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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 13 juin 2025, n° 23/05836

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lidl (SNC)

Défendeur :

Carrefour Hypermarches (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseiller :

Mme Salord

Conseiller :

M. Buffet

Avocats :

Me Guyonnet, Me Djavadi, Me Guerre, Me Moreau-Margotin, Me Rahier

T. com. Paris, 15e ch., du 6 mars 2023, …

6 mars 2023

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 6 mars 2023 par le tribunal de commerce de Paris qui a :

- mis hors de cause la SAS [Adresse 13],

- débouté la SNC Lidl de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la SAS [Adresse 14],

- condamné la SNC Lidl à payer à la SAS [Adresse 14] la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SAS Carrefour Hypermarchés de ses demandes pour procédure abusive,

- condamné la SNC Lidl aux entiers dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,93 euros dont 14,94 euros de TVA,

Vu l'appel interjeté le 24 mars 2023 par la société Lidl,

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 mai 2024 par la société Lidl, qui demande à la cour de :

A titre principal,

- recevoir Lidl en son appel,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce en date du 6 mars 2023 en ce qu'il a mis hors de cause la société [Adresse 13] et débouté les demandes de la SNC Lidl à l'encontre de la SAS [Adresse 14],

En conséquence,

- juger que Carrefour s'est livrée à des actes de concurrence déloyale en proposant à la vente dans au moins deux de ses établissements des plantes et fleurs le 24 et 27 novembre 2020 en violation des dispositions du décret n°2020-1310,

- enjoindre à [Adresse 11] de communiquer son chiffre d'affaires réalisé dans l'ensemble de ses points de vente ayant réalisé des ventes de fleurs et plantes prohibées et en violation du décret n° 2020-1310 tel que modifié par le décret n° 2020-1331,

- condamner Carrefour au versement de la somme de 4 174 228,76 euros au titre du préjudice subi par Lidl du fait des actes de concurrence déloyale de [Adresse 11], à parfaire,

- débouter Carrefour de toutes ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause,

- condamner [Adresse 11] à verser la somme de 35 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens,

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 avril 2024 par la société Carrefour France et la société [Adresse 14], qui demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- mis hors de cause la société Carrefour France,

- débouté la société Lidl de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la Sas [Adresse 14],

- condamné la société Lidl aux entiers dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,93 euros dont 14,94 euros de TVA.

- condamné la société Lidl à payer à la Sas [Adresse 14] la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Carrefour Hypermarchés de ses demandes pour procédure abusive,

Et statuant à nouveau :

- débouter la société Lidl de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause,

- condamner la société Lidl à payer à chacune des sociétés [Adresse 13] et Carrefour Hypermarchés la somme de 50 000 euros au titre de la procédure abusive,

- condamner la société Lidl à payer aux sociétés [Adresse 13] et Carrefour Hypermarchés la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés pour l'instance par devant la cour de céans,

- condamner la société Lidl aux entiers dépens,

SUR CE,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société Lidl est active en France depuis 1989 dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire au travers de plus de 1 500 points de vente. Elle propose des produits ayant « le meilleur rapport qualité/prix » par un positionnement de marché dit de « discounter ».

Le groupe [Adresse 11] exerce son activité dans le secteur de la grande distribution depuis 60 ans et exploite 12 225 magasins en France et dans le monde. Les sociétés Carrefour France et [Adresse 14] appartiennent au groupe Carrefour. La société [Adresse 13] est la société holding du groupe. La société Carrefour Hypermarchés exploite la majorité des hypermarchés à enseigne [Adresse 11] dont font partie les deux hypermarchés situés respectivement [Adresse 7] à [Adresse 17]) et [Adresse 2] à [Localité 20].

Le 20 octobre 2020, dans le cadre de l'urgence sanitaire liée à l'épidémie de covid-19, le décret n°2020 -1310 a interdit l'accueil du public pour la vente de certains produits.

