CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 12 juin 2025, n° 24/02081
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 12 JUIN 2025
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/02081 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CI2QR
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Novembre 2023 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2022022262
APPELANTE
[14]
[Adresse 2]
[Localité 10]
Immatriculée au RCS de [Localité 21] sous le n° [N° SIREN/SIRET 6]
Représentée par Me Jérôme DEPONDT de la SELAS IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0042
Assistée par Me Anaïs TITAH-ZERIZER, avocate au barreau de PARIS, toque ; P42 substituée par Me Thomas DROUINEAU, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉS
M. [M] [S]
De nationalité française
Né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 22] (35)
[Adresse 9]
[Localité 5]
Représenté par Me Roxane BOURG, avocat au barreau de PARIS, toque : 751
M. [U] [Z]
Né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 26] (TUNISIE)
[Adresse 7]
[Localité 8]
Représenté par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334
Assisté par Me Rémi-Pierre DRAI du barreau de PARIS, toque : L175 substitué par Me Margaux BILGER, avocate au barreau de PARIS
M. [T] [B] en sa qualité de liquidateur de la société [20]
[Adresse 4]
[Localité 11]
Signification à personne par procès-verbal en date du 13 mai 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Sophie MOLLAT, Présidente
Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère
Caroline TABOUROT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie MOLLAT, présidente, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.
Exposé des faits et de la procédure
La société coopérative à capital variable [14] (ci-après, « [15] »), créée le 30 janvier 1995, exerce toute activité de la compétence d'un établissement de crédit y compris le courtage d'assurance, intermédiation en assurances, prestation de services d'investissement et immobilier.
Par jugement du 12 mars 2010 du tribunal de commerce de Poitiers, la société [17] spécialisée dans les travaux de peinture et vitrerie, et sa holding, la société [25], ont fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire.
La société à responsabilité limitée [20], gérée par M. [Z] et M. [S], a été créée le 11 septembre 2009 en vue d'acquérir, à l'euro symbolique, l'intégralité du capital de la société [25], de celui de la société [23], également détenue par la société [25], ainsi que 90% du capital de la société [17].
Afin de financer le plan de reprise, le Groupe [12] et la [15], l'une des banques historiques de la société [17], ont mené des négociations ayant abouti à l'obtention de nouveaux concours au profit du groupe [17] selon un document du 18 mai 2010 intitulé « accord sur la renégociation des encours du groupe [17] dans le cadre du plan de continuation ».
Le plan de continuation prévoyait de la part du Groupe [12] l'apport immédiat de 1 million d' euros en compte courant d'associé, l'obtention de nouveaux emprunts bancaires (1,5 million en juillet 2010 et 1,5 million en juillet 2011), lesquels ont fait l'objet de protocoles avec la [15], ainsi qu'une augmentation du chiffre d'affaires jusqu'à 4,3 millions d' euros au 31 mars 2012.
Le 4 juin 2010, l'offre de reprise du Groupe [12] a été retenue et, par jugement du 26 juillet 2010, le tribunal de commerce de Poitiers a arrêté le plan de redressement présenté par le Groupe [12], par voie de continuation des sociétés [17] et [25].
A la suite d'une évolution des besoins au titre des crédits de trésorerie de la société [17] accordés par la [15], en mars 2011, la [24], le [16] et la [13] ont dénoncé les lignes court terme jusqu'alors renouvelées à titre provisoire.
Le 23 mars 2011, les dirigeants du Groupe [12] ont saisi la Médiation du crédit afin de rechercher de nouveaux financements à court terme, la [15] n'étant pas concernée puisque ses encours avaient été maintenus.
Par courrier du 21 mars 2012, M. [Z] et M. [S], faisant référence à l'accord du 18 mai 2010 sur la renégociation des encours du groupe ont demandé le « déblocage de la seconde tranche de prêt pour un montant de 1,5 million d' euros ».
La [15] n'a pas donné suite à cette demande, soutenant que son accord était conditionné au respect des projections dans le business plan présenté, mais a néanmoins accepté d'examiner une nouvelle demande de financement.
A cette occasion, les représentants du Groupe [12] ont réitéré auprès de la [15] leurs demandes de financement, en indiquant avoir obtenu « au moment de l'homologation du plan de reprise de Debuschere en juillet 2010 », « une ligne globale de financement de 3 millions d' euros dont 1,5 million d' euros libérables 12 mois plus tard sous conditions ». La [15] n'a pas débloqué la deuxième tranche.
