CA Pau, 2e ch. sect. 1, 17 juin 2025, n° 24/01145
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupe Siat (SASU)
Défendeur :
Errai (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pellefigues
Conseillers :
M. Darracq, Mme Baylaucq
sur appel de la décision
en date du 01 DECEMBRE 2023
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONT DE MARSAN
Par jugement réputé contradictoire en date du 01 décembre 2023, le tribunal de commerce de Mont de Marsan a :
- Pris acte de la non comparution de la SARL ERRAI
- Dit que la SASU GROUPE SIAT [Localité 4], en ne mettant pas en conformité et en sécurité la machine à l'origine du sinistre, alors qu'elle avait connaissance de non-conformités, a failli à ses obligations légales
- Débouté la SASU GROUPE SIAT [Localité 4] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions
- Laissé à la charge de la SASU GROUPE SIAT [Localité 4] les entiers dépens, en ce compris les frais de la présente instance liquidés a la somme de 60,22 € TTC
- Moyennant ce, débouté les parties du surplus de leurs prétentions devenues inutiles ou mal fondées
Par déclaration en date du 16 avril 2024, la SASU GROUPE SIAT [Localité 4] a relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 02 avril 2025.
Dans ses dernières conclusions du 10 avril 2025, la SASU GROUPE SIAT [Localité 4] a demandé à la cour de :
Vu les articles 1245 et suivants du code civil,
Vu la jurisprudence susvisée,
Vu les explications qui précèdent,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les conclusions notifiées par la SARL ERRAI le 2/04/2025,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 2/04/2025,
Révoquer l'ordonnance de clôture et la reporter au jour des plaidoiries
Déclarer recevables les présentes conclusions notifiées le 10/04/2025
Il est demandé à la Cour de :
INFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de MONT DE MARSAN du 1er décembre 2023 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau :
JUGER imputable à la responsabilité de la Société ERRAI, l'accident dont a été victime Monsieur [F] [S], salarié de la Société SIAT, le 9 juin 2022 et ayant entrainé l'arrêt de l'empileur n°2 livré par la Société ERRAI ainsi que diverses prestations et travaux dont la société SIAT justifie.
En conséquence,
CONDAMNER la société ERRAI à payer à la SIAT la somme de 860.950,12 euros au titre du préjudice économique lié à l'arrêt de la machine et des frais qu'elle a été contrainte d'engager à la suite de l'accident du 9 juin 2022.
CONDAMNER la société ERRAI à régler à la SIAT la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNER la société SIAT aux entiers dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions du 02 avril 2025, la société Errai a demandé à la cour de :
Vu le jugement du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan du 1 décembre 2023
DECLARER recevable mais mal fondé l'appel interjeté par la société GROUPE SIAT ;
CONFIRMER en toutes ces dispositions le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
CONDAMNER la société GROUPE SIAT à payer à la société ERRAI la somme de 5 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la société GROUPE SIAT aux entiers dépens de première instance et d'appel.
SUR CE
En 2020, la société Groupe SASU GROUPE SIAT [Localité 4] (ci-après dénommée « SIAT») a acquis le site de [Localité 4] auprès de la société ENGELVIN Bois.
Ce site comprenait deux lignes d'empilage acquises préalablement par la société cédante auprès de la société Errai, conformément aux factures n°2018 20 07 F01 (ci-après empileur n°1) et n°2018 05 09 F01 (ci-après empileur n°2) en date des 20 juillet 2018 et 05 septembre 2018 pour un montant respectif de 82 300 euros HT et de 75 250 euros HT, et dont la propriété a été transférée à la société SIAT au moment de la vente du site.
Le 09 juin 2022, Monsieur [F] [S], un ouvrier intérimaire de la société SIAT, a été victime d'un accident du travail lors d'une intervention sur l'empileur n°2.
Le 10 juin 2022, l'inspection du travail a ouvert une enquête.
En parallèle, la gendarmerie a également ouvert une enquête, ayant donné lieu à une mise sous séquestre de la machine.
Le 10 juillet 2022, l'Acanthe est intervenue sur le site de [Localité 4] à la demande de l'inspection du travail afin de vérifier l'état de conformité de l'empileur n°2.
