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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 27 mai 2025, n° 24/00077

CHAMBÉRY

Autre

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CA Chambéry n° 24/00077

27 mai 2025

NH/SL

N° Minute

1C25/333

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 27 Mai 2025

N° RG 24/00077 - N° Portalis DBVY-V-B7I-HMVA

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce de CHAMBERY en date du 20 Décembre 2023

Appelante

S.A.R.L. [Z] & ASSOCIES COURTAGE, dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentée par la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELARL CHOISEZ & ASSOCIES Société d'avocats, avocats plaidants au barreau de PARIS

Intimée

S.A.R.L. KHEOPS CONSEILS ET ASSURANCES, dont le siège social est situé [Adresse 1]

Représentée par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELARL ORMEN PASSEMARD & AUTRES, avocats plaidants au barreau de PARIS

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 10 Mars 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 avril 2025

Date de mise à disposition : 27 mai 2025

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Composition de la cour :

- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

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Faits et procédure

Par contrat en date du 23 mai 2017, à effet au 1er septembre 2017, M. [H] [S] a été embauché en qualité de chargé de clientèle grands comptes par une société Awa, filiale de la société holding HPR spécialisée dans l'activité de courtage et d'assurance en général. Awa sera absorbée par la société [Z].

Le groupe HPR a connu diverses réorganisations et à partir de mars 2020, les activités de courtage Iard du groupe HPR ont été réunies au sein de l'entité unique [Z] & Associés.

En 2020, M. [H] [S] a démissionné de ses fonctions ; il a créé une société Everest qui est entrée au capital de la holding HPR et les deux sociétés ont conclu un contrat de partenariat au terme duquel Everest devait fournir des prestations d'animation commerciale et d'accompagnement des collaborateurs du groupe HPR.

M. [S] a lui-même été désigné en qualité de co-gérant de la société [Z] & Associés Courtage.

Mme [T] [Y] a été embauchée au sein de la société Awa (qui fusionnera avec [Z] en mars 2020), suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2018 en qualité de «rédactrice gestionnaire».

Mme [I] [U] a été embauchée au sein de la société Awa suivant contrat de travail à durée indéterminée du 7 janvier 2020 à effet au 10 avril 2020.

Le 3 mars 2022, M. [S], Mmes [Y] et [U] ont fait part à la société [Z] de leur volonté de quitter la société et leurs démissions ont été formalisées le 8 mars 2022. Les contrats ont cessé le jour même. Dans le même temps, M. [S], en qualité de dirigeant de la société Everest, a mis fin au partenariat entre Everest et HPR.

Au début du mois de février 2022, M. [S] a créé avec la société Cinuvano et M. [K] [O], la société Kheops, société de courtage en assurance dont M. [S] a été nommé gérant. La société a été agréée par l'Orias, en charge du Registre officiel des intermédiaires en Assurance, Banque et Finance, le 5 mars 2022.

Un certain nombre de clients de la SARL [Z] & Associés Courtage ont notifié à leurs assureurs des ordres de remplacement de courtier, afin que leurs contrats d'assurance soient gérés par Kheops, en lieu et place de [Z], à l'échéance des contrats d'assurance concernés.

S'estimant victime d'actes de concurrence déloyale, la société [Z] a saisi le président du tribunal de commerce de Chambéry par voie de requête aux fins de voir ordonner des mesures d'instruction in futurum permettant de confirmer et révéler l'étendue des actes concernés et leurs conséquences.

Par ordonnance en date du 19 avril 2022, le président du tribunal de commerce de Chambéry a fait droit à la requête de la SARL [Z] & Associés Courtage et a désigné un huissier de justice ayant pour mission de se rendre dans divers lieux, dont le siège social de la société Khéops Conseils et Assurances, afin d'y saisir des correspondances et pièces, dont des listes de clients et partenaires.

Les opérations de saisies ont été pratiquées le 11 mai 2022, et la SARL Khéops Conseils et Assurances, Mme [I] [U], Mme [T] [Y], M. [H] [S] et M. [K] [O] ont sollicité la rétractation de l'ordonnance du 19 avril 2022.

Par ordonnance du 22 juillet 2022, le président du tribunal de commerce de Chambéry a validé l'ordonnance et les opérations réalisées en exécution de cette décision.

La SARL Khéops Conseils et Assurances, Mme [I] [U], Mme [T] [Y], M. [H] [S] et M. [K] [O] ont interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Par arrêt en date du 2 mai 2023, la cour d'appel de céans a confirmé l'ordonnance rendue à l'exception des dispositions relatives au périmètre de la mesure ordonnée et a enjoint à l'huissier instrumentaire d'exclure de ses saisies divers éléments, le séquestre étant levé pour le surplus.

Par acte d'huissier de justice du 9 septembre 2022, la SARL [Z] & Associés Courtage a fait assigner la SARL Khéops Conseils et Assurances devant le tribunal de commerce de Chambéry aux fins de condamnation de la défenderesse à réparer le préjudice résultant de la concurrence déloyale à laquelle elle s'est livrée. M. [H] [S] est intervenu volontairement à l'instance.

Par jugement en date du 20 décembre 2023, le tribunal de commerce de Chambéry a :

- déclaré l'intervention volontaire de M. [H] [S] régulière mais irrecevable,

- l'a mis hors de cause et l'a renvoyé à se mieux pourvoir du chef de ses demandes,

- condamné la SARL Kheops Conseils & Assurances à payer, en deniers ou quittances valables, à la SARL [Z] & Associés Courtage :

- la somme de 430.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la SARL [Z] & Associés Courtage par les faits de concurrence déloyale commis par la SARL Kheops Conseils & Assurances,

- la somme de 20.000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les dépens.

