principal du contrat,
- juger irrégulière la déchéance du terme, comme ne reposant pas sur un ratio de couverture de gagerie inférieur à 90 %,
- juger que, par suite, le rachat de la police d'assurance-vie par la banque est fautif,
En conséquence,
- prononcer la résolution du contrat de prêt aux torts exclusifs de la SA Landsbanki [Localité 11] prise en la personne de son liquidateur judiciaire,
Cumulativement,
- juger que la SA Landsbanki [Localité 11], prise en la personne de son liquidateur judiciaire, a failli à son devoir de mise en garde et a agi à son profit par conflit d'intérêts à leur détriment,
- juger que la SA Lex Life & Pension a agi comme complice des agissements de la banque,
- juger que la SAS SURE Finances a agi comme complice des agissements de la banque,
- juger que la SAS SURE Finances a manqué à ses obligations de conseil et d'information,
- condamner la SAS SURE Finances à leur payer la somme de 1 493 475,66 euros, compte arrêté au 31 mars 2023, à titre de dommages-intérêts, en réparation de la perte de chance de ne pas contracter et d'éviter le risque de déchéance et de perte de son patrimoine immobilier,
- condamner in solidum ou l'un à défaut de l'autre, Maître [O] et la SAS SURE Finances à leur payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi,
En tout état de cause,
- juger qu'ils ne sont plus débiteurs de l'obligation de rembourser le prêt,
- déclarer irrecevable ou, à défaut, débouter la SA Landsbanki [Localité 11], la SAS SURE Finances et la SA Lex Life & Pension de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles, fins et prétentions,
- condamner, in solidum ou l'un à défaut des autres, M. [O] ès qualité de liquidateur de la SA Landsbanki [Localité 11], M. [Y] ès qualité de liquidateur de la SA Lex Life & Pension et la société SURE Finances à leur régler la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum ou l'un à défaut des autres, M. [O] ès qualité de liquidateur de la SA Landsbanki [Localité 11], M. [Y] ès qualité de liquidateur de la SA Lex Life & Pension et la SAS SURE Finances en tous les dépens, dont distraction au profit la Selarl Lx Aix-en-Provence représentée par M. Romain Cherfils, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée récapitulatives n°2, notifiées par la voie électronique le 17 mars 2025, la SAS SURE Finances, anciennement SAS Axess Finances, demande à la cour de :
'' À titre principal, sur la prescription,
À titre principal,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé irrecevables comme prescrites les demandes de M. et Mme [T] à l'encontre de la SAS SURE Finances,
À titre subsidiaire,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé irrecevables comme prescrites les demandes de M. et Mme [T] à l'encontre de la SAS SURE Finances,
'' À titre très subsidiaire, sur la prétendue responsabilité de la SAS SURE Finances,
''' À titre principal,
- déclarer que M. et Mme [T] n'ont saisi la cour d'aucune prétention à l'encontre de la SAS SURE Finances au titre d'un quelconque et prétendu manquement,
- déclarer que M. et Mme [T] n'ont saisi la cour d'aucune prétention à l'encontre de la SAS SURE Finances au titre d'un prétendu démarchage,
''' À titre subsidiaire,
- débouter M. et Mme [T] de leur demande de condamnation solidaire de la SAS SURE Finances à leur régler la somme de 1 493 478,66 euros à parfaire, à titre de dommages-intérêts, au titre d'une perte de chance et la somme de 100 000 euros en réparation d'un préjudice moral,
- les débouter de toutes leurs autres demandes a l'encontre de la SAS SURE Finances,
''' À titre plus subsidiaire encore,
- débouter M. et Mme [T] de leur demande de condamnation solidaire de la SAS SURE Finances à leur régler la somme de 1 493 478,66 euros de dommages-intérêts, à parfaire, au titre d'une perte de chance, et la somme de 100 000 euros en reparation d'un préjudice moral, en ce qu'ils ont contracté avec la SA Landsbanki [Localité 11] et la SA Lex Life & Pension en toute connaissance de cause des risques qu'ils prenaient,
- les débouter de toutes leurs autres demandes à l'encontre de la SAS SURE Finances,
''' En tous les cas,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS SURE Finances de sa demande de condamnation de M. et Mme [T] à lui régler des dommages-intérêts pour procédure abusive,
Et, statuant à nouveau,
- condamner M. et Mme [T] à payer à la SAS SURE Finances la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamner in solidum M. et Mme [T] à payer à la SAS SURE Finances la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamner in solidum M. et Mme [T] à payer à la SAS SURE Finances la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum M. et Mme [T] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Pascale Dieudonné.
