CA Grenoble, ch. com., 5 juin 2025, n° 23/01174
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
French Touch Attitude (SARL)
Défendeur :
Forum Distribution Expansion (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
M. Bruno, Mme Faivre
Avocats :
Me Liber-Magnan, Me Grimaud, Me Llinas
EXPOSE DU LITIGE
La société French Touch Attitude est un organisme de formation qui propose ses services dans différents secteurs tels que celui du luxe, notamment les palaces/ hôtels de luxe, restaurants, automobiles ou de la presse notamment la vente et la diffusion.
Dans le cadre de ces activités de formation dédiées aux buralistes, vendeurs et diffuseurs de presse, la société French Touch Attitude a obtenu la certification référencée RS5312 enregistrée au Répertoire Spécifique établi par France Compétences, autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
A ce titre, elle est titulaire d'un certificat de qualification nationale QUALIOPI ainsi que d'une qualification OPQF, toutes deux délivrées par l'ISQ, permettant ainsi d'attester du professionnalisme, de la compétence et de la capacité des organismes de formation à réaliser une prestation de cette nature.
Cette certification lui permet de délivrer une certification de validation de compétences professionnelles à ses stagiaires, et surtout d'être référencée sur la plateforme « Mon compte formation » dédiée aux organismes dispensant des formations prises en charge dans le cadre du Compte Formation, financé par la Caisse des Dépôts et Consignations.
Elle permet également aux stagiaires de bénéficier de ladite prise en charge pour financer le coût de leur formation en mobilisant leur budget «Compte Formation Professionnelle'(CFP)» et de voir leurs compétences acquises attestées par l'obtention d'une certification.
Le guide d'utilisation de plateforme destiné aux organismes de formation «'EDOF'», rappelle en son article 1.1 qu'une des obligations légales liées au compte personnel de formation consiste à « être habilité par le certificateur pour proposer une action de formation à la vente sur Mon Compte Formation ».
La société Forum Distribution Expansion appartient au Groupe des Messageries Lyonnaises de Presse, acteur de la distribution de la presse depuis 1945.
En tant qu'opérateur spécialisé de la diffusion de presse, justifiant de la certification QUALIOPI, la société Forum Distribution Expansion s'est inscrite à la fin du mois de novembre 2019 sur la plateforme «Mon Compte Formation» pour proposer ses formations «Diffuseurs de presse'», sous l'intitulé : « Les fondamentaux du métier de diffuseur de presse » et « Comprendre et maîtriser les fondamentaux du métier de diffuseur de presse ».
Au mois d'août 2021, la Caisse des Dépôts et Consignations, gestionnaire de cette plateforme, a informé la société Forum Distribution Expansion que ses formations devaient être retirées, cette dernière n'ayant pas justifié de la formalité d'agrément préalable d'un organisme certificateur.
La société French Touch Attitude, estimant être le seul certificateur habilité à dispenser des formations certifiantes éligibles au «'CPF'» dédiées aux diffuseurs de presse et reprochant à la société Forum Distribution Expansion de se prévaloir illégitimement d'une certification obtenue pour une formation dédiée à la création et à la reprise d'entreprise dans le but de prétendre proposer des formations dédiées aux diffuseurs de presse, l'a mise en demeure par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 28 juillet 2021 de :
- cesser définitivement de proposer, de dispenser ou de commercialiser des formations dédiées aux diffuseurs de presse et de confirmer cet engagement par l'envoi d'un courrier,
- transmettre la liste des stagiaires ayant reçu illégitimement les formations litigieuses, ainsi que le montant du chiffre d'affaires réalisé par ce biais.
La Caisse des Dépôts et Consignations a informé la société French Touch Attitude avoir engagé une procédure de mise en demeure à l'encontre de l'organisme de formation, Forum Distribution Expansion indiquant que les offres concernées ont été déréférencées le 9 août 2021 et ne sont donc plus visibles dans son moteur de recherche et précisant avoir bloqué l'organisme à la vente lequel est donc tenu d'annuler les dossiers issus de ces offres.
