Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 17 juin 2025, n° 23/04432

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 23/04432

17 juin 2025

17/06/2025

ARRÊT N°246/2025

N° RG 23/04432 - N° Portalis DBVI-V-B7H-P4VQ

IMM AC

Décision déférée du 06 Décembre 2023

Tribunal de Commerce de TOULOUSE

( 2022J00010)

M CHEFDEBIEN

S.E.L.A.S. EGIDE

C/

S.A. LA BANQUE POSTALE

[B] [E]

Infirmation partielle

Grosse délivrée

le

à

- Me Quentin GUY-FAVIER

- Me Jérôme CARLES

- Me Pascal GORRIAS

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***

ARRÊT DU DIX SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANTE

S.E.L.A.S. EGIDE prise en la personne Maître [Z] [O] en qualité de mandataire liquidateur de Monsieur [B] [E],

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Quentin GUY-FAVIER de la SCP DEGIOANNI - PONTACQ - GUY-FAVIER, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.A. LA BANQUE POSTALE

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Jérôme CARLES de la SCP CAMILLE ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Claude LAROCHE de la SELARL CABINET SABBAH & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANTE

Monsieur [B] [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Pascal GORRIAS de la SCP BOYER & GORRIAS, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Avril 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant I. MARTIN DE LA MOUTTE, Conseillère, chargée du rapport et M.NORGUET, conseillère. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

V. SALMERON, présidente

I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère

M. NORGUET, conseillère

Greffier, lors des débats : A. CAVAN

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre

Exposé des faits et de la procédure

Monsieur [B] [E] exerçait une activité de commerce de gros et détail de vins, spiritueux, crémerie, épicerie fine, arts de la table, dépôt de pain, dégustation de tous ces produits, occasionnellement traiteur, conseils gastronomiques sous le statut d'entrepreneur individuel.

Par jugement du 23 septembre 2011, le tribunal de commerce de Toulouse a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de Monsieur [B] [E].

Par jugement du 22 mars 2012, le tribunal de commerce de Toulouse a converti cette procédure en liquidation judiciaire et désigné la Selarl [O] et associés prise en la personne de Me [O] au droit de laquelle intervient désormais la Selas Egide en qualité de liquidateur.

Par courrier du 09 septembre 2021, la Selas Egide a demandé à la Banque Postale de lui adresser les relevés bancaires pour la période du 1er septembre 2016 au 9 septembre 2021 du compte bancaire de Monsieur [B] [E] ouvert postérieurement au jugement d'ouverture.

Par courrier en date du 19 octobre 2021, la Selas Egide a mise en demeure la banque postale de lui restituer la somme de 101 937,97 euros au titre des opérations de crédit du compte sur le fondement de l'article L641-9 du code de commerce.

Par acte du 27 décembre 2021, la Selas Egide prise en la personne de Me [L] en qualité de mandataire liquidateur de Monsieur [B] [E] a assigné devant le tribunal de commerce de Toulouse la Sa Banque postale aux fins de la voir condamner au paiement de la somme de 101 937,97 euros.

Par acte du 8 mars 2022, la Sa Banque postale a assigné en intervention forcée Monsieur [B] [E] devant le tribunal de commerce de Toulouse afin qu'il soit condamné à la relever et garantir.

Par jugement du 6 décembre 2023, le tribunal de commerce de Toulouse a :

- Prononcé la jonction des instances 2022J00010 et 2022J00221 et statué en un seul et même jugement,

- Dit l'action de la Selas Egide recevable

- Débouté la Selas Egide de toutes ses demandes, fins et prétentions

- Débouté la Sa Banque postale de toutes ses demandes, fins et prétentions hors de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Débouté Monsieur [B] [E] de toutes ses demandes, fins et prétentions hors de ses demandes au titre de l'article 700 du cpc

- Condamné la Selas Egide prise en la personne de Me [O] ès qualités à payer à la Sa Banque postale la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du cpc qui passeront en frais privilégiés de la procédure

- Condamné la Sa Banque postale à payer la somme de 1 500 euros à Monsieur [B] [E] au titre de l'article 700 du cpc

- Condamné la Selas Egide prise en la personne de Me [O] es qualité aux entiers dépens de l'instance qui passeront en frais privilégiés de la procédure

Par déclaration du 21 décembre 2023, la Selas Egide prise en la personne de Me [O] ès qualités a, en intimant la Banque postale, relevé du jugement en ce qu'il a :

Débouté la Selas Egide prise en la personne de Me [O] ès qualités de toutes ses demandes, fins et prétentions

Condamné la Selas Egide prise en la personne de Me [O] ès qualités à payer à la Sa Banque postale la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du cpc qui passeront en frais privilégiés de la procédure

Condamné la Selas Egide prise en la personne de Me [O] es qualité aux entiers dépens de l'instance qui passeront en frais privilégiés de la procédure

Par acte du 13 mars 2024, la banque postale a assigné en appel provoqué Monsieur [B] [E].

