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Décisions

CA Lyon, 3e ch. a, 12 juin 2025, n° 21/08254

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 21/08254

12 juin 2025

N° RG 21/08254 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N6ES

Décision du

Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du [Date décès 5] 2021

RG : 2019j02068

ch n°

S.A.R.L. HASGARD

C/

S.E.L.A.R.L. [I] [B]

S.E.L.A.R.L. [F] [S]

S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

S.E.L.A.R.L. ALLIANCE MJ

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 12 Juin 2025

APPELANTE :

La Société HASGARD,

Société à responsabilité limitée, au capital de 30.000,00 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 435 393 921 et ayant son siège, représentée par son Gérant en exercice

Sis [Adresse 8]

[Localité 1]

Représentée par Me Brice LACOSTE de la SELARL LACOSTE CHEBROUX BUREAU D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1207, avocat postulant et de Me Nina VAUTHIER, avocate au barreau de LYON, avocat plaidant.

INTIMEES :

La SELARL [F] [S],

société d'exercice libéral à responsabilité limitée au capital de

1.000 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 901 604 736, représentée par Maître [F]

[S], agissant ès qualité de Mandataire ad hoc de la Société PHG CONSEIL, Société à responsabilité limitée, au capital de 20.000,00 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 421 774 308 et ayant son siège [Adresse 4] à SAINT DIDIER AU MONT D'OR (69370), nommé à ses fonctions par ordonnance du Tribunal de Commerce de LYON du 31 octobre 2019 et du 3 août 2021.

Sis [Adresse 6]

([Localité 11]

Représentée par Me Aurélien BARRIE de la SELARL POLDER AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : T 1470

Et

MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES,

inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés du Mans sous le n° 775 652 126, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité

Sis [Adresse 3]

([Localité 12]

Représentée par Me Denis WERQUIN de la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 1813

Et

La SELARL [I] [B],

Société d'Exercice Libéral à Responsabilité Limitée à associé unique,

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON, sous le numéro 843 481 714, représentée par Maître [I] [B] ès qualités de Liquidateur judiciaire de la Société PHG CONSEIL, Société à responsabilité limitée, au capital de 20.000,00 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 421 774 308 et ayant son siège [Adresse 4] à SAINT DIDIER AU MONT D'OR (69370), nommé à ses fonctions par jugement du Tribunal de Commerce du 19 décembre 2018.

Sis [Adresse 9]

([Localité 10]

Non représenté malgré signification de la Déclaration d'appel le 11.02.2022 et des conclusions le 22.02.2022 à personne morale habilitée.

Et

S.E.L.A.R.L. ALLIANCE MJ

Es qualité de Mandataire ad'hoc de la Société PHG CONSEIL

Sis [Adresse 2]

([Localité 7]

Non représentée suite à ordonnance de désistement partiel du 4 janvier 2022.

******

Date de clôture de l'instruction : 14 Février 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Avril 2025

Date de mise à disposition : 12 Juin 2025

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Sophie DUMURGIER, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Viviane LE GALL, conseillère

assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,

Arrêt réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Sophie DUMURGIER, présidente, et par Céline DESPLANCHES, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL Hasgard a fait appel à la société PHG Conseil, société d'expertise comptable assurée par la société MMA IARD Assurances Mutuelles, pour l'établissement de ses comptes annuels notamment. Deux lettres de mission ont ainsi été régularisées, les 23 décembre 2003 et 19 mai 2004.

Mme [L], secrétaire au sein de la société Hasgard depuis le mois d'octobre 2004, a fait l'objet d'un licenciement pour faute en avril 2013, suite à des détournements financiers sur plusieurs années. Elle a ainsi été condamnée par le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse le 19 décembre 2017, décision confirmée par la cour d'appel de Lyon dans un arrêt du 17 octobre 2019, à la peine de trois ans d'emprisonnement dont trente mois avec sursis, et a été condamnée à payer à la société Hasgard, partie civile, la somme de 496.411,21 euros au titre des sommes détournées.

