CA Chambéry, 1re ch., 3 juin 2025, n° 22/01578
CHAMBÉRY
Autre
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
La Chablisienne (Sté)
Défendeur :
Agence Alpes Vins (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hacquard
Conseillers :
Mme Reaidy, M. Sauvage
Avocats :
SCP Conte Souvy, SCP Lyand - Fosseprez, SAS Anderlaine
Faits et procédure
La société Agence Alpes Vins, agent commercial multicarte exerçant dans le domaine de la vente de vin, représente la société coopérative agricole La Chablisienne de manière exclusive sur le département de la Savoie depuis le 1er avril 2000.
La société Agence Alpes Vins transmet les commandes à la société La Chablisienne qui livre et facture les clients directement. Cette dernière transmet un relevé de commissions sur la base duquel la société Agence Alpes Vins établit une facture trimestrielle qu'elle adresse à la société La Chablisienne, sur les bases suivantes :
- 16% de commission pour les ventes réalisées au sein du réseau local des cafés, hôtels et restaurants (CHR) ;
- 10% de commission pour les ventes réalisées au profit des cavistes et grossistes.
Au cours de ces dernières années, la société Agence Alpes Vins a augmenté ses ventes en ligne principalement par le biais de son client Vinatis, jusqu'à atteindre 80% de son chiffre d'affaires annuel.
Par courriel en date du 27 mai 2021, la société La Chablisienne a informé sa mandataire de ce qu'elle ne souhaitait plus répondre aux commandes passées sur les sites de vente en ligne.
Par courrier recommandé du 30 août 2021, la société Agence Alpes Vins, considérant qu'il s'agirait d'une rupture de contrat à l'initiative de sa mandante, a demandé à cette dernière de l'informer de la manière dont elle pensait gérer ladite rupture.
Par courrier recommandé du 22 septembre 2021, la société La Chablisienne a rappelé à la société Agence Alpes Vins son souhait de changer sa politique de vente sans rompre le contrat.
Suivant exploit en date du 25 octobre 2021, la société Agence Alpes Vins a fait assigner devant le tribunal de commerce de Chambéry la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3], notamment aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat d'agent commercial liant les parties pour changement brutal de politique commerciale imputable au mandant et obtenir des dommages et intérêts.
Par jugement du 27 juillet 2022, le tribunal de commerce de Chambéry, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- Prononcé la résiliation du contrat d'agent commercial liant la société Agence Alpes Vins (le mandataire), à la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3], (le mandant), à la date du présent jugement ;
- Dit que la résiliation du contrat d'agent commercial liant la société Agence Alpes Vins à la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] est la conséquence de faits imputables à la société La Chablisienne ;
- Déclaré régulières, recevables et bien fondées les demandes principales de la société Agence Alpes Vins à l'encontre de la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] au titre :
- de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi,
- de l'indemnité compensatrice de préavis,
- des dommages et intérêts pour résistance qualifiée d'abusive et faute du mandant,
- Débouté la société Agence Alpes Vins de sa demande en paiement de commissions dues pour des opérations commerciales intervenues grâce à son intervention jusqu'à la résiliation du contrat d'agent commercial ;
- Débouté la société Agence Alpes Vins de sa demande en paiement de commissions dues au titre du droit de suite ;
- Condamné la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] à payer, en deniers ou quittances valables, à la société Agence Alpes Vins :
- la somme de 55.530,40 euros, montant principal de la cause sus-énoncée,
- la somme de 6.941,30 euros, montant principal de la cause sus-énoncée,
- la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la faute de la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3],
- la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- les dépens.
