Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 28 mai 2025, n° 21/00956

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/00956

28 mai 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 28 MAI 2025

Rôle N° RG 21/00956 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BG2DL

S.A.S. SUD OUEST DECHETS INDUSTRIELS (SODI)

C/

S.A.S. EIFFAGE ENERGIE SYSTEMES - CLEMESSY SERVICES S - CLEMESSY SERVICES (EES - CS)

Copie exécutoire délivrée le : 28/05/2025

à :

Me Olivier CAMPESTRE

Me Olivier TARI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce d'AIX en PROVENCE en date du 22 Décembre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 2015007191.

APPELANTE

S.A.S. SUD OUEST DECHETS INDUSTRIELS (SODI),

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Olivier CAMPESTRE, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Yves MAYNE de la SELEURL MAYNE, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMEE

S.A.S. EIFFAGE ENERGIE SYSTEMES - CLEMESSY SERVICES

prise en son établissement secondaire sis [Adresse 3],

dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Olivier TARI, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Président de chambre, et Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, chargés du rapport.

Madame Stéphanie COMBRIE, conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Valérie GERARD, Président de chambre

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Elodie BAYLE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Mai 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Mai 2025.

Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Hortence MAYOU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSE DU LITIGE

La société Sud Ouest Déchets Industriels (ci-après la société Sodi) exerce une activité de maintenance des sites pétroliers. La société Eiffage Energie Systèmes Clemessy Services (ci-après société Eiffage), anciennement société Eiffel Industrie, a également pour activité la maintenance industrielle.

Dans le cadre d'un litige opposant les deux parties, le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, par un premier jugement du 21 novembre 2016 devenu définitif, a jugé que la société Sodi avait commis des faits de concurrence déloyale au préjudice de la société Eiffage, a dit que ces actes avaient causé un préjudice financier à la société Eiffage, lui a alloué à titre provisionnel la somme de 500 000 euros en indemnisation de son préjudice et désigné Mme [G] [K] en qualité d'expert afin d'évaluer le préjudice subi par la société Eiffage.

Suite au dépôt du rapport d'expertise le 29 mars 2019 l'affaire a été reprise devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et, par jugement en date du 22 décembre 2020, la juridiction a':

débouté la Sas Sud Ouest Déchets Industriels (Sodi) de ses demandes en nullité du rapport d'expertise de Madame [G] [K],

débouté la Sas Sud Ouest Déchets Industriels (Sodi) de ses demandes fondées sur l'absence d'établissement de lien de causalité,

débouté la Sas Sud Ouest Déchets Industriels (Sodi) de ses demandes fondées sur la non-démonstration de la perte de fonds de commerce,

homologué le rapport d'expertise,

débouté la Sas Eiffage Energie Systèmes Clemessy Services de sa demande de dommages et intérêts pour 2018 et 2019,

débouté la Sas Eiffage Energie Systèmes Clemessy Services de ses demandes visant à l'indemniser au-delà du préjudice évalué à dire d'expert,

condamné la Sas Sud Ouest Déchets Industriels (Sodi) à indemniser la Sas Eiffage Energie Systèmes Clemessy Services la somme de 6.426.103 euros en réparation de l'intégralité du préjudice subi chiffré et ventilé comme suit :

- 3.026.103 euros au titre du préjudice financier lié à la perte de clientèle et de marchés pour les années 2015, 2016 et 2017

- 3.400.000 euros au titre du préjudice lié à la perte de son fonds de commerce.

débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

condamné la Sas Sud Ouest Déchets Industriels (Sodi) à payer à la Sas Eiffage Energie Systèmes Clemessy Services la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

condamné la société Sodi aux entiers dépens de la présente instance, en ce compris le coût des différents procès-verbaux de constats dressés et le coût de l'expertise judiciaire, ainsi que les frais de greffe

rejeté les demandes tendant à voir mettre à la charge du débiteur les droits visés à 1'artic1e 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996, ledit texte spécifiant que ces droits sont à la charge du créancier,

ordonné l'exécution provisoire du jugement

--------

Par acte du 20 janvier 2021 la société Sodi a interjeté appel du jugement.

