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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 12 juin 2025, n° 24/03534

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 24/03534

12 juin 2025

N° RG 24/03534 - N° Portalis DBVM-V-B7I-MNYY

C4

Minute :

Copie exécutoire

délivrée le :

la SCP LSC AVOCATS

Me Sylvie FERRES

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 12 JUIN 2025

Appel d'une décision (N° RG 24/00093)

rendue par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 6]

en date du 26 septembre 2024

suivant déclaration d'appel du 09 octobre 2024

APPELANTE :

S.A.R.L. T.P, exploitante d'un restaurant connue sous l'enseigne le [Localité 7] Indien, SARL au capital de 1000 € immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le n° 529 903 841,

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Cédric LENUZZA de la SCP LSC AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE, substitué par Me CAPDEVILLE, avocate au barreau de GRENOBLE,

INTIMÉE :

S.C.I. LES JARDINS D'YS, immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le n°452 455 736 au capital de 500 €, représentée par son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Sylvie FERRES, avocate au barreau de GRENOBLE,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Mme Raphaële FAIVRE, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 28 mars 2025, M. BRUNO, Conseiller, qui a fait rapport assisté de Mme Alice RICHET, Greffière, a entendu les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile. Il en a été rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.

Faits et procédure :

1. Par acte authentique du 28 janvier 2021, la Sci Les Jardins d'Ys a donné à bail commercial à la Sarl TP un local professionnel situé [Adresse 5], moyennant un loyer annuel de 20.400 euros payable d'avance les premiers de chaque mois, au domicile ou siège du bailleur ou en tout autre endroit indiqué par lui, et en douze termes égaux de 1.700 euros.

2. Depuis la conclusion du bail, plusieurs commandements ont été délivrés au preneur. Le dernier commandement de payer les loyers avec rappel de la clause résolutoire a été notifié à la Sarl TP, par acte extrajudiciaire du 4 juillet 2023.

3. Par acte de commissaire de justice du 22 janvier 2024, la Sci Les Jardins d'Ys a fait assigner la Sarl TP devant le président du tribunal judiciaire de Grenoble statuant en référé, afin notamment':

- de constater que la clause résolutoire contenue dans le bail en date du 28 janvier 2021 est acquise depuis le 4 août 2023 ;

- de prononcer, en conséquence, la résiliation de plein droit dudit bail à compter du 4 août 2023 ;

- d'ordonner l'expulsion de la Sarl TP et celle de tous occupants de son chef du local en cause, dans le mois de la décision à intervenir, avec le cas échéant le concours d'un serrurier et de la force publique et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- de condamner la Sarl TP à lui payer la somme provisionnelle de 6.796,64 euros ;

- de fixer l'indemnité d'occupation due par la Sarl TP jusqu'à justification de la libération totale des lieux et de la remise des clefs au bailleur à la somme de 1.700 euros / mois et de condamner la Sarl TP à ce titre.

4. Selon ordonnance rendue le 26 septembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Grenoble a':

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire au 4 août 2023,

- ordonné l'expulsion de la Sarl TP et de toute personne de son chef des lieux loués, avec le concours de la force publique si nécessaire ;

- dit n'avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

- fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation, due mensuellement à compter de la résiliation du bail et jusqu'à libération effective des lieux, à une somme égale à 1.700 euros ;

- renvoyé pour le sort des meubles, aux dispositions des articles L 433-1 et R 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

- condamné la Sarl TP à verser à la Sci Les Jardins d'Ys la somme provisionnelle de 3.896,44 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation suivant compte arrêté au 26 juin, 2024, avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2024 et outre les indemnités d'occupation postérieures ;

- rejeté les demandes reconventionnelles de la Sarl TP ;

- condamné la Sarl TP à verser à la Sci Les Jardins d'Ys la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté la demande présentée par la Sarl TP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Sarl TP aux entiers dépens.

5. La Sarl TP a interjeté appel de cette décision le 9 octobre 2024, en toutes ses dispositions, à l'exception de celle ayant dit n'avoir lieu au prononcé d'une astreinte.

6. Le 12 février 2025, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert une procédure de redressement judiciaire concernant la Sarl TP, et a désigné Me [T] en qualité de mandataire judiciaire.

7. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 13 mars 2025.

