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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 11 juin 2025, n° 23/02117

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 23/02117

11 juin 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 11 JUIN 2025

N° RG 23/02117 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NH2K

S.C. L'INTENDANCE

c/

S.A.S. SO FRA DE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 avril 2023 (R.G. 20/04463) par le Président du tribunal judiciaire de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 03 mai 2023

APPELANTE :

SOCIETE CIVILE DE L'INTENDANCE, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 8]

Représentée par Maître Clémence LEROY-MAUBARET de la SCP SCP D'AVOCATS INTER - BARREAUX MAUBARET, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Patrick MAUBARET, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A.S. SO FRA DE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

Représentée par Maître Pascale MAYSOUNABE de la SELAS ELIGE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Laurence CHANTELOT, avocat au barreau de ROANNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 mars 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. Par acte à effet au 15 février 2002, la société civile immobilière dénommée Société Civile de l'Intendance a donné en location à la société anonyme Sodis, aux droits de laquelle vient la société par actions simplifiée Sofrade, des locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble situé [Adresse 4] et [Adresse 1], exploités sous l'enseigne 'Devernois', pour une durée de 9 années à compter du 15 février 2002. Le loyer annuel a été fixé à 75 272,28 euros HT par avenant du 5 mars 2009.

Le bail a été renouvelé pour une durée de 9 années à compter du 15 février 2011.

Par acte de commissaire de justice du 21 août 2019, la société Sofrade a sollicité le renouvellement du bail pour 9 années à compter du 15 février 2020. Par acte de commissaire de justice du 21 août 2019 la Société Civile de l'Intendance a donné son accord sur le principe du renouvellement du bail commercial, aux clauses et conditions antérieures, sauf à voir porter le montant du loyer à la somme annuelle de 180 000 euros HT et HC.

2. Par acte du 12 juin 2020, le bailleur a assigné le preneur devant le juge des loyers commerciaux en fixation du montant du bail commercial renouvelé à la somme de 180 000 euros et, à titre subsidiaire, aux fins d'expertise.

Par jugement du 14 octobre 2020, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux a désigné Monsieur [H] [I] en qualité d'expert avec pour mission de donner tous éléments de nature à vérifier sur la période du bail expiré -soit du 11 février 2011 au 14 février 2020- l'existence de critères de déplafonnement. L'expert a déposé son rapport le 28 juin 2022.

Les parties n'ont pu se concilier malgré plusieurs renvois de l'affaire à cet effet.

Par jugement du 5 avril 2023, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet au 15 février 2020 à la somme annuelle de 87 175,54 euros, hors taxes et hors charges ;

- rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal entre le loyer réglé et le loyer judiciairement fixé en fonction des échéances contractuelles à compter du 12 juin 2020 ;

- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien, devenu l'article 1343-2 du code civil ;

- débouté les parties des autres chefs de leur demande ;

- rappelé que l'exécution provisoire était de droit ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les parties partageraient chacune par moitié la charge des dépens.

Par déclaration au greffe du 3 mai 2023, la Société Civile de L'Intendance a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la société Sofrade.

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

3. Par conclusions déposées en dernier lieu le 2 août 2023, la Société Civile de l'Intendance demande à la cour de :

Vu notamment les articles L145-33 et suivants du code de commerce,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;

- fixer le loyer du bail commercial renouvelé au 15 février 2020 à la valeur locative, soit à la somme annuelle HT et HC de 183 000 euros ;

- condamner la société Sofrade au paiement des intérêts au taux légal sur la différence entre le loyer réglé et le loyer judiciairement fixé à compter de la signification de l'assignation introductive d'instance (12 juin 2020) ;

- condamner la société Sofrade au paiement d'une indemnité de 5000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens qui comprendront notamment les frais d'expertise judiciaire.