Par conclusions notifiées le 02 avril 2024, la Banque Postale a saisi le magistrat de la mise en état d'un incident aux fins de sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur la contestation par la Selas Egide de la clôture de la liquidation judiciaire de Monsieur [B] [E].

Par ordonnance du 17 octobre 2024, le magistrat chargé de la mise en état a dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer et ordonné la fixation de l'affaire à l'audience du 07 avril 2025.

La clôture est intervenue le 17 mars 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries du 07 avril 2025 à 09h30.

Parallèlement à cette procédure, par jugement en date du 26 février 2024, le tribunal de commerce de Toulouse a clôturé la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif et désigné la Selas Egide en qualité de mandataire ad'hoc aux fins de poursuivre l'instance pendante devant la cour d'appel de Toulouse contre la Banque postale. L'affaire a été enrolée sous le numéro RG 24/690.

Par déclaration en date du 27 février 2024, la Selas Egide a relevé appel de ce jugement et saisi le Premier Président de la cour d'appel aux fins de suspension de l'exécution provisoire laquelle a été ordonnée par ordonnance du 07 juin 2024.

Par arrêt du 18 février 2025, la cour a infirmé le jugement du 26 février 2024 et dit n'y avoir lieu à clôture de la procédure de liquidation judiciaire.

Exposé des prétentions et des moyens

Vu les conclusions n°3 d'appelant notifiées par RPVA le 19 mars 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Selas Egide prise en la personne de Me [Z] [O] ès qualités demandant, au visa de l'article L641-9 du code de commerce de :

- Infirmer partiellement le jugement du tribunal de commerce de Toulouse en date du 6 décembre 2023 en ce qu'il a

- Débouté la Selas Egide prise en la personne de Maître [Z] [O] en qualité de mandataire liquidateur de Monsieur [B] [E] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamné la Selas Egide à payer à la Sa Banque Postale la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, qui passeront en frais privilégiés de la procédure;

- Condamné la Selas Egide prise en entiers dépens de l'instance, qui passeront en frais privilégiés de la procédure.

En conséquence et à titre principal,

- Condamner la Banque Postale à payer à la Selas Egide ès qualités la somme de 101 937,97 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2021, date de la première mise en demeure ;

A titre subsidiaire,

- Condamner la Banque Postale à payer à la Selas Egide ès qualités la somme de 63 782,82 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2021, date de la première mise en demeure ;

En tout état de cause,

- Dire et juger que les intérêts dus pour une année seront capitalisés dans les termes de l'article 1343-2 du Code Civil ;

- Condamner La Banque Postale à payer à la Selas Egide es qualité de mandataire liquidateur de Monsieur [B] [E] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les conclusions n°3 d'intimé et d'appel incident et provoqué notifiées par RPVA le 17 mars 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société la Banque Postale demandant, au visa des articles 66, 122, 331, 549 et suivants du code de procédure civile ; L.133-6, L.133-8 L.133-24- alinéa 4, L.312-1 et D.312-5 du code monétaire et financier ; L.112-2 et L.162-2 du code des procédures civiles d'exécution ; L.835-2 du code de la sécurité sociale ; L.5428-1, L.3352-5 et R.3252-2 du code du travail ; 1240, 2220, 2223 et 2224 du code civil ; L.622-21, L.622-17 et L.641-9 du code de commerce de:

- Prendre acte de la demande de sursis à statuer soulevée devant le Conseiller de la Mise en Etat par la Société La Banque Postale, dans l'attente de l'arrêt à intervenir sur la clôture de la liquidation judiciaire de Monsieur [E].

- Prendre acte de l'appel provoqué de la Société La Banque Postale contre Monsieur [B] [E].

A titre principal, sur l'infirmation partielle du jugement :

- Infirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société la Banque Postale de sa fin de non-recevoir pour forclusion et prescription et l'a condamné à payer la somme de 1.500 Euros à Monsieur [B] [E].

Statuant à nouveau

- Dire et juger que la Selas Egide, ès qualités est irrecevable en ses prétentions, lesquelles sont forcloses en application de l'article L133-24 alinéa 1 du Code monétaire et financier et prescrites en application des dispositions de l'article 2224 du Code Civil.