Au visa principalement des motifs suivants :
' la société Agence Alpes Vins est contractuellement libre dans ses démarches de vendre les produits de la société La Chablisienne par tous les moyens qu'elle jugera utiles de mettre en 'uvre y compris le démarchage de sites de vente en ligne, et ce sans plafonnement des allocations correspondantes ;
' la société La Chablisienne a procédé à une modification majeure unilatérale du contrat de mandat d'agent commercial de la société Agence Alpes Vins, conduisant à une perte conséquente du chiffre d'affaires de cette dernière que le mandant ne pouvait ignorer ;
' dès lors que le contrat a été modifié unilatéralement par le mandant, en dépit de l'opposition clairement exprimée par son mandataire, la société Agence Alpes Vins est bien fondée à demander la reconnaissance de la rupture du contrat aux torts exclusifs de la société La Chablisienne ;
' il convient de fixer le montant de l'indemnité compensatrice due à l'agent commercial à deux années de rémunérations brutes calculées sur la base des rémunérations perçues au cours des trois dernières années précédant la rupture du contrat ;
' la société La Chablisienne, qui invoque un cas de force majeure pour justifier sa décision unilatérale de modifier le contrat, n'apporte pas la preuve du caractère irrésistible des événements dont elle se prévaut, puisque ces derniers viennent perturber l'exécution du contrat mais ne rendent pas son exécution impossible;
' les dispositions de l'article L. 134-11 du code de commerce sont applicables à l'espèce, et justifient de condamner la société La Chablisienne au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis équivalente à 3 mois, calculée sur les mêmes bases que l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi;
' la mauvaise foi de la société La Chablisienne se trouve notamment caractérisée par son exploitation d'un site en ligne sur lequel elle met en vente ses produits, ce qui démontre son intention d'éliminer les intermédiaires, au préjudice de son agent commercial.
Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 29 août 2022, la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions hormis en ce qu'il a :
- Débouté la société Agence Alpes Vins de sa demande en paiement de commissions dues pour des opérations commerciales intervenues grâce à son intervention jusqu'à la résiliation du contrat d'agent commercial ;
- Débouté la société Agence Alpes Vins de sa demande en paiement de commissions dues au titre du droit de suite.
Prétentions et moyens des parties
Aux termes de se dernières écritures, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, soit celles du 22 août 2023, les conclusions du 04 Février 2025 étant postérieures à la clôture et comme telles irrecevables, la société La Chablisienne sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
- Débouter la société Agence Alpes Vins de l'ensemble des demandes, fins et conclusions à son encontre au titre de la rupture du contrat d'agent ;
- Condamner la société Agence Alpes Vins à lui payer la somme de 82.124,25 euros à titre d'indemnité pour non-respect du préavis ;
- Condamner la société Agence Alpes Vins à lui la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société La Chablisienne fait notamment valoir que :
' aucune pièce du dossier ne caractérise la moindre volonté de sa part de rompre le contrat la liant à la société Agence Alpes Vins, puisqu'elle a uniquement expliqué son adaptation aux ruptures de stock, et a continué d'exécuter le contrat ;
' son agent commercial n'a pas tenu compte du risque qu'il faisait peser sur elle en concentrant les ventes sur un seul distributeur et en raison de l'inadéquation des tarifs et des volumes pratiqués par les sites de vente en ligne au regard de la faible marge générée sur ce secteur et de ses contraintes de stock ;
' en tant que coopérative agricole, ayant pour obligation de travailler exclusivement avec les récoltes apportées par ses adhérents, elle ne peut se fournir ailleurs, ce qui la contraint, en cas de baisse de production liée à de mauvaises récoltes, comme en l'espèce, à réguler l'écoulement de son stock en réservant ses ventes aux seuls clients générateurs de marges ;
' alors qu'elle se trouve confrontée depuis plusieurs années à une production en baisse, et que les viticulteurs du Chablisien ont perdu entre 80 et 90% de leurs récoltes suite aux gelées survenues en avril 2021, elle s'est trouvée dans l'incapacité de fournir le marché de gros, dont les sites de vente en ligne ;
' c'est bien son agent commercial qui a pris l'initiative de la rupture du contrat, sans prendre en compte les difficultés auxquelles elle se trouvait confrontée ;
' le mandant confronté à des difficultés d'approvisionnement ne peut être responsable de la cessation de ses relations avec l'agent commercial ;
- les accidents climatiques survenus en 2021 constituent un cas de force majeure, faisant obstacle au paiement de la moindre indemnité de préavis;
' elle est au contraire fondée à obtenir le paiement d'une telle indemnité, dès lors que c'est l'agent commercial qui a pris l'initiative de la rupture du contrat liant les parties.
Par dernières écritures du 15 février 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Agence Alpes Vins demande à la cour de :
- Réformer le jugement du tribunal de commerce de Chambéry du 27 juillet 2022 en ce qu'il a condamné la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] à lui payer, en deniers ou quittances valables :
- la somme de 55.530,40 euros, montant principal de la cause sus énoncée,
- la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la faute de la société La Chablisienne ;
Statuant à nouveau sur ces points,
- Condamner la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] à lui payer, en deniers ou quittances valables les sommes suivantes :
- 83.295,60 euros à titre d'indemnité compensatrice pour rupture du contrat d'agence commerciale pour faits imputables au mandant,
- 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la faute de la société La Chablisienne, au surplus,
- Condamner la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] à lui payer la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés devant la cour d'appel, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] aux dépens d'appel ;
- Débouter la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] de l'ensemble de ses prétentions et demandes.
