CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 12 juin 2025, n° 22/08570
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 12 JUIN 2025
(n° 92 /2025, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 22/08570 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFXYM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 avril 2022- Tribunal judiciaire de Paris (18ème chambre, 1ère section) - RG n° 19/09553
APPELANTE
Société SCM PARAMEDICAL CAUCHOIS, société civile de moyens
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 7] sous le n° 478 149 198
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : L0010
Assistée de Me Dominique BOQUET, avocat au barreau de Paris, toque : C263
INTIMÉE
Société CAULEPIC, société civile
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 7] sous le n° 423 984 434
Prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée et assistée par Me Olivier AUMONT de la SELARL AUMONT FARABET ROUVIER AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : C0628
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 avril 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Stéphanie Bouzige, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 30 juin 2009, la société civile Caulepic a donné à bail à la société civile de moyens SCM Paramédical Cauchois (ci-après la SCM Paramédical Cauchois), des locaux d'une superficie d'environ 230 m², au 2ème étage de l'immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 8], pour neuf ans à compter du 1er août 2009, à destination de « cabinet de kinésithérapie et toute autre profession paramédicale » et moyennant un loyer annuel de 32.619 euros HT HC.
Par acte d'huissier du 28 mars 2019, la société Caulepic a fait délivrer à la SCM Paramédical Cauchois un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction pour la date du 30 septembre 2019.
Par acte d'huissier du 1er août 2019, la société SCM Paramédical Cauchois a fait assigner la société Caulepic aux fins notamment de voir condamner cette dernière à lui payer une indemnité d'éviction de 339.808,77 euros outre les indemnités de licenciement, fixer le montant de l'indemnité d'occupation à un montant annuel de 32.619 euros HT HC, subsidiairement ordonner une expertise pour déterminer ces indemnités.
Par jugement mixte rendu le 5 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a, en substance :
dit que le congé délivré le 28 mars 2019 a mis fin le 30 septembre 2019 au bail du 30 juin 2009 portant sur les locaux situés en façade [Adresse 1] à [Localité 8] et a ouvert droit au profit de la SCM Paramédical Cauchois, d'une part, en vertu de l'article L. 145-14 du code de commerce, à une indemnité d'éviction et, d'autre part, selon l'article L. 145-28 du même code, au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de cette indemnité ;
dit et juge que l'indemnité d'éviction due à la SCM Paramédical Cauchois comprend, outre la valeur du droit au bail, les indemnités accessoires telles qu'éventuellement et notamment, le coût d'un transfert des activités exercées comprenant, le cas échéant l'acquisition d'un titre locatif, les frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que les droits de mutation, le préjudice commercial, les frais de licenciement... ;
avant-dire droit au fond sur le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard, désigne en qualité d'expert : M. [T] [H], avec mission notamment de rechercher, en tenant compte de la nature des activités professionnelles autorisées par le bail, de l'état des locaux et de leur situation, tous éléments permettant, d'une part, de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction qui sera constituée à titre principal de la valeur du droit au bail augmentée éventuellement et notamment du coût d'un transfert des activités exercées comprenant, le cas échéant l'acquisition d'un titre locatif, frais et droits de mutation, frais de déménagement et de réinstallation, réparation du trouble commercial, des frais de licenciements..., d'autre part, de déterminer le montant de l'indemnité due par la locataire pour l'occupation des lieux.
Le rapport d'expertise a été déposé le 8 février 2024.
La SCM Paramédical Cauchois a interjeté appel du jugement par déclaration du 28 avril 2022 et a présenté devant la cour de céans une requête en rectification d'erreur matérielle enregistrée sous le numéro de RG 22/10380, par déclaration du 24 mai 2022.
Par ordonnance du 7 septembre 2022, la cour a prononcé la jonction des deux affaires sous le numéro de RG 22/08570.
La société Caulepic a refusé les médiations, requises en première instance et proposées en cause d'appel.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 3 mars 2025, la SCM Paramédical Cauchois, appelante, demande à la cour de :
recevoir la SCM Paramédical Cauchois, en son appel du jugement mixte, rendu le 5 avril 2022 par la 1ère chambre du tribunal judiciaire de Paris ;
juger cet appel recevable et bien fondé ;
en conséquence,
infirmer partiellement le jugement déféré en ce qu'il a décidé que : l'indemnité d'éviction due à la SCM Paramédical Cauchois, est une indemnité de transfert ;
et statuant à nouveau :
étendre la mission d'expertise confiée, à monsieur [T] [H], à la recherche de la détermination du montant de l'indemnité d'éviction, dans le cas d'une perte totale d'activité de la SCM Paramédical Cauchois, liée à la perte presque totale de la patientèle, attachée au lieu géographique de l'activité, comprenant outre l'indemnité principale fixée en fonction des usages professionnels, les indemnités annexes telles que les frais normaux de déménagement et réinstallation et la réparation du trouble commercial ;
dire que la mission de l'expert telle que définie par le tribunal, dans son jugement déféré, devra préciser le périmètre géographique du transfert de localisation envisagé ;
faire droit à la demande d'article 700 du code de procédure civile de la SCM Paramédical Cauchois ;
en conséquence :
- condamner la SC Caulepic à verser, de ce chef, à ladite SCM Paramédical Cauchois, une somme de 3.500 euros ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 23 décembre 2024, la société Caulepic, intimée, demande à la cour de :
débouter la SCM Paramédical Cauchois de sa demande d'infirmation partielle ;
débouter la SCM Paramédical Cauchois de sa demande d'extension de la mission de l'expert ;
débouter la SCM Paramédical Cauchois de toutes ses autres demandes ;
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
condamner la SCM Paramédical Cauchois à payer à la société Caulepic la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
la condamner en outre aux entiers dépens dont le montant pourra être recouvré directement par la SELARL Aumont Farabet Rouvier Avocats, représentée par Maître Olivier Aumont, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRET
A titre liminaire, sur la demande de rectification d'erreur matérielle
Aux termes de l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs ou omissions matérielles qui affectent le jugement même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou à défaut ce que la raison commande. Le juge est saisi par simple requête de l'une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d'office. Le juge statue après avoir entendu les parties ou celle-ci appelées. Toutefois, lorsqu'il est saisi sur requête ; il statue sans audience, à moins qu'il n'estime nécessaire d'entendre les parties.