Subsidiairement,

- Dire et juger que la Selas Egide, ès qualités est irrecevable à solliciter le paiement de la somme de 20 996,84 Euros, correspondant aux mouvements créditeurs du compte bancaire de Monsieur [E] intervenus entre le 1er janvier 2016 et le 26 décembre 2016, cette demande étant prescrire en application de l'article 2224 du Code Civil,

En conséquence,

- Dire et juger que la Selas Egide, ès qualités n'est recevable qu'à réclamer la somme de 80 941,13 Euros correspondant aux mouvements créditeurs du compte de Monsieur [E] intervenus entre le 27 décembre 2016 et le 09 septembre 2021, mais non fondée.

A titre subsidiaire, sur la confirmation du jugement et le mal fonde des demandes de la Selas Egide, es-qualites

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Selas Egide ès qualités de toutes ses demandes formulées à l'encontre de la Société La Banque Postale.

Plus subsidiairement,

- Dire et juger que le quantum de la créance invoquée par la Selas Egide, ès qualités sur la Société La Banque Postale, doit être cantonné à la somme de 46 621,35 Euros.

A titre infiniment subsidiaire, si la cour d'appel de céans venait à entrer en voie de condamnation à l'encontre de la Société La Banque Postale au profit de la Selas Egide, ès qualités,

- Recevoir la Société La Banque Postale en son appel provoqué à l'encontre de Monsieur [B] [E], l'y déclarer bien fondée et débouter Monsieur [B] [E] de toutes ses demandes fins et prétentions formulées contre la Société La Banque Postale.

- Dire et juger qu'il n'y a pas lieu à déclarer prescrite l'action de La Banque Postale à l'encontre de Monsieur [B] [E].

Ce faisant,

- Condamner Monsieur [B] [E] à garantir la Société la Banque Postale de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées en son encontre en principal, intérêts, accessoires, frais répétibles et irrépétibles, du chef des prétentions formulées par la Selas Egide, ès qualités à l'égard de la Société la Banque Postale.

- Condamner Monsieur [B] [E] à payer à la Société La Banque Postale la somme de 8.000 Euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- Condamner Monsieur [B] [E] à payer à la Société La Banque Postale les entiers dépens.

- Débouter Monsieur [E] de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la Société La Banque Postale.

En tout état de cause,

- Débouter la Selas Egide, ès qualités de ses demandes de condamnation formulées à son encontre au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et des dépens.

- Condamner la Selas Egide, ès qualités à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- Condamner la Selas Egide, ès qualités aux entiers dépens.

Vu les conclusions n°2 notifiées par RPVA le 14 mars 2025 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Monsieur [B] [E] demandant, au visa des articles L622-17, L622-21, L643-1, L641-4 et L641-9 du Code de commerce ; 1240, 1231-1 et 2224 du Code civil ; 63, 66, 117, 119, 122, 367 et 514 du Code de procédure civile ; L133-24, L312-1 et D 312-5 du Code Monétaire et financier ; L3252, L3252-2 et L5428-1 du Code du travail ; L112-1 et L162-2 du Code des procédures civiles d'exécution, la Loi n°2022-172 du 14 Février 2022, de:

A titre principal,

- Infirmer partiellement le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 6 décembre 2023 en ce qu'il a :

- Débouté Monsieur [B] [E] de toutes ses demandes, fins et prétentions hors de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit l'action de la Selas Egide es qualité, recevable,

Et statuant à nouveau,

- Prononcer la nullité de l'assignation délivrée le 27 décembre 2021 à la requête de la Maître [W] [L], celle-ci étant entachée d'une irrégularité de fond,

- Prononcer par conséquent la nullité de l'assignation en intervention forcée délivrée le 8 Mars 2022 à l'encontre de Monsieur [E] à la requête de la Banque Postale,

- A tout le moins, déclarer irrecevable l'assignation en intervention forcée délivrée à l'encontre Monsieur [E],

- Condamner la Banque Postale à payer à Monsieur [B] [E] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral consécutif à la violation du secret bancaire,

- Ordonner la destruction par le liquidateur de l'ensemble des relevés de comptes Banque Postale relevant de la vie privée de Monsieur [B] [E],

A titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 6 décembre 2023 en ce qu'il a :

