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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-2, 17 juin 2025, n° 24/01571

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Eos France (SAS)

Défendeur :

X

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Javelas

Conseillers :

Mme Thivellier, Mme de Larminat

Avocats :

Me Cizeron, Me Opsomer, Me Klein, Me Boutmy

JCP [Localité 8], du 5 févr. 2024, n° 23…

5 février 2024

Rappel des faits constants

Suivant offre préalable acceptée le 26 avril 2013, la SA Natixis Financement a consenti à Mme [K] [W] un crédit renouvelable d'un montant de 8 000 euros, remboursable au taux de 10,86 % (TAEG de 11,47 %) par mensualités dont le montant variait selon les sommes utilisées.

Sur requête de la société Natixis Financement, une ordonnance d'injonction de payer a été rendue le 18 juin 2017 par le tribunal d'instance de Puteaux, aux termes de laquelle Mme [W] a été condamnée à payer à la société Natixis Financement les sommes suivantes :

« crédit utilisable par fractions (crédit revolving)

. 5 477,46 euros à titre principal,

. 58,50 euros au titre ASM IP [sic],

. 280,07 euros d'agios,

. 438,20 euros d'ILC [sic],

. 4,38 euros de frais

soit un montant total de 6 277,79 euros. »

Mme [W] a formé opposition à l'ordonnance portant injonction de payer par courrier envoyé le 3 août 2023 reçu le 8 août 2023.

La décision contestée

La société Natixis financement et Mme [W] ont été régulièrement convoquées par lettre recommandée avec accusé de réception.

Il est précisé que la société Natixis Financement a changé de dénomination pour devenir la société BPCE Financement et que cette société a cédé sa créance à la société Eos France (anciennement dénommée Eos Credirec).

La société Eos France, intervenante volontaire, venant aux droits de la société BPCE Financement, en vertu d'une cession de créance, a sollicité, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de :

- déclarer qu'elle est créancière de Mme [W],

- débouter Mme [W] de ses demandes,

- condamner Mme [W] à lui payer les sommes suivantes :

. 5 915,66 euros en principal avec intérêts au taux légal,

. 342,95 euros au titre des frais,

. 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, en ce compris les frais de la procédure d'injonction de payer.

Mme [W] a sollicité la mainlevée de la saisie-attribution, la restitution de la somme de 1 956 euros saisie, une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et la condamnation de la société Eos France aux dépens.

A l'audience du 5 décembre 2023, le juge a soulevé d'office son incompétence matérielle concernant les demandes relatives à la saisie-attribution, comme relevant, selon lui, de la compétence du juge de l'exécution.

Par jugement contradictoire du 5 février 2024, le juge des contentieux et de la protection du tribunal de proximité de Puteaux a :

- écarté des débats la note en délibéré reçue le 15 décembre 2023,

- constaté l'intervention volontaire de la société Eos France,

- déclaré recevable l'opposition formée par Mme [W] à l'encontre de l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 18 juin 2017 par le tribunal d'instance de Puteaux,

- déclaré non-avenue l'ordonnance d'injonction de payer du 18 juin 2017 du tribunal d'instance de Puteaux,

statuant à nouveau,

- déclaré que la société Eos France a qualité à agir,

- déclaré la société Eos France irrecevable à agir au titre du paiement du crédit renouvelable souscrit le 26 avril 2013 pour cause de prescription,

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de mainlevée de la saisie-attribution, de restitution des fonds saisis et de dommages-intérêts,

- condamné la société Eos France aux entiers dépens,

- condamné la société Eos France à payer à Mme [W] la somme de 800 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure d'appel

La société Eos France a relevé appel du jugement par déclaration du 5 mars 2024 enregistrée sous le numéro de procédure 24/01571.

Par ordonnance rendue le 27 mars 2025, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 1er avril 2025, dans le cadre d'une audience collégiale.