4. Par conclusions déposées en dernier lieu le 25 février 2025, la société Sofrade demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles L.145-33 et L.145-34 du code de commerce,

Vu les dispositions de l'article R 145-30 du code de commerce,

A titre principal,

- juger que la modification des facteurs locaux de commercialité retenue par Monsieur [H] [I] ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer dans la mesure où elle n'est pas de nature à avoir une incidence favorable sur l'activité commerciale exercée par la société Sofrade sous l'enseigne Devernois ;

- juger qu'il n'existe pas de motif de déplafonnement ;

En conséquence,

- débouter la Société Civile de L'Intendance de ses demandes visant à voir :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- fixer le loyer du bail commercial renouvelé au 15 février 2020 à la valeur locative, soit à la somme annuelle HT et HC de 183 000 euros,

- condamner la société Sofrade au paiement des intérêts au taux légal sur les différents entre le loyer réglé et le loyer judiciairement fixé à compter de la signification de l'assignation introductive d'instance (12 juin 2020),

- condamner la société Sofrade au paiement d'une indemnité de 5000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civil outre les dépens qui comprendront notamment les frais d'expertise judiciaire ;

- confirmer le jugement rendu le 05 avril 2023 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a :

- fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 15 février 2020 à la somme annuelle de 87 175,54 euros, hors taxes et hors charges,

- rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal entre le loyer réglé et le loyer judiciairement fixé en fonction des échéances contractuelles à compter du 12 juin 2020,

- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien, devenu l'article 1343-2, du code civil,

- débouté les parties des autres chefs de leur demande,

- rappelé que l'exécution provisoire était de droit,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les parties partageraient chacune par moitié la charge des dépens ;

A titre subsidiaire,

Si, par extraordinaire, la cour devait estimer que la modification des facteurs locaux de commercialité est de nature à constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer,

- fixer la valeur locative au 15 février 2020 à la somme annuelle de 161 000 euros HT et HC, conformément à l'hypothèse numéro 2 de Monsieur [H] [I] ;

En tout état de cause,

- débouter la Société Civile de L'Intendance de sa demande tendant à voir condamner la société Sofrade à lui verser une somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- juger n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la Société Civile de L'intendance de sa demande tendant à voir condamner la société Sofrade aux entiers dépens, comprenant notamment les frais d'expertise ;

- débouter la Société Civile de L'intendance de toutes demandes qui seraient contraires à celles présentées par la société Sofrade.

***

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 mars 2025.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la demande de déplafonnement

5. La Société Civile de l'Intendance fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande en déplafonnement du loyer et d'avoir en conséquence fixé le loyer annuel à la somme de 87.175,54 euros HT et HC.

L'appelante fait valoir que l'expert judiciaire a conclu sans ambiguïté à l'existence d'une modification incontestable et notable de l'attractivité commerciale de l'emplacement considéré, qui est l'un des meilleurs emplacements de l'artère commerciale la plus recherchée par les enseignes internationales pour l'exercice des activités d'équipement de la personne.

La Société Civile de l'Intendance soutient que le jugement entrepris est une jurisprudence isolée dans la mesure où trois autres décisions relatives à des locaux commerciaux situés soit cours de l'Intendance soit [Adresse 11] -donc dans le même environnement commercial- ont retenu l'évolution des facteurs locaux de commercialité.

6. La société Sofrade répond qu'il est de principe qu'une modification notable des facteurs locaux de commercialité ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu'autant qu'elle est de nature à avoir une incidence favorable sur l'activité commerciale exercée par le preneur ; que, en l'espèce, compte tenu de la sphère d'achalandage de l'enseigne Devernois qu'elle exploite, la société Sofrade n'a pas bénéficié de la mutation du cours de l'Intendance vers le commerce de luxe.

Sur ce,

7. L'article L.145-34 du code de commerce dispose :

« A moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.

En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.

Les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.

En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.»

En vertu de l'article L.145-33 du code de commerce, Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1 Les caractéristiques du local considéré ;

2 La destination des lieux ;

3 Les obligations respectives des parties ;

4 Les facteurs locaux de commercialité ;

5 Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Selon l'article R.145-6 du code de commerce, Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.