- Débouté la Selas Egide es qualité de toutes ses demandes fins et prétentions

- Débouté la Banque Postale de toutes ses demandes fins et prétentions,

- Condamné la Banque Postale à payer la somme de 1.500 € à Monsieur [B] [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Y ajoutant,

- Déclarer irrecevable la demande de la Banque Postale tendant à la condamnation de Monsieur [B] [E] à payer les condamnations qui pourraient être prononcées au bénéfice de la Selas Egide, es qualités,

- Juger forclose l'action fondée au visa de l'article L641-9 de la Selas Egide,

A tout le moins, déclarer prescrite l'action engagée par le liquidateur au visa de l'article L641-9 du Code de commerce,

- Juger que Monsieur [E] n'a commis aucune faute au préjudice de la Banque Postale,

Subsidiairement,

- Juger que le quantum de la créance invoquée par la Selas Egide ès qualités, sur la Banque Postale doit être cantonnée à la somme de 46.621,35 €,

- A tout le moins, déclarer prescrite l'action engagée par le liquidateur au visa de l'article L641-9 du Code de commerce,

- Juger qu'il n'a commis aucune faute au préjudice de la Banque postale,

En tout état de cause,

- Débouter le liquidateur et la Banque postale de toute demande formée à son encontre,

- Condamner la Banque postale à lui payer la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel,

Motifs

Les dernières conclusions de la Selas Egide signifiées le 19 mars 2025 postérieurement à la clôture, qui ne contiennent aucune demande de révocation de l'ordonnance de clôture doivent être déclarées irrecevables.

- Sur la nullité de l'assignation

M.[E] soutient en premier lieu que l'assignation délivrée par le liquidateur ès qualités à la Banque postale devant le tribunal de commerce était nulle en ce qu'elle a été signifiée pour le compte de la Selas Egide prise en la personne de [W] [L], alors que la Selarl [Z] [O] avait été désignée en qualité de liquidateur de M.[E]. Il en déduit que, par voie de conséquence, l'assignation délivrée par la Banque postale à son encontre est également nulle.

La cour observe en premier lieu que M.[E] ne forme aucune demande d'annulation du jugement entrepris.

Elle relève en second lieu que le jugement du 22 mars 2012 ayant prononcé la conversion du redressement judiciaire de M.[E] en liquidation judiciaire a désigné la Selarl [O] prise en la personne de [Z] [O].

Le tribunal de commerce a relevé à juste titre que la Selas Egide venant aux droits de la Selarl [O] est devenue le liquidateur de M.[E].

Si c'est à tort que l'acte introductif qui a saisi le tribunal de commerce a été délivré par la Selas Egide prise en la personne de M.[L] et non en celle de M.[O], cette erreur de plume s'analyse comme un vice de forme et non comme un vice de fond. Elle a été rectifiée dans les conclusions postérieures signifiées dans le cadre de la procédure de première instance si bien que la procédure collective était bien représentée par le liquidateur régulièrement désigné par le tribunal de commerce.

Ce vice de forme n'est à l'origine d'aucun grief, ni pour la Banque qui n'en a pas fait état, ni pour M.[E] qui a comparu devant le tribunal de commerce et a fait valoir ses moyens de défense.

Il n'y a donc pas lieu d'accueillir cette demande.

- sur les demandes du liquidateur à l'encontre de la banque

Le liquidateur poursuit au visa des dispositions de l'article L 641-9 la condamnation de la banque à lui verser la somme de 101 937,97 € correspondant au cumul des sommes créditées sur le compte ouvert au nom de M.[E].

Au soutien de cette demande, il fait valoir qu'à compter du jugement d'ouverture de la liquidation, il est seul investi des pouvoirs de gestion et que les opérations réalisées par le débiteur en violation du dessaisissement lui sont inopposables.

La banque et M. [E] soutiennent en premier lieu au visa des dispositions de l'article L 133-24 du code monétaire et financier que les demandes de la banque sont forcloses. Ils ajoutent que cette action est en tout état de cause prescrite en application des dispositions de l'article 2224 du code de procédure civile, puisque le liquidateur était en situation d'agir dès l'ouverture de la liquidation judiciaire.

Le liquidateur soutient pour sa part que cette forclusion n'est pas applicable à son action. Il ajoute que le point de départ de la prescription est fixé à la date à laquelle il a eu effectivement connaissance des opérations qui lui sont inopposables.

Selon l'article L133-24 du code monétaire et financier, 'l'utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n'ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre 1er du livre III.

Sauf dans les cas où l'utilisateur est une personne physique agissant pour des besoins non professionnels, les parties peuvent convenir d'un délai distinct de celui prévu au présent article.

