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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 7, 12 juin 2025, n° 21/00151

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/00151

12 juin 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRET DU 12 JUIN 2025

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00151 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC4PJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Juillet 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/10550

APPELANTE

Madame [D] [J]

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Johanna BISOR BENICHOU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0504

INTIMÉE

La S.A.S. [R]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Non représentée

PARTIES INTERVENANTES

Me [H] [B] (SELARL [K]-[H]) - Mandataire Ad'Hoc de S.A.S. [R]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Florence FREDJ-CATEL, avocat au barreau de MEAUX

Association AGS CGEA [Localité 10]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Anne-france DE HARTINGH, avocat au barreau de PARIS, toque : R1861

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Laurent ROULAUD, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre,

Madame Stéphanie ALA, présidente,

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller,

Greffière, lors des débats : Madame Estelle KOFFI

ARRÊT :

- RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Stéphanie ALA, présidente et par Madame Estelle KOFFI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrat d'apprentissage en date du 13 octobre 2018, Mme [D] [Y] [V] a été engagée en qualité d'apprentie par la société [R] pour la période du 18 octobre 2018 au 31 août 2019 dans le cadre de la préparation d'un CAP Esthétique Cosmétique Parfumerie.

La société [R] employait moins de onze salariés et était soumise à la convention collective nationale de l'esthétique-cosmétique et de l'enseignement technique et professionnel lié aux métiers de l'esthétique (IDCC 3032).

Mme [Y] [V] soutient avoir subi un accident du travail le 13 juin 2019 en se renversant de l'eau bouillante prévue pour faire le thé sur son lieu de travail.

Par courrier du 8 juillet 2019, l'Assurance maladie de Seine-et-Marne a informé Mme [Y] [V] que la société [R] n'avait pas déclaré son accident du travail.

Le 28 novembre 2019, Mme [Y] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de résiliation judiciaire de son contrat d'apprentissage.

Par jugement du 21 juillet 2020 notifié aux parties le 30 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- Condamné la société [R] à payer à Mme [Y] [V] les sommes suivantes :

* 843,73 euros d'indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et jusqu'au jour du paiement,

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit en application de l'article R. 1454-28 du code du travail,

- 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté Mme [Y] [V] du surplus de ses demandes,

- Condamné la société [R] aux dépens de l'instance.

Le 15 décembre 2020, Mme [Y] [V] a interjeté appel du jugement.

Le 22 mars 2021, Mme [Y] [V] a signifié à la société [R] sa déclaration d'appel, le jugement entrepris et ses conclusions d'appel du 11 mars 2021, cette signification ayant été remise à un représentant de la personne morale.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 8 avril 2021, Mme [Y] [V] demande à la cour de :

- L'accueillir en ses conclusions,

- Infirmer le jugement sauf en ce qu'il lui a alloué la somme de 834,73 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés et la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

- Prononcer la résiliation judiciaire du contrat rétroactivement à la date du 31 juillet 2019,

- Fixer son salaire mensuel brut moyen à la somme de 775,84 euros,

- Condamner la société [R] à lui payer les sommes suivantes :

* 1.215,48 euros, à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 834,73 euros à titre de congés payés du 18/10/2018 au 31/07/2019 (23,67 jours),

* 328,11 euros à titre de salaire net pour le mois de mars 2019,

* 413,78 euros à titre de salaire pour la période du 01/06/2019 au 13/06/2019,

* 775,84 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée du contrat de travail,

* 4.655,04 euros à titre d'indemnité en application des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail,

* 2.000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

* L'intérêt légal,

* Les dépens,

- Ordonner à la société [R] de lui délivrer :

' ses bulletins de salaire de la période du 01/04/2019 au 31/07/2019,

' son certificat de travail,

' son attestation Pôle emploi,

' Le tout conforme, sous astreinte globale de 250 euros par jour de retard.

Par jugement du 19 juillet 2021, le tribunal de commerce de Meaux a prononcé l'ouverture de la liquidation judiciaire simplifiée de la société [R] et a désigné la société [K] [O] et Guillouët [B] en qualité de liquidateur.

Par jugement du 10 octobre 2022, le tribunal de commerce de Meaux a prononcé la clôture pour insuffisance d'actif de la procédure de liquidation judiciaire concernant la société [R].