Prétentions de la société Eos France, appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 12 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Eos France demande à la cour d'appel de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté la note en délibéré reçue le 15 décembre 2023, déclaré recevable l'opposition formée par Mme [W] à l'encontre de l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 18 juin 2017 par le tribunal d'instance de Puteaux, déclaré non avenue l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 18 juin 2017 par le tribunal d'instance de Puteaux, l'a déclarée irrecevable à agir au titre du paiement du crédit renouvelable souscrit le 26 avril 2013 pour cause de prescription, l'a condamnée aux entiers dépens et l'a condamnée à payer à Mme [W] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

en conséquence et statuant à nouveau,

- déclarer qu'elle vient aux droits de la société Natixis Financement et est créancière de Mme [W],

- déclarer l'opposition infondée,

à titre principal,

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 5 854,55 euros en principal avec intérêts au taux contractuel de 11,47 % à compter du 18 janvier 2017, date de la mise en demeure,

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 438,19 euros au titre de l'indemnité légale avec intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2017, date de la mise en demeure,

à titre subsidiaire,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat souscrit par Mme [W] le 23 avril 2013 à ses torts exclusifs,

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 5 854,55 euros en principal avec intérêts au taux contractuel de 11,47 % à compter du 18 janvier 2017, date de la mise en demeure,

en tout état de cause,

- débouter Mme [W] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel étant recouvrés par Me Cizeron, avocat constitué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prétentions de Mme [W], intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 26 février 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens, Mme [W] demande à la cour d'appel de :

à titre principal,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

. déclaré recevable l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer qu'elle a formée,

. déclaré non-avenue l'ordonnance d'injonction de payer du 18 juin 2017 du tribunal d'instance de Puteaux,

. déclaré la société Eos France irrecevable à agir au titre du paiement du crédit renouvelable souscrit le 26 avril 2013 pour cause de prescription,

. condamné la société Eos France à lui payer la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et par substitution de motifs,

- déclarer la société Eos France irrecevable à agir au titre du paiement du crédit renouvelable souscrit le 26 avril 2013 pour cause de forclusion,

- déclarer la société Eos France irrecevable à agir au titre du paiement du crédit renouvelable souscrit le 26 avril 2013 pour cause d'absence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande en répétition de l'indu et sa demande indemnitaire et en conséquence,

. condamner la société Eos France à lui verser la somme de 1 956,31 euros au titre de la répétition de l'indu,

. condamner la société Eos France à lui verser la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des pratiques commerciales déloyales de la société Eos France,

à titre subsidiaire,

- déclarer abusive et réputée non écrite la clause stipulative d'intérêts figurant dans le contrat de crédit renouvelable souscrit le 26 avril 2013,

- déchoir la société Eos France de son droit aux intérêts contractuels et de son droit aux intérêts légaux,

en tout état de cause,

- débouter la société Eos France de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Eos France à lui verser une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- condamner la société Eos France aux entiers dépens.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, il est précisé que l'offre préalable de prêt ayant été régularisée avant le 1er juillet 2016, les articles du code de la consommation visés dans le présent arrêt s'entendent dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et au décret n° 2016-884 du 29 juin 2016 relatif à la partie réglementaire du code de la consommation.

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

La société Eos France, qui poursuit l'infirmation du jugement, demande à la cour de :

- déclarer qu'elle vient aux droits de la société Natixis Financement et est créancière de Mme [W],

- déclarer l'opposition infondée,

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 5 854,55 euros en principal avec intérêts au taux contractuel de 11,47 % à compter du 18 janvier 2017, date de la mise en demeure,

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 438,19 euros au titre de l'indemnité légale avec intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2017, date de la mise en demeure,

Mme [W], quant à elle, demande à la cour de confirmer l'irrecevabilité de la société Eos France à agir au titre du paiement du crédit renouvelable souscrit le 26 avril 2013 pour cause de forclusion, par substitution de motif, à défaut pour absence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme, comme l'a retenu le premier juge.

Elle conclut en revanche à l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande en répétition de l'indu et sa demande indemnitaire et sollicite en conséquence la condamnation de la société Eos France à lui verser :

. la somme de 1 956,31 euros au titre de la répétition de l'indu,

. la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par les pratiques commerciales déloyales de la société Eos France.