--------

Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 12 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la Sas Sud Ouest Déchets Industriels demande à la cour de':

Vu le jugement du Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence du 22 décembre 2020,

Vu les articles 16, 112 et suivants du Code de procédure civile,

Vu l'article 455 du Code de procédure civile,

Vu l'article 4 du Code de procédure civile,

Vu l'article 234 du Code de procédure civile,

Vu les articles 237, 275 et 276 du Code de procédure civile,

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu les conclusions de la société Sodi notifiées pour l'audience du 14 octobre 2019,

Vu l'article 26 de la loi organique n°2016-1090 du 8 août 2016,

Vu l'article 7-1 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958,

Vu les pièces versées au débat,

Déclarer la société Sodi recevable et bien fondée en son appel,

Déclarer la société Sodi recevable et bien fondée en toutes ses demandes,

A titre principal :

Juger que le Tribunal d'Aix-en-Provence a, aux termes du jugement rendu le 22 décembre 2020, violé les dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile en ce qu'il s'est abstenu de répondre aux conclusions de la société Sodi,

Juger que le Tribunal d'Aix-en-Provence a, aux termes du jugement rendu le 22 décembre 2020, violé les dispositions de l'article 4 du Code de procédure civile en ce qu'il a dénaturé le litige en proclamant à tort l'autorité de la chose jugée donnée lien de causalité entre la faute et le préjudice (sic),

Reconnaître le conflit d'intérêt entachant la désignation de Madame [G] [K] en qualité d'expert judiciaire à raison de ses liens d'associés avec Monsieur [V] [W], Président de la formation du Tribunal ayant rendu le jugement du 26 novembre 2016,

Juger que l'expert judiciaire [G] [K] a manqué au principe du contradictoire,

Juger que l'expert judiciaire [G] [K] a manqué à son devoir d'impartialité,

Juger que l'expert judiciaire [G] [K] a manqué à son obligation de répondre aux observations de la société Sodi,

Juger que l'expert judiciaire [G] [K] a ainsi manqué aux exigences des articles 275 et 276 du Code de procédure civile,

Juger que ces manquements ont causé grief à la société Sodi,

Juger que le rapport judiciaire du 29 mars 2020 n'établit pas le lien de causalité entre les agissements reprochés à la société Sodi et les marchés et clients concernés,

En conséquence :

Réformer le jugement rendu le 22 décembre 2020 par le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en toutes ses dispositions,

Prononcer la nullité du rapport d'expertise judiciaire du 29 mars 2019,

Désigner tel expert avec pour mission de recueillir l'intégralité des pièces nécessaires à l'évaluation des préjudices subis par la société EES-CS par clients et par marchés et établir lesdits préjudices,

Débouter la société EES-CS de toutes ses demandes,

A titre subsidiaire :

Si par extraordinaire la Cour de céans considérait mal fondée la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire du 29 mars 2019 :

Déclarer que l'état général de la concurrence dans le secteur de la catalyse n'a pas été établi par l'expert judiciaire,

Juger que l'expert judiciaire n'a pas tenu compte du caractère aléatoire du marché de la catalyse à raison de la passation de contrats sous forme d'appels d'offres au moins disant,

Juger qu'il appartenait à la société EES-CS de produire les pièces relatives aux marchés et aux clients,

Juger que l'absence d'examen approfondi des pièces relatives aux marchés et clients n'ont pas permis d'établir le préjudice de la société EES-CS au titre de la perte de marchés et de clients,

Juger que l'arrêt par la société EES-CS de son activité catalyse n'est pas avérée,

En conséquence :

Réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce le 22 décembre 2020,

Débouter la société EES-CS de l'ensemble de ses demandes,

Juger fondée l'évaluation du préjudice lié à la perte de marchés et clients telle que résultant de la consultation de Monsieur [P] [X] en date du 27 septembre 2018, Juger que le préjudice lié à la perte de marchés et de clients ne saurait excéder la somme de 1.204.774 euros,

Déclarer infondée la demande de préjudice au titre de la perte du fonds de commerce « catalyse »,

Condamner la société EES-CS à rembourser à la société Sodi la somme de 6.426.103 euros versée au titre du jugement rendu le 22 décembre 2020 par le tribunal de commerce d' Aix-en-Provence.

En tout état de cause :

Condamner la société EES-CS à verser à la société Sodi une somme de 30.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise avancés.

---------

Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 22 janvier 2025 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la Sas Eiffage Energie Systèmes Clemessy Services, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de':

Vu l'article 1382 ancien du code civil applicable au moment de l'introduction de la demande, ou de l'article 1240 nouveau du même code

Vu le jugement mixte du Tribunal de Commerce d'Aix-en-Provence du 21/11/2016

Vu l'arrêt de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence du 20/06/2019

Vu le rapport d'expertise de Madame [G] [K]

' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

' Débouté la société Sodi de ses demandes en nullité du rapport d'expertise

' Débouté la société Sodi de sa demande fondée sur l'absence d'établissement du lien de causalité

' Débouté la société Sodi de ses demandes relatives à la non démonstration de la perte du fonds de commerce

' Homologué le rapport d'expertise de madame [K]

' Condamné la société Sodi à indemniser la société EEC CS à hauteur de la somme de 6.426.103 ' fixée par l'expert.