Par acte extrajudiciaire en date du 16 novembre 2021, la société French Touch Attitude a fait délivrer assignation à la société Forum Distribution Expansion devant le tribunal de commerce de Vienne aux fins de :
- enjoindre sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, la société Forum Distribution Expansion à communiquer les éléments administratifs, comptables et financiers permettant de connaître la liste des stages irrégulièrement organisés et le chiffre d'affaires réalisé à son détriment,
- condamner la société Forum Distribution Expansion à l'indemniser du préjudice illégitimement subi subséquemment aux actes de concurrence déloyale, outre la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Forum Distribution Expansion aux entiers dépens de l'instance.
Par jugement du 9 février 2022 le tribunal de commerce de Vienne a :
- débouté la société French Touch Attitude de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société French Touch Attitude à payer à la société Forum Distribution Expansion la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société French Touch Attitude aux dépens prévus à l'article 695 du code de procédure civile et les a liquidés conformément à l'article 701 du code de procédure civile.
Par déclaration du 17 mars 2023 la société French Touch Attitude a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance en date du 11 janvier 2024, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Grenoble a :
- ordonné à la société Forum Distribution Expansion de communiquer à la société French Touch Attitude une copie du tableau de bord de la plateforme EDOF répertoriant le nombre de stagiaires enregistrés à la formation litigieuse, depuis l'ouverture de son compte jusqu'au jour de la décision, dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 200 euros par jour de retard,
- débouté la société French Touch Attitude du surplus de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens du présent incident suivront les dépens au fond.
Prétentions et moyens de la société French Touch Attitude:
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 15 novembre 2024, la société French Touch Attitude demande à la cour au visa de l'article 1240 du code civil de :
A titre principal:
- annuler la décision dont appel,
A titre subsidiaire,
- réformer la décision dont appel,
En tout état de cause,
- recevoir l'intégralité de ses moyens et prétentions,
- condamner la société Forum Distribution Expansion à l'indemniser du préjudice illégitimement subi subséquemment aux actes de concurrence déloyale susmentionnés à hauteur de la somme de 199.230 euros,
- condamner la société Forum Distribution Expansion à lui payer les sommes de 2.000 euros et 4.000 euros, respectivement pour la première instance et l'appel, au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Forum Distribution Expansion aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de sa demande en nullité du jugement, elle expose que la décision est entachée d'un excès de pouvoir manifeste dès lors que :
- dans son assignation et ses conclusions, elle a sollicité de la part du juge chargé d'instruire l'affaire, et ce en application des dispositions des articles 145 et 865 du code de procédure civile qu'il enjoigne, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, la société Forum Distribution Expansion à communiquer les éléments administratifs, comptables et financiers permettant de connaître la liste des stages ainsi irrégulièrement organisés, ainsi que le chiffre d'affaires réalisé à son détriment,
- d'ailleurs, dans le cadre de cette instance d'incident, les parties ont bien été convoquées le 24 novembre 2022 pour une plaidoirie courte interactive sur incident,
- or, contre toute attente, c'est bien le tribunal de commerce de Vienne, par un jugement rendu le 9 février 2023, qui a tranché le fond du litige retenant notamment que la demande de communication est mentionnée dès l'assignation et qu'il ne s'agit donc pas d'une demande incidente mais de la demande principale de la société French Touch Attitude, au même titre que sa demande d'indemnisation,
- le tribunal a donc clairement opéré une confusion entre les « demandes incidentes » définies à l'article 63 du code de procédure civile, qui sont des demandes au fond, et font à ce titre l'objet d'un jugement au fond rendu par la juridiction et les demandes d'instruction relevant des pouvoirs exclusifs du juge chargé d'instruire l'affaire, pouvant être formulées par les parties dans le cadre d'instances d'incident et sur lesquelles le juge chargé d'instruire l'affaire statue par ordonnance motivée,
- le tribunal a assimilé sa demande à une demande au fond alors qu'elle a en réalité sollicité une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 865 du code de procédure civile et relevant du pouvoir du juge chargé d'instruire l'affaire,
- elle a bien formulé cette demande dans le cadre d'un incident, puisque dans ses conclusions signifiées en première instance, elle formulait sa demande : «de la part du juge chargé d'instruire l'affaire, dans le cadre d'un incident qu'il devra faire venir à la prochaine audience utile'» et d'ailleurs à l'audience du 24 novembre 2022, son conseil a plaidé uniquement sur sa demande d'incident et non sur le fond du litige,
- non seulement la demande d'incident n'a donc pas été tranchée par le juge en charge d'instruire l'affaire, mais surtout, par la force des choses, l'erreur commise par la juridiction consulaire l'a, par conséquent, privé du droit de faire valoir ses arguments au fond dans le cadre de la première instance.