Il est de principe que, par application combinée de ces textes, il appartient au bailleur qui excipe d'une modification des facteurs locaux de commercialité pour tendre au déplafonnement du loyer de rapporter la preuve de cette modification ainsi que de son caractère notable et de l'intérêt qu'elle présente pour le commerce étudié.

8. La Société Civile de l'Intendance produit à cet égard le rapport d'expertise déposé le 28 juin 2022 par M. [I], qui indique, en page sept de son rapport, que le cours de l'Intendance est l'une des trois artères qui ferment le triangle constituant l'hyper centre de [Localité 7]. M. [I] ajoute que cette artère, devenue piétonne au début des années 2000, est aujourd'hui l'un des emplacements les plus recherchés pour le commerce bordelais.

En page dix-huit de son rapport, l'expert judiciaire examine la situation du local litigieux à l'aune des éléments mentionnés par l'article R.145-6 du code de commerce et indique : « Le cours de l'Intendance est assurément devenu l'emplacement n°1 de [Localité 7]. En effet, nous ne pouvons que constater que cette rue, devenue piétonne au début des années 2000, a attiré et continue d'attirer la plupart des enseignes nationales de luxe ou haut de gamme. Certes, la fréquentation est moins importante que sur la [Adresse 10], mais cette dernière artère est plus orientée 'mass market' que les abords du 'triangle'. L'emplacement bénéficie également d'une desserte par le tramway, de la proximité des réseaux de bus mais également de plusieurs parcs de stationnement public (Gambetta, Grands Hommes, Saint Christoly).

En conclusion, nous considérons que l'emplacement est tout-à-fait adapté à l'activité exercée dans les lieux.»

En page vingt-neuf de son rapport, M. [I] indique :

« Depuis de nombreuses années et plus particulièrement depuis cette piétonnisation au début des années 2000, le cours de l'Intendance est assurément l'artère la plus recherchée par les enseignes internationales qui souhaitent s'implanter à [Localité 7]. De ce point de vue, nous pourrions reprendre l'argument du preneur et considérer qu'il n'y a pas eu d'évolution notable puisque cette rue a toujours été la plus attractive. Cependant, il est également incontestable que les efforts conjugués des pouvoirs publics, des promoteurs, des acteurs du tourisme pour renforcer l'attractivité de la métropole régionale ont eu des effets très positifs non seulement sur le tourisme (') mais également sur les habitants de la ville. (') C'est d'ailleurs bien pour cette raison que toutes les enseignes internationales haut-de-gamme ou de luxe s'intéressent principalement au cours de l'Intendance. Nous pouvons aisément imaginer que même s'ils fréquentent d'autres quartiers plus animés, les habitants et les touristes viendront à un moment déambuler aussi devant les vitrines d'Hermès, Vuitton, Lalique, [Localité 6], Weston, etc. Même si le bail Mornier est postérieur, la décision du bijoutier Rolex de se doter d'une véritable vitrine bordelaise illustre parfaitement le dynamisme du cours de l'Intendance.»

9. La Société Civile de l'Intendance verse également à son dossier trois décisions du juge des loyers commerciaux prononcées les 14 novembre 2018, 23 octobre 2019 et 15 mars 2023.

La plus récente a pour objet la fixation du loyer dû par la société GD Distribution qui exploite un commerce de vêtements féminins dans un local situé [Adresse 12], laquelle est perpendiculaire au cours de l'Intendance. La juridiction y a motivé le déplafonnement du loyer du bail renouvelé au motif d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité, ainsi décrite : « Il ne peut (...) être nié l'accroissement substantiel de la population et une gentrification certaine du quartier dans lequel se situe l'emplacement du local : [Adresse 11], soit dans ce qu'il est coutume d'appeler le triangle d'or de [Localité 7], lequel est fortement draineur de chalands au pouvoir d'achat plus élevé (...) »

10. L'appelante produit de plus deux rapports d'expertise judiciaire déposés par M. [J] respectivement le 1er avril 2020 et le 8 novembre 2021 dans le cadre de litiges relatifs au loyer versé par la Société des Magasins Louis Vuitton pour le premier et la société GD Distribution -exploitant la marque Gérard Darel- pour le second.