La société PHG Conseil, qui assurait une mission d'expertise-comptable pour la société Hasgard au titre des comptes de 2004 à 2012, ne l'ayant pas alertée sur d'éventuels détournements, la société Hasgard a saisi le Conseil de l'ordre des experts-comptables par courrier du 30 mai 2016.

Par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 19 décembre 2018, la société PHG Conseil a été placée en liquidation judiciaire. La SELARL [I] [B] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

La société Hasgard a déclaré sa créance, au titre de son préjudice, auprès du liquidateur judiciaire de la société PHG Conseil à hauteur de la somme de 496.411,21 euros correspondant au montant des détournements.

[E] [R], dirigeant de la société PHG Conseil, est décédé le [Date décès 5] 2019. Par ordonnance du 31 octobre 2019, la SELARL Alliance MJ a été désignée en qualité de mandataire ad hoc de la société PHG Conseil

Le 26 décembre 2019, la société Hasgard a assigné la SELARL [I] [B] en qualité de liquidateur judiciaire de la société PHG Conseil, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la SELARL Alliance MJ en qualité de mandataire ad hoc de la société PHG Conseil, devant le tribunal de commerce de Lyon.

Suivant ordonnance du président du tribunal de commerce en date du 3 août 2021, la SELARL [F] [S] vient aux droits de la SELARL Alliance MJ.

Par jugement contradictoire du [Date décès 5] 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

- ordonné la jonction des instances enrôlées sous les n°2019J2068 et n°2020J706,

- jugé l'action de la société Hasgard prescrite,

- condamné la société Hasgard à payer la somme de 2.000 euros à la SELARL Alliance MJ, en qualité de mandataire ad hoc de la société PHG Conseil, et la somme de 2.000 euros à la société MMA IARD Assurances mutuelles, [au titre de l'article 700 du code de procédure civile],

- condamné la société Hasgard aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 17 novembre 2021, la société Hasgard a interjeté appel de ce jugement portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiqués, sauf en ce qu'il a ordonné la jonction des instances enrôlées sous les n°2019J2068 et n°2020J706.

Par ordonnance du 4 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a :

déclaré parfait le désistement partiel d'action de la SELARL Hasgard à l'égard de la SELARL Alliance MJ,

constaté la renonciation à l'action et par suite l'extinction de l'instance et le dessaisissement de la cour dans le litige opposant la SARL Hasgard à la SELARL Alliance MJ,

dit que l'instance d'appel se poursuit entre la SARL Hasgard d'une part, et la SELARL [F] [S], la SELARL [I] [B] ès qualités, et la société MMA IARD Assurances Mutuelles d'autre part,

laissé les dépens du désistement partiel d'action à la charge de la SARL Hasgard.

***

Le dispositif des conclusions des parties est strictement reproduit ci-après.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 24 octobre 2022, la société Hasgard demande à la cour, au visa des articles 224, 1134, 1147, 2231, 2234, 2241 et 2243 du code civil, L. 110-4 et L. 123-14 du code de commerce, 31 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, 141 et suivants, 159 et 174 du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable, L. 114-1 du code des assurances, 700 du code de procédure civile et du décret n° 2007-1387 du 27 septembre 2007 portant code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable, de :

'A/ la demande de la société Hasgard n'est pas prescrite

Attendu que la société Hasgard a été mise en mesure d'avoir connaissance des fautes de son expert-comptable au terme de la procédure contentieuse qui a précisé le mode opératoire de Mme [L] duquel a pu être décelé les fautes de son expert-comptable,

Attendu que le point de départ de la prescription a commencé à courir le 17 octobre 2019 date de l'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Lyon ' ou à tout le moins le 19 décembre 2017, date du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse,

Attendu qu'en tout état de cause, si par extraordinaire la prescription avait commencé à courir en 2013, cette dernière a été interrompue par l'assignation délivrée par la société Hasgard le 3 septembre 2015, jusqu'au 7 janvier 2016,