Par arrêt avant-dire droit du 8 février 2024, la cour d'appel de Paris a :

- Ordonné la réouverture des débats,

- Prononcé le rabat de l'ordonnance de clôture du 4 octobre 2023,

- Invité Mme [Y] [V] à solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc, puis à mettre en cause celui-ci devant la cour,

- Dit que l'affaire est renvoyée à la mise en état pour désignation d'un mandataire ad hoc, mise en cause du liquidateur et de l'AGS,

- Imparti à Mme [Y] [V] un délai de trois mois à cette fin, faute de quoi le dossier sera radié,

- Reservé l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens d'appel.

Par ordonnance du 15 février 2024, le tribunal de commerce de Meaux a désigné la société [K] [O] et Guillouët [B] en qualité de mandataire ad hoc de la société [R].

Par acte d'huissier du 18 avril 2024, Mme [Y] [V] a signifié au mandataire ad hoc de la société [R] et à l'AGS le jugement attaqué, sa déclaration d'appel, ses dernières conclusions du 8 avril 2021 et ses pièces.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 18 juin 2024, le mandataire ad hoc de la société [R] demande à la cour de :

- Confirmer l'allocation de la somme de 834,73 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- Débouter Mme [Y] [V] du reste de ses demandes,

En tout état de cause,

' Rejeter la demande d'intérêts légaux,

- Débouter Mme [Y] [V] de sa demande au titre de l'astreinte,

- Juger la décision à intervenir opposable à l'AGS dans les limites des plafonds de sa garantie légale,

- Condamner Mme [Y] [V] à lui payer, en qualité de mandataire ad hoc de la société [R], la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner Mme [Y] [V] aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 3 juillet 2024, l'AGS CGEA de [Localité 11] demande à la cour de :

- Juger qu'elle est recevable et bien fondée en ses demandes, moyens et conclusions et y faisant droit,

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- Débouter Mme [Y] [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Sur la garantie,

- Juger et inscrire au dispositif de la décision à intervenir que toute condamnation relative au travail dissimulé et/ou ses conséquences sera exclue de sa garantie,

- Juger, ordonner et inscrire au dispositif de la décision à intervenir qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L 3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens et dans les limites et conditions des articles L. 3253-6 et suivants dont l'article L.3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts et indemnités mettant en 'uvre la responsabilité de droit commun de l'employeur ou l'article 700 étant ainsi exclus de sa garantie,

- Juger et inscrire au dispositif de la décision à intervenir qu'en tout état de cause sa garantie ne pourra excéder, toutes créances confondues, l'un des trois plafonds fixés, en vertu des dispositions des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,

- Statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à sa charge.

Pour un exposé des moyens, faits et prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L'instruction a été déclarée close le 15 janvier 2025.

MOTIFS :

Sur l'étendue du litige :

En premier lieu, la cour constate qu'aucune des parties ne demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a condamné le société [R] :

- aux dépens,

- à verser à l'apprentie la somme de 843,73 euros d'indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et jusqu'au jour du paiement,

- à payer à Mme [Y] [V] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement est donc définitif de ces chefs.

Il n'y a donc pas lieu de condamner à nouveau la société [R] à verser à l'apprentie la somme de 834,73 euros comme elle le demande dans le dispositif de ses dernières écritures.

En second lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture d'une procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant notamment à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent et à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

Il ressort du dispositif des dernières conclusions de Mme [Y] [V] du 8 avril 2021 qu'elle a réclamé la condamnation de la société [R] à lui verser des sommes d'argent.

Il résulte des éléments produits que postérieurement à ces dernières écritures, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [R] le 19 juillet 2021.

Par suite, il sera considéré que Mme [Y] [V] sollicite en réalité la fixation des créances réclamées au passif de la liquidation judiciaire de la société compte tenu des dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce.

Sur les rappels de salaire :

Mme [Y] [V] reproche à l'employeur de ne pas lui avoir réglé :

- d'une part, la somme de 328,11 euros nets correspondant au salaire mentionné sur son bulletin de paye du mois de mars 2019,

- d'autre part, la somme de 413,78 euros bruts correspondant au salaire qu'elle aurait dû percevoir pour la période du 1er au 13 juin 2019.

Elle précise que l'employeur ne lui a plus communiqué de bulletins de paye à compter du mois d'avril 2019.

Le mandataire ad hoc de la société [R] et l'AGS exposent qu'au regard des relevés bancaires produits par la salariée, celle-ci a encaissé plusieurs chèques de ladite société d'un montant de 500 euros le 27 mars 2019, de 170 euros et de 770 euros le 30 avril 2019 et de 770 euros le 18 juin 2019 et qu'ainsi elle avait été remplie de ses droits au titre des salaires qui lui étaient dus pour les mois de mars et juin 2019.

