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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 5 juin 2025, n° 24/09350

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/09350

5 juin 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 05 JUIN 2025

Rôle N° RG 24/09350 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BNOHD

S.A.S. BEL AGE

C/

S.C.P. BTSG²

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

Copie exécutoire délivrée

le : 5 juin 2025

à :

Me Joseph MAGNAN

Me Rachel COURT-MENIGOZ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce d'ANTIBES en date du 09 Juillet 2024 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2024F368.

APPELANTE

S.A.S. BEL AGE

immatriculée au RCS d'Antibes n° 417 792 413, dont le siège social est situé [Adresse 4], France, prise en la personne de sa présidente en exercice, Madame [X] [W], demeurant [Adresse 2], France,

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Anaïs KORSIA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMES

S.C.P. BTSG²

représentée par Maître [L] [S] agissant en qualité de liquidateur Judiciaire de la SAS AU BEL AGE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Rachel COURT-MENIGOZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

EN PRESENCE DE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL, demeurant [Adresse 5]

défaillant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 19 Mars 2025 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre

Madame Muriel VASSAIL, Conseillère

Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère rapporteure

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Juin 2025.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcée par mise à disposition au greffe le 05 Juin 2025,

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Au bel âge, constituée en 1998, est une société exerçant une activité d'exploitant d'EHPAD à [Localité 6]. Elle était la filiale de la société WG Consulting, société mère exerçant une activité de prise de participation et gestion de portefeuille de valeurs mobilières, dont le siège social se trouve [Adresse 3].

Ces deux sociétés avaient pour présidente Mme [X] [W] et pour directeur général M. [O] [F].

Suite à des rapports d'inspection de l'agence régionale de santé de Provence Alpes Côte d'azur et du conseil départemental des Alpes Maritimes ayant mis en évidence des dysfonctionnements majeurs en matière de gouvernance, de conditions d'hébergement et de prise en charge des hôtes, la résidence a fait l'objet, courant août et décembre 2022 d'un placement sous administration provisoire puis de suspension totale de son activité.

Par jugement du tribunal de commerce d'Antibes en date du 7 février 2023, sur déclaration de cessation des paiements, la SAS Au bel âge a été placée en redressement judiciaire. La date de la cessation des paiements a été fixée au 1er juin 2022. La SCP BTSG², représentée par Maître [L] [S], a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Saisi par requête du mandataire, par jugement en date du 7 mars 2023, le tribunal de commerce d'Antibes a désigné la SELARL Xavier Huertas & associés en qualité d'administrateur judiciaire.

Sur requête de l'administrateur judiciaire, par jugement en date du 28 mars 2023, le tribunal de commerce d'Antibes a converti la procédure en liquidation judiciaire et désigné la SCP BTSG², représentée par Maître [L] [S], en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement en date du 4 juillet 2023 du tribunal de commerce de Toulon, la société WG consulting a été placée en redressement judiciaire sur sa déclaration de cessation des paiements.

Par jugement en date du 12 septembre 2024 le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire.

Sur assignation du liquidateur, le tribunal de commerce d'Antibes a, par jugement en date du 9 juillet 2024, reporté la date de cessation des paiements de la SAS Au bel âge au 7 août 2021 et dit les dépens frais privilégiés de la procédure.

Pour prendre leur décision, les premiers juges ont considéré que la société Au bel âge était en état de cessation des paiements depuis au moins 2019, en raison de cotisations dues à l'URSSAF, son principal créancier.

Par deux déclarations d'appel en date des 18 et 23 juillet 2024, la SAS Au bel âge a interjeté appel.

Selon ordonnance de la présidente de la chambre en date du 14 août 2024, les appels ont été joints, la procédure étant diligentée sous le n°24/9350.