Par jugement du 5 juin 2012, le président du tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de conciliation au profit du Groupe [12] et de ses 14 filiales, notamment les sociétés [25] et [17]. La [15] n'a pas été informée de l'ouverture de cette procédure à l'égard dudit groupe.
Le 11 juin 2012, la [15] a émis une offre de financement au profit du Groupe [12] valable jusqu'au 29 juin 2012, d'un montant de 1,5 million d' euros, remboursable sur 3 ans, améliorée le 15 juin 2012 à la suite des demandes du Groupe [12], que ce dernier n'a néanmoins pas acceptée.
Le Groupe [12] a fait assigner la [15] devant le tribunal de commerce de Poitiers afin d'obtenir sa condamnation à mettre en place un financement à moyen terme d'un montant de 1,5 million d' euros dans les conditions stipulées aux termes de l'accord du 18 mai 2010, ainsi que des lignes de trésorerie à court terme nécessaires au financement des activités de la société [17], à hauteur de 3 412 000 euros.
Le 18 juin 2012, un rapport d'audit a été rédigé sur demande de M. [Z] et M. [S] à un cabinet d'audit, la société [18]. Ce rapport a été transmis à la [15].
Par jugement du 20 juillet 2012, le tribunal a fait droit à la demande du Groupe [12], condamnant ainsi la [15] à remettre les sommes susmentionnées au Groupe [12]. La [15] a interjeté appel de ce jugement et, parallèlement, sollicité la suspension de l'exécution provisoire de la décision.
Par ordonnance du 26 juillet 2012, le premier président de la cour d'appel de Poitiers a refusé de faire droit à la suspension de l'exécution provisoire.
Par arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 12 mars 2013 réformant le jugement de première instance, le Groupe [12] a été condamné à payer à la [15] la somme de 1,5 million d' euros pour avoir violé ses engagements pris dans le cadre du plan de continuation.
Par jugement du 7 novembre 2012, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard du Groupe [12].
Par jugement du 2 mai 2018, la procédure de sauvegarde a été convertie en redressement judiciaire.
Par jugement du 2 mai 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire, emportant nomination de Me [B], ès-qualités de liquidateur judiciaire du Groupe [19].
Par acte du 28 avril 2022, la [15] a fait assigner M. [Z], M. [S] et Me [B] devant le tribunal de commerce de Paris pour faute séparable des fonctions, alléguant, en sa qualité de créancière, avoir subi un préjudice strictement personnel distinct de celui subi par la société.
Par jugement du 30 novembre 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit l'action de la [15] régulière ;
- Dit l'action de la [15] irrecevable car prescrite ;
- Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la [15] aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 17 janvier 2024, la [15] a interjeté appel du jugement, intimant M. [Z], M. [S] et Me [B].
Les parties ont conclu et l'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 23 janvier 2025.
***
A l'audience du 6 février 2025, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture, invité les parties à conclure sur le caractère recevable d'une action en responsabilité intentée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société en procédure de liquidation judiciaire et renvoyé l'affaire à l'audience du 3 avril 2025.