- renvoyé la SARL Kheops Conseils & Assurances à se mieux pourvoir du chef de sa demande de liquidation d'astreinte,

- liquidé les frais de greffe à la somme de 89,66 euros TFC avec TVA =20 %, comprenant les frais de mise au rôle et de la décision,

- rejeté toutes autres demandes.

Au visa principalement des motifs suivants :

' rien ne permet de démontrer :

- que dès sa démission, M. [H] [S] a annoncé qu'il allait partir avec les clients de la SARL [Z] & Associés Courtage dont il assurait le suivi,

- que M. [H] [S] avait accompli des actes qui relèveraient de la concurrence déloyale pour le compte de la SARL Kheops Conseils & Assurances avant sa démission de son poste de gérant de la SARL [Z] & Associés Courtage, hormis la création de la SARL Kheops Conseils & Assurances qui n'est pas en soi un acte déloyal, mais un simple acte de concurrence,

- qu'au moment de la signature du contrat d'affaires entre [Z] et Alti'k le 7 mai 2021, M. [H] [S] et M [K] [O], directeur général de la société ALTI' K savaient déjà qu'ils allaient s'associer ensemble 10 mois plus tard,

' il n'y a jamais eu d'accord de la SARL [Z] & Associés Courtage pour la levée de la clause de non-concurrence de Mme [I] [U],

' le parasitisme allégué n'est pas caractérisé dès lors que seuls quelques actes isolés sont établis mais en nombre insuffisant pour constituer une concurrence déloyale,

' la confusion d'image n'est que peu étayée,

' le dénigrement peut se déduire d'une pièce produite par la société [Z] & Associés Courtage,

' qu'il est établi que Mme [U] travaille pour la société Kheops Conseils & Assurances au mépris de sa clause de non concurrence que M. [S] ne pouvait ignorer,

' la SARL Kheops Conseils & Assurances a récupéré la clientèle de la société [Z] & Associés Courtage au terme d'un démarchage abusif et constitutif d'un comportement de concurrence déloyale à l'origine du préjudice subi par la SARL [Z] & Associés Courtage,

' la demande d'indemnisation formée par la société Kheops Conseils & Assurances au titre d'une atteinte à son image, n'est pas fondée.

Par déclaration au greffe du 15 janvier 2024, la SARL [Z] & Associés Courtage a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a condamné la SARL Kheops Conseils & Assurances à lui payer, en deniers ou quittances valables, la somme de 430.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi défini plus haut par la SARL [Z] & Associés Courtage par les faits de concurrence déloyale commis par la SARL Kheops Conseils & Assurances.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures en date du 5 mars 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société [Z] & Associés Courtage demande à la Cour, au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- débouter la société Kheops devenue Valenco Assurances de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Y faisant droit,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a reconnu certains faits de concurrence déloyale (détournement, débauchage, dénigrement) et condamné la société Kheops Conseils & Assurances sur le principe du paiement de dommages-intérêts, au paiement de l'article 700 ainsi qu'aux dépens,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Kheops de sa demande de dommages-intérêts en réparation de son prétendu préjudice d'image,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé les préjudices de la société [Z] & Associés Courtage à la somme de 430.000 euros en commettant des erreurs de valorisation et en ne prenant pas en compte l'intégralité des préjudices résultant des actes de concurrence déloyale de la société Kheops Conseils & Assurances,

En conséquence et statuant à nouveau,

- condamner la société Kheops à réparer l'entier préjudice de la société [Z] & Associés Courtage au titre de sa responsabilité délictuelle compte tenu des actes de concurrence déloyale (parasitisme, dénigrement, confusion et désorganisation) dont elle est l'auteure,

- condamner la société Kheops à lui verser la somme globale de 3.334.329,59 euros, sauf à parfaire, en réparation des préjudices résultant des actes de concurrence déloyale de la société Kheops et détaillés comme suit :

- 1.893.081,89 euros au titre de la perte de commissions sur les contrats détournés,

- 841.247,70 euros au titre de la perte de chance de pouvoir céder l'activité ou le portefeuille à un meilleur prix,

- 200.000 euros au titre de l'atteinte à l'image,

- 400.000 euros au titre des économies réalisées par Kheops au détriment de [Z],

En tout état de cause,

- condamner la société Kheops à verser à la société [Z] & Associés Courtage la somme de 50.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner la publication de la décision à intervenir :

- dans l'Argus de l'Assurance,

- dans la Tribune de l'Assurance,

- au siège de la société Kheops Conseils & Assurances,

- sur le site internet de la société Kheops Conseils & Assurances,

- rappeler l'exécution provisoire de plein droit de la décision à intervenir,

- condamner la société Kheops aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société [Z] & Associés Courtage fait valoir en substance que :

' la société Kheops Conseils & Assurances s'est livrée à un détournement massif de clientèle, initié dès sa démission par M. [S], qui démontre de surcroît une utilisation illicite de ses propres fichiers de clientèle ;

' ce détournement contribue à dénigrer la société [Z] ; il s'accompagne d'un procédé systématique et insistant auprès des clients concernés qu'elle trompe en résiliant de fait leur police sans même les alerter sur ce point, faisant prévaloir ses propres intérêts, et auxquels elle adresse des documents types qui confirment son démarchage intempestif et non la volonté réelle des assurés de changer de courtier ;