Au soutien de sa demande indemnitaire formée à titre subsidiaire, elle expose que la société Forum Distribution Expansion a commis des actes déloyaux à son encontre au motif que :
- cette dernière propose et dispense des formations destinées à s'appliquer spécifiquement au métier de diffuseur de presse, qui sont finançables avec le CPF des stagiaires bénéficiaires (dispositif piloté par la Caisse des Dépôt et Consignation), en vertu d'une certification destinée spécifiquement aux « créateurs et repreneurs d'entreprise », et qui ne correspond dès lors absolument pas à la formation proposée, alors qu'à ce jour, elle est la seule à détenir ladite certification permettant de proposer la formation dédiée au métier de diffuseurs de presse, extrêmement complexe à acquérir,
- or, en inscrivant ses formations sur cette plateforme, alors qu'elle ne disposait pas de la certification requise au répertoire spécifique établi par France Compétences, l'intimée n'a pas respecté la réglementation en vigueur,
- le non-respect de la réglementation en vigueur entraîne une distorsion de concurrence accordant à la société Forum Distribution Expansion un avantage économique certain par rapport à elle et caractérisant une concurrence déloyale, dès lors qu'en agissant ainsi, la société Forum Distribution Expansion détourne une clientèle qui aurait naturellement été dirigée vers elle si l'intimée respectait la réglementation et proposait uniquement des formations entrant dans le champ de sa certification,
- selon la jurisprudence, la simple constatation du non-respect de la réglementation, à l'origine d'une distorsion de concurrence, suffit à caractériser la concurrence déloyale et elle a bien caractérisé l'existence d'un acte de parasitisme de la part de la société Forum Distribution Expansion.
En réponse à l'intimée, qui se prévaut de sa bonne foi, elle soutient qu'il est de jurisprudence constante que l'action en concurrence déloyale n'est pas conditionnée par la preuve de la mauvaise foi du défendeur, dès lors qu'on lui reproche une faute de négligence ou d'imprudence, voire la violation d'une disposition réglementaire.
Elle soutient enfin que la société Forum Distribution Expansion, ne peut s'exonérer en se prévalant de ce qu'initialement la Caisse des Dépôts et Consignation n'exerçait aucun contrôle, de telle sorte qu'elle pensait légitimement remplir toutes les conditions requises et qu'elle a pu inscrire sa formation sans qu'aucune observation ni réserve ne lui soit faite, alors que la réglementation applicable est claire et elle ne peut rejeter la responsabilité sur les instances de la certification professionnelle, ni se draper derrière une prétendue bonne foi.