11. Ces rapports peuvent être utilement examinés puisqu'ils sont relatifs à des locaux situés [Adresse 11] et cours de l'Intendance et étudient l'évolution de la commercialité au cours de la décennie qui intéresse les parties au présent litige, soit 2011-2020 ; le second rapport a d'ailleurs été produit dans le procès ayant donné lieu au jugement du 15 mars 2023 cité ci-dessus.

M. [J] indique dans son premier rapport que l'explosion de la fréquentation touristique à [Localité 7], soutenue par des récompenses prestigieuses, a profondément modifié l'économie du centre-ville de [Localité 7] qui a renforcé sa capacité d'accueil ; que cette hausse du tourisme a concerné tous les segments de population : étrangers comme nationaux, catégories sociales fortunées et 'croisiéristes' inclus.

M. [J] précise : « Les prix de [Localité 7] : progression des prix médians des appartements sur cinq ans de 40,2 % sur les cinq dernières années de 2013 à 2018 renforçant la gentrification du centre de [Localité 7]. L'arrivée d'enseignes de luxe : arrivée d'enseignes haut de gamme sinon de luxe comme Lalique, Caudalie et Repeat, Clarins, Frey Wille, notamment remplaçant des enseignes moins à la mode. Notons également la progression des parfumeurs qui passent de cinq à neuf et des bijoutiers de deux à sept, commerces caractéristiques du renforcement haut-de-gamme d'une artère.»

Dans son deuxième rapport, M. [J] ajoute :

« (...) au sein du triangle d'or de [Localité 7], délimité par les cours de l'Intendance et Clémenceau et les [Adresse 5], secteur marchand central dédié principalement au commerce de vêtements hauts de gamme, aux cafés et restaurants et équipement de la maison ; le triangle d'or converge vers la place centrale des Grands Hommes et son petit centre commercial. (') Le cours de l'Intendance, artère marchande la plus prestigieuse de la ville et la meilleure rue commerçante intra triangle d'or. (')

Développement des moyens de transport et des accès à la ville : de 2008 à 2018, le réseau TBM et les quatre lignes de tramway ont connu une croissance de 75 % ; ouverture de la ligne LGV en 2017, les chiffres de fréquentation de l'année 2019 présentée par la SNCF font état d'une hausse de 42 % du nombre de voyageurs entre les gares de Nouvelle Aquitaine et celles de l'Île-de-France depuis juillet 2017 ; la clientèle professionnelle progresse de 12 % ; hausse de 197 % du trafic aérien sur l'aéroport de [Localité 7] entre 2009 et 2019.

Évolution du tourisme : 22 % d'augmentation supplémentaire en 2014, ce qui fait de [Localité 7] la ville connaissant la plus grande progression dans le secteur de l'hôtellerie en France ; en 2018 la métropole bordelaise a enregistré un nouveau record avec plus de 6 millions de nuitées taxées ; ce résultat est porté par la croissance de l'hôtellerie de plus 5 % et des meublés de tourisme ainsi que par la hausse du nombre de touristes étrangers (plus 13 % d'arrivées hôtelières internationales).

Hausse de la population : critère assez général mais il est incontestable que le dynamisme démographique profite aux marques du centre-ville.

Embellissement/attractivité du centre-ville : la politique d'embellissement/attractivité du centre s'est poursuivie tout au long de cette dernière décennie ; citons les deux éléments les plus marquants : l'ouverture à 150 m de l'ensemble auditorium [Adresse 3] ; l'ouverture de la [Adresse 9] à 250 m avec la réhabilitation et la création de 28'000 m² de surfaces nouvelles dont 19'000 m² de locaux commerciaux.»