La société Lidl, ayant estimé que les sociétés [Adresse 11] n'avaient pas respecté la réglementation imposée par ce décret, a fait procéder le 24 novembre 2020 à un premier constat d'achat par Me [G], huissier de justice à [Localité 19], au sein de l'établissement Carrefour de La Ville Du Bois, d'une plante en pot « Poinsettia » pour un montant de 2,50 euros, puis le 27 novembre 2020 à un second constat d'achat également par Me [G], huissier de justice à [Localité 19], au sein de l'établissement [Adresse 11] situé à [Localité 21][Adresse 1] [Adresse 3], d'une plante en pot « Ceanothus » pour un montant de 2,40 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 mars 2021, la société Lidl a mis en demeure la société [Adresse 13] de lui communiquer le détail des prétendues activités illicites qu'elle aurait commises, dans un délai de 14 jours à compter de la réception de sa lettre, invoquant avoir subi un préjudice économique du fait d'actes de concurrence déloyale commis par le groupe Carrefour et en particulier de la violation du décret n° 2020-1310, par la pratique de la vente illicite de fleurs lui ayant causé une perte de clientèle ainsi que des frais dus à la destruction de son stock de fleurs.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 15 avril 2021, la société [Adresse 11] a contesté le bien-fondé du grief dont se prévalait la société Lidl, en indiquant notamment que l'achat de plantes et non de fleurs a été constaté, et que la destruction par la société Lidl de son stock de fleurs n'était pas la conséquence des grief invoqués.

La société Lidl a maintenu ses demandes et selon actes d'huissier des 4 et 6 octobre 2021, a fait assigner la société [Adresse 13] et la société Carrefour Hypermarchés en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce de Paris.

C'est dans ce contexte qu'a été rendu le jugement dont appel.

Sur la mise hors de cause de la société [Adresse 13]

La société Lidl fait grief aux premiers juges d'avoir mis hors de cause la société [Adresse 13] considérant qu'il résulte de la jurisprudence et des faits de l'espèce que cette dernière s'est immiscée « dans la société Carrefour Hypermarchés ». Elle fait valoir que la société [Adresse 13] a nécessairement retiré un bénéfice des agissements fautifs de l'ensemble de ses établissements, qu'elle est la holding de la société Carrefour Hypermarchés mais aussi des points de vente [Adresse 15] et Carrefour Express, qui n'ont également pas respecté l'interdiction de revente des plantes et fleurs, que c'est d'ailleurs la société [Adresse 13] qui a répondu à sa lettre de mise en demeure, que de plus, elle réclame à cette dernière la communication d'informations permettant de calculer le montant de son préjudice.

La société Carrefour France réplique qu'elle est une entité distincte et autonome des autres sociétés du même groupe, qu'elle n'est pas responsable des activités des hypermarchés [Adresse 11] et qu'en l'absence de faute personnelle, sa responsabilité ne peut être engagée. Elle ajoute que la preuve d'aucune immixtion de sa part dans la gestion et la politique commerciale des hypermarchés Carrefour n'est rapportée, enfin que ce n'est pas elle qui a répondu à la mise en demeure de la société Lidl mais bien la société [Adresse 14].

Contrairement à ce que soutient la société Lidl, c'est en effet la société [Adresse 14] dont les nom, adresse et n° de RCS figurent en bas de page, qui a répondu à sa mise en demeure adressée à la société Carrefour France. Cette lettre étant adressée au « Président Directeur Général », la société appelante ne peut reprocher à la société [Adresse 14] d'avoir visé ce dernier dans sa réponse ni justifier la mise en cause de la société Carrefour France par ses propres demandes. Surtout, en dehors des affirmations de la société Lidl, il n'est démontré en l'espèce aucune faute personnelle de la société [Adresse 13], cette dernière qui est une entité juridique distincte et autonome des autres sociétés du même groupe n'étant pas de facto responsable des activités des hypermarchés Carrefour.

Pour soutenir que la société [Adresse 13] s'est immiscée dans la gestion de la société Carrefour Hypermarchés, la société Lidl se fonde sur le logo figurant sur la lettre de réponse à sa mise en demeure. Or les sociétés intimées ne sont pas contredites lorsqu'elles indiquent que la mention « [Adresse 13] » figurant sur le courrier incriminé fait référence aux activités de Carrefour en France, la cour relevant que le nom [Adresse 11] figure en lettres bleues et le mot FRANCE en lettres rouges. Cet élément n'est donc pas de nature à justifier en l'espèce la mise en cause de la société Carrefour France.

La société Lidl ne démontrant par aucun autre élément en quoi la société [Adresse 13] serait personnellement impliquée dans les faits de concurrence déloyale qu'elle incrimine, ne serait-ce que par la prise de la décision de vendre des plantes et/ou des fleurs pendant la période de confinement de novembre 2020, le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis hors de cause cette dernière.