Au vu de ces éléments, il sera retenu que le fait que la société Eos France vient aux droits de la société Natixis Financement et a qualité à agir ne fait l'objet d'aucune demande d'infirmation, de sorte que la cour n'est pas saisie de ce point. La recevabilité de l'opposition à injonction de payer n'est pas non plus remise en cause, de sorte que ces dispositions, non querellées, sont devenues irrévocables.

La cour est en revanche saisie, en premier lieu, d'une demande tendant à voir prononcer l'irrecevabilité de la demande au titre du prêt impayé.

Sur la recevabilité de la demande principale

Mme [W] soulève l'irrecevabilité de la demande de la société de crédit sur deux fondements, d'abord au titre de la forclusion et subsidiairement, au titre de la prescription en raison de l'absence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme.

La société Eos France oppose à ce sujet, une confusion opérée par le premier juge et reprise par l'intimée, entre la forclusion biennale prévue par le code de la consommation et la prescription décennale applicable au titre exécutoire que constitue l'ordonnance portant injonction de payer.

Elle explique que le premier juge a déclaré la société Eos France irrecevable à agir au titre du paiement du crédit renouvelable souscrit le 26 avril 2013 pour cause de « prescription » et qu'il a motivé sa décision ainsi : « plus de deux années s'étant écoulées entre la signification de l'ordonnance d'injonction de payer exécutoire et le commandement de payer aux fins de saisie-vente, l'action de la société Eos France est prescrite ».

Elle fait valoir que le premier juge a estimé que seule la prescription biennale prévue à l'article L. 311-52 du code de la consommation avait vocation à s'appliquer et non la prescription décennale prévue par l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, Mme [W] abondant en ce sens.

Elle considère que, ce faisant, le premier juge a commis une erreur, qui procède d'une impossibilité juridique, puisque l'article L. 311-52 du code de la consommation prévoit un délai de forclusion et non de prescription, ce qui est radicalement différent.

Elle explique qu'une des particularités de la procédure d'injonction de payer est de permettre, dans le cadre d'une procédure non-contradictoire au départ, l'obtention d'une décision qui sera revêtue de la formule exécutoire en l'absence d'opposition dans le mois suivant la signification prévue à l'article 1411 du code de procédure civile, que l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution dispose que seuls constituent des titres exécutoires, les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif lorsqu'elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire, qu'ainsi, une ordonnance d'injonction de payer constitue indéniablement un titre exécutoire puisque revêtue de la formule exécutoire.

Elle prétend qu'ainsi, dès l'apposition de la formule exécutoire, elle est soumise au régime des titres exécutoires qui est spécial et qui obéit à la prescription décennale édictée par l'article L. 111-4 du code précité, ce délai étant quant à lui susceptible de suspension et d'interruption.

Elle considère que, dans ces conditions, Mme [W] ne peut maintenir son argument au visa de l'article L. 311-52 du code de la consommation, qui vise un délai de forclusion, tout en estimant qu'il existe une prescription, ce qui est contradictoire.

Sur ce,

Comme le soutient à juste titre la société Eos France, le premier juge a manifestement appliqué une « prescription biennale » alors que le code de la consommation vise en réalité une forclusion biennale, tandis que la prescription des ordonnances d'injonction de payer est de dix ans, les deux notions de forclusion et de prescription n'étant pas soumises aux mêmes conditions et emportant des effets juridiques différents.

S'agissant de la prescription décennale, il est établi que le délai de prescription de dix ans de l'ordonnance a été interrompu le 25 août 2021 par la délivrance d'un commandement aux fins de saisie-vente signifié à Mme [W].

Par ailleurs, il est constant que la signification de l'ordonnance d'injonction de payer interrompt les délais de prescription et de forclusion car elle équivaut à une demande en justice (Civ. 2ème, 4 mars 2021, pourvoi n° 19-24.384). Dans le cas d'une injonction de payer, l'effet interruptif vaut jusqu'à la décision à intervenir sur opposition si cette dernière est recevable.

L'action n'est donc pas prescrite sur ce fondement.

S'agissant de la forclusion biennale, Mme [W] soutient qu'il est de jurisprudence constante qu'en l'absence de la production par le créancier de l'historique de compte, le premier incident de paiement est présumé daté du jour de la signature du contrat, comme l'a rappelé la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 1er mars 2018.

