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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 5 juin 2025, n° 23/03162

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 23/03162

5 juin 2025

ARRET



S.A. MIC INSURANCE COMPANY

C/

[U]

[U]

[L]

CJ/NP/BT/DPC

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU CINQ JUIN DEUX MILLE VINGT CINQ

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 23/03162 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2MG

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS DU VINGT SIX JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS

PARTIES EN CAUSE :

S.A. MIC INSURANCE COMPANY venant aux droits de MILLENNIUM INSURANCE COMPANY agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège prise en sa qualité d'assureur de Monsieur [C] [L]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Audrey D'HAUTEFEUILLE, avocat au barreau d'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Emmanuel PERREAU de la SELAS CABINET PERREAU, avocat au arreau de [Localité 7]

APPELANTE

ET

Monsieur [M] [U]

né le 16 Août 1956 à [Localité 6] (60)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Naldi VARELA FERNANDES de la SCP DELARUE VARELA MARRAS, avocat au barreau d'AMIENS

Madame [T] [U]

née le 23 Janvier 1959 à [Localité 7] (75)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Naldi VARELA FERNANDES de la SCP DELARUE VARELA MARRAS, avocat au barreau d'AMIENS

Monsieur [C] [L] exerçant sous l'enseigne ETABLISSEMENTS [C] [L] entrepreneur individuel

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Localité 4]

Représenté par Me Pauline de SAINT RIQUIER, avocat au barreau d'AMIENS substituant Me Damien DELAVENNE de la SCP EMERGENCE AVOCATS, avocat au barreau de LAON

INTIMES

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L'affaire est venue à l'audience publique du 13 février 2025 devant la cour composée de Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre, Présidente, M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, Conseillère, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la cour était assistée de Mme Nathanaëlle PLET, greffière placée en pré-affectation.

Sur le rapport de Mme Clémence JACQUELINE et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 05 juin 2025, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 05 juin 2025, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre et Mme Blanche THARAUD, greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [T] [U] et M. [M] [U] sont propriétaires d'une maison d'habitation sise [Adresse 1] (60).

Suivant devis accepté le 23 février 2018, pour un montant de 10 109 euros TTC, les époux [U] ont fait appel à M. [C] [L], en qualité d'entrepreneur individuel, pour réaliser l'enrobé de l'allée longeant leur propriété.

Ils ont payé, le 23 février 2018, un acompte à hauteur de 3 032 euros et un second règlement à hauteur de 3 538 euros a été réalisé le 11 juillet 2018.

À la suite de la réception de la facture n°FC0934, les époux [U] ont payé le solde des travaux, soit le montant de 3 539 euros.

À compter du mois de novembre 2018, ils ont dénoncé des malfaçons, notamment en ce que des zones de résorption d'eau se formaient au niveau de l'allée.

Par ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Beauvais du 10 octobre 2019, une expertise a été ordonnée au contradictoire de M. [L] et de son assureur, Millennium Insurance, et confiée à M. [O] [B]. Ce dernier a déposé son rapport le 30 juillet 2020.

En l'absence de solution amiable, les époux [U] ont fait assigner M. [L] en sa qualité d'entrepreneur individuel ainsi que la société Millennium Insurance par acte d'huissier de justice du 8 octobre 2021 devant le tribunal judiciaire de Beauvais aux fins d'être indemnisés de leurs préjudices.

Par jugement du 26 juin 2023, le tribunal judiciaire de Beauvais a :

- dit que le désordre n'est pas de nature décennale ; `

- dit que M. [C] [L] a commis une faute dans l'exécution des travaux de nature à engager sa responsabilité civile contractuelle ;

- constaté que le contrat d'assurance souscrit par M. [L] auprès de la société MIC Insurance s'applique s'agissant, en l'espèce, des dommages matériels résultant de sa faute ;

- constaté qu'une franchise de 1 500 euros s'applique au titre du dit contrat d'assurance ;