Elle a établi un rapport en date du le 18 novembre 2022, lequel concluait à l'existence de non-conformités.
Une expertise a de plus été diligentée par l'assureur de la société SIAT, à laquelle la société ERRAI n'a pas participé bien que dûment convoquée.
A la suite à de nouvelles interventions des 06 et 07 mars 2023, l'Acanthe a déposé un rapport de levée des réserves, aux termes duquel elle émettait un avis favorable à la remise en service de cette machine.
C'est dans ce contexte que la société SIAT a, suivant exploit en date du 18 juillet 2023, assigné la société ERRAI devant le tribunal de commerce de Mont de Marsan aux fins notamment de retenir sa responsabilité dans l'accident de Monsieur [F] [S] survenu le 09 juin 2022 et de la condamner à lui payer la somme de 860 950, 12 € au titre du préjudice économique lié à l'arrêt de la machine ainsi que des autres frais engagés.
Sur la responsabilité de la société Errai en ce qui concerne la défectuosité de la machine :
La société SIAT soutient que la société Errai engage sa responsabilité sur le fondement des dispositions des articles 1245 et suivants du code civil pour lui avoir vendu une ligne d'assemblage défectueuse.
L'appelante fait valoir que la cause de l'accident du travail dont a été victime Monsieur [F] [S] le 09 juin 2022 est imputable aux non-conformités de la machine, particulièrement à la détente des chaînes de soutien du descenseur, tel que les rapports de l'Acanthe et du cabinet LVS Expertise le montrent.
Elle soutient que la société Errai ne peut se plaindre de ne pas avoir pu débattre contradictoirement des constations techniques de ces rapports sachant qu'elle a refusé, bien que dûment avisée, de prendre part aux opérations d'expertise menées par le cabinet LVS Expertise.
En outre, elle fait grief au jugement entrepris d'avoir retenu que l'accident lui était imputable au regard de sa connaissance des non-conformités dès le mois de février 2022, au moment de la remise du rapport de l'Apave, alors même que la détente de soutien du descenseur n'avait pas été visée par ce rapport.
Par ailleurs, elle soutient que l'accident est survenu durant une opération de « gestion d'aléas » et non de réparation, pour laquelle Monsieur [F] [S] était compétent dans la mesure où il a participé aux formations portant sur les conditions d'utilisation en sécurité de la machine, organisées par la société Start People le 19 avril 2022 et par la société SIAT elle-même le 16 mai 2022. Selon ses dires, il n'a commis aucune faute.
Elle avance que le fait qu'un tel accident se produise pour la première fois ne permet pas d'écarter les non-conformités préexistantes de la machine.
En réponse, la société ERRAI expose que Monsieur [F] [S], comme lui-même l'a indiqué lors de son audition devant les services de gendarmerie, n'a suivi aucune formation relative à l'utilisation sécuritaire de la machine, hormis les indications de son collègue Monsieur [I].
Elle en déduit qu'il n'était dès lors pas habilité à intervenir, ce d'autant que la fiche de mission l'obligeait à alerter la maintenance en cas de panne.
Elle insiste sur le fait qu'il était nécessaire de solliciter le concours d'un technicien, s'agissant d'une opération de réparation, ce que n'a pas non plus fait Monsieur [J] [G], cadre d'encadrement, présent lui aussi au moment des faits, laissant Monsieur [F] [S] à pénétrer au sein de la ligne d'empilage sans aucune consigne précise.
Elle relève que Monsieur [F] [S] a concédé qu'aucune procédure n'a été portée à sa connaissance dans l'hypothèse de la survenance de ce type d'évènement, déclarant « On parlait de système D ».
Par ailleurs, la société ERRAI souligne qu'elle n'a jamais été mise en mesure de débattre contradictoirement des non-conformités relevées par l'Apave, l'Acanthe et le cabinet LVS Expertise. Il en résulte, selon ses assertions, que ces rapports ne peuvent donc seuls fonder une condamnation et ce en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, surtout qu'ils n'aboutissent pas aux mêmes conclusions.
L'article 1245 du Code civil prévoit que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
Aux termes de l'article 1245-3 du Code civil, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
La simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage.
