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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 27 mai 2025, n° 24/04753

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 24/04753

27 mai 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 27 MAI 2025

N° RG 24/04753 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-N7XC

Monsieur [O] [V]

c/

S.E.L.A.R.L. [5]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié aux parties par LRAR le :

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 octobre 2024 (R.G. 22/00016) par le Tribunal Judiciaire de LIBOURNE suivant déclaration d'appel du 29 octobre 2024

APPELANT :

Monsieur [O] [V], né le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 6] (MAROC), de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

Représenté par Maître Natacha BEAUVILAIN, avocat au barreau de LIBOURNE, et assisté de Maître Prisilla RIPERT de la SELARL RIPERT, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.E.L.A.R.L. [5], immatriculée au RCS de Bordeaux sous le numéro [N° SIREN/SIRET 3], prise en la personne de Maître [G] [Y], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SCEA [7] [V] selon jugement du Tribunal Judiciaire de LIBOURNE du 27 juin 2022, domicilié en cette qualité [Adresse 4].

Représentée par Maître Samantha GAUCHER-PIOLA substituant Maître Alexis GAUCHER-PIOLA, avocat au barreau de LIBOURNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 avril 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE:

1- La société civile d'exploitation agricole (SCEA) [7] [V], qui exploitait une propriété viticole, a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 27 juin 2022 du tribunal judiciaire de Libourne, qui a désigné la Selarl [5]' en qualité de liquidateur.

Le liquidateur a estimé qu'il existait des flux financiers anormaux entre la SCEA [7] [V] et l'un des associés, M. [O] [V].

Par acte de commissaire de justice du 11 septembre 2023, la SELARL [5]' es qualités a fait assigner M. [V] devant le tribunal judiciaire de Libourne pour voir prononcer à son égard l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la SCEA [7] [V].

Par jugement du 21 octobre 2024, le tribunal judiciaire de Libourne a :

- Ordonné la jonction de la procédure de Monsieur [O] [V] enregistrée sous le RG 24/12 la procédure de la SCEA [7] [V] enregistrée sous le RG 22/16.

- Constaté la confusion des patrimoines de la SCEA [7] [V] et de Monsieur [O] [V].

- Prononcé l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la SCEA [7] [V] à Monsieur [O] [V] sur son patrimoine professionnel.

- Maintenu Tiphaine Dumortier en qualité de juge commissaire ou tout magistrat délégué comme juge commissaire.

- Maintenu la SELARL [5]' prise en la personne de Maître [Y], en qualité de liquidateur.

- Désigné Maître [B] [R], commissaire-priseur, pour dresser un inventaire et réaliser une prisée du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent.

- Rappelé au débiteur qu'en vertu de l'article L 641-9 du code de commerce il ne peut exercer, au cours de la liquidation judiciaire, aucune des activités mentionnées à l'article L 640-2 du code de commerce.

- Ordonné la mention du présent jugement sur le registre spécial du greffe du tribunal judiciaire, sa publicité au BODACC et dans un journal d'annonces légales ainsi que sa notification au débiteur et, si nécessaire, sa mention au registre du commerce et des sociétés.

- Rejeté le surplus des demandes des parties

- Ordonné l'emploi des dépens en frais de liquidation judiciaire.

2- Par déclaration au greffe du 29 octobre 2024, M. [O] [V] a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SELARL [5]'.

Par ordonnance du 14 novembre 2024, notifiée aux parties le même jour, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 1er avril 2025.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

3- Par conclusions déposées en dernier lieu le 4 décembre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. [V] demande à la cour de :

Vu les articles L. 621-2 et L. 641-1 du code de commerce

- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Libourne en date du 21 octobre 2024 en ce qu'il :

' ordonne la jonction de la procédure de Monsieur [O] [V] enregistrée sous le RG 24/12 la procédure de la SCEA [7] [V] enregistrée sous le RG 22/16,

' constate la confusion des patrimoines de la SCEA [7] [V] et de Monsieur [O] [V],

' prononce l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la SCEA [7] [V] à Monsieur [O] [V] sur son patrimoine professionnel,

' maintien Tiphaine Dumortier en qualité de juge commissaire ou tout magistrat délégué comme juge commissaire,