En conséquence,

- condamné in solidum M. [L] et la société Millenium Insurance à payer à Mme [T] [U] et M. [M] [U] la somme de 12 714 euros, application de la franchise assurantielle étant faite, au titre des travaux de reprise de l'enrobé ;

- condamné la société Millennium Insurance à garantir M. [L] de la condamnation susmentionnée, soit à hauteur de 12 714 euros ;

- condamné M. [L] à payer à M. et Mme [U] la somme de 1 500 euros au titre du coût des travaux de reprise non garanti par l'assurance ;

- condamné M. [L] à payer à M. et Mme [U] la somme de 1 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;

- débouté M. et Mme [U] de leur demande indemnitaire au titre du préjudice moral ;

- condamné in solidum M. [L] et la société Millennium Insurance à payer à M. et Mme [U] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [L] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société Millennium Insurance de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum M. [L] et la société Millennium Insurance aux dépens, et ce compris les frais d'expertise et de procédure de référé ;

- admis la SCP [Z] Vast Palmas à recouvrer auprès des parties perdantes les dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision ;

- débouté la société Millennium Insurance de sa demande au titre de l'exécution provisoire et rappelé que celle-ci est de droit.

La compagnie d'assurance Mic Insurance a interjeté appel de cette décision par déclaration du 12 juillet 2023.

Par ses dernières conclusions signifiées le 10 janvier 2025 par voie dématérialisée, la société Mic Insurance demande à la cour :

Infirmant le jugement entrepris, de :

- rejeter toute demande dirigée à l'encontre de Mic Insurance relative aux travaux de reprise, aucune des garanties Mic Insurance n'étant mobilisable à ce titre :

* la garantie RCD faute de désordre de nature décennal caché à la réception (le premier juge a parfaitement écarté la qualification de désordre décennal) ;

* la garantie RC au motif qu'elle n'a nullement pour objet de financer la reprise de l'ouvrage de l'assuré (au surplus, une clause spécifique l'exclut) ;

- débouter les consorts [U] de leurs réclamations formulées en première instance et au stade de l'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner les consorts [U] ou tout succombant aux entiers dépens, frais d'expertise compris, de première instance et d'appel et à verser à Mic Insurance la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Confirmant le jugement déféré, de :

- rejeter toute réclamation au titre du préjudice de jouissance allégué en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de Mic Insurance, sa garantie n'étant pas mobilisable au motif que :

* sont exclus de la garantie Mic Insurance les dommages immatériels non consécutifs ;

* les dommages immatériels consécutifs et non consécutifs n'entrent pas dans le champ de la garantie Mic Insurance lorsqu'ils ne sont pas constitutifs d'un préjudice économique.

Si par extraordinaire la cour venait à juger que la garantie de l'appelante est mobilisable au titre du préjudice de jouissance allégué, elle ne pourrait néanmoins que débouter les époux [U] de leur demande à ce titre, celle-ci étant manifestement infondée.

- rejeter toute réclamation au titre du préjudice moral allégué par les consorts [U] au motif que ce dernier n'est pas caractérisé.

Si par extraordinaire la Cour venait à juger que le préjudice moral allégué est caractérisé, elle ne pourrait néanmoins que débouter les époux [U] de leur demande à ce titre en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de Mic Insurance au motif que :

* sont exclus de la garantie Mic Insurance les dommages immatériels non consécutifs ;

* les dommages immatériels consécutifs et non consécutifs n'entrent pas dans le champ de la garantie Mic Insurance lorsqu'ils ne sont pas constitutifs d'un préjudice économique ;

* le préjudice moral ne ressort pas de la définition contractuelle des dommages immatériels indemnisables.

- entériner à l'instar du tribunal, le chiffrage de l'expert judiciaire s'agissant des travaux de reprise (14 214 euros TTC) et, en conséquence, fixer le préjudice des consorts [U] en la matière à 14 214 euros TTC et les débouter de toute réclamation plus ample ou contraire.

Si par extraordinaire la cour entrait en voie de condamnation à l'encontre de Mic Insurance, faire application, à l'instar du tribunal, de la franchise de 1 500 euros stipulée dans sa police.