L'appelante expose, dans sa requête, que selon la motivation du jugement rendu le 5 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, « l'expertise sera ordonnée aux frais avancés par la demanderesse », en l'occurrence la SCM Paramédical Cauchois. En revanche, dans le dispositif du jugement, ces frais d'expertise sont mis à la charge de la défenderesse, la société Caulepic, alors que, comme le soulève requérante, ces frais sont généralement avancés par le demandeur à l'instance.
Il s'ensuit que le dispositif du jugement est entaché d'une erreur matérielle en ce qu'il met à la charge de la société Caulepic, défenderesse à l'instance et non à la charge de la demanderesse, tel qu'ordonné par le tribunal, la consignation de la somme de 5.000 euros, erreur qu'il convient de rectifier conformément à la demande présentée par la SCM Paramédical Cauchois.
Sur l'indemnité d'éviction et l'extension de la mission de l'expert
Sur la nature de l'indemnité d'éviction
Selon les dispositions de l'article L. 145-1 et suivants du code de commerce, le statut des baux commerciaux s'applique impérativement aux baux des locaux dans lesquels un fonds de commerce est exploité, ainsi qu'à certaines autres activités, les parties pouvant librement, par application de l'article 1134 devenu 1103 du code civil, sous la seule réserve que la location n'entre pas dans le champ d'application d'un autre régime impératif, décider volontairement de soumettre leurs relations locatives au statut des baux commerciaux alors même qu'aucun fonds de commerce n'est exploité dans les locaux par le titulaire du bail.
Selon l'article L. 145-14 du même code, le refus de renouvellement signifié par le bailleur met fin au bail commercial mais ouvre droit, sauf exception, au profit du locataire, à une indemnité d'éviction qui comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Usuellement, les conséquences de l'éviction s'apprécient in concreto au regard de la possibilité pour le locataire de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de remplacement.
Au cas d'espèce, les parties se sont soumises expressément et volontairement au statut des baux commerciaux, malgré l'activité paramédicale exercée par la preneuse, qui relève usuellement de la législation relative au bail professionnel. Ce point ne fait pas l'objet de contestation.
Les parties ne contestent pas non plus le jugement déféré en ce qu'il a déclaré valable le congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction, délivré le 28 mars 2019 par la société Caulepic à la SCM Paramédical Cauchois, ni en ce qu'il a dit qu'en suite du congé précité, le bail les liant avait pris fin le 30 septembre 2019 et ouvert droit à une indemnité d'éviction ainsi qu'au maintien dans les lieux moyennant le paiement d'une indemnité d'occupation.
Elles s'opposent sur la nature de l'indemnité d'éviction due, ainsi que sur la nécessité d'avoir recours, le cas échéant, à une extension de la mission de l'expert nommé par le jugement mixte déféré.
L'appelante demande à la cour d'infirmer partiellement la décision déféré en ce qu'elle aurait décidé que « l'indemnité d'éviction due à la SCM Paramédical Cauchois est une indemnité de transfert » et fait valoir à l'appui de cette demande qu'elle dispose d'une patientèle de proximité, apportée sur prescriptions des médecins généralistes du quartier, qu'une partie de celle-ci présente une fragilité physique empêchant le recours aux transports en commun et que les patients qui habitent hors du quartier y ont tout de même leur lieu de travail. Elle soutient en outre que les deux seuls locaux correspondant à la surface et à la zone des locaux objets de l'éviction sont inadaptés à un transfert d'activité, qui lui semble donc impossible. L'appelante soutient en conséquence que le départ des lieux entrainera une impossibilité pour elle de se réinstaller, ce qui entraînera par voie de conséquence la perte d'une grande partie de la clientèle de chacun des membres de la SCM, ainsi que sa dissolution et aura pour effet de rendre impossible la revente programmée des parts des associés à leurs collaborateurs, ce qui justifierait par voie de conséquence d'étendre l'expertise à l'évaluation de l'indemnité d'éviction en cas de perte d'activité.