' la société Kheops Conseils & Assurances a fait travailler Mme [U] pour son compte alors qu'elle la savait liée par une clause de non concurrence parfaitement valide ;

' le dénigrement de la société [Z] & Associés Courtage par Kheops Conseils & Assurances est avéré ;

' la société Kheops Conseils & Assurances s'est livrée à une reprise abusive de la gestion de contrats dont les bénéficiaires étaient pourtant toujours assurés via [Z], et ce notamment compte tenu de la confusion entretenue par l'intimée entre les deux sociétés ;

' une confusion certaine a été entretenue entre les deux sociétés, M. [S] ayant conservé le même numéro de téléphone mobile, Mme [Y] s'étant présentée comme 'du cabinet [Z]' alors qu'elle travaillait pour Khéops, pour obtenir des informations sur un dossier géré par [Z], les adresses e-mail utilisées étant voisines de celles utilisées chez [Z],... semant le trouble dans l'esprit des clients qui ne savent plus à qui s'adresser et sont induits volontairement en erreur et amenés à adresser leurs demandes aux deux entités ou à la mauvaise ;

' le parasitisme auquel s'est livré la société Kheops Conseils & Assurances est démontré, l'intimée ayant utilisé la notoriété de [Z] en se présentant comme 'ex-[Z]', la formation dont ont bénéficié les salariés débauchés, les informations sur les clients, transférées par mail avant le départ de la société, sans avoir à consacrer à ces actions la moindre somme ;

' l'ensemble de ces agissements relèvent d'une organisation préparée en amont du départ de M. [S] et Mmes [Y] et [U] ;

' son préjudice tient à la perte de commissions, à la perte de valeur de son portefeuille, à l'atteinte à son image et aux économies réalisées à tort par Kheops Conseils & Assurances ;

' la société Kheops Conseils & Assurances ne justifie pour sa part ni du préjudice dont elle demande réparation ni de son imputabilité à [Z].

Par dernières écritures du 9 juillet 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la SARL Valenco Assurances, anciennement dénommée Kheops Conseils & Assurances, demande à la cour de :

A titre principal,

- infirmer le jugement entrepris du Tribunal de Commerce de Chambéry du 20 décembre 2023 :

- en ce qu'il l'a condamnée à payer, en deniers ou quittances valables, à la SARL [Z] & Associés Courtage :

- la somme de 430.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi défini plus haut par la SARL [Z] & Associés Courtage par les faits de concurrence déloyale commis par la SARL Kheops Conseils & Assurances,

- la somme de 20.000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les dépens,

- en ce qu'il a rejeté sa demande à l'encontre de [Z] & Associés Courtage au titre de son préjudice d'image ;

Et statuant à nouveau,

- débouter [Z] & Associés Courtage de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à son encontre ;

- condamner [Z] & Associés Courtage au paiement d'une somme de 200.000 euros au profit de Valenco Assurances, venant aux droits de Kheops, au titre de son préjudice d'image ;

A titre subsidiaire, si la Cour devait confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu des actes de concurrence déloyale à la charge de Kheops Conseils & Assurances, ayant un lien de causalité direct avec un préjudice allégué par [Z] :

- infirmer le jugement entrepris du Tribunal de commerce de Chambéry du 20 décembre 2023 :

- en ce qu'il l'a condamnée à payer, en deniers ou quittances valables, à la SARL [Z] & Associés Courtage :

- la somme de 430.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi défini plus haut par la SARL [Z] & Associés Courtage par les faits de concurrence déloyale commis par la SARL Kheops Conseils & Assurances,

- la somme de 20.000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les dépens,

- en ce qu'il a rejeté sa demande à l'encontre de [Z] & Associés Courtage au titre de son préjudice d'image ;

Et statuant à nouveau,

- juger que le préjudice de [Z] ne saurait excéder :

- une somme maximale de 98.627 euros, si la Cour accepte de déduire du montant annuel de commissions perdues par [Z] les 96.903,66 euros correspondant aux commissions du portefeuille de clients suivis par Monsieur [S] / Mme [U] avant leur arrivée chez [Z] ;

- une somme maximale de 292.381 euros, si la Cour refuse de déduire du montant annuel de commissions perdues par [Z] les 96.903,66 euros correspondant aux commissions du portefeuille de clients suivis par Monsieur [S] / Mme [U] avant leur arrivée chez [Z] ;

- débouter [Z] & Associés Courtage de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;

- condamner [Z] & Associés Courtage au paiement d'une somme de 200.000 euros au profit de Valenco Assurances, venant aux droits de Kheops, au titre de son préjudice d'image ;

En tout état de cause,

- condamner [Z] & Associés Courtage au paiement à Valenco Assurances d'une somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Au soutien de ses prétentions, la SARL Valenco Assurances anciennement dénommée Kheops Conseils & Assurances, fait notamment valoir que :

' la seule constitution de Khéops n'est pas déloyale en vertu du principe fondamental de la liberté d'entreprendre ;

' elle n'a pas détourné la clientèle de la société [Z] & Associés Courtage, cette clientèle étant libre et en mesure de changer de courtier autant qu'elle le souhaite et tel est le cas en l'espèce, les clients ayant choisi de suivre M. [S] qui s'était toujours occupé de la gestion de leurs contrats d'assurance, d'autres clients perdus par [Z] ayant rejoint d'autres courtiers et non pas Khéops et certains clients Khéops l'ayant quittée pour [Z] ; elle n'a par ailleurs pas utilisé les fichiers clientèle, les clients lui ayant eux-mêmes communiqué les informations sur les contrats les liants à [Z] & Associés Courtage et n'ayant aucunement été trompés ;