Sur la concurrence déloyale

Selon l'appelante, il résulte du décret n° 2020-1310 tel que modifié par le décret n° 2020-1331, que la vente de fleurs et de plantes était interdite dans les hypermarchés dans le cadre de l'urgence sanitaire liée à l'épidémie de covid-19, et ce, du 3 novembre 2020 au 28 novembre 2020. Elle fait valoir que l'exception a été limitée à la vente de graines et de plants potagers, ce qui ne donnait pas la possibilité de vendre des plantes, et qu'à partir du 3 novembre 2020, les centres commerciaux, supermarchés ou hypermarchés pouvaient recevoir du public pour les seules activités listées au I de l'article 37 du décret précité, dont ne faisait pas partie l'activité des fleuristes pour la vente de plantes et fleurs. Elle en conclut que « Carrefour » a commis une faute constitutive d'un acte de concurrence déloyale qui lui a causé un préjudice et dont elle demande réparation.

La société [Adresse 14] réplique que le décret n°2020-1310 n'interdisait, entre le 3 novembre 2020 et le 28 novembre 2020, que la vente en rayon de fleurs coupées et non pas de plantes contrairement à ce que prétend l'appelante. Elle en déduit que dès lors que les constats d'achat réalisés par la société Lidl portent sur des plantes et non des fleurs, aucune faute constitutive de concurrence déloyale pourra être retenue à son encontre.

L'article 37 du décret n° 2020 -1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dispose, dans sa version initiale, que :

« I. - Les magasins de vente, relevant de la catégorie M, mentionnée par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation, ne peuvent accueillir du public que pour leurs activités de livraison et de retrait de commandes ou les activités suivantes :

«- Entretien, réparation et contrôle technique de véhicules automobiles, de véhicules, engins et matériels agricoles ;

- Commerce d'équipements automobiles ;

- Commerce et réparation de motocycles et cycles ;

- Fourniture nécessaire aux exploitations agricoles ;

- Commerce de détail de produits surgelés ;

- Commerce d'alimentation générale ;

- Supérettes ;

- Supermarchés ;

- Magasins multi-commerces ;

- Hypermarchés ;

- Commerce de détail de fruits et légumes en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de viandes et de produits à base de viande en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de poissons, crustacés et mollusques en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de pain, pâtisserie et confiserie en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de boissons en magasin spécialisé ;

- Autres commerces de détail alimentaires en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de carburants et combustibles en magasin spécialisé, boutiques associées à ces commerces pour la vente de denrées alimentaires à emporter, hors produits alcoolisés, et équipements sanitaires ouverts aux usagers de la route ;

- Commerce de détail d'équipements de l'information et de la communication en magasin

spécialisé ;

- Commerce de détail d'ordinateurs, d'unités périphériques et de logiciels en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de matériels de télécommunication en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peintures et verres en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de textiles en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de journaux et papeterie en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail de produits pharmaceutiques en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail d'articles médicaux et orthopédiques en magasin spécialisé ;

- Commerces de détail d'optique ;

- Commerces de graines, engrais, animaux de compagnie et aliments pour ces animaux en magasin spécialisé ;

- Commerce de détail alimentaire sur éventaires sous réserve, lorsqu'ils sont installés sur un marché, des dispositions de l'article 38 ;

- Commerce de détail de produits à base de tabac, cigarettes électroniques, matériels et

dispositifs de vapotage en magasin spécialisé ;

- Location et location-bail de véhicules automobiles ;

- Location et location-bail d'autres machines, équipements et biens ;

- Location et location-bail de machines et équipements agricoles ;

- Location et location-bail de machines et équipements pour la construction ;

- Réparation d'ordinateurs et de biens personnels et domestiques ;

- Réparation d'ordinateurs et d'équipements de communication ;

- Réparation d'ordinateurs et d'équipements périphériques ;

- Réparation d'équipements de communication ;

- Blanchisserie-teinturerie ;

- Blanchisserie-teinturerie de gros ;

- Blanchisserie-teinturerie de détail ;

- Activités financières et d'assurance ;

- Commerce de gros ».

Cette liste comprend notamment l'ajout, par rapport à celle contenue dans le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire de mars 2020, l'activité de commerce de graines et engrais.

La catégorie M correspond à un type d'établissement recevant du public (ERP), ayant une activité de magasin de vente et centre commercial, aux seuils d'assujettissement de 200 personnes (ainsi que 100 en sous-sol et 100 en étages).