L'intimée, de son côté, fait valoir que la SCM Paramédical Cauchois n'apporte aucune justification de l'impossibilité de transférer son activité, les statistiques communiquées n'ayant aucune force probante, celle-ci les ayant elle-même réalisées. En tout état de cause, ces statistiques permettent de constater que 50 % de la patientèle est située dans un rayon de plus de 500 mètres du cabinet, ce qui démontre son caractère transférable. Le cabinet étant situé à [Localité 7], de nombreux aménagements permettent aux patients de se rendre d'un quartier à un autre. Par ailleurs, l'appelante ne prouve pas ses difficultés à trouver des locaux. L'intimée indique en effet avoir trouvé diverses annonces en ligne correspondant à des locaux similaires aux locaux litigieux et dans la même zone géographique. Dès lors, la SCM Paramédical Cauchois ne pourrait prétendre qu'à une indemnité de déplacement, d'autant que certains de ses membres ont confirmé leur intention de se réinstaller, ce qui n'entrainera pas la dissolution de la société, mais un simple changement de siège social.
En l'espèce, il ne ressort pas des éléments versés aux débats par l'appelante que celle-ci exercerait une activité non transférable, étant précisé que, comme souligné par l'intimée, les statistiques avancés au soutien de sa démonstration étant réalisées par elle-même, elle ne saurait s'en prévaloir à titre de preuve. D'autant que les activités médicales et paramédicales sont traditionnellement et de jurisprudence constante considérées, sauf preuve contraire non rapportée en l'espèce, considérées comme des activités transférables. L'intimé verse d'ailleurs aux débats plusieurs pièces dont il ressort que de nombreux locaux correspondant à ceux objets de l'éviction existent dans le même périmètre et la SCM Paramédical Cauchois ne démontre pas en quoi ces locaux ne seraient pas équivalents aux locaux loués et rendraient impossible un transfert d'activité.
Dans la mesure où l'appelante ne rapporte pas la preuve de l'impossibilité pour elle de se réinstaller dans un autre local présentant les mêmes caractéristiques que les lieux loués, il convient en conséquence de considérer que l'activité exercée par la preneuse est transférable et, par conséquent, que l'indemnité d'éviction correspond au minimum à la valeur du droit au bail augmenté des indemnités accessoires habituelles. Aussi, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte, que le premier juge a estimé « que l'indemnité d'éviction due à la SCM Paramédical Cauchois comprend, outre la valeur du droit au bail, les indemnités accessoires telles qu'éventuellement et notamment, le coût d'un transfert des activités exercées comprenant, le cas échéant l'acquisition d'un titre locatif, les frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que les droits de mutation, le préjudice commercial, les frais de licenciement' ».
L'appelante sera donc déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les préjudices à évaluer
Aux termes de l'article 1135 devenu 1194 du code civil, les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi.
Selon le préambule du bail conclu le 30 juin 2009 entre les parties, « la présente location est destinée à permettre à la SCM Paramédical Cauchois locataire, l'exercice de la profession de kinésithérapeute et autre profession paramédicale. Ces professions n'ayant aucun caractère commercial, industriel ou artisanal, et l'activité exercée n'entrant pas au nombre de celles qui, bien que ne présentant pas ces caractères, ouvrent droit au bénéficie du statut des baux commerciaux, la présente location n'est pas normalement régie par le décret du 30 septembre 1953. Elle relève des dispositions de l'article 57 A du décret du 23 septembre 1986, dont les termes sont rappelés ci-dessous ('). Néanmoins, pour répondre à la demande du bailleur, à laquelle le locataire a accepté d'accéder, les parties sont convenues de se soumettre conventionnellement au décret du 30 septembre 1953. En conséquence, leurs rapports locatifs sont régis par les dispositions de ce décret, à l'exception de celles qui seraient déclarées expressément inapplicables, et des clauses du présent bail ». En outre, aux termes de l'article 4 dudit bail, il est expressément stipulé que « les locaux, objet du présent bail, seront utilisés en totalité par le Preneur pour la destination suivante : cabinet de kinésithérapie et toute autre profession paramédicale », et enfin selon l'article 17-2 a) deuxième alinéa du bail précité, «si le refus de renouvellement s'accompagne de l'offre d'une indemnité d'éviction, cette indemnité sera calculée par référence à l'article 8 du décret du 30 septembre 1953 et réparera l'ensemble des préjudices prévus par ce texte et par la jurisprudence qui l'a interprété. La valeur du « fonds » du locataire sera déterminée suivant les usages de la profession ».
L'appelante fait encore valoir que l'indemnité d'éviction doit permettre de réparer les conséquences de l'éviction pour l'exploitation qui en fait l'objet et qu'en cas d'extension du statut des baux commerciaux au profit d'une société civile de moyens, l'indemnité d'éviction doit en conséquence réparer le préjudice que fait subir l'éviction à chacun des membres de la SCM dans l'exercice de son activité professionnelle, quand bien même c'est la SCM seule qui a la qualité de preneuse. Le trouble commercial d'une SCM devrait donc être évalué selon le chiffre d'affaires de chacun de ses membres et la perte de clientèle subie par ces derniers constituerait alors un préjudice causé par l'éviction, qui devrait alors être indemnisée. Ainsi, pour l'appelante, le tribunal ne pouvait pas limiter l'indemnité d'éviction à la compensation de la seule perte du droit au bail.