Attendu qu'en tout état de cause, si par extraordinaire la prescription avait commencé à courir en 2013, cette dernière a été suspendue durant l'instance devant la Chambre régionale de discipline auprès du Conseil régional de l'Ordre des experts-comptables, soit du 30 mai 2016 au 6 mai 2019,

Attendu que l'action directe à l'encontre de l'assureur, laquelle est prorogée de deux ans n'est pas prescrite,

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le [Date décès 5] 2021 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- dire et juger que l'action de la société Hasgard n'est pas prescrite, ni à l'encontre de la société PHG Conseil, ni à l'encontre de son assureur,

B/ la demande de la société Hasgard est bien fondée

Attendu que la Société PHG Conseil a commis plusieurs fautes en ne respectant pas ses devoirs de vigilance, de conseil et de mise en garde auxquels elle était tenue à l'égard de la société Hasgard,

Attendu que la société PHG Conseil a commis plusieurs fautes en ne respectant pas les principes de sincérité et de régularité des comptes de la société Hasgard,

Attendu que les fautes de la société PHG Conseil ont été reconnues par la chambre régionale de discipline auprès du conseil régional de l'ordre des experts-comptables, organe compétent en la matière,

Attendu qu'il résulte des fautes de la société PHG Conseil un préjudice pour la société Hasgard,

Attendu que ce préjudice se chiffre au montant des détournements opérés par Mme [L] soit la somme de 496.411,21 euros,

En conséquence,

- fixer la créance de la société Hasgard à hauteur de la somme de 496.411,21 euros au passif de la liquidation judiciaire de la société PHG Conseil,

C/ Sur l'action directe contre la société MMA IARD Assurance

Attendu que la société Hasgard est bienfondé à exercer une action directe à l'encontre de l'assureur de la société PHG Conseil, à savoir la société MMA IARD Assurances,

En conséquence,

- condamner la Société MMA IARD Assurances au paiement de la somme de 496.411,21 euros à la société Hasgard en réparation de son préjudice,

D/ En tout état de cause,

- condamner la société MMA IARD Assurances au versement de la somme de 8.000 euros à la société Hasgard, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société MMA IARD Assurances aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Me Brice Lacoste, avocat sur son affirmation de droit,

- dire et juger n'y avoir lieu à condamner la société Hasgard au versement d'une quelconque somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.'

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 12 mai 2022, la SELARL [F] [S], ès qualités, demande à la cour, au visa des articles 1134 et 2224 du code civil, L. 622-21 et R. 624-5 du code de commerce et 32, 122 et 124 du code de procédure civile, de :

'- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le [Date décès 5] 2021 par le tribunal de commerce de Lyon ayant jugé l'action de la société Hasgard prescrite,

En cas de réformation :

A titre principal :

- juger que la mission de la société PHG Conseil ne comprend pas la recherche des détournements,

- juger que la société Hasgard ne rapporte l'existence d'aucune faute, d'aucun préjudice, ni n'aucun lien de causalité à l'encontre de la société PHG Conseil,

- débouter la société Hasgard de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire :

- juger que la société Hasgard a concouru à la réalisation de son propre préjudice,

- limiter le montant de la créance de la société Hasgard compte tenu des fautes commises par cette dernière et ses dirigeants,

En tout état de cause :

- condamner la société Hasgard au paiement de la somme de 5.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.'

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 29 septembre 2022, la société MMA IARD Assurances Mutuelles demande à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile, 1147, 1149 et 1315 anciens du code civil, 2224 et 2234 du code civil, L. 114-1 et L. 124-3 du code des assurances, 159 du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012, de :

'A titre principal,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du [Date décès 5] 2021 (RG n° 2019J2068) en ce qu'il a :

* « jugé l'action de la société Hasgard prescrite,

* condamné la société Hasgard à payer la somme de 2 000,00 euros à la SELARL Alliance MJ, en qualité de mandataire ad hoc de la société PHG Conseil, et la somme de 2 000,00 euros à la société MMA IARD Assurances Mutuelles,