***
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 mars 2025, la [15] demande à la cour d'appel de Paris de :
- Réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action de la [15] à l'encontre de M. [Z] et M. [S] ;
Statuant à nouveau,
- Déclarer la [15] bien fondée à agir en responsabilité à l'encontre de M. [Z] et M. [S] sur le fondement des articles L. 223-22 et L. 223-23 du code de commerce ;
Y ajoutant,
- Condamner solidairement M. [Z] et M. [S] à payer à la [15] la somme de 7 544 909,80 euros ;
- Débouter M. [Z] et M. [S] de toutes demandes, fins et conclusions ;
- Condamner M. [Z] et M. [S], sous la même solidarité ou in solidum, à payer à la [15] la somme de 3 500 euros, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ainsi qu'à cette même somme au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
- Condamner sous la même solidarité ou in solidum M. [Z] et M. [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction opérée conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 mars 2025, M. [Z] demande à la cour d'appel de Paris, à titre principal, de :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Dit l'action de la [15] irrecevable car prescrite ;
Condamné la [15] aux dépens de l'instance ;
A titre subsidiaire, sur appel principal, si par extraordinaire le jugement était infirmé :
- Juger irrecevables les demandes fondées par la [15] au titre de l'impossibilité de recouvrer sa créance déclarée dans le cadre des procédures collectives ouvertes contre les sociétés dont M. [Z] était le représentant légal et de toute créance antérieure à ces procédures collectives pour défaut de qualité à agir ;
- Juger irrecevables les demandes fondées par la [15] au titre de l'impossibilité de recouvrer sa créance déclarée dans le cadre des procédures collectives ouvertes contre les sociétés dont M. [Z] était le représentant légal et de toute créance antérieure à ces procédures collectives pour défaut d'intérêt à agir ;
- Juger irrecevables les demandes formées par la [15] à l'encontre de M. [Z] pour défaut de qualité et d'intérêt à agir ;
- Juger irrecevables les demandes fondées par la [15] sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce, faute de pouvoir justifier d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers ;
- Juger la [15] mal fondée en toutes ses demandes ;
- Débouter la [15] de ses demandes, fins et prétentions ;
Sur l'appel incident :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a :
Dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
- Condamner la [15] à payer à M. [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 mars 2025, M. [S] demande à la cour d'appel de Paris de :
- Confirmer le jugement du 30 novembre 2023 ;
- Dire l'action de la [15] irrecevable car prescrite ;
- Condamner la [15] aux dépens de l'instance ;
Et si par extraordinaire la cour d'appel devait réformer le jugement, statuant à nouveau :
- Rejeter l'intégralité des prétentions de la [15] à l'encontre de M. [S] ;
- Rejeter l'application de l'exécution provisoire.
Me. [B], ès-qualités de liquidateur du Groupe [12], n'a pas constitué avocat, bien que régulièrement touché suivant signification du 25 avril 2024 de la déclaration d'appel et des conclusions de l'appelante.
La clôture de l'instruction, après réouverture des débats, a été prononcée par ordonnance du 27 mars 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'action de la [15]
La [15] soutient que si la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par les créanciers d'une société en liquidation judiciaire à l'encontre de son dirigeant est conditionnée à l'existence d'un préjudice personnel et distinct de celui subi par la masse des créanciers, en application combinée des dispositions des articles L. 223-22 et L. 651-2 du code de commerce, un préjudice distinct et personnel est caractérisé en cas de faute séparable des fonctions du dirigeant ; que la faute séparable des fonctions est qualifiée lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions ; qu'en l'espèce, aux termes du plan de continuation du Groupe [12] présenté à la [15], le Groupe [12] devait apporter immédiatement 1 million d' euros en compte courant d'associé, faire bénéficier à la société [17] de nouveaux emprunts bancaires, alors protocolés avec la [15], à hauteur de 1,5 million d' euros en juillet 2010 et 1,5 million d' euros en juillet 2011, et apporter des affaires nouvelles, générant un chiffre d'affaires additionnel représentant 4,3 millions d' euros au 31 mars 2012, mais que le Groupe [12] n'a jamais procédé à l'apport en compte courant d'associés d'1 million d' euros qui devait pourtant intervenir immédiatement à l'arrêté du plan ; qu'ainsi les gérants de la société [20] ont volontairement trompé la [15] afin de bénéficier d'un financement à hauteur de 3 millions d' euros ; qu'en conséquence, la qualification de la faute séparable des fonctions commise emporte caractérisation d'un préjudice distinct et personnel et qu'ainsi la [15] démontre sa qualité à agir à l'encontre des gérants de la société [20]. Elle ajoute que les man'uvres frauduleuses commises par les gérants dans l'unique but d'obtenir un financement à d'autres fins que celles prévues par le plan de continuation ont privé la [15] de la rémunération escomptée ; qu'en outre, la [15] a perdu toute chance de contracter avec une société qui aurait été de bonne foi ; qu'en conséquence, la [15] a subi un préjudice personnel et distinct et démontre sa qualité à agir à l'encontre des gérants de la société [20].
M. [Z], au rappel des dispositions des articles 122 et suivants du code de procédure civile et L. 651-2 et suivant du code de commerce, réplique que le liquidateur judiciaire dispose du monopole pour agir au nom et pour le compte de l'intérêt collectif des créanciers sur le fondement de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ; qu'ainsi, un créancier n'a ni qualité ni intérêt à agir pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice commun avec les créanciers de la procédure ; qu'en l'espèce, la [15] sollicite la condamnation des deux co-gérants de la société [20], correspondant aux sommes déclarées par la [15] au passif des sociétés du groupe [12] et ne démontre donc pas de préjudice distinct et personnel ; qu'en conséquence de l'absence de préjudice distinct et personnel, la [15] est irrecevable à agir en responsabilité à l'encontre des gérants de la société [20] sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce.