Au soutien de ses prétentions, la société Agence Alpes Vins fait notamment valoir que :
' la société La Chablisienne avait conscience qu'en décidant unilatéralement de ne plus honorer les commandes du site en ligne Vinatis, elle allait de facto subir une importante réduction de sa commission, puisque ce client représentait 80% de son chiffre d'affaires ;
' cette décision unilatérale et brutale de la société La Chablisienne a modifié profondément l'équilibre économique du contrat d'agent commercial qu'elle exécutait loyalement depuis 21 ans ;
' l'initiative de la rupture du contrat est imputable au mandant lorsqu'il impose à son agent commercial une diminution de sa rémunération, ou qu'il modifie de manière unilatérale sa politique commerciale, comme en l'espèce ;
' la société La Chablisienne ne s'est nullement trouvée confrontée à un cas de force majeure, qui l'aurait empêchée d'honorer les commandes et en tout état de cause, la force majeure ne permet pas de s'exonérer du paiement de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce ;
' son mandant a créé une concurrence en développant son propre réseau de vente en ligne, lui permettant de vendre directement ses produits en évinçant tous les revendeurs locaux ;
' elle a toujours cherché à développer sa clientèle CHR, mais ces efforts ne peuvent compenser la perte de son client Vinatis ;
' aucune faute ne peut lui être reprochée, puisqu'elle n'a fait que remplir la mission qui lui était confiée par son mandant, et ce jusqu'au jugement rendu le 27 juillet 2022 ;
' la nouvelle politique commerciale de la société La Chablisienne ne rend plus intéressante pour elle la poursuite de son contrat d'agent commercial pour l'avenir, ce qui lui cause un lourd préjudice qui doit être indemnisé;
' au regard de la durée de la relation contractuelle, qui a en réalité commencé en 1988, elle est fondée à obtenir le paiement d'une indemnité compensatrice de rupture égale à trois années de rémunération, outre des dommages et intérêts pour non-respect du délai de préavis de trois mois ;
' la mauvaise foi de sa contractante lui a causé un préjudice qui doit également être indemnisé.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 3 février 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 15 avril 2025.
Motifs de la décision
Aux termes de l'article L. 134-4 du code de commerce, « les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat ».
Il résulte par ailleurs de la combinaison des articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, même résultant de son initiative, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, lorsque la rupture des relations contractuelles se trouve justifiée par des circonstances imputables au mandant.
Il se déduit en l'espèce de l'examen des courriers échangés entre les parties que, suite à l'annonce qui lui a été faite par son mandant, par courriel en date du 27 mai 2021, de ce qu'il ne souhaitait plus répondre aux commandes passées sur les sites de vente en ligne, en particulier celui géré par la société Vinatis, c'est bien la société Agence Alpes Vins qui a souhaité mettre un terme aux relations contractuelles liant les parties suivant courrier recommandé du 30 août 2021.
La société La Chablisienne a en effet réitéré de manière constante auprès de son agent commercial sa volonté de poursuivre leur collaboration. Du reste, il est constant que celle-ci s'est poursuivie postérieurement au 30 août 2021, et qu'elle aurait pris fin de manière effective, selon l'intimée, suite au jugement entrepris du 27 juillet 2022, ayant prononcé la résiliation du contrat.
L'appelante justifie clairement, par les pièces qu'elle verse aux débats, de ce que le changement de politique commerciale qu'elle a annoncé à son mandataire le 27 mai 2021 était motivé par des considérations qui peuvent apparaître légitimes de son point de vue. En effet, la nouvelle orientation prise par la société La Chablisienne, consistant à cesser d'honorer les commandes provenant des sites de vente en ligne, tels que celui géré par la société Vinatis, faisait suite à un épisode climatique qualifié d' « inédit » par la presse, survenu en avril 2021, ayant conduit à la perte d'environ 60 % des récoltes dans le domaine viticole du [Localité 3].
Cette circonstance pouvait naturellement conduire la société coopérative agricole, qui se trouvait ainsi confrontée à une baisse importante des volumes à commercialiser, à réguler les stocks dont elle disposait pour privilégier sa clientèle CHR (cafés, hôtels et restaurants), lui assurant des marges plus importantes, au détriment des sites de vente en ligne, étant observé que son statut de société coopérative lui interdit de s'approvisionner en dehors des récoltes apportées par ses adhérents.