Selon conclusions notifiées par la voie du RPVA le 16 octobre 2024, la SAS Au bel âge demande à la cour de':

Infirmer ou annuler le jugement rendu le 7 juillet 2024 par le tribunal de commerce d'Antibes, en ce qu'il a :

- déclaré la SCP BTSG² recevable en sa demande';

- ordonné le report de la date de cessation des paiements au 7 août 2021';

Et, statuant à nouveau,

A titre principal, avant dire droit,

Juger que l'assignation n'ayant pas été régulièrement signifiée est nulle et entraîne la nullité du jugement entrepris';

Subsidiairement sur le fond et si par impossible, l'assignation était jugée valable,

Juger que la demande de report de date de cessation de paiements est mal fondée';

En tout état de cause';

Ordonner la fixation de la date de cessation des paiements au 31 décembre 2022, date initialement indiquée par le débiteur dans sa déclaration de cessation des paiements ;

Condamner la SCP BTSG² au paiement des frais irrépétibles de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

A l'appui de ses conclusions, la SAS Au bel âge soutient, à titre principal, que l'assignation est nulle en raison d'une irrégularité de forme, dans la mesure où le commissaire de justice s'est limité à signifier l'assignation aux fins de report de la date de cessation des paiements au siège de la société Au bel âge selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile et ne l'a pas signifiée à l'adresse personnelle de Mme [X] [W], présidente de la SAS, ce qui rend le jugement lui-même nul et de nul effet.

A titre subsidiaire, la société appelante soutient en premier lieu qu'il n'y avait pas lieu à report de la date de cessation des paiements et'explique que la déclaration de cessation des paiements n'est pas due à des impayés mais à des litiges avec l'administration et le bailleur.

Elle soutient en deuxième lieu qu'en dépit des créances impayées antérieures au 31 décembre 2022, la SAS Au bel âge a longtemps été en position de faire face à son passif exigible de 1 780 503 euros avec un actif disponible de 2 634 149 euros au titre notamment d'une créance détenue sur sa société mère, la SAS WG Consulting et oppose au moyen des difficultés de cette société évoqué par le liquidateur, le principe de l'autonomie des personnes morales.

En troisième lieu, elle relève que le liquidateur n'établit l'existence d'aucun acte conclu par la SAS Au bel âge susceptible d'encourir la nullité sur cette période élargie, rendant inopportune la décision de report de la date de cessation des paiements par le tribunal de commerce.

Selon conclusions notifiées par la voie du RPVA le 4 décembre 2024, le liquidateur judiciaire demande à la cour de':

Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel';

Juger l'assignation régulière et valable';

Juger en tout état de cause, que la SAS Au bel âge ne justifie d'aucun grief';

Débouter l'appelante de ses demandes, fins et conclusions';

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';

Dire les dépens frais privilégiés de la procédure collective

A l'appui de ses demandes, le liquidateur affirme que le commissaire de justice s'est bien en effet présenté tant au siège de la société qu'au domicile personnel de Mme [W] et que, quand bien même tel n'aurait pas été le cas, il n'en serait résulté aucun grief au sens de l'article 114 du code de procédure civile dès lors que Mme [W] a bien été informée de la procédure, a constitué avocat dès la première audience, a sollicité plusieurs renvois et était présente lors de l'audience ayant examiné la demande en report.

Au fond, il fait valoir que certaines créances (de l'URSSAF, de l'institution Klesia, du bailleur, notamment) témoignent de défauts de paiement anciens voire institutionnalisés et, en regard, que l'essentiel de l'actif prétendument disponible consiste dans une créance de la société Bel âge envers son associé unique, la société WG consulting dont le compte courant débiteur augmente d'année en année et qui a déclaré l'état de cessation des paiements dès que le liquidateur lui a demandé d'apurer son compte courant, ce dont il se déduit un état de cessation des paiement devant être reporté au mois d'août 2021, aux limites de ce que permet la loi.

Le parquet général, selon avis communiqué aux parties par la voie du RPVA le 13 février 2025, sollicite la confirmation du jugement querellé sur le fondement des moyens développés par le liquidateur judiciaire qu'il fait sien.