' Ordonné l'exécution provisoire

' Condamné Sodi à payer à EES CS la somme de 5.000 ' au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais des divers constats dressés et les frais d'expertise judiciaire

A titre incident :

' Réformer le jugement en ce qu'il a débouté la société EES CS de sa demande visant à voir chiffrer son préjudice financier à la somme de 3.484.597 ', et la voir indemniser à hauteur de 203.140 ' à titre de dommages et intérêts pour la perte enregistrée au cours de l'année 2018 et le début de l'année 2019, non compris dans l'évaluation définitive de Madame [K].

Par conséquent :

' Condamner la société Sodi à verser à la société EES-CS la somme de 7.087.710 ' en réparation de l'intégralité du préjudice subi chiffré et ventilé comme suit :

' 3.484.570 ' au titre du préjudice financier lié à la perte de clientèle et de marchés, pour les années 2015, 2016 et 2017

' 3.603.140 ' au titre du préjudice lié à la perte de son fonds de commerce

' Condamner la société Sodi à payer la société Eiffel la somme de 50.000 ' au titre de l'article 700 du CPC

' Débouter la société Sodi de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

' Condamner la société Sodi aux entiers dépens, distraits au profit de Me Tari sur son affirmation de droits

' Condamner la société Sodi en cas d'exécution forcée du jugement à intervenir à supporter le droit de recouvrement dû à l'Huissier de Justice en application des dispositions de l'article 10 du Décret n° 96/1080 du 12 Décembre 1996 modifiés par le Décret n°2001-212 du 8 Mars 2001.

--------

Le magistrat de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 6 février 2025 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 6 mars 2025.

MOTIFS

Sur la nullité du rapport d'expertise':

Au soutien de son appel, la société Sodi sollicite à titre principal la nullité du rapport d'expertise et la désignation d'un nouvel expert, reprochant également au tribunal de commerce de n'avoir pas répondu à certains moyens soulevés au soutien de sa demande de nullité':

- l'existence d'un conflit d'intérêts

La société Sodi invoque un conflit d'intérêts en raison des liens existant entre l'expert et le président de la formation de jugement, tous deux associés au sein de la société Fiduciaire de Provence, liens qu'elle aurait découverts après le dépôt du rapport. Elle précise qu'une plainte avec constitution de partie civile a été déposée devant le juge d'instruction.

La société Eiffage fait observer en réponse que le président ayant ordonné l'expertise n'est pas celui qui a statué sur le préjudice subi après dépôt du rapport et que cette circonstance n'est pas de nature à jeter le discrédit sur le rapport d'expertise dès lors qu'il n'existe aucun lien entre l'expert et les parties.

Elle pointe de façon générale la volonté de la société Sodi de voir annuler un rapport qui ne lui est pas favorable et conteste les motifs de nullité invoqués par la partie appelante.

Sur ce, aux termes de l'article 175 du code de procédure civile la nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure.

Il en résulte que, tant au visa de l'article 112 du code de procédure civile qu'au visa de l'article 114 du même code, l'inobservation d'une formalité, même substantielle, nécessite en tout état de cause la preuve d'un grief (Cass. 3° civ., 20 avril 2022, n°21-14.182, Cass. 2° civ., 8 septembre 2022, n°12.030).

En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [V] [W], président de la formation de jugement ayant rendu la première décision datée du 21 novembre 2016, était alors associé au sein du cabinet d'expertise comptable Fiduciaire de Provence avec Mme [G] [K], laquelle a été désignée par ce même jugement en qualité d'expert afin de procéder à l'évaluation du préjudice subi par la société Eiffage.

Le motif tiré de la présence ou non de l'expert à l'audience et des modalités de sa convocation est indifférent aux débats dès lors qu'aucune demande n'a été formalisée par les parties à l'encontre de Mme [G] [K], seule la portée de son rapport d'expertise étant contestée. De même, la question de sa rémunération dans l'hypothèse d'une annulation du rapport n'est pas en débat.

Si la question des liens professionnels existant entre le président de la formation ayant ordonné l'expertise et l'expert désigné est légitime, en ce qu'elle est de nature à faire peser une suspicion sur leur impartialité, il apparaît néanmoins qu'en l'espèce, la question relève des seules obligations déontologiques du président de la formation considérant qu'il n'est pas prétendu que M. [W] ait quelque lien que ce soit avec les parties au litige, et pas davantage Mme [K], que la décision a été prise de façon collégiale et que la société Sodi ne démontre pas en quoi la seule désignation de Mme [K] serait de nature à avantager ou desservir une partie au détriment de l'autre du seul fait de la détention par l'expert de parts dans la même société d'expert-comptable que le président M. [W] au moment de sa désignation.