* * *
Aux termes de leurs dernières conclusions n°2 notifiées par la voie électronique le 14 mars 2025, la SA Landskbanki [Localité 11] et la SA de droit luxembourgeois Lex Life and Pension demandent à la cour de :
''' À titre principal,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
''' À titre subsidiaire, si la cour in''rmait ledit jugement quant à l'irrecevabilité des demandes,
- débouter M. et Mme [T] de l'intégralité de leurs demandes comme mal fondées,
En tout état de cause,
- condamner solidairement M. et Mme [T] à verser à la SA Landsbanki [Localité 11] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance qui seront recouvrés par Maître Ermeneux, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
* * *
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées pour l'exposé des moyens et prétentions des parties.
La clôture a été prononcée le 11 mars 2025.
Le dossier a été plaidé le 25 mars 2025 et mis en délibéré au 5 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'action en nullité, à titre principal, de M. et Mme [T] à l'encontre de la SA Landsbanki [Localité 11] :
M. et Mme [T] invoquent la nullité des contrats de prêt et de gage des 28 juillet / 13 août 2007 et du 23 juillet 2007, motif tiré du défaut allégué d'agrément de la SA Landsbanki [Localité 11] pour effectuer des prestations de services d'investissement, de l'existence de man'uvres dolosives de sa part pour les déterminer à contracter, de la violation manifeste du formalisme des contrats, de la stipulation de clauses abusives et de l'insertion de conditions purement potestatives.
Sur la loi applicable :
La SA Landsbanki [Localité 11] conteste cependant la recevabilité des demandes formulées à son encontre en ce que la loi française leur servant de fondement ne reçoit pas application. Elle invoque à cet égard l'article 21 du contrat de prêt et l'article 8 du contrat de gage, qui stipulent expressément l'application du droit luxembourgeois.
M. et Mme [T] concèdent que le contrat de prêt prévoit l'application de la loi luxembourgeoise, conformément au principe de liberté de choix prévu par l'article 3 de la convention de l'Union Européenne du 19 juin 1980 applicable aux obligations contractuelles, selon lequel « le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause ». Ils font valoir toutefois que l'article 5 concernant les contrats conclus par les consommateurs précise expressément que le principe de liberté de choix de l'article 3 ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle. Ils soutiennent qu'ils sont d'autant plus éligibles à la protection du consommateur que les opérations de crédit et de placement proposées par la SA Landsbanki [Localité 11] ne revêtaient pour eux aucun caractère professionnel.
L'argumentation de M. et Mme [T] sur le fondement de l'article 5 de la convention n'emporte pas la conviction, la banque observant à juste titre :
- que le paragraphe 2 de ce texte ne vise que les crédits affectés et la fourniture d'objets mobiliers corporels ou la fourniture de services, ce qui exclut à double titre le crédit Equity Release de son champ d'application ;
- que le montant du prêt accordé exclut la qualification de prêt à la consommation, plafonné à 21 500 euros par l'article D.311-1 du code de la consommation ;
- que le paragraphe 4 de ce texte limite la protection du consommateur aux services fournis dans l'État de sa résidence habituelle, alors qu'en l'occurrence l'acte sous seing privé relatif au crédit Equity Release a été établi au Luxembourg et non en France où la banque n'a pas d'établissement et donc pas d'activité (étant précisé que la réitération par-devant notaire à [Localité 12] le 18 septembre 2007, de l'acte de prêt sous seing privé signé à Luxembourg les 28 juillet et 13 août 2007, n'emporte pas de conséquences déterminantes, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante).
L'action de M. et Mme [T] contre la banque est régie par la loi luxembourgeoise.
Sur la portée de l'article 452 du code de commerce luxembourgeois :
Aux termes de l'article 452 du code de commerce luxembourgeois, « à partir du même jugement [déclaratif de faillite], toute action mobilière ou immobilière, toute voie d'exécution sur les meubles ou sur les immeubles ne pourra être suivie, intentée ou exercée que contre les curateurs de la faillite. Le tribunal peut néanmoins recevoir le failli partie intervenante ».
La SA Landsbanki [Localité 11] soutient que, la liquidation judiciaire ayant été prononcée par le juge luxembourgeois antérieurement à l'action engagée en France par M. et Mme [T], l'article 452 précité s'applique, la procédure obligatoire de vérification de toutes les créances ayant pour corollaire un principe absolu de suspension des poursuites individuelles.