' Mme [U] n'a jamais été salariée de Khéops et la clause de non concurrence qui la lierait à [Z] est contestée devant la juridiction prud'homale ; elle s'est immatriculée en qualité d'auto-entrepreneur à son départ de [Z] ;

' Khéops n'a entretenu aucune confusion entre les deux sociétés et les clients qui ont demandé le transfert savaient et voulaient qu'un nouveau courtier gère l'exécution de leurs contrats et ne se plaignent au demeurant nullement d'une quelconque confusion ; l'identité de numéro de téléphone tient au fait que ce dernier correspond à une ligne privée ;

' le parasitisme ne peut être invoqué alors que les parties sont deux sociétés en situation de concurrence et que la responsabilité ne peut être engagée que sur la concurrence déloyale et en tout état de cause il n'est pas justifié de ce qu'elle se serait livrée à un quelconque parasitisme, les clients et les compagnies d'assurance connaissaient M. [S] avant même qu'il intègre [Z] et aucune technicité ni savoir faire particulier ne peut être revendiqué par l'appelante étant observé que M. [S] et Mmes [U] et [Y] maîtrisaient leur métier de courtier avant leur arrivée au sein de la société [Z] & Associés Courtage ;

' le dénigrement allégué n'est pas démontré pas plus que la reprise abusive de la gestion de contrats ;

' le préjudice invoqué a évolué sans motif au cours de la procédure ce qui démontre le peu de sérieux de son estimation ;

' les lettres de dénigrement adressées par [Z] & Associés Courtage à 126 clients et 19 partenaires commerciaux de Khéops ont porté atteinte à son image ce qui justifie sa demande indemnitaire.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 10 mars 2025 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 7 avril 2025.

Motifs de la décision

Aux termes de l'article 1240 du code civil, 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.

I - Sur la qualification de la concurrence déloyale

La liberté du commerce et de l'industrie, qui est une règle de valeur constitutionnelle, ayant pour corollaire le liberté d'entreprendre, permet notamment aux acteurs économiques de démarcher les clients de leurs concurrents et de fixer librement leurs prix. Cette liberté se trouve cependant limitée par l'interdiction de faire usage de procédés déloyaux dans l'exercice de la concurrence.

Comme l'ont à juste titre relevé les premiers juges et ainsi que le retient la jurisprudence de manière constante, la création, par un ancien salarié ou associé d'une entreprise concurrente de celle dans laquelle il était auparavant employé ou associé, n'est pas en tant que telle constitutive d'actes de concurrence illicite ou déloyale, dès lors que cette création n'était pas interdite par une clause contractuelle et qu'elle n'a pas été accompagnée de pratiques illicites. Il n'est par ailleurs nullement fautif de préparer sa future activité concurrente à condition que cette concurrence ne soit effective qu'après l'expiration de la collaboration ou du contrat de travail et le seul déplacement de clientèle vers une entreprise concurrente ne constitue pas un acte de concurrence déloyale en l'absence de manoeuvres ou procédés déloyaux (Cass Com.11 mars 2014, n°13-11.114 - Cass. Com. 2-12-2020 n°18-23.725).

La concurrence déloyale est ainsi le fait de faire un usage excessif de sa liberté d'entreprendre en recourant à des procédés contraires aux règles et aux usages, qui peuvent notamment consister en :

- une confusion entretenue entre un concurrent et la société victime de ses agissements;

- la désorganisation de la société concurrente par le débauchage fautif d'anciens salariés ou le détournement de clientèle ou de données stratégiques ou confidentielles de l'entreprise;

- le parasitisme économique, consistant à s'immiscer dans le sillage de son concurrent pour tirer profit de son savoir-faire ;

- le dénigrement de la société concurrente.

' Sur le dénigrement

Le dénigrement est défini comme le fait de répandre des informations péjoratives et malveillantes apportant un discrédit sur la personne, l'entreprise ou les produits d'un concurrent.

En dépit du grand nombre de courriels qu'elle verse aux débats et qui sont issus de la saisie pratiquée sur autorisation judiciaire, la société [Z] &Associés ne fait reposer l'existence du dénigrement que sur une seule pièce, numérotée 142. Il s'agit d'un courriel adressé le 9 mai 2022 par M. [S] à un client qui s'agace manifestement de voir ses polices gérées par deux courtiers (ie [Z] et Kheops) et auquel il indique 'si vous annulez les documents que vous nous avez signé dernièrement et que vous resigné avec l'ancien cabinet, nous ne pourrons plus travailler avec vous et je suis convaincu que vous n'aurez pas le même suivi qu'au sein de notre cabinet'.

Si la périphrase je suis convaincu que vous n'aurez pas le même suivi qu'au sein de notre cabinet est effectivement dévalorisante pour [Z] & Associés, elle ne l'est que par comparaison avec le service offert par Khéops et ne signifie pas que le suivi au sein du cabinet [Z] est mauvais mais uniquement moins bon que chez Khéops. Cette formule ne doit par ailleurs pas être isolée du reste du courriel qui rappelle que M. [S] et Mme [U] ont assuré le suivi de ce client depuis plusieurs années et se sont investis à ses côtés.

Alors qu'aucune des pièces produites aux débats ne permet de retenir comme l'ont fait les premiers juges, que ce type d'affirmation a été répétée par M. [S], cette seule mention ne peut caractériser un comportement dénigrant susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale.