M. [S] soutient également que la [15] n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 223-22 du code de commerce.
Sur ce,
Selon l'article 122 du code de procédure civile, Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En application de l'article L. 223-22 du code de commerce, Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Enfin, en application de l'article L. 651-2 du code de commerce, un dirigeant de personne morale ou un entrepreneur individuel ne peut être condamné à prendre en charge tout ou partie du passif social ou du passif du patrimoine en liquidation judiciaire que si le demandeur établit le dommage qui consiste en une insuffisance d'actif, une faute de gestion commise par le dirigeant défendeur et le lien de causalité unissant les deux éléments précédents, étant observé que seul le liquidateur judiciaire dispose du monopole pour agir au nom et pour le compte de l'intérêt collectif des créanciers sur le fondement de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.
Il résulte des articles L. 651-2, L. 651-3 et L. 223-22 du code de commerce que lorsque le redressement ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, les dispositions des articles L. 651-2 et L. 651-3 précités, qui ouvrent aux conditions qu'ils prévoient une action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre des dirigeants de droit ou de fait en cas de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, ne se cumulent pas avec celles de l'article L. 223-22 du même code, ni avec celles de l'article 1240 du code civil, lesquels sont relatifs à la responsabilité civile des dirigeants des sociétés in bonis ou aux règles générales de responsabilité civile délictuelle.
Il en résulte qu'un créancier est irrecevable à exercer contre le gérant, à qui il impute des fautes de gestion, l'action en réparation du préjudice résultant du non-paiement de sa créance.
Par exception, une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société soumise à une procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est recevable si elle répare un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
Les juges du fond doivent alors rechercher, le cas échéant d'office, le caractère distinct du préjudice invoqué par le créancier.
En l'espèce, la [15] sollicite la condamnation des deux co-gérants de la société [20], à hauteur des sommes déclarées par la [15] au passif des sociétés du groupe [12], soit la somme de 7 544 909,80 euros. Le dommage subi par elle correspond donc la fraction de sa créance qui n'a pas pu être payée faute d'un actif suffisant et son préjudice résulte du non-recouvrement de sa créance du fait de l'ouverture d'une liquidation judiciaire.
L'allégation selon laquelle les man'uvres frauduleuses et les tromperies du Groupe [12] - à les supposer établies - commises par les gérants dans l'unique but d'obtenir un financement à d'autres fins que celles prévues par le plan de continuation, auraient privé la [15] de la rémunération escomptée, ne constitue pas un préjudice distinct de celui subi par les autres créanciers.
De même, la prétendue perte de chance invoquée de ne pas contracter avec le Groupe [12] en raison de l'absence de bonne foi de celui-ci n'est pas établie, étant observé que la réparation d'une perte de chance ne saurait en tout état de cause emporter réparation intégrale du préjudice comme tente de le faire la [15], ce qui confirme ainsi l'absence de préjudice distinct subi par elle.
Enfin, la faute séparable des fonctions telle qu'alléguée par l'appelante ' fût-ce-t-elle démontrée 'n'emporte pas caractérisation d'un préjudice distinct des autres créanciers.
La [15] ne démontre dès lors pas l'existence d'un préjudice personnel et distinct de celui subi par la collectivité des créanciers de la société [20].
Il s'ensuit qu'en l'absence de préjudice personnel et distinct, la [15] est irrecevable à agir en responsabilité à l'encontre des gérants de la société [20] sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce.
Cette fin de non-recevoir conduit la cour à ne pas examiner la prescription de l'action de la [15], ni le fondement de son action tiré de la responsabilité des dirigeants au titre de leurs fautes séparables des fonctions.
Aussi, convient-il de déclarer irrecevable l'action de la [15] par ces seuls motifs, substitués à ceux des premiers juges.