M. et Mme [T] objectent que la règle de la suspension des poursuites individuelles ne reçoit pas application dans la mesure où leur action en justice tend moins au prononcé d'une condamnation pécuniaire de la banque qu'à faire admettre la nullité du contrat Equity Release dont procède leur qualité de débiteurs. Or, la cour de cassation admet de façon constante que l'arrêt des poursuites individuelles en cas de liquidation judiciaire ne s'applique pas aux actions en nullité du contrat ou en résolution pour inexécution d'une obligation de faire (Com., 7 octobre 2020, 19-14.422).
Cette objection est réfutée par la banque, motif tiré de ce que, conformément à la directive européenne 2001/24/CE du 4 avril 2001 concernant l'assainissement et la liquidation des établissements de crédit, les autorités administratives ou judiciaires de l'État membre d'origine de l'établissement sont seules habilitées à décider de l'ouverture d'une procédure de liquidation conformément à leur droit interne. Ces dispositions ont été transposées en droit luxembourgeois (articles 60 à 61-22 de la loi LSF de surveillance du secteur financier du 5 avril 1993 modifiée par les lois des 19 mars 2004 et 13 juillet 2007) et français (articles L.613-31-1 à L.613-31-10 du code monétaire et financier introduits par lors 2017-1107 du 22 juin 2017).
La SA Landsbanki [Localité 11] produit une consultation juridique du 27 mai 2010 de M. [L], universitaire sollicité par Maître [J], liquidateur, qui conclut expressément à l'irrecevabilité au Luxembourg des actions patrimoniales introduites postérieurement au jugement de liquidation si elles sont exercées par des créanciers chirographaires dont la créance est née avant l'ouverture de la procédure et, en l'occurrence, de toute action indemnitaire ou aux fins de nullité des contrats de prêt et de gage signés au cours de l'été 2007.
De fait, M. et Mme [T] ont régulièrement déclaré une créance de 879 897,17 euros au liquidateur, Maître [J], et, ce dernier l'ayant rejetée, ont saisi la juridiction luxembourgeoise pour qu'elle statue sur la contestation.
Par suite, la discussion concernant le bien-fondé de l'action en nullité des contrats de prêt et de gage est sans objet. Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de nullité du prêt.
Sur l'action en résolution du prêt, à titre subsidiaire, de M. et Mme [T] à l'encontre de la SA Landsbanki [Localité 11] :
L'article 452 du code de commerce luxembourgeois ne contre-indique pas l'exercice d'actions patrimoniales postérieurement au jugement de liquidation si elles sont exercées par des créanciers chirographaires dont la créance est née après l'ouverture de la procédure.
M. et Mme [T] font grief à la SA Landsbanki [Localité 11] d'avoir commis une faute dans la mise en oeuvre du ratio de couverture de gagerie prévu par l'article 9.3 du contrat de prêt, et d'avoir interdit toute possibilité de reprise du contrat en réalisant le gage alors que les garanties valaient encore 90 % des sommes dues lors du prononcé de la déchéance du terme le 8 juin 2009.
La banque répond à juste titre qu'une telle garantie est conçue dans l'intérêt du prêteur et que sa mise en 'uvre dépend en effet de sa seule appréciation. L'article 9.3 du prêt donc à la banque le calcul du ratio de couverture. Elle ajoute que le rachat du contrat en octobre 2009 a été précédé de la déchéance du terme du 8 juillet 2009 et d'une mise en demeure restée infructueuse de payer les sommes dues. Par ailleurs, les époux [T] avaient déjà reçu entre novembre 2008 et janvier 2009 plusieurs courriers les informant d'une baisse de valeur du contrat.
M. et Mme [T] reprochent également à la banque les circonstances dans lesquelles elle a basculé la gestion du prêt du franc suisse vers l'euro. La banque fait valoir cependant que l'article 3.1 du contrat de prêt stipule expressément la possibilité pour l'emprunteur substituer une devise à une autre pour la gestion de l'emprunt, l'article 3.3 précisant que « le prêteur n'est pas tenu d'informer l'emprunteur de toute augmentation du prêt en raison de fluctuations monétaires défavorables ».
Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a débouté M. et Mme [T] de leurs demandes formées à l'encontre de la SA Landsbanki [Localité 11] à raison d'événements postérieurs à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.
Sur l'action en nullité de M. et Mme [T] à l'encontre de la SA Lex Life & Pension :
Le contrat d'assurance-vie du 24 septembre 2007 est expressément régi par la loi française : l'action de M. et Mme [T] est donc recevable, à ce titre.