' Sur le parasitisme

Il se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire ainsi que de sa notoriété.

La référence au cabinet [Z] pour indiquer qu'avec deux collègues elle a quitté ce cabinet pour créer Khéops, ou les propos de Mme [Y] indiquant au téléphone le 10 mars 2022 être 'du cabinet [Z]', constituent des éléments ponctuels qui participent d'une confusion et non d'acte de parasitisme, étant observé que la présentation de madame [U] dans son courriel du 14 mars 2022 est strictement conforme à la réalité factuelle.

Il n'est justifié par ailleurs d'aucune formation continue au sein du cabinet [Z] au bénéfice de Mmes [U] et [Y] pendant la période où elles étaient les salariées de ce cabinet. Il apparaît encore qu'aucune technicité particulière ne peut être revendiquée par l'appelante, les cabinets de courtage étant légion et M. [S] et Mme [U] exerçant cette activité avant leur collaboration avec [Z].

Il n'apparaît pas en outre, qu'en dehors de leur propre connaissance des clients qui étaient en réalité déjà les leurs chez [Z] et dont ils n'ont pas besoin de détourner les coordonnées pour les connaître, M. [S], Mmes [U] et [Y] ont eux-mêmes utilisé les données des contrats de ces clients, ayant au contraire adressé à ces derniers des ODR à remplir précisément en ce qui concerne le nom de l'assureur et les polices concernées.

Le tribunal de commerce a à juste titre considéré que les pièces 26 et 27 qui correspondent à l'envoi par Mme [Y], de sa messagerie professionnelle [Z] vers sa messagerie personnelle, de liens extranet assureur et du courriel d'un client, portent sur des données qui peuvent être obtenues aisément et ne caractérisent dès lors pas la parasitisme constitutif de concurrence déloyale.

Les transferts de données de la boîte mail professionnelle Khéops de Mme [U] vers sa messagerie personnelle, alors qu'elle n'était plus salariée de [Z] et que rien ne permet de constater qu'elle aurait détourné les documents qu'elle se transfère, sont également impropres à caractériser ce parasitisme.

' Sur la désorganisation

Elle recouvre l'ensemble des man'uvres qui ont pour but de déstabiliser l'organisation d'un concurrent et notamment le débauchage de salariés et/ou le détournement de clientèle.

S'agissant du débauchage de salariés, il n'est sanctionné que s'il s'accompagne de man'uvres déloyales ayant entraîné la désorganisation de l'activité de l'entreprise (Cass. Comm. 8 Juillet 2020 n°18-17.169). Il apparaît en l'espèce d'abord qu'aucune des pièces versées aux débats ne permet de constater que les deux salariées de la société [Z] & Associés Courtage démissionnaires, aient été salariées de Khéops et débauchées à cette fin alors que les courriels versés aux débats par l'appelante font apparaître que mesdames [U] et [Y] indiquent avoir quitté [Z] et créé ensemble avec M. [S], la société Khéops. Il apparaît de la même manière que la page Linkedin de Mme [Y] (pièce appelante 29) la désigne comme 'associée' ou encore que la page Pappers de la société Valenco désigne M. [S] et Mmes [U] et [Y] comme 'dirigeants' de cette société. Il peut ainsi être constaté que ces derniers, exerçant leur liberté d'entreprendre se sont associés pour créer Khéops sans que la preuve d'un débauchage soit rapportée.

Concernant le détournement de clientèle, il convient de rappeler qu'une entreprise commerciale ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif sur ses clients et que le démarchage de la clientèle d'un concurrent est licite dès lors qu'il n'est pas accompagné de procédés déloyaux (Cass. com. 24-10-2000 n° 98-19.774 ; Cass. com. 19-3-2013 n° 12-16.936). Ainsi, il est jugé qu'il n'y a pas démarchage illicite lorsqu'il est établi que le déplacement de clientèle n'est pas la conséquence de man'uvres déloyales mais procède d'initiatives spontanées de cette clientèle (Cass. soc. 12-4-1995 n° 89-44.088; Cass. com. 2-12-2020 n° 18-23.725).

C'est au terme d'une analyse complète et rigoureuse que la cour fait sienne, que les premiers juges ont retenu que la pièce 167 produite par la société [Z] & Associés Courtage et qui n'est critiquée par l'intimée que sur le montant de la commission retenue pour le client Avenir Pharma GIE, établissait la liste des clients ayant quitté la société [Z] & Associés Courtage au profit de la société Khéops.

Il peut être constaté qu'une très large majorité de ces clients a délivré un ordre de remplacement au cours des mois de mars et avril 2022 soit dès le démarrage de l'activité de Khéops. Il ne peut être sérieusement soutenu qu'entre le démarrage de l'activité de Khéops, qui n'a obtenu son agrément de l'Orias que le 5 mars 2022 et dont les fondateurs n'ont été libérés de leurs obligations chez [Z] & Associés Courtage qu'à compter du 8 mars 2022, et le 29 avril 2022, 109 clients de la société [Z] auraient décidé spontanément de quitter leur courtier pour s'engager avec Khéops, sans même attendre l'échéance de leur contrat, parfois très éloignée.