S'agissant de son préjudice, elle expose que :
- elle s'est astreinte à respecter scrupuleusement tout le processus d'obtention de ladite certification, long et particulièrement chronophage, lequel a abouti finalement à l'obtention du prestigieux sésame le 16 décembre 2020,
- elle souffre donc de la concurrence déloyale d'un acteur qui s'est exonéré de ces contraintes, a détourné le mécanisme susmentionné par des moyens frauduleux et proposé des tarifs beaucoup plus bas que ceux qu'elle pratique,
- le processus de certification a été long et ce n'est que le 21 décembre 2020, soit près de 3 ans après le début de ce projet que sa certification a enfin été enregistrée au répertoire spécifique sous le numéro RS5312,
- l'aboutissement d'un tel projet implique nécessairement la détention d'un savoir-faire spécifique et d'une expertise dans le domaine des métiers de diffuseur de presse et de buraliste et jusqu'à ce jour, elle est seule titulaire de la certification litigieuse, ce qui implique que chaque stage irrégulièrement souscrit auprès de l'intimée est un stage qui lui a été dérobé puisque le stagiaire aurait dû, si la société Forum Distribution Expansion avait respecté les règles édictées par l'administration, être orienté vers elle,
- il ne fait aucun doute que des stagiaires ont suivi les formations dispensées par l'intimée grâce à la plateforme «'Mon Compte Formation'», puisque des captures écrans du site moncompteformation.gouv.fr, enregistrées à l'époque des faits permettent de constater que sur les deux formations référencées sur le portail EDOF, la société Forum Distribution Expansion avait recueilli au total 19 évaluations,
- elle a pu constater grâce à ses propres statistiques que moins de 25% des stagiaires laissent un avis après avoir suivi une formation, de sorte qu'il est dès
lors légitime de supposer que le volume de stagiaires ayant suivi leurs formations certifiantes est important,
- suite à l'ordonnance du conseiller de la mise en état, l'intimée a transmis une copie du tableau de bord de la plateforme EDOF répertoriant le nombre de stagiaires enregistrés aux formations litigieuses depuis l'ouverture de son compte ainsi que la liste des stagiaires inscrits aux formations litigieuses par ordre chronologique depuis l'ouverture du compte EDOF de la société Forum Distribution Expansion et ces documents font clairement apparaître que cette dernière a frauduleusement adossé quatre formations en rapport avec les métiers de la presse à leur certification « création et reprise d'entreprise », laquelle n'a aucun rapport avec le contenu des formations dispensées, soit, «'Les fondamentaux du métier de marchand de presse'», «'Comprendre et maîtriser les fondamentaux du métier de diffuseur de presse'» et «'Le métier de diffuseur de presse, environnement et gestion du rayon presse'»,
- or, elle est la seule à avoir obtenu l'enregistrement de la certification « Gérer une activité de presse» au répertoire spécifique de France Compétences aux termes de la décision d'enregistrement aux répertoires nationaux rendue par le directeur général de France compétences le 16 décembre 2020, de sorte qu'à compter de cet enregistrement, et dès lors, depuis le 16 décembre 2020, elle est le seul organisme détenteur d'une certification professionnelle ayant pour effet de rendre certifiante et éligible au compte CPF sa formation « initiation au métier de marchand de presse'»,
- en conséquence, les stagiaires qui ont suivi l'une des formations dispensées par la société Forum Distribution Expansion entre le 16 décembre 2020, date de l'enregistrement de sa certification et à partir de laquelle elle est devenue le seul organisme certifiant pour la formation «initiation au métier de marchand de presse'» et le 26 juillet 2021, date du dernier dossier stagiaire enregistré par l'intimée via le compte CPF, ont nécessairement été détournés puisque ces derniers auraient dû, si l'intimée avait respecté les règles édictées par l'administration, être orientés vers elle,
- cela représente 184 stagiaires, 46 stagiaires au titre de la formation « Les fondamentaux du métier de marchand de presse », 85 stagiaires au titre de la formation « Comprendre et maîtriser les fondamentaux du métier de diffuseur de presse » et 53 stagiaires au titre de la formation « Le métier de diffuseur de presse »,
- elle commercialisait sa formation « Initiation au métier de marchand de presse» au prix de 900 euros jusqu'au 31 décembre 2020, puis au prix de 1.090 euros TTC à partir du 1er janvier 2021, de sorte que son préjudice est de 199.230 euros TTC, soit 7 stagiaires qui ont suivi les formations de l'intimée en 2020, ce qui équivaut à un préjudice en 2020 d'un montant de 7.900 euros TTC et 177 stagiaires ont suivi les formations de l'intimée en 2021, ce qui conduit à un préjudice en 2021 d'un montant de 192.930 euros TTC.