En outre, à supposer même un parti pris de celui-ci sur les responsabilités respectives des parties au regard de la décision rendue par jugement du 21 novembre 2016, retenant la commission par la société Sodi d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Eiffage, il convient d'observer que ledit jugement a fait l'objet d'un appel ainsi que d'un pourvoi en cassation, conduisant à son caractère définitif, et que M. [W] n'a pas participé à la formation de jugement ayant abouti à la décision déférée à la présente cour, de sorte que le motif tenant au conflit d'intérêt et plus généralement au grief inhérent d'impartialité de l'expert, doit être rejeté dès lors qu'il n'est pas caractérisé au cas d'espèce.

- les manquements de l'expert

La société Sodi invoque par ailleurs un manquement de l'expert au principe du contradictoire en l'absence de communication de pièces demandées à la société Eiffage pour l'évaluation de son préjudice au titre de la perte de marchés et la perte de clients, outre un manquement à son devoir d'impartialité, et son absence de réponse à ses dires.

Sur ce, il résulte d'une part de l'article 275 du code de procédure civile que les parties doivent remettre sans délai à l'expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission, et l'expert informe le juge en cas de carence des parties.

Par ailleurs, au visa de l'article 16 du code de procédure civile, et afin d'assurer le respect du contradictoire, les parties doivent avoir communication des pièces et documents utilisés par l'expert (Cass. 3° civ., 26 mai 2009 n°08-16.901).

En l'espèce, il apparaît que la société Sodi, après avoir sollicité en 2017 la communication de certains documents (pièces 79 et 80), a dénoncé dans un dire du 27 septembre 2018 «'une rupture d'égalité de traitement'» à la suite du refus de la société Eiffage de diffuser les appels d'offre auxquels elle avait pu répondre, cette dernière justifiant auprès de l'expert ce refus par l'exigence de confidentialité face à un concurrent direct, et l'expert précisant que «'les offres formulées contiennent le détail des prix pratiqués ainsi que l'organisation interne mise en 'uvre pour la réalisation desdits marché'».

L'expert a ainsi fait le choix d'organiser une réunion, avec l'accord des parties, et pour laquelle elle indique que «'la société Sodi a eu tout le loisir de poser toute question utile au cours de cette réunion, elle a eu accès à l'intégralité des données analytiques et commerciales qu'elle a jugé utiles, elle a pu consulter en détail le contenu de certaines offres commerciales formulées par EES-CS (sondage sur certains éléments prix (sic) de façon aléatoire à ma demande et sur demande de la société Sodi » (pages 53 et 54 du rapport d'expertise de Mme [K], pièce 3 de la société Eiffage).

La société Sodi a ainsi pu visionner des pièces après que l'expert ait eu accès au logiciel de la société Eiffage.

L'expert rapporte également comment elle a procédé à un test aléatoire de rapprochement entre les marchés listés comme perdus par la société Eiffage (anciennement Clemessy Services) sur la période 2015 à 2017 pour ses principaux clients, et les justificatifs de réponse aux appels d'offres ou consultations rédigés par la société et précise qu'elle n'a pas constaté d'anomalie dans ces rapprochements, seule une réponse n'ayant pas été retrouvée (pages 35 et 36 du rapport).

Il résulte de ces éléments que l'expert n'a jamais eu à déplorer l'absence de communication de pièces de la part de la société Eiffage à son égard mais a effectivement fait le choix de ne pas diffuser l'ensemble des pièces produites à l'appui de son rapport, laissant le soin à la société Sodi de solliciter le visionnage de pièces lors d'un accedit, pour des motifs tenant au secret des affaires, étant rappelé que les parties étaient précisément en conflit concernant des faits de concurrence déloyale, et que le marché de la catalyse est qualifié de marché de «'niche'» dès lors qu'il ne concerne qu'un nombre très limité d'intervenants.

Si le principe de la contradiction conduit à assurer une communication loyale et exhaustive des pièces et éléments utilisés par l'expert dans le cadre de ses opérations d'investigations afin de permettre à chaque partie de se défendre en toute connaissance de cause, il apparaît qu'au cas présent la société Sodi ne justifie pas du grief subi alors même que d'une part, elle a pu visionner les pièces utilisées par l'expert pour l'évaluation du préjudice subi par la société Eiffage, et que d'autre part, elle s'est abstenue de saisir le juge en charge du suivi de l'expertise d'une difficulté à cet égard, notamment à l'effet de voir statuer sur le principe de proportionnalité entre le nécessaire respect du contradictoire et la nécessité corrélative d'assurer la protection du secret des affaires.

En effet, au visa de l'article 167 du code de procédure civile seul le magistrat en charge du contrôle de l'expertise est compétent pour statuer sur les difficultés qui surviendraient en cours d'expertise et peut être saisi «'à la demande des parties'».

Dès lors, la société Sodi n'est pas fondée à invoquer a posteriori un grief tiré du non-respect du contradictoire dans le cadre du déroulement des opérations d'expertise alors que sa propre abstention à saisir le juge en charge des expertises a fait obstacle à la résolution du différend.