En premier lieu, il ressort des termes du contrat d'apprentissage que :

- d'une part, du 18 octobre 2018 au 28 février 2019, la salariée devait percevoir un salaire mensuel brut d'un montant de 554,44 euros correspondant à 37% du SMIC,

- d'autre part, du 1er mars au 31 août 2019, la salariée devait recevoir un salaire mensuel brut correspondant à 49% du SMIC (sans autre précision).

Dès lors, Mme [Y] [V] devait percevoir mensuellement à compter du 1er mars 2019 un salaire mensuel brut d'un montant de 775,84 euros comme le mentionne le bulletin de paye du mois de mars 2019 versé aux débats et comme le soutient l'apprentie dans ses écritures.

En deuxième lieu, il ressort du bulletin de paye de mars 2019 que la salariée devait percevoir, comme elle l'affirme, un salaire mensuel net d'un montant de 328,11 euros eu égard à des absences non rémunérées mentionnées dans ce bulletin et non contestées par l'appelante.

Eu égard au salaire contractuel précité, la cour constate que sur la période du 1er au 13 juin 2019, Mme [Y] [V] devait percevoir un salaire d'un montant de 387,92 euros bruts et non de 413,78 euros bruts comme elle le soutient sans préciser le détail de son calcul.

En troisième lieu, il appartient à l'employeur de prouver qu'il a versé les sommes qui étaient dues à l'apprentie au titre du mois de mars 2019 d'un montant de 328,11 euros nets et pour la période du 1er au 13 juin 2019 d'un montant de 387,92 euros bruts.

Selon l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. Selon l'article L. 3243-3 du code du travail, l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir, de sa part, renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en vertu de la loi, du règlement, d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou d'un contrat. Il résulte de la combinaison de ces textes que, nonobstant la délivrance de la fiche de paie, l'employeur doit prouver le paiement du salaire notamment par la production de pièces comptables.

Comme preuve du paiement du salaire dû à Mme [Y] [V] au titre des mois en litige, l'employeur et l'AGS se bornent à se référer aux mentions des relevés bancaires versés aux débats par l'apprentie.

Il ressort de l'examen de ces relevés que l'appelante a, comme le soutiennent les intimés, encaissé des chèques les 27 mars (pièce 16/7), 30 avril (pièce 16/9) et 10 juin 2019 (pièce 16/11).

Toutefois, d'une part, il n'est nullement indiqué sur ces relevés l'identité du tireur du chèque encaissé le 27 mars 2019 d'un montant de 500 euros. De même, les relevés précisent que les chèques du 30 avril et du 10 juin 2019 ont été émis par le 'CEIDF' (sans autre précision) et non par la société [R].

Dès lors, il n'est nullement justifié que ces chèques aient été émis par la société [R].

En outre, la cour constate que les montants de ces chèques ne correspondent pas au montant des salaires réclamés par l'apprentie au titre des mois en litige.

Il se déduit de ce qui précède que l'employeur ne prouve pas avoir versé les sommes dues à l'appelante au titre de ces mois.

Il sera donc fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société [R] les créances suivantes :

- un rappel de salaire d'un montant de 387,92 euros bruts pour la période du 1er au 13 juin 2019,

- un rappel de salaire d'un montant de 328,11 euros nets pour le mois de mars 2019.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté l'apprentie de ses demandes pécuniaires.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :

Mme [Y] [V] reproche à l'employeur de ne pas avoir déclaré l'accident du travail qu'elle a subi le 13 juin 2019 et réclame ainsi au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail la somme de 1.215,48 euros à titre de dommages-intérêts correspondant aux indemnités journalières qui ne lui ont pas été versées pour la période du 13 juin au 31 juillet 2019.

Le mandataire ad hoc de la société [R] et l'AGS concluent au débouté de cette demande au motif que la salariée ne prouve pas la réalité du manquement qu'elle invoque et de son préjudice.

En premier lieu, afin de prouver la réalité de l'accident du travail survenu le 13 juin 2019, Mme [Y] [V] produit les éléments suivants :

- son avis de passage aux urgences de l'hôpital [14] le 13 juin 2019 à 18h30 mentionnant 'patiente de 18 ans amenée par les pompiers le 13 juin pour brûlures de l'abdomen avec un thé bouillant sur son lieu de travail',

- des arrêts de travail pour accident du travail émis à l'égard de la salariée par l'hôpital [14] pour la période du 13 juin au 31 juillet 2019,