L'article 37 II du même décret ajoute que :

« II.- Les centres commerciaux, relevant de la catégorie M, mentionnée par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation, ne peuvent accueillir du public que pour les activités mentionnées au I. Ils ne peuvent accueillir un nombre de personnes supérieur à celui permettant de réserver à chacune une surface de 4 m2. En outre, lorsque les circonstances locales l'exigent, le préfet de département peut limiter le nombre maximum de personnes pouvant être accueillies dans ces établissements.»

Ainsi, les magasins de vente, relevant de la catégorie M mentionnée par le décret ne pouvaient accueillir du public que pour les activités de livraison et de retrait de commandes ou les activités qu'il énumère limitativement, considérées comme des activités essentielles.

Le décret est entré en vigueur « immédiatement » selon l'article 57, soit à compter du 29 octobre 2020. Toutefois, l'article 56 a prévu que « L'interdiction d'accueil du public mentionnée à l'article 37 est applicable, pour les commerces de détail de fleurs, à compter du 3 novembre 2020 », ce pour pour permettre l'activité de ces commerces pendant la [Localité 23] 2020.

L'article 37 du décret n° 2020-1310 a été modifié par décrets des 2 novembre 2020, 6 novembre 2020 et 27 novembre 2020. Les restrictions ont été levées par le décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020 à compter du 29 novembre 2020, et entre 6 heures et 21 heures.

Le décret du 2 novembre 2020 a modifié l'article 37- II du décret du 29 octobre 2020, en supprimant les septième à onzième alinéas du I comme suit :

I. Les magasins de vente, relevant de la catégorie M, mentionnée par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation, ne peuvent accueillir du public que pour leurs activités de livraison et de retrait de commandes ou les activités suivantes :

- Entretien, réparation et contrôle technique de véhicules automobiles, de véhicules, engins et matériels agricoles ;

- Commerce d'équipements automobiles ;

- Commerce et réparation de motocycles et cycles ;

- Fourniture nécessaire aux exploitations agricoles ;

- Commerce de détail de produits surgelés ;

- Commerce d'alimentation générale ;

- Supérettes ;

- Supermarchés ;

- Magasins multi-commerces ;

- Hypermarchés ;

(...) ».

Les activités supprimées de la liste du I de l'article 37 ont été reportées à l'article 37- II comme suit :

- à la première phrase, après les mots : « Les centres commerciaux, », sont insérés les mots : « les supermarchés, les magasins multi-commerces, les hypermarchés et les autres magasins de vente d'une surface de plus de 400 m2 ;

- la même phrase est complétée par les mots « ainsi que pour la vente de produits de toilette, d'hygiène, d'entretien et de produits de puériculture. » :

- les deux dernières phrases sont supprimées.

En ce sens, le Premier Ministre de l'époque, M. [S] [K], a justifié cette modification dans une déclaration publique en indiquant ceci, par souci d'équité avec les commerçants : « J'ai décidé, dans le décret qui régit le confinement, d'ajouter une disposition, qui entrera en vigueur mardi matin, interdisant la vente de produits qui ne peuvent pas être vendus, qui sont d'ores et déjà interdits dans les commerces de proximité, dans les grandes surfaces » (article LSA du 1er novembre 2020 -pièce appelante n°17).

Ainsi, à partir du 3 novembre 2020, les centres commerciaux, supermarchés ou hypermarchés ne pouvaient recevoir du public pour les seules activités listées au I de l'article 37 du décret n°2020-1310 tel que modifié par le décret n°2020-1331, dont ne faisait pas partie l'activité de vente de plantes et de fleurs, étant ajouté, ainsi que le reconnaissent les parties, que le décret du 2 novembre 2020 n'a pas apporté plus d'éléments concernant la vente de ces produits.

Reprenant l'argumentation du tribunal de commerce, les sociétés [Adresse 11] font valoir que la liste des produits autorisés prévue par l'article 37- I du décret n°2020-1310 ne serait pas limitative et que la commercialisation en rayon de produits non mentionnés à article 37-1 du décret était autorisée. Elle se fonde ainsi sur un communiqué de presse du gouvernement du 3 novembre 2020 intitulé « Renforcement des mesures pour faire face à l'épidémie de la Covid-19 : mesures applicables aux moyennes et grandes surfaces spécialisées ou généralistes et aux prestations de services à domicile », qui indique notamment que :

« Dans les grandes surfaces (commerce de plus de 400 m2) seuls les rayons de produits de première nécessité ou dont la vente est autorisée par ailleurs, sont accessibles.