Prétentions et moyens de la société Forum Distribution Expansion:
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 3 octobre 2024, la société Forum Distribution Expansion demande à la cour au visa de l'article 1240 du code civil de :
- rejeter la demande d'annulation et la demande de réformation,
- débouter la société French Touch Attitude de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions,
- condamner l'appelante à supporter les dépens ainsi qu'à verser à la concluante la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que si les formations qu'elle propose ne sont pas éligibles au CPF, c'est pour le seul motif que le ministère n'a pas référencé ces formations obligatoires dans l'un des répertoires de France Compétences et si elle ne s'en est pas avisée, c'est parce qu'au moment de son inscription au mois de novembre 2019, la Caisse des Dépôts et Consignations, chargé de la gestion du
CPF n'exerçait aucun contrôle, de telle sorte qu'elle pensait légitimement remplir toutes les conditions requises et a pu inscrire ses formations sans qu'aucune observation ni réserve ne lui soit faite.
Pour contester tout acte de concurrence déloyale, elle expose que la concurrence déloyale est une action volontaire destinée à provoquer une confusion auprès du public ou à provoquer une désorganisation d'un concurrent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, alors que:
- le seul fait d'avoir poursuivi son activité historique de formation en s'inscrivant sur le site «'Mon Compte Formation'», à une époque où les règles n'étaient pas fixées et où aucun contrôle n'était exercé, ne saurait constituer un acte de concurrence déloyale,
- la Cour de cassation a jugé que "n'est pas fautif l'agent économique qui débute son activité avant qu'une nouvelle formalité ne soit exigée, puis accomplit les démarches administratives nécessaires pour se mettre en conformité",
- il n'est allégué ni, a fortiori, démontré aucun risque de confusion, aucun dénigrement, ni aucune désorganisation.
Pour contester tout parasitisme, elle indique que :
- le parasitisme est un comportement volontaire et la jurisprudence exige que l'intention de l'entreprise parasite de se placer dans le sillage d'autrui soit démontrée, or elle ne s'est en aucun cas placée dans le sillage de l'appelante et tout au contraire, elle déployait ses activités bien avant celle-ci, et il n'est d'ailleurs allégué d'aucune tentative en ce sens,
- le demandeur doit rapporter la preuve de ses efforts, d'un savoir-faire, de ses investissements, plus généralement d'une valeur économique dont il lui est reconnu l'usage exclusif,
- or, une telle preuve n'est pas rapportée, alors que si l'obtention de son agrément en matière de diffusion de presse lui a demandé « plusieurs années de démarches administratives complexes et chronophages », ce qui n'est nullement démontré, c'est à l'évidence parce qu'au moment de la présentation de sa demande d'agrément, elle ne connaissait pas les métiers de diffuseur de presse et de buraliste et ne disposait d'aucune expertise dans ce domaine, puisque spécialisée dans les activités d'hôtellerie et de luxe,
- ces formalités, et le temps qui a pu y être consacré, ne constituent en rien une valeur économique, et moins encore une valeur dont elle aurait un usage exclusif,
- la seule obtention d'une autorisation administrative, quand bien même elle nécessite des diligences, ne constitue pas une valeur protégeable au titre de la concurrence déloyale ou du parasitisme, étant par nature accessible à tout candidat qui en remplit les conditions,
- de manière plus générale, la demanderesse ne justifie d'aucune antériorité, d'aucun savoir-faire spécifique, d'aucune notoriété dans le domaine des diffuseurs de presse qui aurait pu être usurpée par quiconque, ni même d'aucun effort ou investissement particulier à l'exception des formalités nécessaires à l'obtention d'une autorisation administrative.