- une main courante du 16 juin 2019 par laquelle Mme [Y] [V] a indiqué au commissariat [Localité 12] [Localité 13] : 'Jeudi 13/06/2019, je me suis brûlé le ventre au 1er et 2e degré avec de l'eau bouillante, je suis en arrêt de travail jusqu'au 20/06, quand cet accident s'est produit, ma responsable m'a tout de suite dit qu'en fait je n'étais pas déclaré et donc pas assuré, j'ai donc dû payer tous les frais médicaux liés à cet accident. Quand elle a su que le dossier d'arrêt de travail avait été transmis à la sécurité sociale, elle m'a téléphoné en me disant que je n'aurais jamais dû faire ça, que je m'étais tiré une balle dans le pied toute seule et elle a rajouté 'que la meilleure gagne' je prends ces mots comme une menace. Cette personne se nomme [N] [M]',

- une lettre recommandée avec avis de réception du 2 juillet 2019 reçue le 3 juillet par la société [R] par laquelle l'apprentie a indiqué à l'employeur que suite à son accident du travail survenu le 13 juin 2019, elle faisait l'objet d'un arrêt de travail jusqu'au 31 juillet 2019. Elle reprochait à la société de ne pas lui avoir délivré ses bulletins de paye pour les mois de mars, avril, mai et juin 2019 et de ne pas lui avoir communiqué l'attestation de salaire nécessaire à sa prise en charge par la CPAM,

- une lettre du 8 juillet 2019 par laquelle l'Assurance maladie de Seine-et-Marne a indiqué à Mme [Y] [V] : 'J'ai eu connaissance de l'accident dont vous avez été victime récemment et qui pourrait être considéré comme un accident du travail. Il appartenait à votre employeur de procéder à la déclaration de tout accident dont il a eu connaissance dans les 48 heures. Or, à ce jour, la déclaration n'est toujours pas parvenue à notre organisme. Je vous invite par conséquent à faire compléter par votre employeur l'imprimé de déclaration d'accident du travail que vous trouverez ci-joint'.

Il se déduit de ces éléments qui ne sont contredits par aucun élément versé aux débats et des écritures de la salariée que :

- d'une part, celle-ci a fait l'objet d'un accident du travail le 13 juin 2019 et d'arrêts de travail à ce titre pour la période du 13 juin au 31 juillet 2019,

- d'autre part, la société [R] n'a pas procédé à la déclaration de cet accident du travail bien qu'elle en ait été informée par l'apprentie dans le cadre de son courrier du 2 juillet 2019 précité.

Il n'est nullement justifié par l'employeur et l'AGS que l'appelante a été remplie de ses droits au titre de la période du 13 juin au 31 juillet 2019.

Eu égard aux éléments versés aux débats, il sera intégralement fait droit à la demande pécuniaire de l'apprentie.

Une créance de dommages-intérêts d'un montant de 1.215,48 euros sera ainsi inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société [R].

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté l'apprentie de sa demande pécuniaire.

Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé :

Mme [Y] [V] réclame la somme de 4.655,04 euros d'indemnité pour travail dissimulé sur la base d'un salaire mensuel brut de 775,84 euros.

A l'appui de sa demande, elle expose que l'employeur n'a pas déclaré son accident du travail, ne lui a pas réglé son salaire pour le mois de mars 2019 et pour la période du 1er au 13 juin 2019 et ne lui a pas communiqué l'ensemble de ses bulletins de paye. Elle précise qu'aucune déclaration préalable à l'embauche n'avait été adressée à l'Urssaf par l'employeur et que la société [R] ne justifie pas avoir réglé les cotisations sociales la concernant.

Le mandataire ad hoc de la société [R] ne produit aucun argumentaire en défense.

L'AGS soutient qu'aucun manquement intentionnel ne saurait être reproché à l'employeur.

Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur:

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L. 8223-1 du code du travail dispose qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Pour allouer une indemnité pour travail dissimulé, les juges du fond doivent rechercher le caractère intentionnel de la dissimulation.

Il ressort des éléments produits que par une lettre du 27 mars 2021, l'Urssaf a informé le conseil de Mme [Y] [V] que la société [R] n'avait procédé à aucune déclaration préalable à l'embauche la concernant. De même, il ressort des développements précédents que l'employeur n'a plus délivré de bulletin de paye à l'apprentie à compter du mois d'avril 2019. Ces éléments caractérisent l'élément intentionnel de la dissimulation d'emploi salarié requis par les textes précités.

Par suite, il y a lieu d'allouer à l'apprentie une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé d'un montant de 4.655,04 euros représentant six mois de salaire.

Cette créance sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société [R].