L'intimée, de son côté, fait valoir que la SCM Paramédical Cauchois n'exerce aucune profession et n'a pas de clientèle propre, ce qui l'empêche de subir un préjudice commercial. Aussi, conformément à l'article L. 145-14 du code de commerce, la SCM Paramédical Cauchois, en sa qualité de locataire, serait seule créancière de l'indemnité d'éviction. Ainsi, elle ne pourrait prétendre à l'indemnisation d'un préjudice commercial. La société Caulepic ne saurait donc être tenue d'indemniser le préjudice subi personnellement par chaque associé d'autant moins lorsqu'il n'appartenait pas à la société preneuse au moment de la signature du bail. L'extension de la mission de l'expert serait donc inutile.
Au cas d'espèce, s'il est exact que la société preneuse est une société civile de moyens, structure juridique autonome dont l'objet est la seule fourniture de moyens en personnel et matériel à ses membres pour faciliter l'exercice de leur profession et n'exploite donc pas de fonds de commerce dans les locaux loués, la bailleresse ne pouvait cependant pas ignorer que l'activité autorisée au bail ne pourrait être exercée que par les associés de la SCM et non par cette dernière elle-même.
En outre, les parties ont manifesté leur volonté claire et non équivoque de se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux, à la demande expresse de la bailleresse, même si la société preneuse ne remplissait pas la condition légale d'exploitation d'un fonds de commerce. La soumission volontaire des parties au statut, qui offre un avantage indéniable à la bailleresse en ce qu'elle a pour locataire un seul interlocuteur et non plusieurs, ce qui aurait été le cas si elle avait conclu un bail indivis avec chacun des associés de la SCM, et en ce qu'elle bénéficie de la garantie que constitue pour elle la responsabilité indéfinie et conjointe des associés de la SCM, oblige la bailleresse à supporter les conséquences que fait subir l'éviction aux activités professionnelles individuelles exercées dans les locaux par les associés de cette société, même si la société preneuse, seule titulaire du bail, n'a pas de clientèle propre.
En conséquence, il y a lieu d'évaluer l'indemnité pour perte de clientèle, laquelle a pour objet de réparer la perte, par les associés de la preneuse, de la clientèle exclusivement liée à l'emplacement de cette dernière, même en cas de transfert possible de l'activité, chef de mission a été omis dans la mission de l'expert par le premier juge.
Il sera donc fait droit à la prétention des appelantes sur ce point.
Cependant, l'expert qui a déposé son rapport étant dessaisi de sa mission, il sera ordonnée, conformément aux articles 143, 144, 147 et 256 et suivants du code de procédure civile, une mesure de consultation qui sera confiée à M. [H] sur ce seul chef d'évaluation.
L'appelante sollicite également, dans son dispositif, que la mission de l'expert précise « le périmètre géographique du transfert de localisation envisagée ». Faute de moyens développés au soutien de cette prétention, elle sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions relatives aux dépens et aux frais de l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient de rejeter les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et de réserver les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Dit que le dispositif du jugement rendu le 5 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Paris (RG 19/09553) devra être rectifié ainsi qu'il suit :
Fixe à la somme de 5.000 (CINQ MILLE) euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par la société SCM PARAMEDICAL CAUCHOIS à la régie du tribunal judiciaire de Paris, avant le 30 mai 2022 ;
Au lieu de :
Fixe à la somme de 5.000 (CINQ MILLE) euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par la Sté CAULEPIC à la Régie du tribunal judiciaire de Paris, avant le 30 mai 2022 ;
Dit que la décision rectificative sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement et qu'elle sera notifiée comme le jugement ;
Confirme le jugement rendu le 5 avril 2024 par le tribunal judiciaire de Paris (RG n°19/09553), notamment, en ce qu'il a dit que « l'indemnité d'éviction due à la société civile de moyens Paramédical Cauchois comprend, outre la valeur du droit au bail les indemnités accessoires telle qu'éventuellement et notamment, le coût d'un transfert des activités exercées comprenant, le cas échéant l'acquisition d'un titre locatif, les frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que les droits de mutation, le préjudice commercial, les frais de licenciement' » ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Ordonne une mesure de consultation et désigne en qualité de consultant :
M. [T] [H]
[Adresse 3]
0145445146
[Courriel 6]
avec mission, les parties régulièrement convoquées, après avoir pris connaissance du dossier, s'être fait remettre tous documents utiles, et avoir entendu les parties ainsi que tout sachant de :
- évaluer la perte éventuelle de clientèle de la société civile de moyens SCM Paramédical Cauchois ;
- faire toutes observations utiles à l'évaluation du préjudice de la société civile de moyens SCM Paramédical Cauchois ;
Rappelle que la mesure est régie par les articles 256 et suivants du code de procédure civile ;
Dit que le consultant déposera au greffe du pôle 5, chambre 3, sa consultation écrite dans un délai de QUATRE MOIS à compter du versement de l'avance sur sa rémunération ;
Dit que la société civile de moyens SCM Paramédical Cauchois versera par provision au consultant la somme de 4.000 (QUATRE MILLE) euros à titre d'avance sur sa rémunération, dans un délai de DEUX SEMAINES à compter de la date de la présente décision, sous peine de caducité de la mesure d'instruction ;
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel.