Les parties ont été avisées le 16 septembre 2024 de la fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 19 mars 2025 et de la date prévisible de la clôture.

La clôture a été prononcée le 20 février 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité de l'assignation

En application de l'article 690 du code de procédure civile, «'La notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement.

A défaut d'un tel lieu, elle l'est en la personne de l'un de ses membres habilité à la recevoir.'»

Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'assignation du liquidateur aux fins de report de la date de cessation des paiements a bien été délivrée le 12 janvier 2024 au lieu de son établissement, en l'étude, et le 16 janvier 2024, à sa présidente, Mme [X] [W], en l'étude également, pour l'audience du 23 février 2024.

La cour ne constate donc aucune violation de l'article 690 du code de procédure civile.

Au surplus, la cour constate que la société assignée et sa présidente ont été mises en mesure de se mettre en état pour l'audience qui a en outre été renvoyée à l'audience du 25 juin 2024 et ne peuvent se prévaloir d'aucun grief.

L'appelante sera par conséquent déboutée de sa demande de nullité de l'assignation et du jugement.

Sur les mérites de l'appel

'

Il s'infère de l'article L.631-1 du code de commerce que, pour constater l'absence de cessation des paiements, il y a lieu de vérifier si le débiteur est en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible étant précisé que le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.

Il résulte des dispositions de l'article L 631-8 du code de commerce que la date de cessation des paiements « peut être reportée une ou plusieurs fois sans pouvoir être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement d'ouverture de la procédure »

'

Le juge, saisi d'une contestation d'un report de la date de cessation des paiements'doit,'pour apprécier cette situation, se placer au jour auquel a été fixé le report de la'date'de'cessation'des'paiements.'

'

Sur le passif exigible

'

Pour déterminer le passif exigible, ne doivent être prises en considération que les dettes certaines, liquides et exigibles.

'

Cependant,'il n'est pas nécessaire que les créances invoquées aient fait l'objet d'un titre exécutoire. Seules peuvent être exclues du'passif'exigible'les dettes incertaines, telle une'créance'litigieuse dont le sort définitif est lié à une instance pendante devant un juge du fond ou résultant d'une décision susceptible de recours'et'le seul fait qu'une'créance'soit contestée par le débiteur, en défense à une demande tendant au report de la date de'cessation'des'paiements, ne suffit pas à la rendre litigieuse (Cass.com., 22 nov. 2023, n°22-19768).

Il résulte des pièces communiquées par le liquidateur que':

- la SAS Au bel âge avait annoncé un passif échu et exigible de 1.780.503 euros dans sa déclaration de cessation des paiements';

- la vérification du passif est en cours, le passif définitivement admis s'élevant à ce jour à 1.468.049,74 euros, 1.117.340,20 € restant en instance d'admission ou de rejet.

Parmi les créances, se présentent notamment :

- la créance de l'URSSAF, justifiée par des mises en demeure et contraintes restées infructueuses en tout ou partie depuis 2019, ramenée à la somme de 674.180,21 euros'; il y est notamment fait mention, notamment, des cotisations impayées de 2019 (février, mai, juin, novembre et décembre, pour la somme totale de 86.405 euros), 2020 (janvier à août, pour la somme totale de 119.008 euros) ;

- les cotisations de retraite déclarées par KLESIA s'élèvent à la somme totale de 147.408,52 euros, les cotisations impayées pour la période du mois de février 2020 au mois d'avril 2021 étant d'un montant total de 85'353,95' euros';

- dès le 26 juillet 2019, le bailleur des murs de la résidence a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire les loyers pour un montant de 40'392 euros':

* selon jugement du 6 mai 2021 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Grasse a constaté la résiliation du bail par application de la clause résolutoire et condamné la société Au bel âge au paiement d'un indemnité d'occupation, la somme due au mois de février 2020 étant arrêtée à 357'027 euros';

* par arrêt en date du 14 janvier 2022, le premier président a suspendu l'exécution provisoire de cette décision uniquement sur la mesure d'expulsion.