M. et Mme [T] invoquent la nullité du contrat et rappellent exactement que la cour de cassation, dans son arrêt du 19 juin 2024, a jugé que le rachat intégral du contrat d'assurance-vie auquel il a été procédé (pour un montant de 969 428 euros) ne rend pas par lui-même irrecevable l'action en nullité pour dol de M. et Mme [T].
Pour autant, il revient à ces derniers de développer les moyens de fait et de droit sur lesquels ils fondent leur demande d'annulation du contrat d'assurance-vie, sauf à rappeler que la cour ne statue sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion (article 954 alinéa 3 du code de procédure civile).
À cet égard, la SA Lex Life & Pension observe à juste titre que les appelants se bornent à demander à la cour de dire et juger qu'elle a agi comme complice des agissements de la banque, sans caractériser les man'uvres spécifiquement imputables à l'assureur à défaut desquelles ils n'auraient pas contracté. La référence des appelants à la notion de complicité dans le cadre d'une instance civile emporte d'autant moins la conviction que les poursuites engagées contre la SA Landsbanki [Localité 11] devant le juge répressif français ont précisément donné lieu à une relaxe, à présent définitive.
Tout au plus M. et Mme [T] évoquent-ils (pages 27 à 30 de leurs dernières conclusions) le non-respect par l'assureur du formalisme propre au contrat d'assurance-vie (articles L.112-2 et L. 132-5-2 du code des assurances). L'article L.135-5-2 du code des assurances se borne en réalité à préciser en son antépénultième alinéa que « le défaut de remise des documents et informations prévus au présent article entraîne, pour les souscripteurs de bonne foi la prorogation du délai de renonciation prévu à l'article L.132-5-1 jusqu'au trentième jour calendaire révolu suivant la date de remise effective de ces documents, dans la limite de huit ans à compter de la date où le souscripteur est informé que le contrat est conclu ». Aucune nullité n'est édictée par ce texte, pour autant.
Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de nullité du contrat d'assurance-vie.
Sur l'action indemnitaire de M. et Mme [T] à l'encontre de la SAS SURE Finances :
La SAS SURE Finances, anciennement SAS Axess Finances, est une société de droit français ayant établi son siège social à [Localité 12] : aucune irrecevabilité tirée de l'inapplicabilité de la loi française n'est invoquée.
M. et Mme [T] exposent que la SAS Axess Finances les a démarchés en 2007 ' ce point étant fermement réfuté par le courtier ' et aurait manqué à une obligation contractuelle de conseil et d'information en n'attirant pas leur attention sur l'existence et l'étendue du risque associé à l'investissement envisagé. Ils invoquent une perte de chance de ne pas contracter et d'éviter le risque de déchéance et de perte de leur patrimoine immobilier, évalué à la somme de 1 493 475,66 euros, compte arrêté au 31 mars 2023, outre une somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral.
La SAS SURE Finances conteste tout démarchage et invoque la prescription de l'action en responsabilité, le délai de 5 ans de l'article 2224 du code civil courant à compter de l'octroi des crédits (Com., 26 janvier 2010, 08-18.354), voire à compter de la date de conclusion du prêt si le risque de perte en capital a été notifié à cette occasion (Com., 7 novembre 2019, 18-19.166). Les contrats de prêt et d'assurance-vie ayant été signés le 13 août 2007, la prescription est acquise depuis le 13 août 2012, l'assignation n'ayant été signifiée que le 14 avril 2014.
La cour de cassation, dans son arrêt du 19 février 2024, a cependant admis que l'action en réparation d'une perte de chance à l'encontre du conseiller en investissements financiers qui ' ayant proposé d'associer un prêt avec remboursement in fine du capital et souscription d'une assurance-vie nantie en garantie du prêt, a omis d'attirer l'attention du souscripteur sur le risque d'une demande de remboursement par anticipation par le prêteur en cas de dégradation de la valeur de la garantie ' se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle le prêteur rend exigibles les sommes dues au titre du prêt.
La SAS SURE Finances fait valoir que les emprunteurs n'ont jamais exprimé de doléances à son encontre avant avril 2014, c'est-à-dire quelques semaines après que la cour d'appel de Luxembourg ait confirmé le rejet de leur déclaration de créance par Maître [J]. Ils ne l'ont assignée que 4 ans après avoir attrait la SA Landsbanki [Localité 11] devant le juge civil grassois et le juge pénal parisien. Elle déduit de ce silence de plusieurs années un aveu judiciaire que la cour ne peut admettre, l'aveu ne produisant de conséquences juridiques contre son auteur que si sa volonté de reconnaître un fait est non équivoque.