Pour contester l'existence d'un préjudice, elle fait valoir que :
- l'appelante justifie le dommage concurrentiel par l'affirmation, au demeurant non prouvée, selon laquelle l'obtention de sa certification par France Compétences aurait nécessité plusieurs années de démarches administratives complexes et chronophages,
- pour autant, elle ne chiffre pas son préjudice par référence au coût d'obtention dudit agrément, dont elle ne dit mot et sur lequel elle ne donne aucune indication,
- l'affirmation selon laquelle elle a détourné des stagiaires repose intégralement sur le postulat selon lequel le choix d'une formation professionnelle serait exclusivement guidé par la possibilité de justifier d'une formation certifiante et d'en obtenir la prise en charge par la collectivité et les formations offertes par chacune des parties seraient intégralement substituables,
- or tel n'est pas le cas, alors que :
* l'exercice de l'activité de diffuseur de presse ne requiert pas de justifier d'une formation certifiante et le coût de la formation représente 0,15% de l'investissement nécessaire à la réalisation d'un projet de point de vente, de sorte qu'à l'évidence, la prise en charge de la formation, qui n'est pas obligatoire, ne constitue pas un critère déterminant pour un candidat à la création ou à la reprise d'un point de diffusion de presse,
* les offres des deux sociétés ne sont ni identiques, ni substituables, la société French Touch Attitude, qui a débuté son activité dans ce domaine en décembre 2020 et n'avait aucune notoriété à la date des faits, n'offre que des formations à distance, facturées 900 euros en 2020 et 1.090 euros, en 2021, alors qu'à l'inverse, elle prolonge l'activité des Messageries Lyonnaises de Presse depuis 1945 et bénéficie d'une indéniable notoriété dans le monde professionnel, offre principalement des formations en présentiel et ce à des tarifs moins élevés,
- aucun phénomène de report n'a été constaté sur la période postérieure aux faits, alors que sur l'année 2021, elle a dispensé 710 formations contre 680 formations sur l'année 2022, soit un écart d'environ 4% non significatif, et de surcroît est conforme à la tendance naturelle du marché tiré à la baisse par la diminution régulière du nombre de points de vente, de sorte que l'appelante aurait été irrégulièrement privée d'un report mécanique de la clientèle de la société Forum Distribution Expension en sa faveur est ainsi totalement contredite par les faits.
Plus subsidiairement, pour contester le quantum du préjudice réclamé, elle indique que l'appelante sollicite, au titre d'un manque à gagner, l'indemnisation d'un chiffre d'affaires, alors que la réalisation du chiffre d'affaires nécessite l'engagement des charges afférentes (rémunération des formateurs, mise à disposition des outils et des supports de formation, paiement des charges sociales et fiscales, etc.) et que l'indemnisation d'un manque à gagner ne peut correspondre qu'à l'avantage réel et effectif qu'elle aurait pu retirer de l'activité dont elle prétend avoir été privée, exprimé en marge sur coûts variables ou en excédent brut d'exploitation par formation réalisée et alors que la société appelante ne fournit aucun élément de détermination de son préjudice réel et échoue dans l'administration de la preuve du préjudice dont elle prétend obtenir réparation.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 février 2025, l'affaire a été appelée à l'audience du 20 mars 2025 et la décision mise en délibéré a été prononcée le 5 juin 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité du jugement pour excès de pouvoir
L'excès de pouvoir consiste pour le juge à méconnaître l'étendue de son pouvoir de juger.
Conformément à l'article 865 du code de procédure civile, le juge chargé d'instruire l'affaire peut ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction. Il tranche les difficultés relatives à la communication des pièces. Il constate l'extinction de l'instance. En ce cas, il statue sur les dépens et sur les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile.
En l'espèce, dans son assignation du 16 novembre 2021, puis dans des conclusions en réponse contenant une demande d'incident, la société French Touch Attitude a demandé au tribunal de commerce de Vienne d'ordonner la production de pièces sous astreinte en faisant référence au juge chargé d'instruire l'affaire et de condamner la société Forum Distribution Expansion à lui payer des dommages et intérêts pour concurrence déloyale outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile en faisant référence au tribunal.
Au terme du jugement du 9 février 2023 déféré à la cour, le tribunal de commerce de Vienne a débouté la société French Touch Attitude de cette demande de communication de pièce, au motif que l'article 865 du code de procédure civile visée par la demanderesse n'a pas vocation à s'appliquer s'agissant d'une demande formée à titre principal dans son assignation et ses conclusions et que cette demande est au surplus vague, imprécise et excessive.