* condamné la société Hasgard aux entiers dépens »,

A titre subsidiaire, si la cour infirmait le jugement entrepris et déclarait recevable l'action de la société Hasgard,

- débouter la société Hasgard de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre la société MMA IARD Assurances Mutuelles,

A titre infiniment subsidiaire, si la cour entrait en voie de condamnation à l'encontre des concluantes,

- limiter l'indemnisation de la société Hasgard à sa seule perte de chance de détecter les détournements opérés par Mme [L],

En toute hypothèse,

- condamner la société Hasgard à payer à la société MMA IARD Assurances Mutuelles la somme de 8 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Hasgard aux entiers dépens distraits au profit de la SAS Tudela Werquin et associés, avocats, sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'

Citée par acte de commissaire de justice remis à domicile le 11 janvier 2022, auquel était jointe la déclaration d'appel, la SELARL [I] [B], en qualité de mandataire liquidateur de PHG Conseil, n'a pas constitué avocat.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 février 2023, les débats étant fixés au 10 avril 2025.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription de l'action

La société Hasgard fait valoir que :

- le tribunal de commerce de Lyon a commis une erreur en assimilant le point de départ de la prescription contre son expert-comptable, la société PHG Conseil, à celui contre sa salariée ayant commis des détournements, Mme [L],

- en 2013, elle n'avait pas connaissance des fautes de son expert-comptable car elle ne disposait pas de sa comptabilité et ne connaissait pas le procédé utilisé pour les détournements,

- le mode opératoire des détournements n'a été découvert qu'à l'issue de l'enquête pénale, lors du jugement du tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse du 19 décembre 2017, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 17 octobre 2019 ; elle a ainsi été en mesure de prendre connaissance des fautes de son expert-comptable ; par conséquent, le point de départ de la prescription devrait être fixé au 17 octobre 2019, ou au moins au 19 décembre 2017,

- dans l'hypothèse où la prescription aurait commencé à courir en 2013, elle a été interrompue par l'assignation en référé du 3 septembre 2015 visant à obtenir la restitution de la comptabilité ; cette action avait pour objectif de déterminer si la société PHG Conseil avait commis une faute et le cas échéant solliciter la réparation de son préjudice ; cette interruption a perduré jusqu'à l'ordonnance du tribunal de commerce de Lyon du 7 janvier 2016, faisant repartir un nouveau délai de cinq ans,

- la prescription a également été suspendue du 30 mai 2016 au 6 mai 2019 pendant la procédure devant la chambre régionale de discipline, préalable nécessaire à l'action en justice,

- l'action, qui n'est pas prescrite à l'encontre de l'assuré, ne saurait l'être à l'encontre de l'assureur ; en tout état de cause, l'action contre l'assureur ne peut être prescrite puisque le délai de prescription de l'action directe est prolongé de deux ans après celui applicable à l'action contre l'assuré,

- elle avait préalablement informé l'assureur de la société PHG Conseil de ce sinistre.

La SELARL [F] [S], ès qualités, réplique que :

- la société Hasgard avait connaissance des faits lui permettant d'engager l'action depuis avril 2013, lors du licenciement de la salariée ayant opéré les détournements, ou juillet 2013, date du dépôt de plainte,

- la durée légale de la prescription est de cinq ans, ce que ne conteste pas l'appelante,

- l'action à son encontre n'a été engagée que le 26 décembre 2019, de sorte qu'elle était prescrite,

- le tribunal de commerce de Lyon n'a pas assimilé l'action à l'encontre de Mme [L] et l'action à l'encontre de la société PHG Conseil,

- le fait générateur du préjudice allégué par la société Hasgard résulte des détournements de Mme [L], et non du mode opératoire adopté ; ce dernier n'a pas d'influence sur le point de départ du délai de prescription,

- le point de départ du délai de prescription n'est pas l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 17 octobre 2019,