Prétentions et moyens de la Sarl TP et de Me [T], ès-qualités de mandataire judiciaire de la Sarl TP:

8. Selon leurs conclusions n°2 remises par voie électronique le 21 février 2025, ils demandent à la cour, au visa des articles 1104 et suivants, 1152, 1345-1 et suivants du code civil, de l'article 834 du code de procédure civile, des articles L145 et suivants du code de commerce, de réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a':

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire au 4 août 2023,

- ordonné l'expulsion de la Sarl TP et de toute personne de son chef des lieux loués, avec le concours de la force publique si nécessaire ;

- fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation, due mensuellement à compter de la résiliation du bail et jusqu'à libération effective des lieux, à une somme égale à 1.700 euros ;

- renvoyé pour le sort des meubles, aux dispositions des articles L 433-1 et R 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

- condamné la Sarl TP à verser à la Sci Les Jardins d'Ys la somme provisionnelle de 3.896,44 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation suivant compte arrêté au 26 juin, 2024, avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2024 et outre les indemnités d'occupation postérieures ;

- rejeté les demandes reconventionnelles de la Sarl TP ;

- condamné la Sarl TP à verser à la Sci Les Jardins d'Ys la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté la demande présentée par la Sarl TP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Sarl TP aux entiers dépens.

9. Ils demandent à la cour, statuant à nouveau':

- de prendre acte du redressement judiciaire ouvert le 12 février 2025 ;

- de juger en conséquence ne pas avoir lieu au constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial ;

- de juger que toute somme restant due à la Sci Les Jardins d'Ys sera inscrite au passif de la Sarl TP ;

- de juger irrecevable la demande de constat d'acquisition de la clause résolutoire, le commandement de payer ayant été purgé ;

- de débouter la Sci Les Jardins d'Ys de sa demande de résiliation de bail commercial ;

- de juger que les sommes demandées sont soumises à contestation sérieuse;

- de débouter la Sci Les Jardins d'Ys de l'ensemble de ses demandes ;

- en toutes hypothèses, de condamner la Sci Les Jardins d'Ys à verser à la Sarl TP la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre la prise en charge des entiers dépens.

10. Les appelants exposent :

11. - concernant les effets de la procédure de redressement judiciaire, que selon l'article L621-40 du code de commerce, le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent';

12. - que cette disposition a pour effet de rendre la clause résolutoire d'un bail commercial réputée acquise avant le jugement d'ouverture si la décision la constatant est passée en force de chose jugée avant le jugement d'ouverture';

13. - que tel n'est pas le cas en l'espèce, puisqu'aucune décision passée en force de chose jugée n'est intervenue avant l'ouverture du redressement judiciaire de la Sarl TP';

14. - en outre, que la demande du bailleur est irrecevable au regard des sommes payées, puisque si le bailleur a fondé sa procédure sur le commandement signifié le 4 juillet 2023 pour la somme de 4.036 euros au titre des loyers de juin et juillet 2023, et indique dans son relevé que le preneur n'a payé qu'un total de 2.300 euros par trois versements les 24 et 26 juillet 2023 puis le 4 août 2023, la somme de 500 euros et celle de 200 euros réglées le 3 puis le 6 juillet n'ont pas été prises en compte, de sorte que c'est un total de 3.000 euros qui a été payé'; que le solde de 1.036 euros a été réglé en totalité, puisqu'au mois de septembre, un paiement de 2.400 euros a été effectué, intégrant le solde du commandement et le loyer courant'; que les frais ont également été soldés'; ainsi, que les causes du commandement ont été soldées entièrement avant l'assignation';

15. - au surplus, que les sommes sollicitées sont incertaines, de sorte qu'il existe une contestation sérieuse, les sommes demandées initialement ayant été réduites tant par le bailleur que par le juge, alors qu'aucune facture de loyers n'est produite, ni concernant les charges et la taxe foncière';

16. - que concernant les charges, le bail a stipulé un loyer mensuel de 1.700 euros, charges comprises, sans préciser les provisions sur charges, de sorte que la consommation de l'eau est comprise dans ce loyer, alors que le bailleur ne produit aucune facture concernant l'eau, et n'a jamais adressé de régularisations annuelles.

Prétentions et moyens de la Sci Les Jardins d'Ys :

17. Selon ses conclusions remises par voie électronique le 18 décembre 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 808 et 809 du code de procédure civile, de l'article L. 145-41, alinéa 1 du code de commerce, des articles L 143-2 et L 145-17, ainsi que l'article L.145-41 du code de commerce, des articles 1134 anciens et suivants du code civil :

- de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, et notamment, en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire au 4 août 2023; ordonné l'expulsion de la Sarl TP et de toute personne de son chef des lieux loués avec le concours de la force publique si nécessaire ; fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation mensuellement due par la Sarl TP à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux à une somme égale de 1.700 euros / mois ; renvoyé le sort des meubles aux dispositions des articles L 433-1 et R 433-1 et suivant du code des procédures civiles d'exécution; condamné la Sarl TP à verser à la concluante la somme provisionnelle de 3.896.44 euros/mois, au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation, suivant compte arrêté au 26 juin 2024 avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2024 et outre les indemnités d'occupation postérieures; rejeté les demandes reconventionnelles de la Sarl TP ; condamné la Sarl TP à verser à la concluante la somme de 1.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance comprenant les frais d'huissier et de commandement; rejeté la demande reconventionnelle de la Sarl TP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; condamné la Sarl TP aux entiers dépens ;