Il apparaît au contraire que l'ensemble des clients ont été démarchés par Khéops dès sa création, qui leur a transmis un formulaire d'ordre de remplacement et une attestation faisant état d'un intuitu personnae les liant à Mme [U] ou M. [S], préétablis et à compléter. Ces documents ont été préparés très en amont de leur départ de [Z], puisque la cour peut constater sur les ODR remplis par Alpes Evasion (pièce 64 [Z]) que la Version1 de ce document date du 25 janvier 2022 et ils ont été adressés à l'ensemble des clients figurant sur le listing établis à partir des saisies effectuées sur autorisation judiciaire, d'initiative par M. [S] et Mmes [Y] et [U].

Ainsi que l'a relevé le tribunal de commerce, ces derniers ont par ailleurs démarché les clients par téléphone, puis par mail leur transmettant les ODR et attestation, et au besoin relancés lorsque le client ne donnait pas suite de manière rapide (conf pièce 103, relance du client MCA Matériaux ou pièce 131 relance du client office du tourisme de la Clusaz).

L'absence d'initiative des clients est de même confirmée par la pièce 37 versée aux débats par la société [Z] & Associés Courtage qui permet de constater que le client GEFC n'avait aucune intention de changer de courtier et s'est néanmoins vu adresser un ODR et une attestation, démarche qu'il a qualifiée de déplacée et malhonnête.

Il ne peut être davantage soutenu que les clients concernés auraient tous suivis M. [S] ou Mme [U] en raison du fort intuitu personnae qui les liait à ces derniers, alors d'une part que les attestations produites au soutien de cette allégation ont été pré-établies, y-compris s'agissant du nom du courtier concerné, par M. [S], qui en a transmis le support à Mme [U] par courriel du 12 mars 2022 ; alors d'autre part que les attestations qui ne sont pas établies sur ce modèle ont été rédigées par leur auteur après réception du courrier du conseil de [Z] & Associés Courtage, et surtout ne concernent que 3 clients et alors enfin, que cet intuitu personnae est contredit par les affirmations de Khéops aux termes desquelles plusieurs clients l'ont déjà quittée pour un autre courtier.

Compte tenu de son caractère massif, insistant et sans lien avec les dates d'échéance des contrats des clients concernés, le démarchage opéré par la société Khéops envers les clients du cabinet [Z], qui ne sont nullement les clients personnels de Mme [U] et M. [S], constitue un détournement de clientèle constitutif d'un acte de concurrence déloyale.

' Sur la confusion

L'examen des divers courriels produits aux débats et adressés par M. [S] et Mmes [Y] et [U] aux clients démarchés, fait apparaître qu'il n'est pas expressément indiqué à ces clients qu'en signant l'ODR ils vont changer de courtier, le texte faisant plutôt état de la continuité assurée dans le suivi des contrats. Ainsi et uniquement à titre d'exemple concernant chacun des trois fondateurs de Khéops, Mme [Y] écrit à PF Etanchéité le 10 mars 2022 'pour le bon suivi des dossiers et à votre convenance, vous trouverez ci-dessous nos nouvelles coordonnées' suivent les coordonnées puis '[H] reviendra vers [D] rapidement pour le formalisme'. De même, le 17 mars 2022 (pièce [Z] & Associés Courtage 109) Mme [U] écrit à un client démarché 'comme évoque téléphoniquement ce jour, pour nous permettre d'avoir la main sur les assurances du groupe(...)' et lui transmet les ODR sans évoquer de manière transparente le changement de courtier. [H] [S] écrit à [Courriel 3] le 18 mars 2022 sans apporter cette information claire et en indiquant 'je vous adresse ci-joint les documents me permettant de reprendre les contrats mis en place ensemble'.

Cette présentation est de nature à induire une confusion dans l'esprit des clients entre [Z] et Khéops et une telle confusion s'est bien produite pour plusieurs d'entre eux. Il en est ainsi de la société Genève TP, qui signe un ODR le 14 mars 2022 mais écrit pourtant à [Z] plus d'un mois plus tard le 22 avril puis le 2 mai et se voit répondre qu'elle n'est plus cliente de ce cabinet, ce qui l'amène à solliciter un contact avec M. [S] en indiquant 'nous sommes client et ne savons plus à qui s'adresser'.

De même la société PF Etanchéité qui a reçu un mail avec les 'nouvelles coordonnées' comme indiqué ci-avant le 10 mars 2022, écrit-elle à M. [S] le 14 mars tant sur une adresse @Raffin que sur une adresse @Kheops.

Encore, la société Sabaudia Charpente vise-t-elle indifféremment les adresses @Raffin ou @khéops de Mme [Y].

La société EFG Etanchéité qui échange depuis le 21 mars 2022 avec Mme [Y] sur sa boîte mail Kheops dont la signature est suffisamment grosse pour être lisible, lui demande le 29 mars 2022 si elle doit bien renvoyer les attestations au cabinet [Z].

Ces éléments caractérisent la confusion créée par la société Khéops entre elle et le cabinet [Z], dans le but manifeste de rassurer les clients démarchés sur la continuité apportée à la gestion de leurs contrats afin qu'ils signent les documents lui permettant de devenir leur courtier. Elle est constitutive d'un comportement de concurrence déloyale.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu que la société Khéops Conseils & Assurances, désormais dénommée Valenco Assurances, a été l'auteur d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société [Z] & Associés Courtage.

II - Sur la détermination du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale

' Sur le préjudice résultant de la perte de commissions

La rémunération d'un cabinet de courtage est constituée essentiellement par les commissions perçues annuellement pour les contrats qu'il a fait souscrire. Le départ d'un client vers un autre courtier entraîne donc, à compter de l'échéance du ou des contrats souscrits par ce client, la perte de commission pour le courtier quitté.

