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Décisions

CA Limoges, ch. soc., 12 juin 2025, n° 24/00300

LIMOGES

Arrêt

Autre

CA Limoges n° 24/00300

12 juin 2025

ARRET N° .

N° RG 24/00300 - N° Portalis DBV6-V-B7I-BIR4E

AFFAIRE :

M. [K] [J]

C/

S.C.P. [14] prise en la personne de Me [C] [S] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [7], [Adresse 3], RCS LIMOGES B [N° SIREN/SIRET 5] nommé à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de LIMOGES en date du 25 août 2021

JP/MS

Action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre des dirigeants

Grosse délivrée à Me [Localité 23] [Localité 11], Me Philippe PICHON, le 12-06-25.

COUR D'APPEL DE LIMOGES

Chambre sociale

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ARRET DU 12 JUIN 2025

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Le DOUZE JUIN DEUX MILLE VINGT CINQ la chambre économique et sociale a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:

ENTRE :

Monsieur [K] [J]

né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 13], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Philippe PICHON, avocat au barreau de LIMOGES

APPELANT d'une décision rendue le 10 AVRIL 2024 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE LIMOGES

ET :

S.C.P. [14] prise en la personne de Me [C] [S] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [7], [Adresse 3], RCS LIMOGES B [N° SIREN/SIRET 5] nommé à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de LIMOGES en date du 25 août 2021, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Mathieu BOYER de la SELARL DUDOGNON BOYER, avocat au barreau de LIMOGES

INTIMEE

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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 15 Avril 2025. L'ordonnance de clôture a été rendue le 02 avril 2025, et après communication du dossier au ministère public des réquisitions ont été prises le 14 janvier 2025.

La Cour étant composée de Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller et de Madame Johanne PERRIER, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, assistées de Mme Sophie MAILLANT, Greffier. A cette audience, Madame Johanne PERRIER, a été entendue en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.

Puis Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 12 Juin 2025 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

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LA COUR

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FAITS ET PROCÉDURE :

La SAS [7], exerçant sous l'enseigne [21] et ayant pour activité la vente et la pose de poêle de chauffage à granules, de chaudières, de pompes à chaleurs, et de panneaux photovoltaïques et thermiques, a été dirigée par M. [J] en tant que président.

En juin 2021, la société a demandé au cabinet [20] de lui établir un dossier prévisionnel en vue de l'obtention d'un financement bancaire de 150.000 euros qui lui a été refusé.

Par un jugement du 21 juillet 2021, le tribunal de commerce de Limoges a placé la société [7] en redressement judiciaire, avec fixation provisoire de la date de cessation des paiements au 02 janvier 2021. La société [15] a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Saisi sur requête de M. [J] du 02 août 2021, le tribunal de commerce de Limoges, par un jugement du 25 août 2021, a converti la procédure de redressement judiciaire de la société [7] en liquidation judiciaire, la société [15] étant désignée en qualité de liquidateur.

Le 14 avril 2023, la SCP [15] a saisi le tribunal de commerce de Limoges aux fins de voir condamner M. [J] à supporter le passif de la société [7], s'élevant à 876.377 euros, à raison de fautes commises dans la gestion de la société et, en l'état de ses conclusions déposées en janvier 2024, la société [15] a modifié sa demande en sollicitant la condamnation de M. [J] à supporter le passif à hauteur de la somme ramenée à 131.369, 37 euros.

Par un jugement du 10 avril 2024, le tribunal de commerce de Limoges :

- a déclaré la SCP [15], es qualités, recevable et bien fondée en son action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre de M. [J] ,

- a condamné M. [J] à supporter l'insuffisance d'actif que présente la société [7] à hauteur de la somme de 131.369, 37 euros,

- a ordonné l'exécution provisoire de ce qui précède,

- a dit que les dépens de la présente instance seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société [7]..

Par déclaration du 16 avril 2024, M. [J] a interjeté appel de ce jugement.

Par visa du 14 janvier 2025, le ministère public s'en est remis à l'appréciation de la Cour.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures du 15 juillet 2024, M. [J] demande à la cour :

- de le déclarer recevable et bien fondé en son appel; .