Or, aucune disposition du code de procédure civile ne donne compétence exclusive au juge chargé d'instruire l'affaire pour se prononcer sur une demande de communication de pièce, de sorte que le tribunal de commerce saisi par assignation puis par conclusions de cette demande n'a commis aucun excès de pouvoir. En conséquence, il convient de débouter l'appelante de sa demande d'annulation du jugement.
Sur la concurrence déloyale
Conformément à l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application de cette disposition, il est de jurisprudence constante que le fait pour une entreprise de ne pas appliquer une disposition législative ou réglementaire crée pour elle un avantage dans la concurrence, puisque, se faisant, elle s'exonère de contraintes auxquelles ses concurrents sont soumis et sa transgression est donc à l'origine d'une distorsion de concurrence, qui participe à la désorganisation générale du marché, de sorte que le non-respect d'une disposition impérative constitue un acte de concurrence déloyale (Cass. 1re civ., 27 nov. 2008, n° 07-15.066'; Cass. com., 18 avr. 2000, n° 98-12.719). Le défaut de respect de la réglementation administrative dans l'exercice d'une activité commerciale constitue une faute génératrice d'un trouble commercial pour un concurrent, (Cass. com., 19 juin 2001, n° 99-15.411).
La Cour de cassation retient également que constitue un acte de concurrence déloyale le non-respect d'une réglementation dans l'exercice d'une activité commerciale, qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur (Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-10.414).
En l'espèce, il est constant que la société Forum Distribution Expansion s'est inscrite à la fin du mois de novembre 2019 sur la plateforme « Mon Compte Formation » pour proposer ses formations à destination des diffuseurs de presse, intitulées, « Les fondamentaux du métier de diffuseur de presse » et «Comprendre et maîtriser les fondamentaux du métier de diffuseur de presse'», sans toutefois disposer de la certification requise au répertoire spécifique établi par France Compétences, comme cela résulte d'ailleurs du courriel de mise en demeure que lui a adressé la Caisse des Dépôts et Consignations le 9 août 2021, l'informant du déréférencement de ces offres ne respectant pas les règles d'éligibilité au Compte de Formation Professionnelle.
Il est en revanche établi que la société French Touch Attitude a obtenu l'enregistrement de sa certification au titre de la formation intitulée « Gérer une activité de Presse » au répertoire spécifique établi par France Compétences sous le numéro RS5312 selon décision du 16 décembre 2020.
En conséquence, la société Forum Distribution Expansion qui a dispensé des formations à destination des diffuseurs de presse, via la plate-forme en ligne «'Mon compte Formation'» en violation des dispositions légales et réglementaires imposant l'obtention d'une certification, s'est ainsi créée un avantage en s'exonérant des contraintes administratives auxquelles la société French Touch Attitude, qui intervient sur le même domaine d'activité, a quant à elle été soumise.
Ce défaut de respect de la réglementation administrative relative à la certification constitue ainsi une faute génératrice d'un trouble commercial pour la société French Touch Attitude dont l'intimée ne peut s'exonérer en soutenant, qu'au moment de la mise en ligne de ses formations, la Caisse des Dépôts et Consignation ne procédait pas à des contrôles, alors que cette allégation n'est assortie d'aucune offre de preuve et qu'en tout état de cause, l'absence de contrôle systématique n'est pas de nature à écarter le caractère impératif de la réglementation qui s'imposait à elle en tant qu'opérateur de formation. Elle ne démontre pas davantage autrement que par ses allégations, avoir démarré son activité avant la mise en 'uvre de l'exigence administrative de certification, de sorte que ce moyen est tout autant inopérant.
En considération de l'ensemble de ces éléments, la société French Touch Attitude est donc bien fondée à se prévaloir d'actes de concurrences déloyale de la part de la société Forum Distribution expansion, résultant du non-respect d'une réglementation dans l'exercice d'une activité commerciale, sans qu'il soit nécessaire de suivre davantage les parties dans le détail de leurs argumentations s'agissant de l'existence d'actes de parasitismes, lesquels ne sont pas démontrés.