Concrètement, cela implique que les rayons jouets et décoration, les rayons d'ameublement, la bijouterie/joaillerie, les produits culturels (livres, CD et DVD, jeux vidéo, les articles d'habillement et les articles de sport (hors cycle), les fleurs (souligné par la cour) et le gros électroménager pourront uniquement être proposés à la vente en ligne ou en drive.

A l'inverse, les produits des rayons suivants continueront à être proposés à la vente dans les supermarchés et les hypermarchés :

« - les denrées alimentaires et les boissons,

- les produits de quincaillerie (dont les articles de cuisine, le petit électroménager, les piles et les ampoules) et de bricolage,

- la droguerie (produits de lavage et d'entretien et articles pour le nettoyage),

- les dispositifs médicaux grands publics et les masques,

- les articles de puériculture y compris les habits pour les nouveau-nés et les nourrissons,

- la mercerie,

- la papeterie et la presse,

- les produits informatiques et de télécommunication,

- les produits pour les animaux de compagnie,

- les produits d'hygiène, de toilette et beauté (articles d'hygiène corporelle, déodorants, rasages, produits pour les cheveux, maquillage etc.) ;

- les graines et engrais et les produits d'entretien des véhicules ».

Pour autant, les plantes et les fleurs objets du présent litige ne sont pas mentionnées dans cette liste de produits pouvant continuer à être proposés à la vente dans les rayons des supermarchés et des hypermarchés. Ce communiqué de presse du gouvernement n'a en réalité fait que préciser les produits dont la commercialisation était déjà autorisée, en les regroupant par catégorie ou en les détaillant parfois, sans ajouter de catégories de produits.

Les sociétés Carrefour font également état d'articles de presse relayant l'existence de difficultés d'interprétation des décrets précités (pièces intimées n°6 à 10). Ces articles se rapportent toutefois aux produits ou aux commerces considérés comme non essentiels et s'accordent sur le fait qu'ils ne pourront plus être commercialisés ou accueillir du public.

L'interdiction de vente de fleurs dans les supermarchés et hypermarchés était donc applicable dès le 3 novembre 2020 après la [Localité 23] et jusqu'au 28 novembre 2020, et exception faite pour les sapins de Noël dont la commercialisation a été autorisée par un décret du 18 novembre 2020 et qui sont étrangers au présent litige.

A ce titre, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) a adressé le 3 novembre 2020 par courriel à tous ses membres, dont les sociétés Lidl et [Adresse 11], l'interprétation du décret n° 2020-1331 en indiquant que « pour ce qui concerne les magasins au-dessus de 400 m² spécialisés ou non, les activités non alimentaires de jouets, fleurs, habillement, produits culturels, électroménager (et toutes celles qui ne figurent pas au I) sont donc exclues, contrairement aux produits de toilette, d'hygiène, d'entretien et de produits de puériculture, expressément autorisés » (pièce appelante n°19).

Ainsi, le décret du 29 octobre 2020 modifié par celui du 2 novembre 2020 ne contient au titre de son article 37 aucune autorisation de vente dans les supermarchés et hypermarchés de fleurs ou de plantes à compter du 3 novembre 2020. La distinction faite entre ces deux produits tant par le tribunal de commerce que par les parties devant la cour est donc inopérante, étant précisé que le communiqué de presse de la Fédération Jardineries et Animaleries de France produit par les sociétés intimées n'a qu'une vocation interprétative et ne peut aller à l'encontre des dispositions issues des décrets précités.

A cet égard, la société Lidl fait justement remarquer que lors du troisième confinement de mars 2021, le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021 modifiant le décret du 29 octobre 2020 a indiqué expressément que s'agissant de l'article 37 du décret du 29 octobre 2020 :

« c) Au même IV, l'alinéa :

« - commerces de graines, engrais, animaux de compagnie et aliments pour ces animaux en magasin spécialisé ; »

est remplacé par un alinéa ainsi rédigé :

« commerces de plantes, fleurs, graines, engrais, semences, plants d'espèces fruitières ou légumières, animaux de compagnie et aliments pour ces animaux en magasin spécialisé ».