- l'assignation pour obtenir la restitution d'une partie de la comptabilité n'a pas interrompu le délai de prescription ; devant le juge des référés, la société Hasgard n'a jamais prétendu que la société PHG Conseil avait commis la moindre faute ; le prétendu but poursuivi de permettre une démonstration de ses fautes n'est démontré par aucune pièce ; l'action en référé ne tendait pas aux mêmes fins que la présente instance,

- la procédure disciplinaire devant l'instance disciplinaire de l'ordre des experts-comptables n'a pas interrompu la prescription ; cette procédure ne tendait pas aux mêmes fins,

- l'appelante confond sciemment l'instance disciplinaire et la procédure de conciliation pour tenter de sauver son action,

- l'action de la société Hasgard est également prescrite à l'encontre de l'assureur, dès lors que l'appelante n'a pas exercé de recours contre celui-ci avant l'expiration du délai de prescription dont elle disposait contre l'assuré ; aucun délai supplémentaire de deux ans ne saurait être invoqué.

La société MMA IARD Assurances Mutuelles réplique que :

- l'action directe contre l'assureur se prescrit dans le même délai que l'action contre le responsable, ne pouvant se prolonger que tant que l'assureur reste exposé au recours de son assuré,

- l'interruption ou la suspension de la prescription de l'action contre l'assuré est sans effet sur l'action directe contre l'assureur,

- la société Hasgard a découvert les détournements dès avril 2013, ce qui a entraîné le licenciement pour faute de Mme [L] et la fin de la mission de la société PHG Conseil,

- le tribunal de commerce a retenu à juste titre que l'action de la société Hasgard, engagée le 26 décembre 2019, était prescrite,

- la jurisprudence citée par la société Hasgard n'est pas applicable car elle concerne des contentieux fiscaux et non des détournements,

- en cas de détournement, la jurisprudence indique que le point de départ ne peut être fixé qu'au jour où elles ont eu connaissance des détournements ; or, la société Hasgard indique elle-même dans ses écritures avoir constaté toute une série de mouvements financiers en cartes bancaires, chèques et virements bancaires dès avril 2013,

- la cour d'appel de Lyon a précisé que les découvertes sur le mode opératoire étaient le fruit des investigations des dirigeants de Hasgard,

- le préjudice évalué par Hasgard en 2013 était déjà très proche de celui réclamé aujourd'hui,

- la société Hasgard se contredit en affirmant qu'une enquête était absolument nécessaire pour déterminer les détournements tout en prétendant que le mode opératoire n'avait rien d'exceptionnel ou de complexe,

- l'assignation en référé du 3 septembre 2015 invoquée par la société Hasgard n'a pas été communiquée à la procédure, rendant impossible l'appréciation de son caractère interruptif,

- selon la jurisprudence, l'effet interruptif attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une seconde demande différente de la première par son objet,

- une action en responsabilité et une action en communication de pièces ont des objets distincts, l'action en référé ne pouvant donc interrompre la prescription de l'action en responsabilité,

- contrairement aux allégations de la société Hasgard, la saisine du conseil régional de l'Ordre des experts-comptables n'est pas un préalable obligatoire à une action en responsabilité,

- selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l'article 159 du décret n°2012-432 n'ouvre qu'une faculté et ne peut faire obstacle au droit de toute personne d'agir en justice,

- une action disciplinaire est parfaitement distincte de l'action en responsabilité,

- la société Hasgard n'a pas attendu l'issue de la procédure disciplinaire pour envisager d'engager la responsabilité de l'expert-comptable,

- la Cour de cassation a jugé que l'interruption ou la suspension de la prescription de l'action en responsabilité dirigée contre l'assuré est sans effet sur l'action directe dirigée contre l'assureur,

- l'action introduite le 6 décembre 2019 est intervenue plus de cinq ans après la manifestation du dommage en avril 2013 et est donc prescrite.

Sur ce,

L'article 2224 du code civil énonce que 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.

Il résulte de ce texte que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

De plus, l'article 2241 dispose que 'la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure'.