Elle souligne qu'en l'espèce, la société Eos France produit un contrat de crédit souscrit le 23 avril 2013 et un historique de compte ne commençant que le 10 avril 2014, qu'il manque donc une année d'historique de compte alors que les impayés non régularisés ont commencé dès le début de l'exécution du contrat dans la mesure où elle a connu des difficultés financières en 2013.

Elle prétend que la signification de l'ordonnance d'injonction de payer du 30 juin 2017 est intervenue plus de deux ans après la souscription du contrat le 23 avril 2013 et donc que l'action de la société Eos France est forclose.

La société Eos France s'oppose à cette argumentation.

Elle fait valoir que les lettres mensuelles d'information sont produites aux débats et montrent que le découvert autorisé n'a jamais été utilisé jusqu'au mois d'avril 2014 si bien que l'historique de compte est complet, Mme [W] faisant preuve de mauvaise foi selon elle.

Elle explique que la débitrice n'a plus remboursé les échéances mensuelles à compter du 6 septembre 2016, ce qui constitue la date du premier impayé non régularisé, et rappelle que l'ordonnance a été signifiée le 30 juin 2017, soit moins de deux ans après, si bien que l'action n'est pas forclose.

Il est rappelé que l'article L. 311-52 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dispose : « Le tribunal d'instance connaît des litiges nés de l'application du présent chapitre. Les actions en paiement engagées devant lui à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion. »

En l'espèce certes, l'historique de compte produit ne commence que le 10 avril 2014 alors que le contrat a été souscrit le 23 avril 2023 (pièce 4 de l'appelante).

Pour autant, l'étude de ce document montre qu'au titre de la période d'avril 2014, Mme [W] a utilisé l'ouverture de crédit à trois reprises :

- le 10 avril 2014 à hauteur de 800 euros,

- le 14 avril 2014 à hauteur de 1 700 euros,

- le 24 avril 2014 à hauteur de 500 euros,

soit une utilisation totale sur le mois de 3 000 euros.

Or, il résulte du même document que le capital restant dû à la fin du mois d'avril 2014 était de 3 000 euros, soit le montant emprunté ce même mois.

Il s'en déduit qu'aucune utilisation non remboursée antérieure n'est mise en compte et réclamée par l'organisme de crédit, Mme [W] ne démontrant, par aucune pièce utile, le contraire.

L'examen de l'historique de compte produit par le prêteur et l'affectation des sommes réglées par l'emprunteuse sur les échéances échues et impayées démontrent que la première échéance échue impayée est celle du mois de septembre 2016.

L'ordonnance portant injonction de payer ayant été signifiée à l'intéressée le 30 juin 2017, soit moins de deux ans après la première échéance échue impayée non régularisée, l'action en recouvrement mise en oeuvre n'encourt pas la forclusion.

Ce moyen doit donc être écarté.

Mme [W] soulève, à titre subsidiaire, la « prescription » de la demande principale de la société Eos France en raison de l'absence de déchéance du terme valablement prononcée.

Elle soutient que, pour être valable, la déchéance du terme est subordonnée à l'envoi d'une mise en demeure au débiteur par lettre recommandée avec accusé de réception manifestant l'intention du créancier de se prévaloir de l'exigibilité immédiate de la totalité de sa créance et qu'à défaut de respect de ce formalisme, les conditions relatives au prononcé de la déchéance du terme ne sont pas réunies, la demande de remboursement anticipée devant être déclarée irrecevable.

Elle observe que la société Eos France ne produit aucune mise en demeure préalable à la déchéance du terme de sorte que la déchéance du terme n'a pas été régulièrement acquise et que dans ces conditions, celle-ci est irrecevable en ses demandes et en tous les cas infondée.

La société Eos France conteste cet argument.

Elle soutient avoir adressé une mise en demeure à Mme [W] le 18 janvier 2017, de sorte que l'argument manque en fait.