M. et Mme [T] ont soutenu tour à tour que la SAS Axess Finances s'était limitée à les mettre en présence avec un représentant de la SA Landsbanki [Localité 11], puis qu'elle était intervenue en qualité de conseil en investissements financiers. Dans un cas comme dans l'autre, plusieurs documents signés ou remis contre émargement attestent de ce qu'ils ont été dûment informés de l'existence et de l'étendue du risque associé à l'investissement projeté, et ne pouvaient avoir aucune naïveté quant au risque de perte de l'intégralité du capital engagé sur des investissements à fort effet de levier (leveraged investments) et quant aux conséquences possibles de la variation des taux de change (franc suisse / euro) sur la charge de l'emprunt :
''' Le contrat de prêt signé le 28 juillet 2007 à Luxembourg stipule ainsi que :
- « l'emprunteur reconnaît avoir été informé et avoir expressément compris les placements [...] sont des investissements à fort caractère spéculatif qui supposent une prise de risque considérable de la part de l'emprunteur par laquelle l'emprunteur peut subir des pertes. Les pertes peuvent éventuellement dépasser les biens nantis par l'emprunteur aux 'ns de ces investissements. Si les pertes de l'emprunteur dépassent le montant des biens nantis par lui, le prêteur reste entièrement fondé à recouvrer l'intégralité de la somme restant due par l'emprunteur » (article 11.1) ;
- « les décisions d'investissement [...] ne doivent être prises que par l'emprunteur, lequel accepte de supporter l'entière responsabilité des résultats de ces investissements » (article 11.2) ;
- « l'emprunteur reconnaît avoir été informé et avoir pleinement compris que, du fait d'une possible fluctuation des devises ['], le solde du prêt peut s'avérer supérieur au montant de la facilité. L'emprunteur pourra donc engager sa responsabilité envers le prêteur en cas de dépassement de la facilité » (article 11.3) ;
- « l'emprunteur reconnaît avoir été informé et avoir expressément compris que, en conséquence de possibles variations de taux de change, le montant de la contre-valeur du prêt , si exprimé dans une autre devise que celle de la facilité, puisse être supérieur à celui de la facilité » (article 3.2).
''' Le document intitulé « avis de risque » joint en annexe au contrat de prêt stipule d'autre part que « le client reconnaît que la banque l'a expressément informé sur les risques impliqués sur les « leveraged investments » ainsi que sur les risques plus ou moins élevés de certaines stratgégies d'investissement. Le client reconnaît avoir été informé sur le fait qu'en utilisant des « leveraged investments », même des petites variations sur les marchés peuvent avoir un impact sur les profits et/ou sur les pertes, et que certaines situations peuvent engendrer la perte de la totalité du portefeuille. [...]. En signant ce document, le client confirme qu'il accepte le risque inhérent aux « leveraged investments ».
En outre, M. et Mme [T] ne contestent pas avoir été informés des pertes avérées liées à leurs placements par courriers successifs de l'assureur Lex Life des 18 novembre 2008, 22 décembre 2008 et 19 janvier 2009.
La chance perdue dont M. et Mme [T] demandent réparation ne présente aucun caractère sérieux. Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il n'a pas fait droit à leurs demandes indemnitaires, sauf à préciser qu'elles étaient recevables et mal fondées.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts de la SAS SURE Finances :
La SAS SURE Finances entend voir condamner M. et Mme [T] au paiement d'une somme de 50 000 euros de dommages-intérêts en raison d'un exercice abusif du droit d'appel. L'exercice même infructueux d'une voie de recours ne caractérise pas par lui-même l'intention de nuire. Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a débouté la SAS SURE Finances de ce chef.
Sur les demandes annexes :
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance doivent être confirmées.
L'équité justifie la condamnation in solidum de M. et Mme [T] à payer la somme de 4 000 euros chacun à la SA Landsbanki [Localité 11], la SA Lex Life & Pension et la SAS SURE Finances au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en appel.
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, M. et Mme [T] sont condamnés in solidum aux dépens de l'appel, avec distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile pour ceux des avocats qui en auront fait la demande.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour, hormis en ce que M. et Mme [T] sont déclarés recevables et mal fondés en leurs demandes à l'encontre de la SAS SURE Finances.
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. et Mme [T] à payer la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés devant la cour à chacun des intimés :
- la SA Landsbanki [Localité 11], prise en la personne de son liquidateur, M. [R] [O],
- la SA Lex Life & Pension, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, Maître [V] [Y], et
- la SAS SURE Finances.
Condamne in solidum M. et Mme [T] aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile pour ceux des avocats qui en auront fait la demande.