' maintien la SELARL [5] prise en la personne de Maître [Y], en qualité de liquidateur,

' désigne Maître [B] [R], commissaire-priseur, pour dresser un inventaire et réaliser une prisée du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent, - rappelle au débiteur qu'en vertu de l'article L641-9 du code de commerce il ne peut exercer, au cours de la liquidation judiciaire, aucune des activités mentionnées à l'article L640-2 du code de commerce,

' ordonne la mention du présent jugement sur le registre spécial du greffe du tribunal judiciaire, sa publicité au BODACC et dans un journal d'annonces légales ainsi que sa notification au débiteur et, si nécessaire, sa mention au registre du commerce et des sociétés,

' rejette le surplus des demandes des parties,

' ordonne l'emploi des dépens en frais de liquidation judiciaire.

Et statuant à nouveau :

- Débouter la SELARL [5] prise en la personne de Maître [G] [Y] és qualités de liquidateur judiciaire de la SCEA [7] [V] de l'intégralité de ses demandes.

4- Par conclusions déposées en dernier lieu le 9 janvier 2025, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Selarl [5], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCEA [7] [V], demande à la cour de :

Vu la loi n° 2002-172 du 14 février 2022 n° sur l'entrepreneur individuel,

Vu les articles L 621-2 et L 641-1, L622-20 et L641-4 du code de commerce,

Vu l'article L 526-22 du code de commerce,

Vu l'article R 661-1 du code de commerce,

Vu l'article 9 du code de procédure civile,

Vu l'article 1315 du code civil,

- Déclarant l'appelant recevable en son appel mais mal fondé, le débouter de ses demandes

- Déclarant la SELARL [5]' recevable en son appel incident, confirmer la décision entreprise sauf en ce qu'elle a étendu la procédure de liquidation judiciaire de la SCEA [7] [V] au seul patrimoine professionnel de Monsieur [O] [V] et, dès lors, juger que la procédure de liquidation judiciaire de la SCEA [7] [V] sera étendue à Monsieur [O] [V] et confirmer la décision sur les autres points.

- Constatant que Monsieur [O] [V] n'est pas entrepreneur individuel et ne saurait donc bénéficier d'un patrimoine professionnel distinct, juger que la liquidation judiciaire de la SCEA ne saurait être étendue qu'à son seul patrimoine professionnel, infirmant sur ce seul point la décision critiquée.

- Constatant que Monsieur [O] [V] est titulaire d'un compte courant d'associé débiteur de la somme de 197 405,63 euros qui n'était au demeurant aucunement contestée.

- Juger qu'il existe des flux financiers anormaux et la mise à disposition de moyens sans contrepartie entre le patrimoine de la SCEA [7] [V] et le patrimoine de [O] [V] constituant la confusion des patrimoines, confirmant sur ce point la décision critiquée.

- Prononcer l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la SCEA [7] [V] à Monsieur [O] [V].

- Condamner Monsieur [O] [V] à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens.

Le dossier a été communiqué au Ministère Public, lequel, par avis du 19 février 2025, conclut à la confirmation du jugement et s'en rapporte sur l'appel incident du mandataire liquidateur. Cet avis a été communiqué aux parties par son versement au dossier informatique du greffe le même jour.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 18 mars 2025.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur l'appel principal de M. [V]

Moyens des parties:

5- Monsieur [O] [V], appelant, soutient que la caractérisation de la confusion de patrimoines manque en fait, puisque n'est pas caractérisée l'anormalité de sa relation avec la SCEA. Il fait valoir que la confusion de patrimoines ne découle pas nécessairement de situations anormales, et que les comptes d'associés assurent à la société des facilités de trésorerie ; que la situation de son compte courant ne s'est dégradée qu'après 2006, par l'affectation de résultats déficitaires cumulés ; que les flux financiers ne sont pas anormaux, mais au contraire faibles eu égard à son investissement dans les affaires courantes de la SCEA.

6- Le mandataire liquidateur soutient la confirmation du jugement d'extension de la procédure, faisant notamment valoir que la confusion des patrimoines s'évince notamment de flux financiers anormaux, et que l'arrêté des comptes au 31 décembre 2021 fait apparaître un compte courant d'associé de M. [V] débiteur de 197 405,63 euros, créance particulièrement importante au regard des chiffres d'affaires et résultats de la société.