Le préjudice subi ne correspond pas au montant global des commissions perdues mais à la perte de marge brute qui en est résultée ainsi que l'a justement retenu le tribunal de commerce qui a jugé qu'il convenait de déduire du montant des commissions, les économies de charges annuelles réalisées par le cabinet [Z] & Associés Courtage.

Les commissions perdues s'élèvent, au terme du tableau récapitulatif établi par l'appelante et non contesté, sauf à rétablir le montant de la commission concernant la société Avenir Pharma GIE pour son montant réel de 2.639,88 euros (pièce 38 Khéops) et non 26.239,88 euros, à 314.578,83 euros. Il convient de retenir le montant proposé par la société Valenco Assurances de 314.739,23 euros.

Il n'y a pas lieu de déduire de ce montant les commissions correspondant aux clients amenés chez [Z] par M. [S] et Mme [U], ces clients étant ceux des sociétés qui les emploient ou pour lesquelles ils travaillent et non pas les leurs.

L'économie réalisée correspond aux salaires versés à Mmes [U] et [Y] et M. [S] pour la gestion de ces clients et s'élève ainsi que le retient la société [Z] (page 68 de ses conclusions) dont le calcul n'est pas discuté sur ce point, à 168.497,54 euros.

La marge brute annuelle peut dès lors être fixée à 146.241,69 euros (314.739,23 - 168.497,54).

La volatilité de la clientèle IARD commande comme l'a fait le tribunal, de calculer le préjudice sur une période de 3 années, en opérant la décote du tiers retenue par les premiers juges qui conduit à fixer comme suit le montant du préjudice lié à la perte de la clientèle :

- 146.241,69 euros la première année,

- 97.484,71 euros la deuxième année

- 48.742,35 euros la troisième année

TOTAL : 292.468,75 euros.

La société Valenco Assurances sera condamnée à payer cette somme à la société [Z] & Associés Courtage

' Sur le préjudice lié à la perte de chance de céder l'activité ou le portefeuille à un meilleur prix

La perte de chance pour être indemnisable, suppose que puissent être constatés l'existence d'un fait générateur de responsabilité, d'une probabilité qu'un évènement favorable se réalise et la disparition de cette probabilité en raison du fait générateur de responsabilité (2e Civ., 20 mai 2020, n°18-25.440 1ère Civ.8 mars 2012, n°11-14.234).

A supposer que ces conditions soient réunies, le préjudice économique indemnisable suppose la détermination de la valeur du gain manqué et de la probabilité de la survenance de l'évènement favorable si le fait générateur n'avait pas existé.

En l'espèce, si la concurrence déloyale caractérise le fait générateur susvisé, la société [Z] & Associés Courtage échoue à établir l'existence d'une probabilité de vendre son portefeuille ou son activité à un meilleur prix si elle n'avait pas été victime de cette concurrence. Il apparaît en effet d'abord qu'elle ne justifie nullement d'une quelconque intention de cession, ensuite que l'étude Financière de [Localité 4] qu'elle produit aux débats a été réalisée alors que le résultat de la société avait déjà été impacté par le départ de ces trois collaborateurs et la création de Khéops. Encore, si la société [Z] soutient que sa croissance a été freinée en 2022, elle ne produit aucun document comptable à l'appui de cette affirmation, le document produit et intitulé 'bilan annuel' pièce 170, n'étant qu'un diaporama, support manifeste de communication interne et non un bilan comptable alors que l'exercice concerné était clôturé depuis plus de deux ans à la date de la clôture de la procédure et pouvait être aisément communiqué, de même que le bilan 2023. A cet égard, les pièces 52 et 53 produites par la société Valenco Assurances correspondant aux rapports de gestion du groupe HPR pour les exercices 2022 et 2023 et dont l'authenticité n'est pas contestée, font apparaître que si le chiffre d'affaires net de [Z] & Associés Courtage a connu une légère diminution de 8,20% entre 2022 et 2023 passant de 2.018.873 euros à 1.853.605 euros, dans le même temps, le bénéfice de la société a progressé de près de 42,90% passant de 349.292 euros en 2022 à 499.088 euros en 2023.

Enfin, ainsi que l'ont relevé les premiers juges dont la décision n'est pas utilement critiquée sur ce point, la société [Z] ne peut à la fois solliciter l'indemnisation de pertes de commissions sur une durée de 6 ans, et la réparation du préjudice lié à la perte de chance de vendre son portefeuille, par définition dans cette période de 6 ans.

Elle sera déboutée de sa demande fondée sur la perte de chance de pouvoir céder l'activité ou le portefeuille à un meilleur prix.

' Sur le préjudice lié à l'atteinte à l'image

Le dénigrement invoqué par la société [Z] n'a pas été retenu par la cour, néanmoins, le démarchage massif et déloyal de ses clients lui a nécessairement causé un préjudice tenant tant à la nécessité de se réorganiser pour s'adapter à ces départs nombreux concentrés sur une courte période, qu'à celle de confirmer son intervention et ses compétences à ceux qui ont pu se trouver dans une confusion certaine à l'issue du démarchage, s'ils sont restés clients [Z].

En l'absence d'élément de nature à éclairer sa demande en son quantum et alors que le dénigrement n'a pas été retenu par la cour, l'indemnisation de ce préjudice sera justement fixée à la somme de 30.000 euros.