Les dispositions du présent article s'appliquent, indifféremment de l'intervention d'un prestataire de services de paiement fournissant un service d'initiation de paiement dans l'opération de paiement.'

C'est vainement que la banque soutient que le délai imposé au débiteur pour agir contre la banque s'impose également au liquidateur.

En effet, dans le cadre de la présente instance, le liquidateur n'agit pas en représentation du débiteur, pour l'exercice des droits dont ce dernier a été dessaisi. Le débiteur qui a autorisé l'opération ne dispose d'ailleurs pour sa part d'aucune action contre la banque devant être introduite dans le délai de forclusion susvisé.

Le liquidateur agit en revanche dans le seul intérêt des créanciers, afin de reconstituer le patrimoine du débiteur qui constitue leur gage.

Il lui appartient alors d'agir dans le délai de 5 ans prévu par l'article 2224 du code civil. En application de ce texte, le point de départ du délai de prescription se situe au jour ou il a eu ou aurait dû avoir connaissance de l'existence de l'acte litigieux. (com., 3 février 2021, pourvoi n° 19-18.664)

Certes, le liquidateur a par courrier du 12 avril 2012 sollicité de la banque la clôture du compte ouvert au nom de M.[E] tout en rappelant que ce dernier disposait, en application des dispositions des articles L 312-1 et D 312 -5 du code monétaire et financier du droit à l'ouverture d'un nouveau compte. Néanmoins, contrairement à ce que soutiennent la banque et M.[E], rien ne démontre que le liquidateur a eu connaissance de l'ouverture par M.[E] d'un nouveau compte Banque postale le 7 mai 2012, ni, surtout, qu'il a été en situation de connaître les opérations réalisées par le débiteur sur ce nouveau compte avant que la banque ne lui adresse les relevés par courrier du 8 juin 2021.Ni M.[E], ni la banque ne prétendent d'ailleurs avoir informé le liquidateur de l'ouverture du compte ou lui avoir transmis les relevés antérieurement à cette date.

L'action du liquidateur introduite par acte du 27 décembre 2021, moins de 5 ans après cette date, n'est donc pas prescrite.

L'article 641-9 du code de commerce dispose que ' le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur'.

Ces dispositions sont d'ordre public et les actes accomplis en violation de cette règle sont inopposables à la procédure collective.

Pour s'opposer aux demandes du liquidateur, la banque soutient en second lieu que le compte de Monsieur [E], ouvert postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire échappait au dessaisissement et que les opérations réalisées sur ce compte sont étrangères à la procédure collective. Elle relève qu'eu égard à la durée de la procédure, ce compte a fonctionné pour permettre au débiteur de percevoir les ressources nécessaires pour faire face aux charges de la vie courante.

Sans contester le droit dont dispose le débiteur d'ouvrir un compte pour les actes de la vie courante, le liquidateur souligne que les seules opérations pouvant être réalisées sur ce compte sont celles portant sur la part insaisissable des revenus et les subsides accordés par le mandataire.

En application des dispositions de l'article L 312-1 du code monétaire et financier, le débiteur conserve malgré l'ouverture de la liquidation judiciaire le droit de demander l'ouverture d'un compte bancaire.

Toutefois, le fonctionnement de ce compte demeure soumis aux règles du dessaisissement qui interdit au débiteur tout acte de disposition sur l'ensemble de ses biens, y compris la part saisissable de ses salaires ou prestations sociales.

En l'espèce, le cumul des sommes créditées sur ce compte s'élève à 101 937, 97 € et, hormis les versements pôle emploi et CAF qui ne constituent qu'une partie des sommes créditées, aucune explication n'est donnée par le débiteur sur l'origine de ces fonds ayant fait l'objet de virements ou de remises de chèques. Rien ne permet dès lors d'estimer que ces fonds échappent à l'emprise de la procédure collective.

C'est vainement que la banque invoque les dispositions de la loi du 14 février 2022 instaurant des dispositions spécifiques à l'entreprise individuelle et prévoyant notamment une séparation des patrimoines professionnel et personnel puisque ce texte n'est pas applicable à la procédure collective de M.[E] ouverte en 2011. Il n'y a pas lieu non plus, contrairement à ce que soutient la banque de prendre en compte ' l'esprit de ce texte' pour déroger au principe du dessaisissement ou écarter l'application des règles des procédures collectives qui sont d'ordre public.

A titre subsidiaire, la banque sollicite que soit déduit des sommes réclamées la fraction insaisissable des salaires et prestations sociales perçues par M.[E].