- y ajoutant, de débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions en cause d'appel ;

- de condamner encore la Sarl TP au paiement de la somme de 8.197,18 euros se décomposant comme suit :

* 170,18 euros d'intérêts au taux légal entre le 22 janvier 2024 et le 6 décembre 2024 sur les 3.896.44 euros au titre des loyers impayés, arbitrés par le tribunal ;

* 5.100 euros au titre des indemnités d'occupation pour octobre, novembre et décembre 2024 ;

* 2.737 euros au titre de la taxe foncière de 2024 ;

* 90 euros de frais de gestion sur le foncier (frais fixes fiscaux) ;

* 100 euros (2.200 euros réglés en juin 2024 et non pas 2.300 euros comme retenus, suite à erreur matérielle du tribunal :1.700 + 500 = 2.200 euros) ;

* pour mémoire': les factures d'eau pour 2024 (copropriété), ce montant devant être ajusté au 31 décembre 2024 après reddition des comptes par le syndic et fourniture par ce dernier du décompte annuel des charges d'eau ;

- de condamner enfin la Sarl TP au paiement de la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel qui comprendront le timbre de 225 euros.

18. L'intimée répond':

19. - que le bail a stipulé une clause résolutoire notamment en cas de défaut de paiement d'un seul terme du loyer à son échéance ainsi que des charges, alors qu'il est constant que la concluante a fait délivrer trois commandements de payer visant cette clause en deux ans'; que si la Sarl TP a soldé les causes du commandement de payer du 4 juillet 2023 au 7 septembre 2023, c'est après le délai de 30 jours visés dans ce commandement'; que les demandes de la concluante sont ainsi recevables';

20. - qu'il n'existe pas de contestation sérieuse sur le montant des sommes dues, puisque si l'assignation portait sur un arriéré de 11.124,45 euros, il a été partiellement résorbé, ce qu'a retenu le juge des référés, condamnant ainsi le preneur au montant reconnu par ce dernier'; que ce n'est cependant pas 2.300 euros qui ont été versés les 10 et 25 juin 2024, mais un total de 2.200 euros (soit 1.700 puis 500 euros)';

21. - concernant les charges et les taxes, que le bail a expressément prévu qu'elles sont à la charge du preneur, à hauteur de 605/10.000èmes des charges et taxes afférentes à l'immeuble et affectées au local commercial'; que la concluante produit les régularisations de charges de 2021 à 2023, restant dans l'attente du compte 2024 à établir par le syndic de la copropriété';

22. - que l'argumentation du preneur concernant l'incorporation des charges dans le prix du loyer est sérieusement contestable, au regard du prix de ce loyer, d'autant que les charges et taxes sont variables d'une année à l'autre, d'autant que les compteurs d'eau ont été individualisés en 2022; que le prix du loyer est très inférieur aux autres loyers commerciaux pratiqués dans le voisinage.

*****

23. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION :

24. L'article L.622-21 du code du commerce dispose que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, comme à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

25. En l'espèce, l'intimée a introduit une action en résiliation du bail pour défaut de paiement du loyer et en paiement d'un arriéré locatif avant la mise en redressement judiciaire de la Sarl TP. A cette date, l'ordonnance de référé constatant la résiliation du bail commercial avait été frappée d'appel et n'était pas passée en force de chose jugée.

26. L'ouverture de la procédure collective ne permet pas ainsi au bailleur de poursuivre la résiliation du bail et l'ordonnance de référé devra donc être infirmée en ce qu'elle a constaté l'acquisition des effets de la clause résolutoire et la résolution du bail à compter du 4 août 2023.

27. Les loyers et charges impayés sur le fondement desquels était poursuivie la résiliation du bail sont antérieurs à l'ouverture de la procédure collective, ne peuvent donc plus faire l'objet d'une condamnation même à titre provisionnel et relèvent de la procédure d'admission des créances, la cour, statuant dans la limite des pouvoirs du juge des référés, ne pouvant fixer le principe et le montant de la créance au passif de la Sarl TP.

28. Sans qu'il soit ainsi nécessaire de plus amplement statuer, l'ordonnance de référé sera infirmée en toutes ses dispositions emportant condamnation au paiement et l'intimée sera renvoyée à la procédure de vérification des créances.

29. Aucune considération d'équité n'impose de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre partie.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Grenoble du 26 septembre 2024 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déboute la Sci Les Jardins d'Ys de ses demandes de constat du jeu de la clause résolutoire, d'expulsion et de paiement de sommes ;

Renvoie la Sci Les Jardins d'Ys à la procédure de vérification des créances s'agissant de l'arriéré locatif antérieur au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ;

Y ajoutant ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective;

Signé par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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