Elle ajoute que, s'il était retenu que la déchéance du terme n'a pas été correctement prononcée, compte tenu de l'ancienneté du crédit non remboursé depuis l'année 2016, toutes les échéances dues mensuellement sont échues et peuvent donc être réclamées, au titre de la résolution du contrat aux torts de l'emprunteuse.

La société Eos France produit une mise en demeure préalable, datée du 2 janvier 2017 et adressée par lettre recommandée avec accusé de réception, faisant état d'un retard de 1 001,76 euros, avec l'avertissement suivant : « A défaut de règlement, nous serons contraints de transmettre votre dossier à notre service contentieux en vue d'engager une procédure judiciaire à votre encontre pour le recouvrement de l'intégralité du solde de votre crédit, soit à ce jour la somme de 5 854,55 euros, qui sera majorée des indemnités légales, intérêts de retard et frais de justice » (pièce 6 de l'appelante).

Elle a ensuite adressé mise en demeure avec accusé de réception à Mme [W] le 18 janvier 2017 en ces termes : « Mme [W] [K], votre dossier a été transmis à [Localité 7] Contentieux pour le recouvrement de la somme de 6 273,41 euros. Nous vous mettons en demeure de la régler dans les 8 jours. A défaut de règlement amiable, nous engagerons une action judiciaire en paiement à votre encontre » (pièce 7 de l'appelante).

Il résulte de ces deux courriers que la société Eos France a bien manifesté son intention de se prévaloir de l'exigibilité immédiate de la totalité de sa créance et donc que la déchéance du terme a été valablement prononcée.

Dans ces conditions, l'argument de Mme [W] doit être écarté, étant en outre observé qu'en tout état de cause, ce moyen ne constitue pas une cause d'irrecevabilité de la demande.

En l'absence de forclusion et de prescription, la demande de la société Eos France est donc recevable. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur l'ouverture de crédit renouvelable utilisable par fractions du 23 avril 2013

Mme [W] demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de répétition de l'indu et de dommages-intérêts pour pratiques commerciales déloyales et à titre subsidiaire de déclarer abusive et réputée non-écrite la clause stipulative d'intérêts du contrat et déchoir la société Eos France de son droit aux intérêts contractuels et légaux.

Compte tenu des demandes présentées, il convient dans un premier temps d'étudier la question de la déchéance du droit aux intérêts dans la mesure où elle est de nature à influer sur la fixation du montant de la créance, étant précisé que Mme [W] n'avance aucun autre argument de nature à remettre en cause le bien-fondé de la créance, les demandes au titre de la répétition de l'indu et des pratiques commerciales déloyales ayant vocation, si elles sont accueillies, à venir en compensation des sommes dues au titre du prêt.

Sur la déchéance du droit aux intérêts

Mme [W] demande que la société Eos France soit déchue du droits aux intérêts conventionnels et légaux.

Elle rappelle que, dans le cadre de sa recommandation n° 91-02 publié au BOCCRF du 6 septembre 1991, la commission des clauses abusives a notamment indiqué qu'étaient abusives les clauses ayant pour effet de « faire varier le prix en fonction d'éléments dépendant directement ou indirectement de la volonté arbitraire du professionnel contractant ».

Elle prétend qu'au cas d'espèce, la clause du contrat, qui stipule : « L'emprunteur paiera des intérêts calculés au taux débiteur tel qu'indiqué ci-dessus, déterminé en fonction du montant du crédit. Ce taux est révisable : il suivra en plus ou moins du taux de base que le prêteur applique aux opérations de même nature ou du taux qui figure dans les barèmes qu'il diffuse auprès du public. », est une clause qui a pour effet de « faire varier le prix en fonction d'éléments dépendant directement ou indirectement de la volonté arbitraire du professionnel contractant » puisque le prêteur peut faire varier le taux du crédit sans accord contractualisé des parties.

Elle en déduit que la clause doit être déclarée abusive et réputée non écrite et le créancier déchu de son droit aux intérêts.

La société Eos France oppose que la clause précise bien que cette variation ne s'impose pas à l'emprunteur et qu'il a le droit de refuser, si bien que l'accord de ce dernier est requis, qu'il n'y a aucun abus dans le libellé de la clause. Elle conclut au rejet de la demande de déchéance du droit aux intérêts contractuels et également légaux.