Sur le préjudice
En matière de responsabilité pour concurrence déloyale, il est de jurisprudence constante qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale (Com., 22 octobre 1985, n° 83-15.096; Com., 27 mai 2008, n° 07-14.442 ; 1re Civ., 21 mars 2018, n° 17-14.582 ; Com., 28 septembre 2010, n° 09-69.272 ; Com., 11 janvier 2017, n° 15-18.669).
Il en résulte une présomption de préjudice, qui ne dispense pas pour autant le demandeur de démontrer l'étendue de celui-ci, et qui répond à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer.
Si les effets préjudiciables de pratiques tendant à détourner ou s'approprier la clientèle ou à désorganiser l'entreprise du concurrent peuvent être assez aisément démontrés, en ce qu'ils induisent des conséquences économiques négatives pour la victime, soit un manque à gagner et une perte subie, y compris sous l'angle d'une perte de chance, tel n'est pas le cas de ceux des pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent, ou à s'affranchir d'une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu'ils permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu.
Lorsque tel est le cas, il y a lieu d'admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes (Com., 12 février 2020, pourvoi n° 17-31.614).
En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'intimée, il est établi que les deux sociétés sont directement concurrentes sur un marché restreint puisque seule l'appelante dispose d'une certification relative à la gestion d'une activité de presse, comme cela résulte de la copie de la capture écran du site internet France Compétence.
Par ailleurs, il ressort de la copie du tableau de bord de la plate-forme EDOF répertoriant le nombre de stagiaires enregistrés aux formations dispensées sans certification par la société Forum Distribution Expansion et de la liste des stagiaires inscrits aux formations litigieuses depuis l'ouverture du compte EDOF de l'intimée que cette dernière a proposé sur la plate-forme quatre formations en rapport avec les métiers de diffuseur de presse, soit «'Les fondamentaux du métier de marchand de presse», «'Comprendre et maîtriser les fondamentaux du métier de diffuseur de presse », «'Le métier de diffuseur de presse'» et «'Diffuseur de presse': environnement et gestion du rayon presse'» et qu'entre la date à laquelle la société appelante a obtenu sa certification le 16 décembre 2020 et la date de l'enregistrement du dernier stagiaire de la société Forum Distribution Expansion sur la plate-forme « Mon Compte Formation » le 26 juillet 2021, 184 stagiaires se sont inscrits à ces formations.
S'il n'est pas contestable qu'en proposant lesdites formations sur la plate-forme «'Mon compte Formation'» en méconnaissance de l'exigence légale de certification, la société Forum Distribution Expansion a ainsi pu commercialiser des formations au détriment de la formation certifiée proposée par l'appelante, le préjudice de cette dernière ne peut néanmoins être équivalant au chiffre d'affaires qu'elle aurait réalisé en vendant elle-même ces 184 formations, soit la somme de 199.230 euros TTC, alors que comme le relève justement l'intimée, le préjudice résultant du manque à gagner résultant de l'avantage concurrentiel indu dont se prévaut l'appelante ne peut correspondre au chiffre d'affaires, mais à l'avantage réel et effectif qu'elle aurait pu retirer de l'activité, lequel doit être exprimé en marge.
Dès lors, et compte tenu du taux de marge des organismes de formation par apprentissage qui s'établit à 8,6'% selon France Compétence, le préjudice subi par la société French Touch Attitude sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 17.133 euros (199.230 euros x 8,6'%). Il convient donc de condamner la société Forum Distribution Expansion à lui payer cette somme et d'infirmer le jugement déféré.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
La société Forum Distribution Expansion doit supporter les dépens de première instance et d'appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés et verser à la société French Touch Attitude la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d'appel. Il convient en outre d'infirmer le jugement déféré. Il y a également lieu de débouter la société Forum Distribution Expansion de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déboute la société French Touch Attitude de sa demande d'annulation du jugement,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne la société Forum Distribution Expansion à payer à la société French Touch Attitude la somme de 17.133 euros en réparation de son préjudice au titre de la concurrence déloyale,
Condamne la société Forum Distribution Expansion à payer à la société French Touch Attitude la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d'appel,
Déboute la société Forum Distribution Expansion de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Forum Distribution Expansion aux dépens de première instance et d'appel.