La société [Z] & Associés Courtage présente également, à titre de réparation du préjudice lié à l'atteinte à son image, une demande de publication du présent arrêt dans des revues spécialisées et au siège et sur le site internet de Khéops. Outre que cette demande n'est étayée par aucun moyen sinon le rappel qu'une telle sanction est possible, les éléments développés ci-avant quant au caractère limité de l'atteinte subie par l'appelante, alliés à l'ancienneté des faits, commandent de la débouter de cette demande.

' Sur les économies réalisées par Kheops

En matière de responsabilité pour concurrence déloyale, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale (Com., 27 mai 2008, pourvoi n° 07-14.442, Bull. IV, n° 105 ; 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 17-14.582).

Ainsi que l'a précisé la haute Cour, dans un arrêt du 12 février 2020 (pourvoi n°17-31.614) qui n'a pas été remis en cause, 'cette jurisprudence, qui énonce une présomption de préjudice, sans pour autant dispenser le demandeur de démontrer l'étendue de celui-ci, répond à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer. En effet, si les effets préjudiciables de pratiques tendant à détourner ou s'approprier la clientèle ou à désorganiser l'entreprise du concurrent peuvent être assez aisément démontrés, en ce qu'elles induisent des conséquences économiques négatives pour la victime, soit un manque à gagner et une perte subie, y compris sous l'angle d'une perte de chance, tel n'est pas le cas des pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent, ou à s'affranchir d'une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu'ils permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu. Lorsque tel est le cas, il y a lieu d'admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes.' et la Cour retient en conséquence que 'Appelée à statuer sur la réparation d'un préjudice résultant d'une pratique commerciale trompeuse pour le consommateur, conférant à son auteur un avantage concurrentiel indu par rapport à ses concurrents, la cour d'appel a pu, pour évaluer l'indemnité devant être allouée à la société Cristallerie de Montbronn, tenir compte de l'économie injustement réalisée par la société Cristal de Paris, qu'elle a modulée en tenant compte des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par lesdits agissements.'.

Il peut être constaté en l'espèce que le préjudice économique lié aux agissements de la société Khéops a pu être déterminé ci-avant. Par ailleurs, si les conditions du démarchage de la clientèle par l'intimée permettent de considérer qu'elle a faussé le jeu normal du marché, il ne peut en être déduit que la société Khéops en a retiré un avantage économique dès lors qu'elle devait en tout état de cause attendre les échéances des contrats en cours pour bénéficier des commissions et qu'elle connaissait d'ores et déjà les clients, suivis par ses fondateurs qui n'étaient aucunement contraints de renoncer à les démarcher pour le compte de Khéops et qui n'appartenaient par ailleurs pas à la société [Z] & Associés Courtage.

Compte tenu de ces éléments, la société [Z] & Associés Courtage ne peut être accueillie en sa demande de dommages et intérêts fondés sur les économies réalisées par Kheops, qui ne sont démontrées ni dans leur principe, ni dans leur quantum.

III - Sur la demande de Valenco Assurances au titre d'une atteinte à l'image

Il est acquis que les conseils de la société [Z] & Associés Courtage par courriers recommandés datés du 31 mai 2022 et la société [Z] & Associés Courtage elle-même, par courrier daté du 2 juin 2022, ont fait état auprès de clients de Khéops de ce que cette dernière se serait livrée à des actes de concurrence déloyale. A cette date, aucune décision retenant la concurrence déloyale alléguée n'avait été rendue et il ne peut dès lors être contesté que la société [Z] et ses conseils ont sciemment délivré une information fausse en invoquant des faits présentés comme avérés. La société [Z] & Associés Courtage s'est vu enjoindre d'adresser à ces entreprises un courrier indiquant que le précédent était non avenu par ordonnance de référé su 21 juin 2022 mais il ne peut être contesté que les courriers transmis ont porté atteinte à l'image de la société Khéops Conseils & Assurances.

Pour autant, alors que de fait cette dernière s'est effectivement livrée à des actes de concurrence déloyale et qu'elle ne démontre nullement que ces courriers de mai et juin 2022, seraient à l'origine du départ de clients en octobre et décembre 2022, l'indemnisation de ce préjudice sera limitée à la somme de 10.000 euros.

IV - Sur les mesures accessoires

Chacune des parties succombe en l'essentiel de ses demandes devant la cour et elles conserveront dès lors la charge des frais et dépens engagés pour la procédure d'appel. Les chefs du jugement critiqués seront confirmés s'agissant des dépens et frais de première instance.

Par ces motifs

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- condamné la SARL Kheops Conseils & Assurances à payer, en deniers ou quittances valables, à la SARL [Z] & Associés Courtage la somme de 430.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la SARL [Z] & Associés Courtage par les faits de concurrence déloyale commis par la SARL Kheops Conseils & Assurances,

- rejeté toutes autres demandes,

Statuant à nouveau,

Condamne la SARL Valenco Assurances, venant aux droits de la SARL Kheops Conseils & Assurances, à payer à la SARL [Z] & Associés Courtage :

- la somme de la somme de 292.468,75 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du son préjudice financier,

- la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'atteinte à son image,

Déboute la société [Z] & Associés Courtage de ses plus amples demandes indemnitaires,

Déboute la société [Z] & Associés Courtage de sa demande de publication du présent arrêt,

Condamne la société [Z] & Associés Courtage à payer à la société Valenco Assurances, venant aux droits de la SARL Kheops Conseils & Assurances, la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice causé par l'atteinte à son image,

Ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,

Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés en appel.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 27 mai 2025

à

la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY

Me Clarisse DORMEVAL

Copie exécutoire délivrée le 27 mai 2025

à

la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY

Me Clarisse DORMEVAL

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