La greffière, La présidente,
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 12 JUIN 2025
(n° 92 /2025, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 22/08570 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFXYM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 avril 2022- Tribunal judiciaire de Paris (18ème chambre, 1ère section) - RG n° 19/09553
APPELANTE
Société SCM PARAMEDICAL CAUCHOIS, société civile de moyens
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 7] sous le n° 478 149 198
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : L0010
Assistée de Me Dominique BOQUET, avocat au barreau de Paris, toque : C263
INTIMÉE
Société CAULEPIC, société civile
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 7] sous le n° 423 984 434
Prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée et assistée par Me Olivier AUMONT de la SELARL AUMONT FARABET ROUVIER AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : C0628
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 avril 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Stéphanie Bouzige, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 30 juin 2009, la société civile Caulepic a donné à bail à la société civile de moyens SCM Paramédical Cauchois (ci-après la SCM Paramédical Cauchois), des locaux d'une superficie d'environ 230 m², au 2ème étage de l'immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 8], pour neuf ans à compter du 1er août 2009, à destination de « cabinet de kinésithérapie et toute autre profession paramédicale » et moyennant un loyer annuel de 32.619 euros HT HC.
Par acte d'huissier du 28 mars 2019, la société Caulepic a fait délivrer à la SCM Paramédical Cauchois un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction pour la date du 30 septembre 2019.
Par acte d'huissier du 1er août 2019, la société SCM Paramédical Cauchois a fait assigner la société Caulepic aux fins notamment de voir condamner cette dernière à lui payer une indemnité d'éviction de 339.808,77 euros outre les indemnités de licenciement, fixer le montant de l'indemnité d'occupation à un montant annuel de 32.619 euros HT HC, subsidiairement ordonner une expertise pour déterminer ces indemnités.
Par jugement mixte rendu le 5 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a, en substance :
dit que le congé délivré le 28 mars 2019 a mis fin le 30 septembre 2019 au bail du 30 juin 2009 portant sur les locaux situés en façade [Adresse 1] à [Localité 8] et a ouvert droit au profit de la SCM Paramédical Cauchois, d'une part, en vertu de l'article L. 145-14 du code de commerce, à une indemnité d'éviction et, d'autre part, selon l'article L. 145-28 du même code, au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de cette indemnité ;
dit et juge que l'indemnité d'éviction due à la SCM Paramédical Cauchois comprend, outre la valeur du droit au bail, les indemnités accessoires telles qu'éventuellement et notamment, le coût d'un transfert des activités exercées comprenant, le cas échéant l'acquisition d'un titre locatif, les frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que les droits de mutation, le préjudice commercial, les frais de licenciement... ;
avant-dire droit au fond sur le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard, désigne en qualité d'expert : M. [T] [H], avec mission notamment de rechercher, en tenant compte de la nature des activités professionnelles autorisées par le bail, de l'état des locaux et de leur situation, tous éléments permettant, d'une part, de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction qui sera constituée à titre principal de la valeur du droit au bail augmentée éventuellement et notamment du coût d'un transfert des activités exercées comprenant, le cas échéant l'acquisition d'un titre locatif, frais et droits de mutation, frais de déménagement et de réinstallation, réparation du trouble commercial, des frais de licenciements..., d'autre part, de déterminer le montant de l'indemnité due par la locataire pour l'occupation des lieux.
Le rapport d'expertise a été déposé le 8 février 2024.
La SCM Paramédical Cauchois a interjeté appel du jugement par déclaration du 28 avril 2022 et a présenté devant la cour de céans une requête en rectification d'erreur matérielle enregistrée sous le numéro de RG 22/10380, par déclaration du 24 mai 2022.
Par ordonnance du 7 septembre 2022, la cour a prononcé la jonction des deux affaires sous le numéro de RG 22/08570.
La société Caulepic a refusé les médiations, requises en première instance et proposées en cause d'appel.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 3 mars 2025, la SCM Paramédical Cauchois, appelante, demande à la cour de :
recevoir la SCM Paramédical Cauchois, en son appel du jugement mixte, rendu le 5 avril 2022 par la 1ère chambre du tribunal judiciaire de Paris ;
juger cet appel recevable et bien fondé ;
en conséquence,
infirmer partiellement le jugement déféré en ce qu'il a décidé que : l'indemnité d'éviction due à la SCM Paramédical Cauchois, est une indemnité de transfert ;
et statuant à nouveau :
étendre la mission d'expertise confiée, à monsieur [T] [H], à la recherche de la détermination du montant de l'indemnité d'éviction, dans le cas d'une perte totale d'activité de la SCM Paramédical Cauchois, liée à la perte presque totale de la patientèle, attachée au lieu géographique de l'activité, comprenant outre l'indemnité principale fixée en fonction des usages professionnels, les indemnités annexes telles que les frais normaux de déménagement et réinstallation et la réparation du trouble commercial ;
dire que la mission de l'expert telle que définie par le tribunal, dans son jugement déféré, devra préciser le périmètre géographique du transfert de localisation envisagé ;
faire droit à la demande d'article 700 du code de procédure civile de la SCM Paramédical Cauchois ;
en conséquence :
- condamner la SC Caulepic à verser, de ce chef, à ladite SCM Paramédical Cauchois, une somme de 3.500 euros ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 23 décembre 2024, la société Caulepic, intimée, demande à la cour de :
débouter la SCM Paramédical Cauchois de sa demande d'infirmation partielle ;
débouter la SCM Paramédical Cauchois de sa demande d'extension de la mission de l'expert ;
débouter la SCM Paramédical Cauchois de toutes ses autres demandes ;
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
condamner la SCM Paramédical Cauchois à payer à la société Caulepic la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
la condamner en outre aux entiers dépens dont le montant pourra être recouvré directement par la SELARL Aumont Farabet Rouvier Avocats, représentée par Maître Olivier Aumont, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRET
A titre liminaire, sur la demande de rectification d'erreur matérielle
Aux termes de l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs ou omissions matérielles qui affectent le jugement même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou à défaut ce que la raison commande. Le juge est saisi par simple requête de l'une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d'office. Le juge statue après avoir entendu les parties ou celle-ci appelées. Toutefois, lorsqu'il est saisi sur requête ; il statue sans audience, à moins qu'il n'estime nécessaire d'entendre les parties.