- de réformer ladite décision en toutes ses dispositions critiquées et statuant de nouveau :

- de débouter la Société [16] agissant es qualités de liquidateur de la société [7] de toutes ses demandes dirigées à son encontre fondées sur l'article L.651-2 du code de commerce;

- de débouter la Société [16] agissant es qualités de liquidateur de la société [8] toutes ses demandes dirigées à son encontre sur le fondement de l'article L. 631-3 du code de commerce ;

A titre subsidiaire :

- de très largement diminuer la somme à laquelle il sera condamné ;

- de dire que les dépens seront pris en frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire de la société [7]..

A titre principal, M. [J] fait valoir :

- que l'insuffisance d'actif de la société ne permet pas à elle seule de caractériser des fautes de gestion et que le liquidateur ne prouve pas les fautes alléguées ;

- qu'il n'a pas poursuivi intentionnellement une activité manifestement déficitaire par l'encaissement d'acomptes sans contrepartie ; que ces encaissements n'ont pas été fautifs car liés à des retards apportés aux livraisons et aux paiements des primes, ainsi qu'à des gels de travaux liés à la pandémie de Covid-19 ; que ces encaissements n'ont d'ailleurs pas tous été sans contrepartie, puisque certaines commandes de fournitures ont été passées ;

- qu'il pouvait croire au redressement de la société puisque les résultats des exercices 2018 et 2019 avaient été excédentaires ;

- qu'il a réagi avec célérité en déposant sa déclaration de cessation des paiements dès la connaissance de la situation déficitaire de sa société en 2021 et du refus de prêt bancaire et que la procédure de redressement judiciaire n'a duré qu'un mois.

Aux termes de ses dernières écritures du 8 octobre 2024, la SCP [15] es qualités de liquidateur de la société [7] demande à la cour :

- de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Limoges en date du 10 avril 2024 ;

- de juger qu'elle est recevable et bien fondé en son action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre de Monsieur [K] [J] ;

- de constater les fautes de gestion commises par M. [J] ;

- de juger que ces fautes de gestion ont directement contribué à l'insuffisance d'actif de la société [7] ;

- de condamner M. [J] à supporter le passif de la société [7] à hauteur de la somme de 131.369,37 euros ;

A titre subsidiaire :

- de prononcer à l'encontre de M. [J] la mesure de faillite personnelle.

- de condamner M. [J] à lui verser la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de dire que les dépens seront réservés en frais privilégiés de procédure de la liquidation judiciaire.

La société [15] fait valoir :

- que l'insuffisance d'actif de la société [7], constituée pour 131.369,37 euros d'acomptes clients détournés, est liée aux fautes de gestion commises par M. [J]

- que M. [J] a encaissé de nombreux acomptes tout au long de l'année 2021, sans procéder concomitamment aux commandes de matériel correspondantes, laissant plusieurs clients dépourvus de système de chauffage après avoir retiré leur ancien système ;

- que, ce faisant, M. [J] a artificiellement maintenu une activité manifestement déficitaire, et a aggravé le montant du passif déclaré ;

- que M. [J] lui-même a reconnu avoir encaissé une centaine d'acomptes-clients sans qu'aucune fourniture de commandes n'en résulte.

- que la crise de [18] est sans aucun rapport avec cette absence de commande après perception des acomptes ;

- que M. [J] a continué à percevoir une rémunération pendant son exploitation déficitaire;

- que, malgré ses demandes, M. [J] ne lui a pas transmis une liste des créanciers, ni la liste des primes d'état, il n'a pas fourni d'explication sur un chèque d'un montant de 10.000 euros, et il a ainsi manqué de coopérer à la procédure de redressement ;

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2025.

SUR CE,

L'article L. 651-2 du code de commerce prévoit que, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ; que, toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

En l'espèce, le jugement prononçant le redressement judiciaire de la société [7] a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 02 janvier 2021 et, en l'absence de demande de son report à une date postérieure dans le délai d'un an prévu à l'article L.631-8 du code de commerce, la date du 02 janvier 2021 doit être retenue comme fixant définitivement celle à laquelle la société s'est trouvée en état de cessation des paiements.

Selon l'état des créances en date du 10 janvier 2024 produit par la SCP [15], le passif déclaré à la procédure de liquidation judiciaire de la société [7] s'élève à 876.377,62 euros pour un actif qui a été réalisé à hauteur de la somme de 60.569,76 euros .