Et selon l'article 2243, 'l'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée'.

En l'espèce, la société Hasgard reproche à la société PHG Conseil de ne pas avoir décelé les anomalies constitutives des agissements délictueux de Mme [L], de ne pas avoir respecté son devoir de conseil et de mise en garde alors que le mode opératoire utilisé par Mme [L] n'avait rien d'exceptionnel ou de complexe, ou encore de n'avoir effectué aucun contrôle pendant les sept années d'agissement de Mme [L].

Or, il résulte des pièces produites aux débats, et en particulier de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon rendu par la 7ème chambre correctionnelle le 17 octobre 2019 (pièce n° 4 de Hasgard), que Mme [L], compagne de M. [O], l'un des dirigeants de la société Hasgard, était employée par cette dernière en qualité de secrétaire administrative ; que la société Hasgard a été alertée des détournements commis par Mme [L] en avril 2013 et l'a licenciée pour faute ce même mois ; que le 23 juillet 2013, les dirigeants de la société Hasgard ont déposé plainte contre Mme [L] pour abus de confiance, en relatant leur découverte des faits et les investigations qu'ils avaient menées leur permettant d'évaluer le préjudice de la société à la somme de 480.415 euros.

De plus, alors que la société PHG Conseil établissait les comptes de la société Hasgard en sa qualité d'expert-comptable depuis 2004, la société Hasgard a mis fin à son mandat dès le 31 décembre 2013. Dans son audition par les services de gendarmerie le 2 avril 2014, [E] [R], alors dirigeant de la société PHG Conseil, indiquait qu'il n'était plus l'expert-comptable de la société Hasgard 'depuis la fin d'année 2013 suite à un recommandé de leur part' et qu'il n'avait 'pas eu d'explication' à ce titre.

Ces éléments démontrent que la société Hasgard avait connaissance, au plus tard le 31 décembre 2013, des fautes comptables qu'elle reproche à présent à la société PHG Conseil.

La société Hasgard soutient que le mode opératoire des détournements effectués par Mme [L] n'a pu se faire qu'au cours de l'enquête pénale et de la procédure devant le tribunal correctionnel. Toutefois, il s'avère que ce mode opératoire était connu dès 2013, puisque Mme [L] avait reconnu les faits, comme le relève l'arrêt de la cour d'appel du 17 octobre 2019. Ainsi, lors de l'audition de [E] [R] le 2 avril 2014, celui-ci était expressément interrogé sur les fausses factures qu'émettait Mme [L] pour réaliser ses détournements. Il en résulte que le mode opératoire était connu dès fin 2013, de sorte qu'à tout le moins la société Hasgard aurait dû avoir connaissance, à cette période, des faits lui permettant d'exercer son action en responsabilité contre l'expert-comptable.

En conséquence, il convient de retenir comme point de départ du délai de prescription, la date du 31 décembre 2013, à laquelle la société Hasgard a mis fin sans explications à la mission de la société PHG Conseil.

S'agissant de l'interruption de la prescription invoquée par la société Hasgard, il résulte de l'ordonnance de référé du 7 janvier 2016 que celle-ci a assigné la société PHG Conseil le 3 septembre 2015, aux fins d'obtenir sa condamnation à lui remettre des éléments comptables en sa possession.

Or, il est constant que l'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une seconde demande différente de la première par son objet.

Tel est bien le cas en l'espèce, dès lors que l'assignation en référé n'avait pas pour objet d'engager la responsabilité de la société PHG Conseil mais seulement de lui réclamer des documents. En conséquence, l'assignation du 3 septembre 2015 n'a pas eu d'effet interruptif sur la prescription de l'action en responsabilité contractuelle engagée par la société Hasgard.

Quant à la procédure devant la chambre régionale de discipline auprès du conseil régional de l'ordre des experts-comptables, la société Hasgard cite notamment les articles 159 et 174 du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable, pour soutenir que la prescription s'est trouvée suspendue pendant le cours de cette procédure.