D'autre part, il résulte des articles 237 et 276 du code de procédure civile que le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité, et doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.

La société Sodi fonde son grief d'impartialité, notamment, sur le refus de Mme [K] de procéder à la communication de l'ensemble des documents détenus par la société Eiffage et justifiant des pertes de marchés et de clients invoqués au soutien de son préjudice.

Eu égard aux motifs d'ores et déjà énoncés ci-dessus il n'y a pas lieu de statuer à nouveau de ce chef.

En outre, les autres griefs énoncés sont relatifs aux critiques formulées à l'encontre des conclusions de l'expert et du résultat de ses investigations mais ne sont pas de nature à caractériser un défaut d'impartialité de sa part, étant observé que chacune des parties a pu largement s'exprimer tout au long des opérations d'expertise qui se sont déroulées entre le 23 janvier 2017, date du premier accedit, et le 19 mars 2019, date du dernier dire adressé par les parties.

Il apparaît ainsi que l'expert a communiqué trois pré-rapports et a conclu son rapport définitif le 29 mars 2019, exposant sur 67 pages (hors annexes) les opérations d'expertise et ses conclusions, et dont il ressort que de nombreux dires ont été formulés par les parties, repris en partie C du rapport (page 53 et suivantes).

Au demeurant, il est produit également des dires émis par la société Eiffage qui font reproche à l'expert de certaines de ses analyses ou réponses, attestant que le «'parti pris'» avancé par la société Sodi à son détriment tient en réalité d'une perception différente du résultat des opérations d'expertise et non d'un manquement au devoir de neutralité de l'expert (pièces 72 et 73 communiquées par la société Sodi).

Par ailleurs, l'expert note à plusieurs reprises les observations faites par la société Sodi et infléchit ou complète au besoin son analyse. Ainsi, dans un paragraphe intitulé «'prise en compte et fiabilité des données chiffrées'» elle expose sa démarche et précise «'cependant, devant les observations exprimées par la société Sodi remettant en cause cette approche, j'ai décidé de mettre en 'uvre des contrôles complémentaires'» (page 12 du rapport).

Ainsi, les arguments invoqués par la société Sodi relèvent du débat au fond en ce qu'ils ont trait à la nature du préjudice subi par la société Eiffage et son quantum, et ne sont donc pas davantage de nature à invalider le rapport d'expertise, comme l'ont retenu les premiers juges.

- l'expert n'a pas établi le lien de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et le préjudice allégué par la société Eiffage

Aux termes du dispositif du premier jugement rendu le 21 novembre 2016 le tribunal de commerce a statué comme suit':

«'Constate que la Sas Sodi a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la Sas Eiffel Industrie,

Dit que ces actes de concurrence ont causé un préjudice financier à la Sas Eiffel Industrie'»

Et il a commis Mme [G] [K] avec pour mission de «'préciser le préjudice financier subi par la Sas Eiffel Industrie, tant au niveau de la perte financière (clients et marchés), que de la désorganisation de l'entreprise du fait des actes de concurrence déloyale commis par la Sas Sodi'» (pièce 1 de la société Eiffage).

Ce jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 20 juin 2019 (pièce 2 de la société Eiffage) et le pourvoi formé à son encontre a fait l'objet d'un arrêt de rejet de la Cour de cassation le 23 juin 2021(pièce 86b de la société Sodi).

Dès lors, la société Sodi ne peut soutenir que l'expert n'a pas établi de lien de causalité entre les faits de concurrence déloyale reprochés et le préjudice subi par la société Eiffage considérant que cette question a été tranchée définitivement par les juridictions saisies du litige et qu'en tout état de cause, l'expert, au visa de l'article 238 du code de procédure civile, ne peut porter d'appréciation d'ordre juridique alors même que l'appréciation du lien existant entre une faute et un préjudice relève des éléments constitutifs de la responsabilité extra-contractuelle, ressortant des seuls pouvoirs du juge.

En revanche, il appartenait à l'expert de préciser le préjudice subi par la société Eiffage conformément à sa mission, et à cet égard, les divergences existant entre les parties quant à la réalité et à l'ampleur du préjudice subi constituent précisément l'objet du débat au fond devant la juridiction saisie suite au dépôt du rapport d'expertise, étant rappelé que le juge n'est pas lié par les conclusions de l'expert et qu'il n'est pas fait interdiction aux parties de communiquer d'autres éléments de preuve à l'appui de leur contestation.

En conséquence, le moyen tiré du défaut de lien de causalité entre les faits reprochés et le préjudice subi relève de l'appréciation des juges, sans qu'il puisse être fait grief à l'expert de n'avoir pas démontré ce lien, lequel a été définitivement tranché dans son principe, sous réserve de la preuve de son quantum, raison pour laquelle une mesure d'instruction a été ordonnée à ce titre.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la nullité du rapport d'expertise soulevée par la société Sodi et rejeté la demande de désignation d'un nouvel expert.