En tout état de cause, débouter M. [L] de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Mic Insurance expose que la contrat d'assurance comporte deux volets : un volet « responsabilité civile décennale » (RCD) couvrant les dommages à des travaux de bâtiment engageant la responsabilité de l'assuré sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil, non mobilisable car les conditions de mises en oeuvre de ces dispositions ne sont pas remplies ; un volet « responsabilité civile » (RC) comportant une garantie avant et après réception ayant vocation à garantir les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile résultant de ses activités professionnelles qui ne peut financer la reprise des malfaçons ou désordres affectant l'ouvrage.

Elle soutient que les travaux ont fait l'objet d'une réception et que le désordre concernant l'enrobé a alors été signalé.

Elle expose ensuite que le préjudice de jouissance est un dommage immatériel non consécutif qui n'est pas couvert par sa garantie et non un préjudice économique. En tout état de cause, elle soutient que le préjudice de jouissance n'est pas caractérisé.

En reprenant les mêmes moyens, elle demande la confirmation du rejet de la demande au titre du préjudice moral.

Elle demande par ailleurs que soit rejetée la demande des époux [U] dépassant le chiffrage des dommages matériels opéré par l'expert faute de justification.

Elle demande que la franchise soit appliquée au tiers lésé.

Par leurs dernières conclusions signifiées par voie dématérialisée le 3 avril 2024, M. et Mme [U] demandent à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que M. [L] a commis une faute dans l'exécution des travaux de nature à engager sa responsabilité, constaté que le contrat d'assurance souscrit par M. [L] auprès de la société Mic Insurance s'applique s'agissant, en l'espèce, des dommages matériels résultant de sa faute, condamné M. [L] à leur payer la somme de 1 500 euros au titre du coût des travaux de reprise non garanti par l'assurance, a retenu l'existence d'un préjudice de jouissance, condamné in solidum M. [L] et la société Millenium Insurance à payer à M. et Mme [U] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamné in solidum M. [L] et la société Millenium Insurance aux dépens, et ce compris les frais d'expertise et de procédure de référé, condamné la société Millennium Insurance à garantir M. [L] des condamnations,

Infirmer la décision en ce qu'elle a dit que le désordre n'est pas de nature décennale, condamné in solidum M. [L] et la société Millenium Insurance à payer à M. et Mme [U] la somme de 12 714 euros, application de la franchise assurantielle étant faite, au titre des travaux de reprise de l'enrobé, condamné M. [L] à payer à M. et Mme [U] la somme de 1 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance, débouté M. et Mme [U] de leur demande indemnitaire au titre du préjudice moral ;

Statuant à nouveau,

- À titre principal retenir la responsabilité décennale de M. [L], entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne ENT [L] compte tenu des désordres affectant les travaux réalisés au domicile des époux [U] selon le devis n°DC1530 en date du 20 février 2018, affectant la solidité de l'ouvrage et le rendant impropre à sa destination.

- À titre subsidiaire, retenir la responsabilité contractuelle M. [L], entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne ENT [L] compte tenu des désordres affectant les travaux réalisés au domicile des époux [U] selon le devis n°DC1530 en date du 20 février 2018, comme étant non conformes aux règles de l'art, ce dernier ayant manqué à ses obligations de résultat et de conseil.

Par conséquent,

- condamner in solidum M. [L], entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne ENT [L] et son assureur, la société Mic Insurance à régler à M. et Mme [U] les sommes suivantes :

* 20 364 euros TTC à titre de dommages et intérêts pour la reprise des désordres et vices constatés dans le cadre des opérations expertales, sur le fondement du devis MACADAM 60 en date du 15 janvier 2020, et à titre subsidiaire, à hauteur de 14214 euros TTC comme retenu par l'expert judiciaire,

* 10 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

* 10 000 euros au titre de leur préjudice moral.

En tout état de cause,

- Débouter la société Mic Insurance de toutes ses demandes,

- Débouter M. [L] de toutes ses demandes,

- Condamner in solidum M. [L], entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne ENT [L] et son assureur, la société Mic Insurance à verser à M. et Mme [U] une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner in solidum M. [L], entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne ENT [L] et son assureur, la société Mic Insurance aux entiers dépens d'appel.