Ainsi, au mois d'août 2021, la société Au bel âge accusait un passif exigible d'un montant d'au moins 647'793,95 euros.

Sur l'actif disponible

'

L'actif disponible s'entend des éléments immédiatement disponibles et/ou réalisables.

Les comptes de la SAS Au bel âge mentionnent':

- en 2020, un résultat d'exploitation de 184.199 euros et un bénéfice de 149.099 euros'; dans l'actif circulant'des disponibilités de 32 311 euros'et d'« autres créances'» pour un montant total de 2'473'171 euros comprenant deux comptes courant «'[B]'» de 108'232 et 5'512 euros et un compte courant de la société WG consulting de 1'926'910 euros';

- en 2021, un résultat d'exploitation de 73.282 euros et un bénéfice de 72.623 euros'; des disponibilités de 39'827 euros et d'« autres créances'» pour un montant total de 2 359 426 euros comprenant deux comptes courant «'[B]'» de 108'232 et 5'512 euros un compte courant de la société WG consulting de 2.196.771 euros';

La société Au bel âge soutient qu'en dépit des créances impayées antérieures au 31 décembre 2022, elle était en capacité de faire face à son passif exigible grâce à son actif disponible de 2'634'149 euros au titre notamment d'une créance détenue sur sa société mère, la SAS WG consulting.

Cependant, le compte courant débiteur de cette société s'élevait à':

- 1.926.910 euros en 2020,

- 2.196.771 euros en 2021,

- 2.512.335 € en 2022,

- 2.634.149 € à la date de la déclaration de cessation des paiements

- 2.554.149 € à la date du jugement d'ouverture.

Or, alors que le 10 mai 2023, le liquidateur ès qualités a demandé à la société WG consulting de rembourser la somme de 2'554'149 euros à la société Au bel âge, la société WG consulting a été placée dès le 4 juillet 2023 en redressement judiciaire et la date de cessation des paiements a été fixée au 1er janvier 2023. Le 12 septembre 2023, le liquidateur judiciaire de la société Au bel âge a déclaré une créance de 2'512'336 euros à titre chirographaire dans le cadre du redressement judiciaire de la société WG consulting.

Il se déduit de ce qui précède que la créance détenue sur la société WG consulting n'était pas recouvrable à très court terme et qu'elle ne peut être, contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, incluse dans l'actif disponible, lequel se limite en réalité aux disponibilités d'un montant de 32 311 euros pour l'exercice 2020 et de 39'827 euros pour l'exercice 2021.

De la confrontation entre le passif exigible en août 2021 -d'au moins 647'793,95 euros- et l'actif disponible à cette date, compris dans une fourchette entre 30'000 et 40'000 euros environ, il résulte que la société Au bel âge était bien en état de cessation des paiements au 7 août 2021, a minima.

C'est donc de manière fondée que les premiers juges ont reporté la date de cessation des paiements au 7 août 2021, le fait que cette décision soit considérée comme inopportune par l'appelante en l'absence prétendue d'acte conclu par la SAS Au bel âge susceptible d'encourir la nullité sur cette période élargie, étant au demeurant indifférent.

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, il convient de confirmer la décision querellée en toutes ses dispositions.

Sur les demandes accessoires

La société Au bel âge succombant, sera condamnée aux dépens d'appel qui seront déclarés frais privilégiés de la procédure.

Infondée en sa demande au titre des frais irrépétibles, elle en sera déboutée.

PAR CES MOTIFS

'

La cour, statuant publiquement, après débats publics et par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

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Déboute la SAS Au bel âge de sa demande de nullité de l'assignation et du jugement';

Confirme en toutes ses dispositions le jugement querellé';

Y ajoutant,

Déboute la société Au bel âge de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

Condamne la société Au bel âge aux dépens qui seront déclarés frais privilégiés de la procédure.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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