Sur le préjudice subi par la société Eiffage :

Aux termes de l'arrêt rendu le 20 juin 2019 il a été rappelé que l'embauche simultanée de plusieurs salariés d'une même entreprise par une entreprise concurrente pour y remplir les mêmes fonctions est constitutive d'un acte de concurrence déloyale dès lors que par l'ampleur de ce débauchage, celui-ci génère une désorganisation effective de l'activité.

Ainsi, la cour a relevé qu'il résultait des lettres de démission et courriels versés aux débats qu'entre la fin de l'année 2014 et le début de l'année 2015 le chef d'équipe du service catalyseur, son adjoint et onze autres salariés du service employés par la société Clemessy (devenue la société Eiffage) ont démissionné pour être embauchés quelques semaines plus tard aux mêmes fonctions par la société Sodi.

Et il en a été déduit que le service catalyseur de la société Eiffage étant composé d'environ 20 salariés, ce débauchage massif concernant la moitié de la masse salariale avait eu pour conséquence manifeste d'entraîner une désorganisation du service, et ce d'autant plus qu'il concernait la partie la plus qualifiée du personnel.

La cour a par ailleurs retenu que le transfert de clientèle constaté par l'expert judiciaire était une conséquence du transfert massif des salariés et non un acte de concurrence déloyale s'y ajoutant.

Ainsi, il apparaît que le préjudice subi par la société Eiffage a été identifié par le tribunal de commerce comme le préjudice financier lié à la perte de clients et de marchés, préjudice que l'expert a évalué à la somme de 3 026 103 euros, et à la perte financière liée à la désorganisation de l'entreprise, que l'expert n'a pas pu déterminer «'au regard du fonctionnement observé sur la période antérieure au litige'».

En revanche, l'expert a retenu un préjudice lié à la «'perte du fonds de commerce'» qu'elle a évalué à la somme de 3 400 00 euros au 1er janvier 2018 correspondant à l'arrêt de l'activité «'Catalyseur'» par la société Eiffage, qu'elle a estimé «'consécutif à la difficulté rencontrée à retrouver un niveau habituel d'activité suite aux désagréments subis à compter de 2015'» (page 63 du rapport).

Le tribunal de commerce a retenu l'évaluation de l'expert, soit un total de 6 426 103 euros.

La société Sodi conteste l'évaluation du préjudice de la société Eiffage en faisant valoir que Mme [G] [K] n'a pas étudié le marché concerné par le litige et que le tribunal n'a pas répondu aux observations de ses propres experts privés ([P] Deloitte et cabinet [X]), lesquels ont fourni une analyse différente.

Elle admet néanmoins que le préjudice de la société Eiffage est fondé à hauteur de 1'204 774 euros selon l'évaluation de M. [X].

La société Eiffage a formé appel incident en ce qu'elle avait sollicité la somme de 7 087 710 euros au total (3 484 570 euros au titre de la perte de clientèle et de marchés pour les années 2015, 2016 et 2017, outre 3 603 140 euros au titre de la perte de fonds de commerce) et que le tribunal lui a alloué 6 426 103 euros en se basant sur le rapport d'expertise.

Sur ce, il convient de rappeler à titre liminaire que le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le préjudice et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit. Pour autant, cette réparation doit se faire sans perte ni profit pour aucune des parties.

En l'espèce, la société Sodi produit la consultation rédigée par M. [P] [X] et datée du 22 octobre 2018, ainsi que deux rapports du cabinet Deloitte, datés des 3 janvier 2022 et 18 avril 2024, soit pour les deux derniers, postérieurs au jugement déféré et au rapport d'expertise judiciaire déposé le 29 mars 2019.

S'agissant en premier lieu de la prise en compte du marché concerné par la perte d'activité, Mme [K] note que l'activité catalyse peut être scindée en deux groupes d'interventions': d'une part les chantiers relatifs aux grands arrêts, qui sont ponctuels (tous les 5 à 7 ans environ chez les grands pétroliers) et les chantiers plus réduits de maintenance, étant relevé que M. [X] décrit l'activité de catalyse en ces termes «'le catalyseur est une substance chimique accélérant la réaction chimique sans y prendre directement part. Afin de maintenir la réaction dans la durée, il convient de faire réaliser régulièrement par des sociétés spécialisées des opérations de maintenance et régénération des installations de catalyse. L'activité de catalyse s'inscrit comme une spécialité de maintenance industrielle. Elle consiste à vidanger les catalyseurs usagés puis à recharger des catalyseurs neufs. Ces opérations sont plus ou moins complexes, nécessitant parfois d'être réalisées sous atmosphère inerte'» (page 5 du rapport en pièce 68 de la société Sodi).