Ce passif est notamment constitué à hauteur de :

- 111.525 euros au titre de la créance de l'AGS [17] [Localité 10] ,

- 150.856,87 euros à échoir au titre des contrats de prêts souscrits auprès de la [12],

- 132.385 euros au titre des contrats de leasing souscrits pour la location de huit véhicules et résiliés le 10 septembre 2021,

mais également à hauteur de :

- 42.847 euros au titre du solde débiteur d'un compte courant à la [12] ,

- 45.908 euros à titre privilégié au titre des cotisations [6],

- 45.175 euros au titre des cotisations [30],

- plus de 190.000 euros au titre des créances de fournisseurs ([9], [22], [19],[26], SAS [25], [29], [24], [28]..),

- 131.369,37 euros au titre des créances de quelques soixante-cinq clients particuliers de la société [7], prétendant au remboursement d'acomptes qui ont été encaissés sans qu'ils n'en aient reçu aucune contrepartie.

La SCP [15] produit les courriers de trente huit de ces clients indiquant avoir passé commande auprès de la société [7], entre janvier et juin 2021, pour l'installation d'une chaudière ou d'un poêle à granulés, avec versement des acomptes correspondants qui, déclarés au passif de la procédure collective, n'ont fait l'objet d'aucune contestation de la part de M. [J], et que ces commandes n'ont été suivies d'aucun début d'exécution.

Ainsi et à titre d'exemples, parmi les commandes restées sans suite, on relève les acomptes clients suivants qui ont été encaissés sans être suivis de la fourniture et l'installation des matériels de chauffage :

- M.[A] le 22 février 2021 pour un montant de 3.001,39 euros

- Mme [B] le 26 février 2021 pour un montant de 3.965,29 euros,

- Mme [M] le 13 mai 2021 pour un montant de 2.534,96 euros,

- Mme [E] le 21 mai 2021 pour un montant de 2.359,49 euros ,

- Mme [D] le 26 mai 2021 pour un montant de 1.900 euros ,

- Mme [U] le 09 juin 2021 pour un montant de 1.852,53 euros ,

- M. [N] le 11 juin 2021 pour un montant de 1.497 euros ,

- M. [G] le 16 juin 2021 pour un montant de 2.327 euros.

Il est acquis aux débats que les commandes des matériels de chauffage, préfinancées en tout ou partie par le versement de ces acomptes, n'ont pas, à quelques exceptions près, été passées par M. [J].

En outre, il résulte du document prévisionnel sur les exercices à venir que M. [J] avait fait établir par son cabinet d'expertise comptable en vue de l'octroi en juin 2021 d'un financement bancaire de 150.000 euros qui lui a été refusé, qu'au 31 mars 2021 :

- la société, qui avait réalisé sur quinze mois un chiffre d'affaires de 1.113.780 euros, enregistrait un résultat déficitaire de plus de 192.000 euros et que cette perte d'exploitation s'expliquait par l'augmentation des charges fixes, dont celles liées à la masse salariale et à la location de locaux ;

- les dettes fournisseurs s'élevaient déjà à 157.444 euros ;

- son fonds de roulement était inférieur à son besoin en fonds de roulement avec un solde de trésorerie négatif qui ne pouvait qu'être annonciateur d'un état de cessation des paiements que M. [J] ne pouvait ignorer.

En continuant à encaisser des acomptes clients, dont certains quelques jours seulement avant la déclaration de cessation des paiements, M. [J] a intentionnellement poursuivi une activité qui était manifestement déficitaire et qu'il n'est pas fondé à tenter d'expliquer uniquement par l'impact de la crise de Covid-19 ou par le retard apporté au versement des primes notamment [27], lesquelles ne sont payables qu'après l'exécution des travaux, alors que, dans le même temps, il continuait à alourdir son passif auprès des fournisseurs et à percevoir, par virement depuis le compte de la société, son salaire mensuel de 4.000 euros.

La perception, antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, pendant plusieurs mois, d'acomptes pour un montant de 131.369,37 euros qui a été destinée à masquer un besoin de trésorerie en connaissance d'un risque élevé de se trouver dans l'impossibilité de réaliser les travaux, suffit à caractériser, non une simple faute de négligence, mais une faute de gestion caractérisée l'exposant à la sanction prévue à l'article L. 651-2 du code de commerce .

Le jugement dont appel sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

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PAR CES MOTIFS

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LA COUR

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Limoges en date du 10 avril 2024 ;

Y ajoutant,

Dit que les dépens de l'appel seront pris en frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire de la société [7].

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

Sophie MAILLANT. Olivia JEORGER-LE GAC.

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