L'article 1245-8 du Code civil précise que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
En l'espèce la machine a été acquise à l'état neuf auprès de la société ERRAI suivant facture des 20 juillet 2018 et 5 septembre 2018 et mise en fonctionnement le 10 septembre 2018 après déclaration de conformité datée du 30 août 2018.
Les circonstances de l'accident survenu le 9 juin 2022 et dont [F] [S] a été victime, sont décrites dans la fiche d'information accident. Il y est relaté que, ce jour-là après l'évacuation d'un colis complet, le descenseur de l'empileuse est resté coincé par trois planches que [F] [S] a tenté de décoincer en utilisant les commandes manuelles du descenseur.
Son collègue [J] [G] a actionné le bouton d'arrêt d'urgence afin d'isoler les énergies de la machine et la sécuriser en vue d'une intervention manuelle.
Lors de cette intervention [F] [S] a contourné la sortie de la machine de manière à accéder en dessous de cette dernière et d'atteindre les planches coincées à retirer les planches au fur et à mesure de l'intervention de [J] [G] qui consistait à couper les planches avec une tronçonneuse .
L'action manuelle effectuée sur la planche par [F] [S] en direction des chaînes de convoyage, pour retirer l'une des planches, a eu pour effet de libérer le descenseur resté jusque-là en position haute et qui à ce moment-là n'était plus retenu par les chaînes de montée/descente de celui-ci. Le descenseur est descendu soudainement blessant [F] [S], ouvrier intérimaire, par coincement de l'épaule gauche et de la cage thoracique entre la poutre horizontale du descenseur et l'extrémité de l'une des chaînes de transfert sortie paquets.
Les deux ouvriers sont intervenus manuellement et c'est l'action manuelle de la victime effectuée sur le plancher qui a eu pour effet de libérer le descenseur.
Or il résulte de la notice d'instruction de la machine et des consignes sur le fonctionnement de celle-ci remise à l'utilisateur, que le constructeur décline toute responsabilité découlant de l'utilisation impropre de la machine ou du non-respect des risques inhérents à l'utilisation de la machine ; il est insisté sur la nécessité d'arrêter la machine et de couper le courant électrique avant d'intervenir et de n'effectuer aucune opération si l'on est indécis ou pas instruit. Il est indiqué que toutes les opérations de maintenance doivent être effectuées par un personnel expérimenté et autorisé avec la machine arrêtée et les équipements de protection individuelle appropriés.
Le rapport de l'APAVE du 21 février 2022 à l'initiative du groupe SIAT portant sur le diagnostic d'un parc d'équipements de travail en service EMPILEUR 2, à partir des constatation effectuées le 19 janvier 2022 relève : « en l'absence de schéma électrique et pneumatique, nous ne pouvons nous prononcer sur le niveau de performance de la chaîne de sécurité d'arrêt des différents actionneurs lors de l'enfoncement d'un bouton d'arrêt type coup de poing à accrochage : un niveau de performance minimum selon la norme NF EN 13849 sera attendu. »
Le rapport de l'ACANTHE effectué à la diligence du groupe SIAT, mentionne un certain nombre de non-conformités et notamment il a été souligné que l'ensemble des actionneurs pneumatiques reste en énergie lorsque la machine est à l'arrêt .
Cependant il n'est pas établi que les défauts de conformité relevés sur la machine mise en service depuis plusieurs années avant l'accident, et remise en fonctionnement après le rapport de l'ACANTHE, soulignés dès le rapport de l'APAVE et auxquels la société SIAT n'a pas remédié, en particulier au niveau de la fiabilité du fonctionnement du système d'arrêt d'urgence , caractérisent sa défectuosité et son fonctionnement insécure qui seraient à l'origine de l'accident provoqué par l'intervention manuelle de la victime et de son collègue, non habilités à le faire, pour dégager des planches coincées dans la machine.
Dans ces conditions le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
La somme de 2000 € sera allouée à la société ERRAI sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré,statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Déboute la société SIAT de l'ensemble de ses demandes.
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Y ajoutant :
Condamne La SASU GROUPE SIAT [Localité 4] à payer à la SARL ERRAI la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Dit la SASU GROUPE SIAT [Localité 4] tenue aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Présidente, et par Monsieur MAGESTE, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.