La société Sodi, sous couvert du rapport du cabinet Deloitte, fait grief à l'expert judiciaire de n'avoir pas distingué ces deux branches d'activité dans la prise en compte de l'évaluation du préjudice subi par la société Eiffage (rapport en pièce 156).

Pour autant, si la distinction entre ces deux branches d'activité ne fait pas débat, de même que la nécessité d'intervenir ou non sous atmosphère inerte selon les missions, il apparaît que le débauchage massif et quasiment simultané de salariés spécialisés dans le domaine de la catalyse, de façon générale, a nécessairement pour effet de désorganiser l'ensemble de l'activité «'catalyse'» sans distinction.

Ainsi l'expert note que «'l'effectif stable est compris entre 17 et 18 de 2012 à 2014, et qu'il chute fortement à 9 en 2015 pour osciller entre 12 et 14 sur les deux années qui suivent'». Elle note par ailleurs que «'ce sont les salariés ayant les 7 des 10 plus importantes rémunérations de l'équipe qui ont été embauchés chez Sodi, représentant de fait la plupart des hommes-clefs du service, et tout particulièrement [L] [T], alors chef du service catalyseur chez EES-CS [la société Eiffage]'».

Au demeurant, le tableau effectué par l'expert est signifiant dès lors qu'en 2014, avant les faits, le chiffre d'affaire de la société Eiffage est de 2 836 443 euros HT, tandis que celui de la société Sodi est de 638 906 euros HT alors que trois ans après, en 2017, le chiffre d'affaires de la société Eiffage a chuté à 649 557 euros HT tandis que dans le même temps celui de la société Sodi a progressé à 2 660 503 euros (pages 17 à 22 du rapport de Mme [K]), ce qui est à mettre en perspective avec le site internet de la société Sodi en 2014 sur lequel elle se prévalait du redémarrage de son activité de vidange et de recharge de catalyseurs sous l'appellation Sodi Cat (procès-verbal de constat du 28 novembre 2014).

De même, le débat relatif au nombre de nouveaux salariés embauchés par la société Eiffage a été documenté par l'expert qui a eu accès aux livres de paie, et qui a rappelé comme explicité ci-dessus les évolutions corrélatives des chiffres d'affaires.

En conséquence, le chiffrage retenu par l'expert au titre du poste de préjudice financier lié à la perte de clients et de marchés peut être mis en lien avec la nature des agissements commis par la société Sodi sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les deux branches d'activités, lesquelles nécessitent en tout état de cause des professionnels qualifiés en matière de catalyse. Ce préjudice, retenu par les premiers juges à hauteur de 3 026 103 euros, doit dès lors être confirmé dans son quantum.

Les demandes additionnelles formées par la société Eiffage, en ce qui concerne les années 2018 et le début de l'année 2019 au titre de la perte enregistrée, n'ont pas vocation à être retenues considérant que l'expert a d'ores et déjà répondu aux objections soulevées par la société Eiffage dans son dire n°11 et a fait le choix de ne pas les intégrer au calcul définitif de la perte de marge. Dès lors, ces objections, qui sont maintenues en cause d'appel, mais ne s'appuient sur aucune consultation technique qui viendrait contredire l'analyse de Mme [U], ne sont pas justifiées.

S'agissant en second lieu de la «'perte de fonds de commerce'», la société Sodi invoque un «'choix délibéré'» de la société Eiffage de fermer son département catalyseur au profit d'«'offres globales de services'».

A la lecture notamment du rapport du cabinet Deloitte daté du 3 janvier 2022 (pièce 146 de la société Sodi) et du rapport d'expertise judiciaire, il apparaît que ce préjudice a été formalisé par l'expert sans être expressément visé par le tribunal de commerce, étant observé qu'il serait en tout état de cause postérieur au jugement ordonnant l'expertise puisque Mme [K] estime que la société Eiffage aurait décidé de cesser son activité catalyse le 31 août 2018.

Au regard du chiffre d'affaires généré en 2014, tel que rappelé ci-dessus, il apparaît peu cohérent qu'une société fasse le choix délibéré de mettre fin à une activité générant un chiffre d'affaires de 2 836 443 euros au titre du département catalyse et ce, alors qu'elle était devenue un acteur majeur dans le domaine de la maintenance industrielle, notamment par le biais de sa direction Sud-Est.

Si la perte de plus de deux millions de chiffre d'affaires en six ans a pu constituer un facteur supplémentaire rendant la restructuration des services de la société Eiffage nécessaire, aucun élément ne permet d'établir avec certitude que les agissements de la société Sodi sont seuls à l'origine de cette restructuration. Il apparaît au contraire que l'évolution a été celle d'une diversification des services dans le cadre d'une offre globale à destination des entreprises.