Sur les frais du procès
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été équitablement faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société [15], partie succombante, doit être condamnée aux dépens d'appel.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 précité au profit de quiconque.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions frappées d'appel ;
Y ajoutant,
Condamne la [14] aux dépens d'appel ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres frais non compris dans les dépens prévus à l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 12 JUIN 2025
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/02081 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CI2QR
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Novembre 2023 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2022022262
APPELANTE
[14]
[Adresse 2]
[Localité 10]
Immatriculée au RCS de [Localité 21] sous le n° [N° SIREN/SIRET 6]
Représentée par Me Jérôme DEPONDT de la SELAS IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0042
Assistée par Me Anaïs TITAH-ZERIZER, avocate au barreau de PARIS, toque ; P42 substituée par Me Thomas DROUINEAU, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉS
M. [M] [S]
De nationalité française
Né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 22] (35)
[Adresse 9]
[Localité 5]
Représenté par Me Roxane BOURG, avocat au barreau de PARIS, toque : 751
M. [U] [Z]
Né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 26] (TUNISIE)
[Adresse 7]
[Localité 8]
Représenté par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334
Assisté par Me Rémi-Pierre DRAI du barreau de PARIS, toque : L175 substitué par Me Margaux BILGER, avocate au barreau de PARIS
M. [T] [B] en sa qualité de liquidateur de la société [20]
[Adresse 4]
[Localité 11]
Signification à personne par procès-verbal en date du 13 mai 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Sophie MOLLAT, Présidente
Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère
Caroline TABOUROT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie MOLLAT, présidente, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.
Exposé des faits et de la procédure
La société coopérative à capital variable [14] (ci-après, « [15] »), créée le 30 janvier 1995, exerce toute activité de la compétence d'un établissement de crédit y compris le courtage d'assurance, intermédiation en assurances, prestation de services d'investissement et immobilier.
Par jugement du 12 mars 2010 du tribunal de commerce de Poitiers, la société [17] spécialisée dans les travaux de peinture et vitrerie, et sa holding, la société [25], ont fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire.
La société à responsabilité limitée [20], gérée par M. [Z] et M. [S], a été créée le 11 septembre 2009 en vue d'acquérir, à l'euro symbolique, l'intégralité du capital de la société [25], de celui de la société [23], également détenue par la société [25], ainsi que 90% du capital de la société [17].
Afin de financer le plan de reprise, le Groupe [12] et la [15], l'une des banques historiques de la société [17], ont mené des négociations ayant abouti à l'obtention de nouveaux concours au profit du groupe [17] selon un document du 18 mai 2010 intitulé « accord sur la renégociation des encours du groupe [17] dans le cadre du plan de continuation ».
Le plan de continuation prévoyait de la part du Groupe [12] l'apport immédiat de 1 million d' euros en compte courant d'associé, l'obtention de nouveaux emprunts bancaires (1,5 million en juillet 2010 et 1,5 million en juillet 2011), lesquels ont fait l'objet de protocoles avec la [15], ainsi qu'une augmentation du chiffre d'affaires jusqu'à 4,3 millions d' euros au 31 mars 2012.
Le 4 juin 2010, l'offre de reprise du Groupe [12] a été retenue et, par jugement du 26 juillet 2010, le tribunal de commerce de Poitiers a arrêté le plan de redressement présenté par le Groupe [12], par voie de continuation des sociétés [17] et [25].
A la suite d'une évolution des besoins au titre des crédits de trésorerie de la société [17] accordés par la [15], en mars 2011, la [24], le [16] et la [13] ont dénoncé les lignes court terme jusqu'alors renouvelées à titre provisoire.
Le 23 mars 2011, les dirigeants du Groupe [12] ont saisi la Médiation du crédit afin de rechercher de nouveaux financements à court terme, la [15] n'étant pas concernée puisque ses encours avaient été maintenus.
Par courrier du 21 mars 2012, M. [Z] et M. [S], faisant référence à l'accord du 18 mai 2010 sur la renégociation des encours du groupe ont demandé le « déblocage de la seconde tranche de prêt pour un montant de 1,5 million d' euros ».
La [15] n'a pas donné suite à cette demande, soutenant que son accord était conditionné au respect des projections dans le business plan présenté, mais a néanmoins accepté d'examiner une nouvelle demande de financement.
A cette occasion, les représentants du Groupe [12] ont réitéré auprès de la [15] leurs demandes de financement, en indiquant avoir obtenu « au moment de l'homologation du plan de reprise de Debuschere en juillet 2010 », « une ligne globale de financement de 3 millions d' euros dont 1,5 million d' euros libérables 12 mois plus tard sous conditions ». La [15] n'a pas débloqué la deuxième tranche.