Sur ce,

L'article L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation dispose : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »

En l'espèce, la clause prévoit précisément : « L'emprunteur paiera des intérêts calculés au taux débiteur tel qu'indiqué ci-dessus, déterminé en fonction du montant du crédit. Ce taux est révisable : il suivra en plus ou moins du taux de base que le prêteur applique aux opérations de même nature ou du taux qui figure dans les barèmes qu'il diffuse auprès du public. En cas de révision du taux, l'emprunteur sera préalablement informé par courrier avant la date effective d'application du nouveau taux. L'emprunteur peut, dans un délai de trente jours après réception de cette information, sur demande écrite adressée au prêteur, refuser cette révision. Dans ce cas, le droit à crédit de l'emprunteur prend fin et le remboursement du crédit déjà utilisé s'effectuera de manière échelonnée, sauf avis contraire de sa part, aux conditions applicables avant la modification qu'il a refusée.»

Il est constant que, conformément aux dispositions de l'article R. 311-5 du code de la consommation dans sa version applicable à l'espèce, le crédit renouvelable peut prévoir la révision du taux débiteur mais qu'en ce cas, le contrat doit comporter une information relative à l'éventuelle révision du taux débiteur, que si le prêteur procède à une telle révision, il doit au préalable en informer l'emprunteur sur support papier ou tout autre support durable avant la date effective d'application du nouveau taux, que l'emprunteur dispose d'un délai de trente jours après réception de cette information, pour refuser cette révision sur demande écrite adressée au prêteur, que si tel est le cas, l'emprunteur perd tout droit à utiliser ce crédit renouvelable mais le remboursement du crédit déjà utilisé s'effectue de manière échelonnée, selon les termes du contrat avant la révision du taux.

Tel est bien le cas en l'espèce, les dispositions contractuelles reprenant précisément les termes de la loi.

Dans la mesure où l'emprunteur a la possibilité de refuser la révision du taux, cette clause, qui ne révèle pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, n'apparaît pas abusive, de sorte que l'argumentation de Mme [W] à ce sujet doit être rejetée.

L'emprunteuse sera déboutée de sa demande subséquente de déchéance du droit aux intérêts contractuels et légaux.

Sur les sommes dues au titre du prêt

Aux termes du code de la consommation dans sa version applicable au contrat, en cas de défaillance de l'emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent les intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt.

En outre, le prêteur peut demander à l'emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l'application de l'article 1231-5 du code civil, est fixée suivant un barème déterminé par décret.

Le code de la consommation dispose que lorsque le prêteur exige le remboursement immédiat du capital restant dû, il peut demander une indemnité égale à 8 % du capital restant dû à la date de la défaillance.

La société Eos France verse aux débats, à l'appui de sa demande, les pièces suivantes :

- l'offre préalable de crédit renouvelable,

- l'historique de compte,

- le décompte de créance,

- la mise en demeure du 2 janvier 2017,

- la mise en demeure du 18 janvier 2017,

- la requête et l'ordonnance d'injonction de payer.

Au vu de ces éléments, la créance de la société Eos France à l'égard de Mme [W] s'établit à la somme de 5 535,96 euros en principal correspondant au solde débiteur au jour de la déchéance du terme.

Il convient donc de condamner Mme [W] au paiement de la somme ainsi arrêtée, laquelle produira intérêts au taux contractuel de 10,86 % l'an à compter du 18 janvier 2017, date de la mise en demeure valant déchéance du terme.

La société Eos France sollicite également la condamnation de Mme [W] à lui verser la somme de 438,19 euros au titre de l'indemnité de résiliation.

Aux termes de l'article 1231-5 du code civil, le juge peut toujours, même d'office, modérer ou réduire la pénalité prévue au contrat si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Il convient pour apprécier, d'office ou en cas de contestation, le montant contractuellement prévu de l'indemnité, de se référer à l'économie globale du contrat et à son équilibre, ainsi qu'à son application, et notamment au montant du crédit, à la durée d'exécution du contrat, au bénéfice déjà retiré par le prêteur, au taux pratiqué et au pourcentage fixé pour l'indemnité.