Ils soutiennent que si une réception tacite est intervenue, affirmer que des réserves ont été émises revient à dénaturer les termes du rapport d'expertise puisque l'expert se contente de faire état d'un mail de novembre 2018 évoquant le défaut de planéité de l'enrobé alors que la réception tacite date d'octobre 2018 et qu'aucune réserve n'a été émise.

Ils soutiennent que le désordre relève de la garantie décennale car l'ouvrage est impropre à son usage.

Ils estiment que la reprise des désordres doit être évaluée en tenant compte du devis qu'ils produisent et non des conclusions de l'expert compte tenu de contraintes qui pèsent sur l'entreprise qui reprendra l'ouvrage.

Ils prétendent que leur préjudice de jouissance a été sous-évalué car l'enrobé est parfois impraticable. Ils ajoutent qu'ils vont être privés de cet accès pendant la durée des travaux. Ils affirment que l'assureur doit garantir ce dommage qu'ils évaluent à 10 000 euros.

Ils exposent que leur préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros compte tenu de la durée de la procédure qui aurait pu être évitée compte tenu des conclusions indiscutables du rapport d'expertise.

Par ses dernières conclusions signifiées par voie dématérialisée le 14 décembre 2023, M. [L] demande à la cour de juger la société Mic Insurance, irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes, et les en débouter,

Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- dit que le désordre n'était pas de nature décennale ;

- dit que M. [L] a commis une faute dans l'exécution des travaux de nature à engager sa responsabilité civile contractuelle ;

- constaté que le contrat d'assurance souscrit par M. [L] auprès de la société Millennium Insurance s'applique s'agissant, en l'espèce des dommages matériels résultant de sa faute ;

- constaté qu'une franchise de 1 500 euros s'applique au titre dudit contrat d'assurance ;

- condamné in solidum M. [L] et la société Millennium Insurance à payer à M. et Mme [U] la somme de 12 714 euros en application de la franchise assurantielle étant faite au titre des travaux de reprise de l'enrobé ;

- condamné la société Millennium Insurance à payer à garantir M. [L] de la condamnation susmentionnée, soit à hauteur de 12 714 euros ;

- condamné M. [L] à payer à M. et Mme [U] la somme de 1 500 euros au titre des travaux de reprise non garanti par l'assurance ;

- débouté M. et Mme [U] de leur demande indemnitaire au titre du préjudice moral ;

- condamné in solidum M. [L] et la société Millennium Insurance à payer à M. et Mme [U] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [L] et la société Millennium Insurance de leurs demandes fondées sur l'articles 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum M. [L] et la société Millennium Insurance aux dépens et ce compris les frais d'expertise et de procédure de référé ;

- a admis la SCP [Z] à recouvrer auprès des parties perdantes les dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision ;

- débouté la société Millennium Insurance de sa demande au titre de l'exécution provisoire et rappelé que celle-ci était de droit ;

Juger M. [L] recevable et bien fondé en son appel incident et infirmer la décision déférée en ce qu'elle a :

- condamné M. [L] à payer à M. et Mme [U] la somme de 1 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;

Et, statuant de nouveau :

- 'débouter M. et Mme [U]',

- condamner la société Mic Insurance Company à payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Mic Insurance Company, Mme [U] et M. [U] aux entiers dépens.

Il expose que les conditions générales du contrat d'assurance doivent conduire à confirmer la condamnation de la société Mic Insurance Company à le garantir de toutes les condamnations mises à sa charge.

Il conteste l'existence d'un préjudice de jouissance alors que les époux [U] ont pu continuer à utiliser l'ouvrage.

La clôture de la procédure est intervenue le 15 janvier 2025 et l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 13 février 2025.

MOTIFS

1. M. et Mme [U] fondent leur action en indemnisation à titre principal sur la garantie décennale.

Aux termes de l'article 1792 du code civil tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

L'article 1792-2 du même code dispose que la présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert.

Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.

La mise en oeuvre de la garantie décennale suppose une réception des travaux, par procès-verbal ou tacite, la réception tacite étant caractérisée par la volonté non équivoque révélée par la prise de possession de l'ouvrage ainsi que par le paiement de la quasi-totalité des travaux.

En l'espèce, il existe un défaut de planéité de l'enrobé posé par M. [L]. L'eau de pluie stagne sur la surface de l'enrobé et crée des flaques d'eau ce qui occasionne des difficultés pratiques et esthétiques.

En l'état comme l'a relevé l'expert, M. [B], l'ouvrage n'est pas impropre à sa destination puisqu'il est utilisé. Il observe qu'avec le temps, les déformations de l'enrobé vont s'accentuer. En réponse à un dire du 24 décembre 2019, il indique que les flaques d'eau vont à terme remettre en cause la solidité de l'ouvrage car il se dégradera par 'l'interactivité et la présence d'eau.'

Un désordre évolutif peut être qualifié de décennal s'il est démontré que l'ouvrage sera atteint dans sa solidité dans le délai de dix ans suivant la réception.

L'expert n'apporte cependant aucune précision en l'espèce sur le délai dans lequel les désordres pourraient s'aggraver au point de porter atteinte à la solidité de l'ouvrage.

Il n'est donc pas démontré que l'ouvrage est impropre à sa destination ou sera atteint dans sa solidité dans le délai de dix ans de la garantie décennale. Les conditions de mise en oeuvre de la garantie décennale ne sont donc pas réunies.

2. S'agissant de la mise en oeuvre de la responsabilité civile de l'entrepreneur, ni M. [L] ni la SA MIC Insurance ne demandent l'infirmation du jugement qui a retenu sur le fondement des articles 1103 et 1231-1 du code civil que M. [L] a manqué aux règles de l'art et que l'exécution des travaux est défectueuse si bien que sa responsabilité contractuelle est engagée.

3. Les dispositions du jugement relatives à l'évaluation des préjudices et à leur indemnisation font en revanche l'objet d'un appel.

À ce titre, M. et Mme [U] forment un appel incident afin d'obtenir une indemnisation de leur préjudice matériel à hauteur de 20 364 euros TTC, à titre subsidiaire, à hauteur de 14 214 euros TTC, de leur préjudice de jouissance à hauteur de 10 000 euros et de leur préjudice moral à hauteur de 10 000 euros.

M. [L] conteste pour sa part l'existence du préjudice de jouissance sans remettre en cause l'évaluation du préjudice opérée par le premier juge à hauteur de 14 214 euros.

La société Mic se contente pour sa part de soutenir que sa garantie n'est pas mobilisable au titre du préjudice de jouissance sans contester son existence ou son évaluation par le premier juge.

Les travaux de reprise ont été évalués par l'expert pour un coût de 14 214 euros sur la base des postes et travaux du devis de la société Macadam 60 en vue d'une réfection à l'identique en excluant cependant la prise en compte de la reprise intégrale des surfaces.

Le devis en cause de la société Macadam 60 chiffre en effet les travaux de reprise pour un coût total de 20 364 euros TTC en incluant des travaux que l'expert n'a pas jugé nécessaires. Les époux [U] échouent à démontrer qu'ils sont indispensables à la remise en état de l'enrobé.

Le préjudice lié aux travaux de reprise sera donc évalué à la somme de 14 214 euros que M. [L] sera condamné à verser à M. et Mme [U]. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Le préjudice de jouissance de M. et Mme [U] est par ailleurs caractérisé dès lors que des flaques d'eau importantes se forment sur l'enrobé comme en attestent les photographies produites. La surface reste praticable mais la stagnation de l'eau rend inconfortable le passage quotidien sur le parking et l'allée recouverts d'enrobé sur une surface totale de 288 m².

Mme [U] est de surcroît contrainte de se déplacer en fauteuil roulant ce qui accroît encore le préjudice subi par la stagnation d'eau et le revêtement irrégulier de l'enrobé.