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté l'apprentie de sa demande pécuniaire.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Mme [Y] [V] demande à la cour de prononcer la résiliation judiciaire du contrat d'apprentissage à compter du 31 juillet 2019 en raison des manquements suivants de l'employeur:

- absence de déclaration de son accident du travail du 13 juin 2019,

- non-remise de ses bulletins de paye à compter du 1er avril 2019,

- absence de déclaration préalable à l'embauche la concernant,

- absence de versement des salaires qui lui étaient dus au titre du mois de mars 2019 et pour la période du 1er au 13 juin 2019,

- non inscription sur ses bulletins de paye de son numéro de sécurité sociale.

Elle réclame la somme de 775,84 euros de dommages-intérêts pour rupture anticipée du contrat d'apprentissage, celui-ci ayant pour terme le 31 août 2019.

L'AGS et le mandataire ad hoc s'opposent à ces demandes aux motifs que, d'une part, les manquements invoqués ne sont pas établis, d'autre part, la demande de résiliation judiciaire est sans objet puisque l'apprentie n'a saisi le conseil de prud'hommes que le 28 novembre 2019, soit postérieurement au terme du contrat d'apprentissage.

L'action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que ce contrat n'a pas été rompu.

Il est constant que la salariée n'a saisi le conseil de prud'hommes de son action en résiliation judiciaire que le 28 novembre 2019, soit postérieurement au terme du contrat d'apprentissage en date du 31 août 2019.

Par suite, Mme [Y] [V] ne peut qu'être déboutée de sa demande de résiliation judiciaire et de sa demande pécuniaire subséquente au titre de l'indemnité pour rupture anticipée du contrat d'apprentissage aux torts de l'employeur.

Le jugement sera confirmé en conséquence.

Sur la garantie de l'AGS :

Aux termes de l'article L. 3253-8, 1° du code du travail, l'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l'employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle.

Les créances de Mme [Y] [V] trouvent leur origine dans l'inexécution du contrat de travail, laquelle est antérieure au jugement de liquidation judiciaire de la société prononcée le 19 juillet 2021 par le tribunal de commerce de Meaux.

La garantie de l'AGS couvre les sommes dues en exécution du contrat de travail dans les conditions et limites prévues aux articles L. 3253-6 du code du travail, notamment dans la limite des plafonds visés à l'article L. 3253-17 du code du travail.

S'agissant du rappel de salaire et de congés payés afférents alloués par la cour dans les développements précédents, il est rappelé que les créances de nature salariale portent intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes.

Il ressort des termes du jugement attaqué que cette convocation a été délivrée le 12 décembre 2019.

En application des dispositions des articles L. 622-28 et L 641-3 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous intérêts de retard et majorations.

Le tribunal de commerce n'ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société que le 19 juillet 2021, il y a lieu d'assortir les créances salariales des intérêts légaux du 12 décembre 2019 au 18 juillet 2021 inclus.

S'agissant des créances indemnitaires, il est rappelé qu'elle produisent intérêt à compter de la décision qui les prononce, [Localité 9]-ci étant postérieure au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de la société il y a lieu de débouter la salariée de ses demandes d'intérêts légaux.

Sur les demandes accessoires :

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande de l'apprentie tendant à la remise de documents sociaux conformes au présent arrêt est fondée et il y est fait droit dans les termes du dispositif, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte.

L'équité commande de rejeter la demande de l'apprentie portant sur les frais irrépétibles.

Les dépens d'appel seront fixés au passif de la société.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe, statuant dans les limites de l'appel,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

FIXE au passif de la société [R] les créances de Mme [D] [Y] [V] aux sommes suivantes :

- 1.215,48 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 328,11 euros nets de rappel de salaire pour le mois de mars 2019,

- 387,92 euros bruts de rappel de salaire pour la période du 1er au 13 juin 2019,

- 4.655,04 euros d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

CONSTATE que l'ouverture de la procédure collective survenue le 19 juillet 2021 a interrompu le cours des intérêts,

DIT que les créances de nature salariale porteront intérêt du 12 décembre 2019 au 18 juillet 2021 inclus et que ces intérêts seront fixés au passif de la société [R],

DIT que l'AGS CGEA de [Localité 11] devra garantir ces créances dans les limites et plafonds définis aux articles L. 3253-8 et suivants du code du travail,

ORDONNE au mandataire ad hoc de la société [R] de remettre à Mme [D] [Y] [V] ses bulletins de salaire pour la période du 1er avril au 31 juillet 2019, un certificat de travail et une attestation destinée à France Travail (anciennement dénommée Pôle emploi) conformes à l'arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,

DIT n'y avoir lieu à astreinte,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

FIXE au passif de la société [R] les dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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