En l'espèce, compte tenu du montant et de la durée du prêt, du taux d'intérêt et des remboursements déjà effectués par l'emprunteur, l'indemnité contractuelle de 8 % apparaît manifestement excessive au regard du bénéfice déjà retiré par le prêteur. Elle doit être réduite à la somme de 150 euros qui produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt jusqu'à parfait paiement.

Sur la répétition de l'indu et les pratiques commerciales déloyales

Mme [W] expose que le 5 juillet 2023, la société Eos France a fait pratiquer une saisie-attribution sur ses comptes, qui a abouti à la saisie d'une somme de 1 956,31 euros, que le 3 août 2023, elle a formé opposition à l'ordonnance et a, en même temps, contesté la saisie.

Elle reconnaît qu'elle est hors délai pour contester la saisie-attribution mais considère que le juge compétent est bien le juge de l'opposition à ordonnance d'injonction de payer, contrairement à ce que le premier juge a estimé.

Elle demande l'infirmation de la décision entreprise en ce que le tribunal de première instance s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de répétition de l'indu et donc de condamner la société Eos France à lui verser la somme de 1 956,31 euros.

La société Eos France conclut au débouté de l'intégralité des demandes de Mme [W] à ce titre, qu'elles estiment infondées tant juridiquement que factuellement.

Elle soutient que la demande tendant à la mainlevée de la saisie-attribution et à la restitution des sommes appréhendées doit être rejetée car seul le juge de l'exécution a compétence pour connaître de cette contestation et qu'il n'a pas été saisi dans les délais et qu'en tout état de cause, la créance est exigible en totalité.

Sur ce,

Aux termes du dispositif de ses conclusions, appréciés au regard des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, Mme [W] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande en répétition de l'indu et sollicite que la société Eos France soit condamnée à lui verser la somme de 1 956,31 euros au titre de la répétition de l'indu.

Or, le premier juge n'a pas statué dans les termes indiqués par l'intimée mais s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de mainlevée de la saisie-attribution, de restitution des fonds saisis et de dommages-intérêts.

La cour, qui n'est donc pas saisie d'un appel du chef de jugement sur la compétence, lequel est devenu irrévocable, ne peut statuer sur des demandes contraires, dont elle n'est pas utilement saisie.

Ce même raisonnement doit être appliqué à la demande de dommages-intérêts au titre des pratiques commerciales déloyales, au titre de laquelle le premier juge s'est également déclaré incompétent.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Tenant compte de la décision rendue, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Eos France aux dépens et qu'il l'a condamnée à payer à Mme [W] la somme de 800 euros au titre des frais irrépétible de première instance.

Mme [W], qui succombe dans ses prétentions, supportera les entiers dépens, de première instance et d'appel, en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens d'appel seront recouvrés directement par Me Cizeron, avocat constitué qui en fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

Mme [W] sera en outre condamnée à payer à la société Eos France une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 800 euros et sera déboutée de sa propre demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

INFIRME en ses dispositions dévolues à la cour le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Puteaux le 5 février 2024,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT recevable la demande de la société Eos France,

CONDAMNE Mme [K] [W] à payer à la SAS Eos France anciennement Eos Credirec et venant aux droits de la société BPCE Financement les sommes suivantes :

. 5 535,96 euros en principal, avec intérêts au taux de 10,86 % l'an à compter du 18 janvier 2017,

. 150 euros au titre de l'indemnité de résiliation,

CONSTATE qu'elle n'est pas valablement saisie des demandes de Mme [K] [W] au titre de la répétition de l'indu et des pratiques commerciales déloyales,

CONDAMNE Mme [K] [W] au paiement des entiers dépens, dont distraction, pour ceux d'appel au profit de Me Cizeron, avocat constitué,

CONDAMNE Mme [K] [W] à payer à la SAS Eos France anciennement Eos Credirec et venant aux droits de la société BPCE Financement une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE Mme [K] [W] de sa demande présentée sur le même fondement.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Philippe JAVELAS, Président et par Madame Bénédicte NISI, Greffière en pré-affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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