Il résulte de l'ensemble de ces éléments ainsi que des deux procès-verbaux d'huissier des 24 et 27 novembre 2020 versés au débat, que la société [Adresse 14] n'a pas respecté l'interdiction de vendre des plantes dans ses établissements en violation du décret n° 2020-1310 dans sa version en vigueur entre le 2 et le 28 novembre 2020. En effet, la société Lidl a fait constater par huissier de justice la vente le 24 novembre 2020, par le magasin [Adresse 12], d'une plante en pot « Poinsettia » et le 27 novembre 2020, par le magasin Carrefour sis à [Localité 21], la vente d'une plante en pot « Ceanothus ».

La société [Adresse 14] a donc commis une faute constitutive d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Lidl. Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a débouté cette dernière de l'ensemble de ses demandes.

Sur les mesures réparatrices

Il est constant qu'un préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale.

En l'espèce, au titre de son préjudice, la société Lidl, tout en sollicitant communication du chiffre d'affaires de « [Adresse 11] » réalisé dans l'ensemble de ses points de vente concernant les ventes de fleurs et plantes prohibées par le décret n°2020-1310 tel que modifié par le décret n°2020-1331, réclame paiement de la somme totale de 4 147228,76 euros se décomposant comme suit :

- 873 056,76 euros correspondant au montant total de la destruction des plantes et des fleurs commandés par elle par les fournisseurs,

- 2 801172 euros de marge estimée qu'elle aurait dû faire entre le 3 et le 28 novembre 2020 sur les plantes et les fleurs,

- 500 000 euros à titre de préjudice lié à la désorganisation et du préjudice moral subi par elle.

Les sociétés intimées s'opposent tant au principe de la demande de réparation faute de lien avec les griefs invoqués qu'au quantum des sommes réclamées.

Sur le premier chef de préjudice correspondant au montant de la destruction par des plantes et des fleurs, la société appelante explique que malgré le confinement, ses fournisseurs de fleurs coupées l'ont tout de même facturée, alors que ces fleurs ne lui ont jamais été livrées et ont été détruites directement par le fournisseur, et produit à cet effet ses contrats, factures et confirmations d'achat.

Cependant, la destruction des plantes et fleurs en cause qui devaient être livrées à la société Lidl du 2 au 22 novembre 2020, n'est pas la conséquence de la faute reprochée à la société [Adresse 14], mais bien de l'interdiction de vendre de tels produits pendant le deuxième confinement qui s'appliquait aussi bien à la société Carrefour Hypermarchés qu'à la société Lidl.

Il en est de même du deuxième chef de préjudice allégué correspondant à la marge estimée qu'elle aurait dû faire entre le 3 et le 28 novembre 2020 sur les plantes et les fleurs, dès lors que du fait de l'absence d'autorisation de vendre de tels produits, que la société Lidl oppose à la société intimée, elle n'aurait pas pu non plus les vendre et ne peut donc se prévaloir d'une quelconque perte de marge.

Par ailleurs, si les faits reprochés à la société [Adresse 14] sont de nature à perturber le jeu de la concurrence, la société Lidl ne démontre en l'espèce aucune désorganisation qui lui aurait été propre.

En définitive, le seul préjudice auquel la société Lidl peut prétendre est un préjudice moral résultant de la distorsion de la concurrence, lequel sera intégralement réparé par l'octroi de dommages intérêts à hauteur de 10 000 euros, le surplus de la demande fixée à 500 000 euros n'étant justifié par aucun élément.

Cette somme étant de nature à réparer l'entier préjudice de la société Lidl, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de communication de pièces.

Sur la demande de dommages intérêts pour procédure abusive

Les sociétés [Adresse 13] et Carrefour Hypermarchés, qui succombent, ne peuvent prétendre à des dommages-intérêts pour procédure abusive. Leur demande formée de ce chef sera donc rejetée et le jugement confirmé pour ce motif.

Sur les autres demandes

L'issue du litige commande d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et au remboursement des frais irrépétibles.

Partie perdante, la société [Adresse 14] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Enfin, la société Lidl a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement dont appel sauf en ce qu'il a mis hors de cause la SAS [Adresse 13].

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit qu'en proposant à la vente dans au moins deux de ses établissements des plantes objets des constats d'huissier de justice des 24 et 27 novembre 2020 en violation des dispositions du décret n°2020-1310, la société Carrefour Hypermarchés a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la SNC Lidl.

Condamne la société [Adresse 14] à payer à la SNC Lidl la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Rejette la demande de communication de pièces de la SNC Lidl.

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires.

Condamne la société [Adresse 14] à payer à la SNC Lidl la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société [Adresse 14] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

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