Or l'article 159 du décret prévoit que 'En cas de contestation par le client ou adhérent des conditions d'exercice de la mission ou de différend sur les honoraires, les personnes mentionnées à l'article 141 s'efforcent de faire accepter la conciliation ou l'arbitrage du président du conseil régional de l'ordre avant toute action en justice.

La même obligation pèse sur l'expert-comptable qui succède à un confrère dans les conditions prévues à l'article 164.'

Et l'article 174 du décret, dans sa version d'origine applicable en l'espèce, énonce que 'Les chambres régionales de discipline prévues à l'article 49 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 susvisée connaissent en première instance des fautes disciplinaires commises par les personnes inscrites au tableau de l'ordre des experts-comptables et à sa suite, à l'exception des associations de gestion et de comptabilité.

La commission nationale de discipline prévue à l'article 49 bis de la même ordonnance connaît en première instance des fautes disciplinaires commises par les associations de gestion et de comptabilité.'

Ces textes visent des procédures différentes : le premier a trait aux litiges entre un expert-comptable et son client, mais ne fait pas de la saisine du conseil régional de l'ordre, un préalable obligatoire à la procédure judiciaire, dès lors qu'il n'ouvre qu'une faculté ; le second a trait à la procédure disciplinaire, laquelle sanctionne un manquement à une règle de déontologie, de sorte qu'elle est distincte et indépendante d'une action en responsabilité civile professionnelle que peut former le client aux fins d'indemnisation.

Si les faits constitutifs de fautes disciplinaires peuvent également être de nature à engager la responsabilité civile professionnelle de l'expert-comptable à l'égard de son client, il appartient néanmoins à ce dernier de démontrer les fautes de l'expert-comptable qu'il invoque pour engager la responsabilité de celui-ci en application de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. Aux termes des deux textes précités, son action en responsabilité contractuelle ne dépend aucunement de la reconnaissance préalable, par le conseil régional de discipline, des fautes commises par l'expert-comptable.

Il en résulte que la prescription de l'action en responsabilité de la société Hasgard contre la société PHG Conseil n'a pas été suspendue, ni même interrompue, par la procédure disciplinaire engagée devant le conseil régional de discipline sur une plainte du 30 mai 2016 et ayant donné lieu à une décision du 15 mai 2019.

Ainsi, le point de départ de la prescription quinquennale étant fixé au 31 décembre 2013 et l'assignation ayant été délivrée le 26 décembre 2019, l'action en responsabilité formée par la société Hasgard contre la société PHG Conseil, représentée par son liquidateur judiciaire, est prescrite.

Enfin, s'agissant de la prescription à l'égard de l'assureur, l'action directe de la victime contre celui-ci se prescrit comme celle contre l'assuré. Elle n'est pas prolongée de deux ans à l'encontre de l'assureur, comme le soutient la société Hasgard qui invoque ainsi à tort un délai d'action de sept ans contre la société MMA Iard. En effet, la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances ne s'applique que dans les rapports entre l'assuré et son assureur et n'est pas applicable à l'action directe de la victime.

L'action de la société Hasgard contre la société PHG Conseil étant prescrite, son action directe contre l'assureur de la société PHG Conseil l'est également, étant précisé que la seule information de l'assureur par la société Hasgard, tiers victime, n'emporte pas interruption de la prescription à l'égard de celui-ci.

Il convient donc de confirmer le jugement, en toutes ses dispositions critiquées.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Hasgard succombant à l'instance, elle sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, elle sera condamnée à payer à la SELARL Maris [S] ès qualités et à la société MMA Iard Assurances Mutuelles la somme de 2.500 euros chacune.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et réputé contradictoire, dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement déféré, en toutes ses dispositions critiquées ;

Y ajoutant,

Condamne la société Hasgard aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement ;

Condamne la société Hasgard à payer à la SELARL [F] [S] et à la société MMA IARD Assurances Mutuelles la somme de 2.500 euros chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

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