Réponse de la cour,

7- Il résulte des dispositions de l'article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce, applicable à la liquidation judiciaire par renvoi de l'article L. 641-1 de ce code, que, à la demande, notamment, du mandataire judiciaire, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale.

8- La confusion des patrimoines peut résulter de leur imbrication ou de flux financiers anormaux.

9- En l'espèce, il est établi que M. [V] disposait d'un compte courant d'associé dans les livres de la SCEA, débiteur depuis 2007 pour parvenir à la somme importante de 197 405,63 euros au 31 décembre 2021, pour un chiffre d'affaires de la société de 273 140,17 euros (comptes annuels 2021, pièce n° 4 du mandataire).

10- S'il est interdit à une personne physique d'avoir un compte courant d'associé débiteur dans les sociétés commerciales, telles que Eurl, Sarl, SAS et SA, aucune réglementation n'interdit à un associé de disposer d'un compte courant débiteur dans les sociétés civiles, et notamment dans les sociétés civiles agricoles telles que les EARL, SCEA ou GAEC.

11- Toutefois, le rôle d'une société n'est pas de financer les besoins privés des associés au-delà des droits qui leur reviennent, et un compte courant débiteur au nom de l'associé d'une SCEA peut constituer une anomalie en l'absence de toute caractérisation d'une contrepartie les justifiant ou d'une convention de trésorerie.

M. [V] ne saurait sérieusement soutenir aujourd'hui, sans aucunement apporter d'élément à l'appui de cette affirmation, que ce qu'il qualifie lui même de « prélèvements » correspondrait à une rémunération.

12- En l'espèce, le compte de M. [V] présentait un caractère débiteur habituel d'un montant important, selon son propre aveu depuis 2007, qui reflétait selon lui les déficits cumulés de la sociétés, sans contrepartie ni sans s'en expliquer davantage, et sans que l'associé n'ait entrepris d'y remédier par des apports de fonds, ce qui démontre un flux financier constant et anormal au bénéfice de l'associé.

13- L'existence de flux financiers anormaux caractérisant une confusion des patrimoines est ainsi établie, et le jugement qui a prononcé l'extension de la procédure collective de la SCEA [7] [V] à la personne de M. [O] [V] sera confirmé.

Sur l'appel incident du mandataire liquidateur

Moyens des parties:

14- Le mandataire liquidateur forme appel incident du chef de jugement qui a limité l'extension de la liquidation à M. [V] sur son patrimoine professionnel.

La Selarl [5]' fait valoir que M. [V] n'est pas un entrepreneur individuel et ne peut se prévaloir d'un patrimoine professionnel, mais seulement un associé d'une société civile.

15- M. [V], qui soutient le débouté total de la demande d'extension, ne s'explique pas particulièrement sur cet appel incident.

Réponse de la cour,

16- Le tribunal judiciaire de Libourne, d'office et sans s'en expliquer davantage, a limité l'extension de la procédure au patrimoine professionnel de M. [V].

17- Or, la notion de patrimoine professionnel se distinguant d'un patrimoine personnel, qui déroge au principe de l'unicité du patrimoine, ne découle dans le code de commerce que de son article L. 526-6, et ne concerne que le statut de l'entrepreneur individuel.

18- En l'espèce, M. [V], ici concerné en sa seule qualité d'associé d'une société civile d'exploitation agricole, et non en qualité d'entrepreneur individuel, ne saurait exciper, ce qu'il ne fait d'ailleurs pas, de l'existence d'un patrimoine professionnel.

Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur les autres demandes

19- Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Les dépens de première instance et d'appel, nés pour les besoins du déroulement de la procédure au sens de l'article L. 622-17 du code de commerce, seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de M. [V].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu entre les parties le 21 octobre 2024 par le tribunal judiciaire de Libourne,

SAUF en ce qu'il a limité l'extension de la procédure collective à un patrimoine professionnel,

L'infirme sur ce point, et, statuant à nouveau,

Prononce l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société civile d'exploitation agricole [7] [V] à la personne de Monsieur [O] [V],

Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de Monsieur [O] [V].

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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