Par ailleurs, les travaux de reprise vont restreindre l'usage de cette zone d'accès à la propriété des époux [U].

Le préjudice subi sera dès lors indemnisé par l'allocation d'une somme de 5 000 euros. Le jugement sera infirmé sur ce point dans la mesure où il a alloué la somme de 1 000 euros aux intéressés.

M. [L] sera en conséquence condamné à verser 5 000 euros aux époux [U] à titre d'indemnisation de leur préjudice de jouissance.

Ces derniers ne démontrent en revanche pas subir un préjudice moral distinct du préjudice de jouissance si bien que le jugement sera confirmé en ce qu'il les a déboutés de leur demande à ce titre.

4. Sur la demande de condamnation de l'assureur à indemniser les époux [U] in solidum avec M. [L], aux termes l'article L.124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

En l'espèce, la compagnie MIC Insurance ne conteste pas la responsabilité de M. [L] dans la survenance des désordres mais uniquement la mobilisation de ses garanties. Il n'est pas contesté que les époux [U] rapportent la preuve de l'existence du contrat d'assurance, comportant les garanties de l'assureur de responsabilité dont ils se prévalent. Compte tenu de ces éléments, l'action directe apparaît recevable pour ce qui concerne la garantie civile professionnelle, étant précisé que la mise en oeuvre de la garantie décennale a été précédemment exclue.

Il résulte des conditions générales applicables que la responsabilité civile couverte par la compagnie Millenium comprend un volet responsabilité civile professionnelle stipulant que la garantie couvre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile de l'assuré pour les dommages corporels, matériels, immatériels consécutifs ou non consécutifs, causés à des tiers dans le cadre des activités assurées mentionnées aux conditions particulières survenant après réception ou livraison des travaux effectués, ou des produits livrés ou installés par l'assuré, lorsque ces dommages ont pour origine une malfaçon des travaux exécutés, une erreur dans la conception, dans l'exécution des prestations, (...).

Le débat sur l'existence de réserves à la date de la réception concerne uniquement les conditions de mise en oeuvre de la garantie décennale et non de la garantie responsabilité civile professionnelle.

M. et Mme [U] sollicitent le bénéfice de la garantie responsabilité civile professionnelle après livraison et réception en exposant qu'elle s'applique incontestablement au présent litige, en ce qu'il se situe après réception, les travaux ayant été achevés et intégralement réglés ce que ne conteste pas la société Mic.

Cependant, comme le réplique l'assureur, celui-ci est fondé à leur opposer la clause 34 stipulée à l'article III 'Exclusions' du chapitre consacré à la responsabilité civile générale, au C intitulé 'au titre de la garantie responsabilité civile après réception ou après livraison' en page 28 sur 76 des conditions générales du contrat, excluant les frais nécessaires pour réparer, parachever ou refaire le travail.

En effet, cette clause exclut du volet 'responsabilité civile après réception ou après livraison' de la police responsabilité civile générale du contrat d'assurance 'le prix du travail effectué et/ou du produit livré par l'assuré et/ou ses sous-traitants, ainsi que les frais engagés pour :

a. Réparer, parachever ou refaire le travail,

b. Remplacer tout ou partie du produit'.

M. et Mme [U], pas plus que M. [L], ne développent de moyen de défense sur ce point.

Cette exclusion de garantie est claire et précise, elle n'est pas étrangère à l'objet du litige et laisse, en outre, dans le champ de cette garantie, les dommages corporels et matériels causés aux tiers du fait de cette prestation défectueuse, et exclut seulement les coûts afférents aux dommages subis par les travaux réalisés au titre du contrat d'entreprise, ce qui est précisément l'objet de la demande de prise en charge des dommages à l'ouvrage formulée par les époux [U], de sorte qu'elle est valide.

Ces derniers seront déboutés de leur demande d'indemnisation des travaux de reprise formée à l'encontre de la société Mic. Le jugement sera ainsi infirmé en ce qu'il a condamné la société Mic in solidum avec M. [L] au paiement d'une indemnité au profit des époux [U] au titre des travaux de reprise.