Le contexte de reprise post-Covid du marché des hôteliers et restaurateurs, qu'elle souhaitait accompagner, ainsi que le souci de préserver son image de marque, étaient également de nature à justifier ce changement de politique commerciale, outre d'autres circonstances qu'elle a notamment détaillées dans le courriel adressé à sa contractante le 27 mai 2021, liées à une inflation du prix des intrants et des matières sèches.
Il convient d'observer, cependant, que la décision prise par sa mandante de cesser d'honorer les commandes provenant du site Vinatis a modifié de manière substantielle l'économie générale du contrat liant les parties, puisque les commissions provenant de ce client représentaient, en 2020, 76 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Agence Alpes Vins auprès de la société La Chablisienne, un chiffre en augmentation constante, passé de 32 % en 2012 à 83 % au cours des premiers mois de l'année 2021. Un tel changement de politique commerciale ne peut qu'être analysé, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, comme étant une modification unilatérale de la convention par le mandant, ayant des répercussions économiques considérables sur son agent commercial.
Force est de constater, en outre, que la décision prise par l'appelante a présenté un caractère brutal pour la société Agence Alpes Vins, puisqu'elle n'a été précédée d'aucune discussion ou négociation préalable entre les parties. Par ailleurs, comme le souligne l'intimée, cette décision apparaît en contradiction flagrante avec la revalorisation de 2 % supplémentaire, intervenue en février 2021, du montant des commissions attribuées à ses agents commerciaux pour les ventes intervenues au profit des cavistes et grossistes, comprenant les sites de vente en ligne.
Du reste, il est important de noter qu'à aucun moment, avant d'opérer ce changement de politique commerciale, la société La Chablisienne n'a adressé à sa contractante le moindre grief ni observation sur l'évolution de son activité, de plus en plus centrée sur le site Vinatis, alors que l'activité globale était par ailleurs en constante augmentation, le chiffre d'affaires dégagé par l'agent commercial à son profit étant passé de 43 842 euros en 2012 à 333 942 euros en 2020, essentiellement grâce à l'apport de ce client. Elle ne saurait, dans ces conditions, reprocher à son agent commercial de s'être trop exposé à un risque lié à un client unique, alors qu'elle ne lui en a jamais fait le reproche et qu'elle l'a au contraire encouragé dans cette voie en augmentant le taux de commission y afférent.
Il convient de relever également que la société La Chablisienne n'a adressé à sa contractante aucune proposition de compensation du préjudice qu'elle subissait suite à sa décision unilatérale.
D'une manière plus générale, il ne peut qu'être constaté que l'appelante n'a pas respecté l'intérêt commun contractuel des parties, ni mis son agent en mesure d'exécuter son mandat au sens de l'article L. 134-4 du code de commerce.
En tout état de cause, il est de jurisprudence constante que si le mandant peut être amené à adapter les termes du contrat en raison de circonstances économiques ou structurelles légitimes, comme c'est le cas en l'espèce, cette légitimité ne saurait l'exonérer de ses responsabilités envers son agent commercial dès lors que les modifications opérées ont des conséquences graves pour celui-ci, et en particulier lorsqu'elles se traduisent par une baisse importante de ses commissions. Il en est de même lorsque ces modifications ont pour effet de désorganiser la relation contractuelle ou d'en altérer gravement les conditions économiques, comme en l'espèce (voir sur ce point notamment : Cour de cassation, Com, 6 novembre 2012, n°11-25.481).
Au regard de ces constatations, le jugement entrepris ne pourra qu'être confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat d'agent commercial liant les parties et dit que cette résiliation est la conséquence de faits imputables à la société La Chablisienne.
La société La Chablisienne ne peut en outre valablement invoquer la force majeure pour se soustraire au paiement de l'indemnité compensatrice de rupture prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce puisque cette dernière ne constitue nullement un mécanisme de responsabilité civile pouvant impliquer la prise en compte de la force majeure, mais s'analyse en une créance légale d'ordre public économique dont le mandant ne peut être exonéré que dans les trois cas limitativement énumérés par ce texte, parmi lesquels ne figure pas la force majeure.