L'appelante expose, dans sa requête, que selon la motivation du jugement rendu le 5 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, « l'expertise sera ordonnée aux frais avancés par la demanderesse », en l'occurrence la SCM Paramédical Cauchois. En revanche, dans le dispositif du jugement, ces frais d'expertise sont mis à la charge de la défenderesse, la société Caulepic, alors que, comme le soulève requérante, ces frais sont généralement avancés par le demandeur à l'instance.
Il s'ensuit que le dispositif du jugement est entaché d'une erreur matérielle en ce qu'il met à la charge de la société Caulepic, défenderesse à l'instance et non à la charge de la demanderesse, tel qu'ordonné par le tribunal, la consignation de la somme de 5.000 euros, erreur qu'il convient de rectifier conformément à la demande présentée par la SCM Paramédical Cauchois.
Sur l'indemnité d'éviction et l'extension de la mission de l'expert
Sur la nature de l'indemnité d'éviction
Selon les dispositions de l'article L. 145-1 et suivants du code de commerce, le statut des baux commerciaux s'applique impérativement aux baux des locaux dans lesquels un fonds de commerce est exploité, ainsi qu'à certaines autres activités, les parties pouvant librement, par application de l'article 1134 devenu 1103 du code civil, sous la seule réserve que la location n'entre pas dans le champ d'application d'un autre régime impératif, décider volontairement de soumettre leurs relations locatives au statut des baux commerciaux alors même qu'aucun fonds de commerce n'est exploité dans les locaux par le titulaire du bail.
Selon l'article L. 145-14 du même code, le refus de renouvellement signifié par le bailleur met fin au bail commercial mais ouvre droit, sauf exception, au profit du locataire, à une indemnité d'éviction qui comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Usuellement, les conséquences de l'éviction s'apprécient in concreto au regard de la possibilité pour le locataire de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de remplacement.
Au cas d'espèce, les parties se sont soumises expressément et volontairement au statut des baux commerciaux, malgré l'activité paramédicale exercée par la preneuse, qui relève usuellement de la législation relative au bail professionnel. Ce point ne fait pas l'objet de contestation.
Les parties ne contestent pas non plus le jugement déféré en ce qu'il a déclaré valable le congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction, délivré le 28 mars 2019 par la société Caulepic à la SCM Paramédical Cauchois, ni en ce qu'il a dit qu'en suite du congé précité, le bail les liant avait pris fin le 30 septembre 2019 et ouvert droit à une indemnité d'éviction ainsi qu'au maintien dans les lieux moyennant le paiement d'une indemnité d'occupation.
Elles s'opposent sur la nature de l'indemnité d'éviction due, ainsi que sur la nécessité d'avoir recours, le cas échéant, à une extension de la mission de l'expert nommé par le jugement mixte déféré.
L'appelante demande à la cour d'infirmer partiellement la décision déféré en ce qu'elle aurait décidé que « l'indemnité d'éviction due à la SCM Paramédical Cauchois est une indemnité de transfert » et fait valoir à l'appui de cette demande qu'elle dispose d'une patientèle de proximité, apportée sur prescriptions des médecins généralistes du quartier, qu'une partie de celle-ci présente une fragilité physique empêchant le recours aux transports en commun et que les patients qui habitent hors du quartier y ont tout de même leur lieu de travail. Elle soutient en outre que les deux seuls locaux correspondant à la surface et à la zone des locaux objets de l'éviction sont inadaptés à un transfert d'activité, qui lui semble donc impossible. L'appelante soutient en conséquence que le départ des lieux entrainera une impossibilité pour elle de se réinstaller, ce qui entraînera par voie de conséquence la perte d'une grande partie de la clientèle de chacun des membres de la SCM, ainsi que sa dissolution et aura pour effet de rendre impossible la revente programmée des parts des associés à leurs collaborateurs, ce qui justifierait par voie de conséquence d'étendre l'expertise à l'évaluation de l'indemnité d'éviction en cas de perte d'activité.