Le liquidateur fait valoir que si les sommes correspondant à la fraction insaisissable des salaires ou prestations assimilées sont exclues du dessaisissement, cette exception édictée dans le seul intérêt du débiteur ne peut être invoquée par la banque.

Il est constant et la Selas Egide l'admet, que le dessaisissement ne s'étend pas aux biens insaisissables.

Dans un courrier du 19 octobre 2021, le liquidateur, en application de ce principe et après avoir invité la banque à lui adresser les sommes portées au crédit du compte en violation du dessaisissement, a d'ailleurs rappelé à la Banque postale qu'il lui appartenait ' en application des articles L 162-2 du code des procédures civiles d'exécution et L 262-2 du code de l'action sociale et des familles, de laisser à disposition du débiteur une somme à caractère alimentaire'.

Puisque la portée du dessaisissement ne s'étend pas à la fraction des revenus présentant un caractère alimentaire, insaisissable, le liquidateur ne peut se prévaloir d'une violation du dessaisissement pour revendiquer le bénéfice de ces sommes.

C'est donc à juste titre que la banque sollicite que soit déduite des sommes réclamées par le liquidateur la somme de 34 902, 03 € correspondant à la fraction insaisissable des salaires et allocations pôle emploi perçus par M.[E].

La banque justifie également qu'en application des dispositions de l'article L 835-2 du code de la sécurité sociale, désormais abrogé par l'ordonnance 2019-770 du 17 juillet 2019, les allocations logement perçues par M.[E] entre 2016 et octobre 2018 étaient insaisissables. Il convient donc de déduire également le montant cumulé de ces sommes portées au crédit du compte pour la somme de 20 414, 59 €.

Il y a lieu en conséquence de condamner la banque à rembourser au liquidateur le montant cumulé des opérations portées au crédit du compte, soit la somme de 101 937, 97 € dont il y a lieu de déduire les sommes de 34 902, 03 € au titre de la fraction insaisissable des salaires et allocations chômage et 20 414, 59 € au titre des allocations logements, soit la somme de 46 621, 35 €.

Les intérêts sont dus sur cette somme au taux légal à compter du 19 octobre 2021, date de la première mise en demeure. Il y a lieu conformément à la demande du liquidateur d'ordonner la capitalisation des intérêts échus pour une année entière en application des dispositions de l'article1343-2 du code civil.

- sur les demandes de la banque à l'égard de M.[E]

La banque sollicite la condamnation de M.[E] à la relever et garantir des condamnations mises à sa charge au profit du liquidateur.

M.[E] soutient que l'action en responsabilité dirigée contre lui est irrecevable dès lors qu'il est dessaisi et représenté par le liquidateur depuis l'ouverture de la procédure collective.

Les actes commis par le débiteur pendant la période de liquidation l'engagent personnellement et le dessaisissement ne crée à son profit aucune immunité.

Le débiteur reste ainsi tenu malgré son dessaisissement des conséquences dommageables des opérations réalisées sur le compte bancaire, fut-ce en violation du dessaisissement, et peut être débiteur envers la banque d'une indemnité de dommages intérêts lorsqu'il a manqué à ses obligations contractuelles.

Cette indemnité s'analyse alors comme une créance postérieure, née irrégulièrement et inopposable à la procédure collective.

Le créancier hors procédure ne pouvant être payé sur le gage commun des créanciers, il ne peut agir contre le débiteur pendant la durée de la procédure collective. (Com., 2 mai 2024, pourvoi n° 22-21.148)

L'action de la Banque postale, prématurée, est donc irrecevable.

Parties perdante, la banque supportera les dépens de première instance et d'appel.

Elle devra indemniser le liquidateur ès qualités des frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer pour les besoins de sa défense.

Par ces motifs

Déclare irrecevables les conclusions de la Selas Egide notifiées le 19 mars 2025,

Déboute M.[E] de sa demande d'annulation des assignations introductives d'instance,

Confirme le jugement en ce qu'il a dit l'action du liquidateur recevable,

L'infirme pour le surplus

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la Banque postale à payer à la Selas Egide ès qualités de liquidateur de M.[E] la somme de 46 621, 35 € avec intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2021 et ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière.

Déboute le liquidateur ès qualités de ses plus amples demandes,

Déclare irrecevables les demandes formées par la Banque postale à l'encontre de M.[B] [E],

Condamne la Banque postale aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la Banque postale à payer à la Selas Egide ès qualités la somme de

3000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente

.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site