L'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 134-11 du code de commerce, dont le sort suit celui de l'imputabilité de la rupture (Cour de cassation, Com, 4 février 2014, n°12-14.466), ne trouve par contre pas à s'appliquer en cas de force majeure. Cependant, comme l'ont constaté les premiers juges, l'appelante ne caractérise nullement l'impossibilité dans laquelle elle se serait trouvée, suite aux événements climatiques auxquels elle a été confrontée en avril 2021, d'exécuter sa prestation, alors qu'elle indique elle-même avoir privilégié une autre clientèle plus rentable au détriment des sites de vente en ligne.
D'une manière plus générale, ces événements climatiques, ayant fortement perturbé les récoltes, auraient certes pu la conduire, de manière irrésistible, à ne pas honorer ponctuellement les commandes provenant des sites de vente en ligne, mais ne pouvaient justifier un arrêt total et brutal de leur approvisionnement, au préjudice de son agent commercial, pour le futur, ainsi qu'elle l'a décidé. Aucun cas de force majeure ne se trouve ainsi caractérisé.
Il est de jurisprudence constante d'évaluer le montant de l'indemnité compensatrice de rupture de l'article L. 134-12 à deux années de rémunérations brutes, calculées sur la base des rémunérations HT perçues par l'agent au cours des trois années précédant la cessation des relations contractuelles, soit en l'espèce 83 295, 60 euros /3 années x 2 années = 55 530, 40 euros.
La cour dispose d'éléments suffisants, notamment au regard du chiffre d'affaires total réalisé par la société Agence Alpes Vins, des circonstances de la rupture, ainsi que de l'ancienneté de la relation contractuelle, pour entériner l'évaluation qui a été faite par les premiers juges de ce chef.
Le montant de l'indemnité compensatrice de préavis, équivalente à trois mois, qui a été allouée à l'intimée, n'est quant à lui pas contesté. Dès lors que la résiliation du contrat est la conséquence de faits imputables à la société La Chablisienne, la demande qui est formée par cette dernière à ce titre ne pourra qu'être rejetée.
En définitive, le jugement entrepris sera donc confirmé de l'ensemble de ces chefs.
La société Agence Alpes Vins réclame, en sus, des dommages et intérêts en réparation du préjudice qui lui aurait été causé par la mauvaise foi et la résistance abusive de sa contractante.
Force est de constater, cependant, qu'elle ne caractérise nullement la mauvaise foi de l'appelante, ni l'existence d'un préjudice distinct de celui qui se trouve réparé par les indemnités qui lui ont d'ores et déjà été accordées.
Il convient de relever, en particulier, que l'intimée ne rapporte nullement la preuve de ce que le site internet de vente de ses produits, dont aucune des parties ne précise la date de création, aurait été lancé par la société La Chablisienne pour évincer ses agents commerciaux. Aucune précision n'est ainsi apportée sur les tarifs pratiqués sur ce site, ni sur son fonctionnement, permettant de caractériser une mise en concurrence des agents opérant au bénéfice de l'appelante.
Par ailleurs, comme il a été précédemment exposé, il est justifié par la société La Chablisienne de circonstances légitimes qui pouvaient justifier le changement de politique commerciale qu'elle a opéré en mai 2021, ce qui est de nature à exclure sa mauvaise foi. Quant à la résistance abusive qui lui est imputée, elle ne se déduit d'aucun élément du dossier, alors qu'elle pouvait légitimement se méprendre, tant en première instance qu'en appel, sur l'étendue de ses droits.
Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef et, statuant à nouveau, la demande de dommages et intérêts formée par la société Agence Alpes Vins sera rejetée.
En tant que partie perdante, la société La Chablisienne sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Agence Alpes Vins la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en appel. La demande qu'elle forme de ce chef sera par contre rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine :
Infirme le jugement rendu le 27 juillet 2022 par le tribunal de commerce de Chambéry en ce qu'il a :
- déclaré bien fondée la demande formée par la société Agence Alpes Vins à l'encontre de la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] au titre des dommages et intérêts pour résistance qualifiée d'abusive et faute du mandant,
- condamné la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] à payer, en deniers ou quittances valables, à la société Agence Alpes Vins la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la faute de la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3],
Statuant à nouveau de ces chefs,
Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société Agence Alpes Vins pour résistance qualifiée d'abusive et faute du mandant,
Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions,
Condamne la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] aux dépens d'appel,
Condamne la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3] à payer à la société Agence Alpes Vins la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande formée à ce titre par la société La Chablisienne, Cave Coopérative De [Localité 3] et subsidiairement La Cave Chablisienne Cave Des Vignerons De [Localité 3] Union Des Viticulteurs De [Localité 3].
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.