Sur le préjudice de jouissance, la société Mic soutient qu'il est qualifiable de dommage immatériel non consécutif défini en page 7 sur 76 des conditions générales de 'préjudice économique, tel que privation de jouissance (....) qui serait consécutif à des dommages corporels ou matériels non garantis ou qui ne serait consécutif à aucun dommage corporel ou matériel'.

Les dommages immatériels consécutifs sont définis à la même page comme étant ' les préjudices économiques, tels que perte d'usage, interruption d'un service, cessation d'activité, perte d'un bénéfice ou perte de clientèle, qui sont consécutifs à des dommages matériels garantis'.

S'il ne peut être fait droit à la demande au titre des dommages immatériels consécutifs dès lors que la cour n'a pas retenu la mise en oeuvre des garanties sollicitées au titre des préjudices matériels, la demande d'indemnisation relève bien des dommages immatériels non consécutifs puisque les époux [U] ont été privés d'un usage normal de l'enrobé.

Le trouble de jouissance ne pouvant être réparé que par l'allocation d'une compensation financière, ce type de préjudice revêt nécessairement une nature économique que la clause précitée ne fait que rappeler.

Cependant, la clause 36 stipulée à l'article III 'Exclusions' du chapitre consacré à la responsabilité civile générale, au C intitulé 'au titre de la garantie responsabilité civile après réception ou après livraison' en page 28 sur 76 des conditions générales du contrat, prévoit que les dommages immatériels non consécutifs qui résultent de l'inexécution totale ou partielle des obligations contractées par l'assuré sont exclus de la garantie de l'assureur.

Sur ce point, à nouveau, les autres parties ne développent aucun moyen en défense.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les époux [U] de leur demande d'indemnisation de leur préjudice de jouissance formée contre la société Mic.

Ces exclusions de garantie sont opposables à M. [L] si bien que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de son appel en garantie de la société Mic s'agissant du préjudice de jouissance et infirmé en ce qu'il a condamné la société Mic à le garantir au titre de sa condamnation au paiement de la somme de 12 714 euros au profit de M. et Mme [U]. L'appel en garantie sera donc rejeté.

5. Le jugement sera par ailleurs infirmé en ce qu'il a condamné la société Mic in solidum avec M. [L] au paiement des dépens et d'une indemnité de 4 000 euros au profit des époux [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, seul M. [L] demeurant redevable de cette indemnité et des dépens comprenant les frais d'expertise et de la procédure de référé.

M. [L], qui succombe, sera par ailleurs condamné aux dépens d'appel et au paiement d'une indemnité de 3 000 euros à la société Mic Insurance au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Il sera condamné à verser à M. et Mme [U] une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Le surplus des demandes au titre des frais irrépétibles sera rejeté.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe, dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement en ce qu'il :

- dit que le désordre n'est pas de nature décennale ;

- dit que M. [C] [L] a commis une faute dans l'exécution des travaux de nature à engager sa responsabilité civile contractuelle ;

- condamne M. [C] [L] à verser à M. [M] [U] et Mme [T] [U] la somme de 14 214 euros au titre des travaux de reprise ;

- déboute M. [M] [U] et Mme [T] [U] de leur demande indemnitaire au titre du préjudice moral ;

- condamne M. [C] [L] à payer à M. [M] [U] et Mme [T] [U] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- déboute M. [C] [L] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamne M. [C] [L] aux dépens, et ce compris les frais d'expertise et de procédure de référé;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute M. [M] [U] et Mme [T] [U] de leurs demandes formées à l'encontre de la société MIC Insurance ;

Condamne M. [C] [L] à payer à M. [M] [U] et Mme [T] [U] la somme de 5 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;

Déboute M. [C] [L] de son appel en garantie de la société MIC Insurance ;

Condamne M. [C] [L] aux dépens d'appel ;

Condamne M. [C] [L] à payer à la société MIC Insurance une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et à M. [M] [U] et Mme [T] [U] une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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