Ainsi, cette hypothèse ressort notamment des déclarations de M. [M] [B], président directeur général de la société Eiffage, qui affirme en 2017, que les clients cherchent avant tout un service répondant à «'des besoins de plus en plus globaux, transverses et décloisonnés'» (pièce 39 de la société Sodi).

Par ailleurs, au-delà de la carence des pièces communiquées à l'expert judiciaire afin d'attester de l'arrêt de l'activité catalyse par la société Eiffage, arrêt qui repose davantage sur les allégations de celle-ci que sur une réalité attestée, il apparaît que manifestement cette orientation procède d'un choix stratégique qui ne peut être mis en lien avec le débauchage massif de la société Sodi dès lors que l'expert judiciaire note que «'l'effectif stable est compris entre 17 et 18 de 2012 à 2014'» et qu'après une chute importante en 2015, il oscille entre 12 et 14 sur les deux années qui suivent.

Au demeurant, l'étude du chiffre d'affaires de la société Eiffage démontre qu'en 2016 elle a réussi à dégager un chiffre de 1 369 408 euros, attestant d'un redémarrage significatif de son activité, lequel apparaît peu compatible avec le choix d'un arrêt de cette branche pour des motifs économiques.

Il ressort en outre des propres déclarations de la société Eiffage qu'elle a été destinataire de deux commandes d'arrêts réglementaires programmés intégrant des prestations de catalyse en 2019 et 2020, étant rappelé que l'expert, lorsqu'elle décrit les deux branches d'activité, précise que les «'grands arrêts'» opérés par les sites pétroliers n'ont une récurrence que de 5 à 7 ans, n'excluant pas que la baisse d'activité de la société Eiffage soit également la conséquence de ces cycles.

En tout état de cause, la société Eiffage, qui possédait le matériel et l'outillage adéquats ainsi que le savoir-faire, au-delà du départ d'une dizaine de salariés qualifiés, ne justifie pas d'une impossibilité de procéder à un nouvel essor de son activité avec les salariés restants (9) et ceux présents en 2016 et 2017 (soit entre 12 et 14 selon l'expert).

Ainsi, si la réalité de l'arrêt d'un département spécifique «'catalyse'» au sein de la société Eiffage apparaît plausible, la «'perte du fonds de commerce'» alléguée par cette dernière, et retenue pas l'expert, n'apparaît pas sérieusement étayée et ne peut, en toutes hypothèses, être imputée aux seuls agissements de la société Sodi au regard du potentiel de reprise de l'activité, nonobstant l'indemnisation retenue, à juste titre, pour le préjudice résultant de la perte des marchés et de la perte de clients consécutifs au débauchage massif.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la Sas Sud Ouest Déchets Industriels (Sodi) de ses demandes fondées sur la non-démonstration de la perte de fonds de commerce, homologué le rapport d'expertise, et condamné la Sas Sud Ouest Déchets Industriels (Sodi) à indemniser la Sas Eiffage Energie Systèmes Clemessy Services à hauteur de la somme de 3'400 000 euros au titre du préjudice lié à la perte de son fonds de commerce, et statuant à nouveau, il y a lieu de débouter la société Eiffage de sa demande en paiement de la somme de 3 400 000 euros au titre de la perte du fonds de commerce.

Sur les frais et dépens':

La société Eiffage est partie succombante à titre principal en cause d'appel. Cependant, considérant qu'il serait inéquitable de faire peser sur elle la charge des frais et dépens résultant des agissements déloyaux dont la société Sodi est seule responsable et qui ont généré des frais conséquents destinés à assurer sa représentation aux opérations d'expertise et aux procédures engagées, il y a lieu de condamner la société Sodi aux dépens de l'instance d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et de la condamner en sus à la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, il n'y a pas lieu de statuer sur les frais prévus par l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 étant rappelé que l'indemnité prévue à l'article 700 du code de procédure civile a précisément pour vocation d'indemniser le créancier des frais restés à sa charge.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement rendu le 22 décembre 2020 par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence sauf en ce qu'il a débouté la Sas Sud Ouest Déchets Industriels (Sodi) de ses demandes fondées sur la non-démonstration de la perte de fonds de commerce, homologué le rapport d'expertise, et condamné la Sas Sud Ouest Déchets Industriels (Sodi) à indemniser la Sas Eiffage Energie Systèmes Clemessy Services à hauteur de la somme 3'400 000 euros au titre du préjudice lié à la perte de son fonds de commerce,

Statuant à nouveau,

Déboute la société Eiffage, anciennement Eiffage Energie Systèmes Clemessy Services, de sa demande en paiement de la somme de 3 400 000 euros au titre de la perte du fonds de commerce,

Y ajoutant,

Condamne la société Sodi aux dépens de l'instance d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Sodi à payer à la société Eiffage la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site