L'intimée, de son côté, fait valoir que la SCM Paramédical Cauchois n'apporte aucune justification de l'impossibilité de transférer son activité, les statistiques communiquées n'ayant aucune force probante, celle-ci les ayant elle-même réalisées. En tout état de cause, ces statistiques permettent de constater que 50 % de la patientèle est située dans un rayon de plus de 500 mètres du cabinet, ce qui démontre son caractère transférable. Le cabinet étant situé à [Localité 7], de nombreux aménagements permettent aux patients de se rendre d'un quartier à un autre. Par ailleurs, l'appelante ne prouve pas ses difficultés à trouver des locaux. L'intimée indique en effet avoir trouvé diverses annonces en ligne correspondant à des locaux similaires aux locaux litigieux et dans la même zone géographique. Dès lors, la SCM Paramédical Cauchois ne pourrait prétendre qu'à une indemnité de déplacement, d'autant que certains de ses membres ont confirmé leur intention de se réinstaller, ce qui n'entrainera pas la dissolution de la société, mais un simple changement de siège social.
En l'espèce, il ne ressort pas des éléments versés aux débats par l'appelante que celle-ci exercerait une activité non transférable, étant précisé que, comme souligné par l'intimée, les statistiques avancés au soutien de sa démonstration étant réalisées par elle-même, elle ne saurait s'en prévaloir à titre de preuve. D'autant que les activités médicales et paramédicales sont traditionnellement et de jurisprudence constante considérées, sauf preuve contraire non rapportée en l'espèce, considérées comme des activités transférables. L'intimé verse d'ailleurs aux débats plusieurs pièces dont il ressort que de nombreux locaux correspondant à ceux objets de l'éviction existent dans le même périmètre et la SCM Paramédical Cauchois ne démontre pas en quoi ces locaux ne seraient pas équivalents aux locaux loués et rendraient impossible un transfert d'activité.
Dans la mesure où l'appelante ne rapporte pas la preuve de l'impossibilité pour elle de se réinstaller dans un autre local présentant les mêmes caractéristiques que les lieux loués, il convient en conséquence de considérer que l'activité exercée par la preneuse est transférable et, par conséquent, que l'indemnité d'éviction correspond au minimum à la valeur du droit au bail augmenté des indemnités accessoires habituelles. Aussi, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte, que le premier juge a estimé « que l'indemnité d'éviction due à la SCM Paramédical Cauchois comprend, outre la valeur du droit au bail, les indemnités accessoires telles qu'éventuellement et notamment, le coût d'un transfert des activités exercées comprenant, le cas échéant l'acquisition d'un titre locatif, les frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que les droits de mutation, le préjudice commercial, les frais de licenciement' ».
L'appelante sera donc déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les préjudices à évaluer
Aux termes de l'article 1135 devenu 1194 du code civil, les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi.
Selon le préambule du bail conclu le 30 juin 2009 entre les parties, « la présente location est destinée à permettre à la SCM Paramédical Cauchois locataire, l'exercice de la profession de kinésithérapeute et autre profession paramédicale. Ces professions n'ayant aucun caractère commercial, industriel ou artisanal, et l'activité exercée n'entrant pas au nombre de celles qui, bien que ne présentant pas ces caractères, ouvrent droit au bénéficie du statut des baux commerciaux, la présente location n'est pas normalement régie par le décret du 30 septembre 1953. Elle relève des dispositions de l'article 57 A du décret du 23 septembre 1986, dont les termes sont rappelés ci-dessous ('). Néanmoins, pour répondre à la demande du bailleur, à laquelle le locataire a accepté d'accéder, les parties sont convenues de se soumettre conventionnellement au décret du 30 septembre 1953. En conséquence, leurs rapports locatifs sont régis par les dispositions de ce décret, à l'exception de celles qui seraient déclarées expressément inapplicables, et des clauses du présent bail ». En outre, aux termes de l'article 4 dudit bail, il est expressément stipulé que « les locaux, objet du présent bail, seront utilisés en totalité par le Preneur pour la destination suivante : cabinet de kinésithérapie et toute autre profession paramédicale », et enfin selon l'article 17-2 a) deuxième alinéa du bail précité, «si le refus de renouvellement s'accompagne de l'offre d'une indemnité d'éviction, cette indemnité sera calculée par référence à l'article 8 du décret du 30 septembre 1953 et réparera l'ensemble des préjudices prévus par ce texte et par la jurisprudence qui l'a interprété. La valeur du « fonds » du locataire sera déterminée suivant les usages de la profession ».
L'appelante fait encore valoir que l'indemnité d'éviction doit permettre de réparer les conséquences de l'éviction pour l'exploitation qui en fait l'objet et qu'en cas d'extension du statut des baux commerciaux au profit d'une société civile de moyens, l'indemnité d'éviction doit en conséquence réparer le préjudice que fait subir l'éviction à chacun des membres de la SCM dans l'exercice de son activité professionnelle, quand bien même c'est la SCM seule qui a la qualité de preneuse. Le trouble commercial d'une SCM devrait donc être évalué selon le chiffre d'affaires de chacun de ses membres et la perte de clientèle subie par ces derniers constituerait alors un préjudice causé par l'éviction, qui devrait alors être indemnisée. Ainsi, pour l'appelante, le tribunal ne pouvait pas limiter l'indemnité d'éviction à la compensation de la seule perte du droit au bail.