12. Les éléments chiffrés énoncés par M. [J] sont confirmés par le document 'chiffres clés du commerce 2023' élaboré par la Chambre de commerce et d'industrie de la Gironde, versé à son dossier par la société Sofrade.

13. Il est ainsi démontré par la Société Civile de l'Intendance un motif de déplafonnement du loyer litigieux puisque les facteurs locaux de commercialité ont évolué favorablement et de façon notable -au sens de l'article L.145-34 du code de commerce- au cours de la période précédant la demande de renouvellement du bail consenti à la société Sofrade.

14. S'il est de principe qu'il ne doit pas être nécessairement tenu compte de l'évolution corrélative du chiffre d'affaires du preneur, il faut cependant remarquer que -hors l'année 2020 bouleversée par la pandémie mondiale- la société Sofrade a elle-même bénéficié d'une augmentation de son chiffre d'affaires pour la boutique de [Localité 7] de 547.616,91 euros en 2011 à 872.272,73 euros en 2019, selon l'attestation du cabinet GVGM, expert comptable.

15. Par ailleurs, la marque Defrenois exploitée par la société Sofrade au sein du local litigieux est certes une marque plus classique, mais dont le bailleur indique, sans être démenti, qu'elle propose des vêtements de qualité à des prix comparables à ceux de la marque Gérard Darel mentionnée ci-dessus. La boutique Devernois s'insère donc harmonieusement dans la zone de chalandise du triangle d'or de [Localité 7] et les photographies insérées au rapport d'expertise judiciaire révèlent que sa décoration et l'organisation aérée de l'espace et de l'éclairage se conforment aux codes des produits haut de gamme.

16. Dès lors, la modification notable des facteurs locaux de commercialité a nécessairement une influence positive sur la fréquentation de cette boutique.

17. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a retenu une absence d'incidence de la modification des facteurs locaux de commercialité sur l'activité effectivement exercée par le preneur, le bailleur étant fondé à se prévaloir de ce motif de déplafonnement du loyer.

18. M. [I] a étudié plusieurs hypothèses afin de proposer une estimation du loyer du bail renouvelé plafonné et déplafonné. Il a, auparavant, appliqué des coefficients de pondération aux différentes zones du local : caves, surface de vente, locaux sociaux, réserve, bureaux.

A cet égard, il y a lieu d'entériner l'argument du preneur en ce qui concerne la pondération de la surface occupée par l'entresol et de classer ce lot en 'locaux annexes', étant relevé qu'y ont d'ailleurs été installés les bureaux et une réserve ; en effet, les photographies des lieux révèlent qu'ils n'offrent pas la qualité de surface de vente attendue d'un commerce haut de gamme en ce qui concerne la luminosité et la hauteur sous plafond.

En conséquence, le loyer dû par la société Sofrade à la Société Civile de l'Intendance doit être calculé pour une surface utile pondérée de 129 m².

19. Compte tenu de la moyenne des prix couramment pratiqués dans le voisinage, au sens de l'article R.145-7 du code de commerce, ainsi que du prix versé par la société Sofrade au propriétaire des locaux adjacents et qui sont exploités dans la continuité géographique par la boutique Devernois, il doit être retenu un prix de 1250 euros /m² multiplié par 129 m², soit un loyer annuel arrondi de 161.000 euros HTHC.

20. L'intimée ne discute ni le principe de la computation des intérêts ni l'anatocisme tels que décidés par le premier juge, dont les chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance seront par ailleurs confirmés.

21. Y ajoutant, la cour dira n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et laissera à chaque partie la charge de ses propres dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,

Infirme le jugement prononcé le 5 avril 2023 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet au 15 février 2020 à la somme annuelle de 87 175,54 euros, hors taxes et hors charges.

Statuant à nouveau de ce chef,

Fixe le prix du loyer du bail renouvelé à effet au 15 février 2020 à la somme annuelle de 161.000 euros, hors taxes et hors charges.

Confirme pour le surplus le jugement prononcé le 5 avril 2023 par le tribunal judiciaire de Bordeaux.

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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