Par jugement du 5 juin 2012, le président du tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de conciliation au profit du Groupe [12] et de ses 14 filiales, notamment les sociétés [25] et [17]. La [15] n'a pas été informée de l'ouverture de cette procédure à l'égard dudit groupe.
Le 11 juin 2012, la [15] a émis une offre de financement au profit du Groupe [12] valable jusqu'au 29 juin 2012, d'un montant de 1,5 million d' euros, remboursable sur 3 ans, améliorée le 15 juin 2012 à la suite des demandes du Groupe [12], que ce dernier n'a néanmoins pas acceptée.
Le Groupe [12] a fait assigner la [15] devant le tribunal de commerce de Poitiers afin d'obtenir sa condamnation à mettre en place un financement à moyen terme d'un montant de 1,5 million d' euros dans les conditions stipulées aux termes de l'accord du 18 mai 2010, ainsi que des lignes de trésorerie à court terme nécessaires au financement des activités de la société [17], à hauteur de 3 412 000 euros.
Le 18 juin 2012, un rapport d'audit a été rédigé sur demande de M. [Z] et M. [S] à un cabinet d'audit, la société [18]. Ce rapport a été transmis à la [15].
Par jugement du 20 juillet 2012, le tribunal a fait droit à la demande du Groupe [12], condamnant ainsi la [15] à remettre les sommes susmentionnées au Groupe [12]. La [15] a interjeté appel de ce jugement et, parallèlement, sollicité la suspension de l'exécution provisoire de la décision.
Par ordonnance du 26 juillet 2012, le premier président de la cour d'appel de Poitiers a refusé de faire droit à la suspension de l'exécution provisoire.
Par arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 12 mars 2013 réformant le jugement de première instance, le Groupe [12] a été condamné à payer à la [15] la somme de 1,5 million d' euros pour avoir violé ses engagements pris dans le cadre du plan de continuation.
Par jugement du 7 novembre 2012, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard du Groupe [12].
Par jugement du 2 mai 2018, la procédure de sauvegarde a été convertie en redressement judiciaire.
Par jugement du 2 mai 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire, emportant nomination de Me [B], ès-qualités de liquidateur judiciaire du Groupe [19].
Par acte du 28 avril 2022, la [15] a fait assigner M. [Z], M. [S] et Me [B] devant le tribunal de commerce de Paris pour faute séparable des fonctions, alléguant, en sa qualité de créancière, avoir subi un préjudice strictement personnel distinct de celui subi par la société.
Par jugement du 30 novembre 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit l'action de la [15] régulière ;
- Dit l'action de la [15] irrecevable car prescrite ;
- Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la [15] aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 17 janvier 2024, la [15] a interjeté appel du jugement, intimant M. [Z], M. [S] et Me [B].
Les parties ont conclu et l'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 23 janvier 2025.
***
A l'audience du 6 février 2025, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture, invité les parties à conclure sur le caractère recevable d'une action en responsabilité intentée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société en procédure de liquidation judiciaire et renvoyé l'affaire à l'audience du 3 avril 2025.