L'intimée, de son côté, fait valoir que la SCM Paramédical Cauchois n'exerce aucune profession et n'a pas de clientèle propre, ce qui l'empêche de subir un préjudice commercial. Aussi, conformément à l'article L. 145-14 du code de commerce, la SCM Paramédical Cauchois, en sa qualité de locataire, serait seule créancière de l'indemnité d'éviction. Ainsi, elle ne pourrait prétendre à l'indemnisation d'un préjudice commercial. La société Caulepic ne saurait donc être tenue d'indemniser le préjudice subi personnellement par chaque associé d'autant moins lorsqu'il n'appartenait pas à la société preneuse au moment de la signature du bail. L'extension de la mission de l'expert serait donc inutile.
Au cas d'espèce, s'il est exact que la société preneuse est une société civile de moyens, structure juridique autonome dont l'objet est la seule fourniture de moyens en personnel et matériel à ses membres pour faciliter l'exercice de leur profession et n'exploite donc pas de fonds de commerce dans les locaux loués, la bailleresse ne pouvait cependant pas ignorer que l'activité autorisée au bail ne pourrait être exercée que par les associés de la SCM et non par cette dernière elle-même.
En outre, les parties ont manifesté leur volonté claire et non équivoque de se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux, à la demande expresse de la bailleresse, même si la société preneuse ne remplissait pas la condition légale d'exploitation d'un fonds de commerce. La soumission volontaire des parties au statut, qui offre un avantage indéniable à la bailleresse en ce qu'elle a pour locataire un seul interlocuteur et non plusieurs, ce qui aurait été le cas si elle avait conclu un bail indivis avec chacun des associés de la SCM, et en ce qu'elle bénéficie de la garantie que constitue pour elle la responsabilité indéfinie et conjointe des associés de la SCM, oblige la bailleresse à supporter les conséquences que fait subir l'éviction aux activités professionnelles individuelles exercées dans les locaux par les associés de cette société, même si la société preneuse, seule titulaire du bail, n'a pas de clientèle propre.
En conséquence, il y a lieu d'évaluer l'indemnité pour perte de clientèle, laquelle a pour objet de réparer la perte, par les associés de la preneuse, de la clientèle exclusivement liée à l'emplacement de cette dernière, même en cas de transfert possible de l'activité, chef de mission a été omis dans la mission de l'expert par le premier juge.
Il sera donc fait droit à la prétention des appelantes sur ce point.
Cependant, l'expert qui a déposé son rapport étant dessaisi de sa mission, il sera ordonnée, conformément aux articles 143, 144, 147 et 256 et suivants du code de procédure civile, une mesure de consultation qui sera confiée à M. [H] sur ce seul chef d'évaluation.
L'appelante sollicite également, dans son dispositif, que la mission de l'expert précise « le périmètre géographique du transfert de localisation envisagée ». Faute de moyens développés au soutien de cette prétention, elle sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions relatives aux dépens et aux frais de l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient de rejeter les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et de réserver les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Dit que le dispositif du jugement rendu le 5 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Paris (RG 19/09553) devra être rectifié ainsi qu'il suit :
Fixe à la somme de 5.000 (CINQ MILLE) euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par la société SCM PARAMEDICAL CAUCHOIS à la régie du tribunal judiciaire de Paris, avant le 30 mai 2022 ;
Au lieu de :
Fixe à la somme de 5.000 (CINQ MILLE) euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par la Sté CAULEPIC à la Régie du tribunal judiciaire de Paris, avant le 30 mai 2022 ;
Dit que la décision rectificative sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement et qu'elle sera notifiée comme le jugement ;
Confirme le jugement rendu le 5 avril 2024 par le tribunal judiciaire de Paris (RG n°19/09553), notamment, en ce qu'il a dit que « l'indemnité d'éviction due à la société civile de moyens Paramédical Cauchois comprend, outre la valeur du droit au bail les indemnités accessoires telle qu'éventuellement et notamment, le coût d'un transfert des activités exercées comprenant, le cas échéant l'acquisition d'un titre locatif, les frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que les droits de mutation, le préjudice commercial, les frais de licenciement' » ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Ordonne une mesure de consultation et désigne en qualité de consultant :
M. [T] [H]
[Adresse 3]
0145445146
[Courriel 6]
avec mission, les parties régulièrement convoquées, après avoir pris connaissance du dossier, s'être fait remettre tous documents utiles, et avoir entendu les parties ainsi que tout sachant de :
- évaluer la perte éventuelle de clientèle de la société civile de moyens SCM Paramédical Cauchois ;
- faire toutes observations utiles à l'évaluation du préjudice de la société civile de moyens SCM Paramédical Cauchois ;
Rappelle que la mesure est régie par les articles 256 et suivants du code de procédure civile ;
Dit que le consultant déposera au greffe du pôle 5, chambre 3, sa consultation écrite dans un délai de QUATRE MOIS à compter du versement de l'avance sur sa rémunération ;
Dit que la société civile de moyens SCM Paramédical Cauchois versera par provision au consultant la somme de 4.000 (QUATRE MILLE) euros à titre d'avance sur sa rémunération, dans un délai de DEUX SEMAINES à compter de la date de la présente décision, sous peine de caducité de la mesure d'instruction ;
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel.
La greffière, La présidente,