***
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 mars 2025, la [15] demande à la cour d'appel de Paris de :
- Réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action de la [15] à l'encontre de M. [Z] et M. [S] ;
Statuant à nouveau,
- Déclarer la [15] bien fondée à agir en responsabilité à l'encontre de M. [Z] et M. [S] sur le fondement des articles L. 223-22 et L. 223-23 du code de commerce ;
Y ajoutant,
- Condamner solidairement M. [Z] et M. [S] à payer à la [15] la somme de 7 544 909,80 euros ;
- Débouter M. [Z] et M. [S] de toutes demandes, fins et conclusions ;
- Condamner M. [Z] et M. [S], sous la même solidarité ou in solidum, à payer à la [15] la somme de 3 500 euros, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ainsi qu'à cette même somme au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
- Condamner sous la même solidarité ou in solidum M. [Z] et M. [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction opérée conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 mars 2025, M. [Z] demande à la cour d'appel de Paris, à titre principal, de :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Dit l'action de la [15] irrecevable car prescrite ;
Condamné la [15] aux dépens de l'instance ;
A titre subsidiaire, sur appel principal, si par extraordinaire le jugement était infirmé :
- Juger irrecevables les demandes fondées par la [15] au titre de l'impossibilité de recouvrer sa créance déclarée dans le cadre des procédures collectives ouvertes contre les sociétés dont M. [Z] était le représentant légal et de toute créance antérieure à ces procédures collectives pour défaut de qualité à agir ;
- Juger irrecevables les demandes fondées par la [15] au titre de l'impossibilité de recouvrer sa créance déclarée dans le cadre des procédures collectives ouvertes contre les sociétés dont M. [Z] était le représentant légal et de toute créance antérieure à ces procédures collectives pour défaut d'intérêt à agir ;
- Juger irrecevables les demandes formées par la [15] à l'encontre de M. [Z] pour défaut de qualité et d'intérêt à agir ;
- Juger irrecevables les demandes fondées par la [15] sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce, faute de pouvoir justifier d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers ;
- Juger la [15] mal fondée en toutes ses demandes ;
- Débouter la [15] de ses demandes, fins et prétentions ;
Sur l'appel incident :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a :
Dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
- Condamner la [15] à payer à M. [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 mars 2025, M. [S] demande à la cour d'appel de Paris de :
- Confirmer le jugement du 30 novembre 2023 ;
- Dire l'action de la [15] irrecevable car prescrite ;
- Condamner la [15] aux dépens de l'instance ;
Et si par extraordinaire la cour d'appel devait réformer le jugement, statuant à nouveau :
- Rejeter l'intégralité des prétentions de la [15] à l'encontre de M. [S] ;
- Rejeter l'application de l'exécution provisoire.
Me. [B], ès-qualités de liquidateur du Groupe [12], n'a pas constitué avocat, bien que régulièrement touché suivant signification du 25 avril 2024 de la déclaration d'appel et des conclusions de l'appelante.
La clôture de l'instruction, après réouverture des débats, a été prononcée par ordonnance du 27 mars 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'action de la [15]
La [15] soutient que si la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par les créanciers d'une société en liquidation judiciaire à l'encontre de son dirigeant est conditionnée à l'existence d'un préjudice personnel et distinct de celui subi par la masse des créanciers, en application combinée des dispositions des articles L. 223-22 et L. 651-2 du code de commerce, un préjudice distinct et personnel est caractérisé en cas de faute séparable des fonctions du dirigeant ; que la faute séparable des fonctions est qualifiée lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions ; qu'en l'espèce, aux termes du plan de continuation du Groupe [12] présenté à la [15], le Groupe [12] devait apporter immédiatement 1 million d' euros en compte courant d'associé, faire bénéficier à la société [17] de nouveaux emprunts bancaires, alors protocolés avec la [15], à hauteur de 1,5 million d' euros en juillet 2010 et 1,5 million d' euros en juillet 2011, et apporter des affaires nouvelles, générant un chiffre d'affaires additionnel représentant 4,3 millions d' euros au 31 mars 2012, mais que le Groupe [12] n'a jamais procédé à l'apport en compte courant d'associés d'1 million d' euros qui devait pourtant intervenir immédiatement à l'arrêté du plan ; qu'ainsi les gérants de la société [20] ont volontairement trompé la [15] afin de bénéficier d'un financement à hauteur de 3 millions d' euros ; qu'en conséquence, la qualification de la faute séparable des fonctions commise emporte caractérisation d'un préjudice distinct et personnel et qu'ainsi la [15] démontre sa qualité à agir à l'encontre des gérants de la société [20]. Elle ajoute que les man'uvres frauduleuses commises par les gérants dans l'unique but d'obtenir un financement à d'autres fins que celles prévues par le plan de continuation ont privé la [15] de la rémunération escomptée ; qu'en outre, la [15] a perdu toute chance de contracter avec une société qui aurait été de bonne foi ; qu'en conséquence, la [15] a subi un préjudice personnel et distinct et démontre sa qualité à agir à l'encontre des gérants de la société [20].
M. [Z], au rappel des dispositions des articles 122 et suivants du code de procédure civile et L. 651-2 et suivant du code de commerce, réplique que le liquidateur judiciaire dispose du monopole pour agir au nom et pour le compte de l'intérêt collectif des créanciers sur le fondement de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ; qu'ainsi, un créancier n'a ni qualité ni intérêt à agir pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice commun avec les créanciers de la procédure ; qu'en l'espèce, la [15] sollicite la condamnation des deux co-gérants de la société [20], correspondant aux sommes déclarées par la [15] au passif des sociétés du groupe [12] et ne démontre donc pas de préjudice distinct et personnel ; qu'en conséquence de l'absence de préjudice distinct et personnel, la [15] est irrecevable à agir en responsabilité à l'encontre des gérants de la société [20] sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce.
M. [S] soutient également que la [15] n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 223-22 du code de commerce.
Sur ce,
Selon l'article 122 du code de procédure civile, Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En application de l'article L. 223-22 du code de commerce, Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Enfin, en application de l'article L. 651-2 du code de commerce, un dirigeant de personne morale ou un entrepreneur individuel ne peut être condamné à prendre en charge tout ou partie du passif social ou du passif du patrimoine en liquidation judiciaire que si le demandeur établit le dommage qui consiste en une insuffisance d'actif, une faute de gestion commise par le dirigeant défendeur et le lien de causalité unissant les deux éléments précédents, étant observé que seul le liquidateur judiciaire dispose du monopole pour agir au nom et pour le compte de l'intérêt collectif des créanciers sur le fondement de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.
Il résulte des articles L. 651-2, L. 651-3 et L. 223-22 du code de commerce que lorsque le redressement ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, les dispositions des articles L. 651-2 et L. 651-3 précités, qui ouvrent aux conditions qu'ils prévoient une action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre des dirigeants de droit ou de fait en cas de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, ne se cumulent pas avec celles de l'article L. 223-22 du même code, ni avec celles de l'article 1240 du code civil, lesquels sont relatifs à la responsabilité civile des dirigeants des sociétés in bonis ou aux règles générales de responsabilité civile délictuelle.
Il en résulte qu'un créancier est irrecevable à exercer contre le gérant, à qui il impute des fautes de gestion, l'action en réparation du préjudice résultant du non-paiement de sa créance.
Par exception, une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société soumise à une procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est recevable si elle répare un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
Les juges du fond doivent alors rechercher, le cas échéant d'office, le caractère distinct du préjudice invoqué par le créancier.
En l'espèce, la [15] sollicite la condamnation des deux co-gérants de la société [20], à hauteur des sommes déclarées par la [15] au passif des sociétés du groupe [12], soit la somme de 7 544 909,80 euros. Le dommage subi par elle correspond donc la fraction de sa créance qui n'a pas pu être payée faute d'un actif suffisant et son préjudice résulte du non-recouvrement de sa créance du fait de l'ouverture d'une liquidation judiciaire.
L'allégation selon laquelle les man'uvres frauduleuses et les tromperies du Groupe [12] - à les supposer établies - commises par les gérants dans l'unique but d'obtenir un financement à d'autres fins que celles prévues par le plan de continuation, auraient privé la [15] de la rémunération escomptée, ne constitue pas un préjudice distinct de celui subi par les autres créanciers.
De même, la prétendue perte de chance invoquée de ne pas contracter avec le Groupe [12] en raison de l'absence de bonne foi de celui-ci n'est pas établie, étant observé que la réparation d'une perte de chance ne saurait en tout état de cause emporter réparation intégrale du préjudice comme tente de le faire la [15], ce qui confirme ainsi l'absence de préjudice distinct subi par elle.
Enfin, la faute séparable des fonctions telle qu'alléguée par l'appelante ' fût-ce-t-elle démontrée 'n'emporte pas caractérisation d'un préjudice distinct des autres créanciers.
La [15] ne démontre dès lors pas l'existence d'un préjudice personnel et distinct de celui subi par la collectivité des créanciers de la société [20].
Il s'ensuit qu'en l'absence de préjudice personnel et distinct, la [15] est irrecevable à agir en responsabilité à l'encontre des gérants de la société [20] sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce.
Cette fin de non-recevoir conduit la cour à ne pas examiner la prescription de l'action de la [15], ni le fondement de son action tiré de la responsabilité des dirigeants au titre de leurs fautes séparables des fonctions.
Aussi, convient-il de déclarer irrecevable l'action de la [15] par ces seuls motifs, substitués à ceux des premiers juges.
Sur les frais du procès
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été équitablement faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société [15], partie succombante, doit être condamnée aux dépens d'appel.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 précité au profit de quiconque.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions frappées d'appel ;
Y ajoutant,
Condamne la [14] aux dépens d'appel ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres frais non compris dans les dépens prévus à l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE