CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 3 juin 2025, n° 23/17836
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Flight 83 (SAS), B.Wing (SAS)
Défendeur :
Wingstop Franchising LLC (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Barlow
Conseiller :
M. Le Vaillant
Conseiller :
Mme Ghorayeb
1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à Paris, le 27 septembre 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la London Court of International Arbitration (ci-après « LCIA »), dans un litige opposant B.Wing S.A.S. (ci-après « B.Wing ») et Flight 83 S.A.00S. (ci-après « Flight 83 »), à Wingstop Franchising LLC (ci-après « Wingstop »).
2. Wingstop est une société de droit étatsunien spécialisée dans la restauration rapide de spécialités texanes à base de poulet.
3. B.Wing et sa filiale Flight 83 sont des sociétés de droit français spécialisées dans l'exploitation de restaurants en France.
4. Le différend à l'origine de cette sentence porte sur l'exécution d'un contrat de franchise conclu le 21 septembre 2017 entre B.Wing et Wingstop (ci-après le « Contrat » ou « IMUFA »), auquel Flight 83 est devenu partie le 1er juillet 2019, par lequel Wingstop a accordé un droit de franchise exclusif à B.Wing pour ouvrir et exploiter l'enseigne Wingstop en France.
5. En contrepartie, B.Wing et Flight 83 se sont engagées à ouvrir et exploiter jusqu'à soixante-quinze restaurants de l'enseigne Wingstop en France sur une période de douze ans.
6. B. Wing et Flight 83 n'ont pas été en mesure de respecter le calendrier convenu puisque B.Wing a ouvert un unique restaurant le 22 novembre 2019.
7. Le 9 octobre 2020, Wingstop a proposé à B.Wing une révision du calendrier et une réduction de son territoire exclusif d'implantation de l'enseigne, ce que B.Wing a refusé par courrier du 30 octobre 2020.
8. Le 6 novembre 2020, Wingstop a rappelé ses manquements contractuels à B.Wing et indiqué refuser que B.Wing ouvre des franchises en dehors de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur.
9.Dans les mois qui ont suivi, B.Wing a adressé à Wingstop de multiples propositions d'ouverture de restaurants en dehors de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Toutes les propositions ont été refusées par Wingstop.
10. Le 11 février 2021, Wingstop a notifié à B.Wing la fin de l'exclusivité territoriale.
11. Le 3 septembre 2021, Wingstop a engagé une procédure d'arbitrage contre B.Wing en application de l'article 26 de l'IMUFA. Le 22 novembre 2021, Wingstop a engagé une autre procédure arbitrale contre Flight 83. Le 11 janvier 2022, l'arbitre unique a prononcé la jonction des deux instances.
12. Par « sentence partielle finale » ('partial final award'') du 27 septembre 2023, le tribunal arbitral s'est prononcé sur le principe des responsabilités en ces termes :
«- Le Premier Défendeur a enfreint des dispositions importantes du Contrat en ne respectant pas les Exigences Globales en matière de développement au cours de l'Année 1 et de l'Année 2 (c'est-à-dire au 31 décembre 2018 et au 31 décembre 2019).
- Le Demandeur a valablement mis fin au droit d'exclusivité du Premier Défendeur à compter du 11 février 2021.
- Le Demandeur n'a pas valablement réduit la taille du territoire en vertu du Contrat à la région PACA à compter du 6 novembre 2020.
- Le Premier Défendeur continue d'enfreindre les exigences globales en matière de développement prévues par le Contrat.
- Le Deuxième Défendeur est partie au Contrat, mais ses droits en vertu du Contrat et du Contrat d'Adhésion sont limités à l'exploitation du restaurant La Valette du Var.
- Le Deuxième Défendeur n'a aucun droit en vertu du Contrat, indépendamment de ceux du Premier Défendeur, d'ouvrir et d'exploiter des Restaurants sur le territoire.
- La résiliation par le Demandeur du droit d'exclusivité du Premier Défendeur à compter du 11 février 2021 s'applique mutatis mutandis au Deuxième Défendeur.
- Le Demandeur n'a pas, en ce qui concerne le Premier Défendeur, valablement réduit la taille du territoire en vertu du Contrat à la région PACA à compter du 6 novembre 2020, de sorte que la même réduction de la taille du territoire ne peut pas s'appliquer, mutatis mutandis, au Deuxième Défendeur.
- Le Demandeur n'a pas violé l'accord chaque fois qu'il a rejeté les propositions de développement de Restaurants des Défendeurs.
- Le Contrat n'a pas été résilié, y compris pour cause de répudiation.
- Les conditions préalables aux droits de sous franchise des Défendeurs en vertu de la clause 2 du Contrat de Sous Franchise n'ont pas été remplies.
- Le Demandeur n'a pas valablement mis fin aux droits des Défendeurs en vertu de l'Avenant relatif aux Droits de Sous Franchise, de sorte que les Défendeurs détiennent le droit d'engager des sous franchiseurs sous réserve des termes et conditions du Contrat de Sous Franchise. »
13. Flight 83 et B.Wing a formé un recours en annulation contre cette sentence partielle finale devant la cour de céans le 27 octobre 2023.
14. Le 31 octobre 2024, l'arbitre unique a rendu sa sentence finale sur le quantum et les coûts.
15. La clôture a été prononcée le 28 janvier 2025 et l'affaire appelée à l'audience du 17 mars 2025 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.
16. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 novembre 2024, B.Wing et Flight 83 demandent à la cour, au visa des articles 1520 du code de procédure civile, L. 330-1 et R. 330-3 du code de commerce, 695 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :
- JUGER recevables et fondés les moyens invoqués par les sociétés B.WING et Flight 83 aux fins de démontrer que la Sentence partielle encourt l'annulation ;
- ANNULER la sentence arbitrale intitulée ' Partial Final Award ' rendue à Paris le 27 septembre 2023, par un tribunal arbitral constitué sous l'égide de la London International Court of Arbitration (LCIA) (affaire n°215285), composé de Monsieur [C] [Y] [N], arbitre unique ;
- CONDAMNER la société Wingstop Franchising LLC à payer aux sociétés B.WING SAS et Flight 83 SAS la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société Wingstop Franchising LLC aux entiers dépens.
17. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 janvier 2025, Wingstop demande à la cour, au visa des articles 1464 alinéa 2, 1466 et 1518 à 1520 du code de procédure civile, 695 du code de procédure civile, 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :
- JUGER infondés les moyens invoqués par B.WING et Flight 83 aux fins de démontrer que la Sentence Partielle encourt l'annulation en ce que l'Arbitre Unique se serait déclaré à tort compétent, que l'Arbitre Unique a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée et que la reconnaissance ou l'exécution de la Sentence Partielle est contraire à l'ordre public international ;
- REJETER le recours en annulation formé par B.WING et Flight 83 à l'encontre de la Sentence Partielle rendue le 27 septembre 2023 dans l'affaire LCIA n° 215285 ;
- DÉBOUTER B.WING et Flight 83 de leurs demandes formées aux titres des frais irrépétibles et des dépens ;
- CONDAMNER B.WING et Flight 83 à payer conjointement et solidairement Wingstop la somme 175 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; et
- CONDAMNER B.WING et Flight 83 aux entiers frais et dépens au titre de l'article 695 du code de procédure civile.
Au soutien de leur recours, B.Wing et Flight 83 invoquent trois moyens d'annulation tirés de l'incompétence du tribunal arbitral, du non-respect par le tribunal arbitral de sa mission et de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence querellée avec l'ordre public international.
A. Sur le premier moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral
i. Position des parties
18. B.Wing et Flight 83 font grief au tribunal arbitral de s'être reconnu compétent alors que :
- Wingstop a cédé son droit de recourir à l'arbitrage à Citibank dans le cadre de conventions de garantie et sûreté signées le 14 novembre 2018, modifiées le 30 octobre 2020 (l'« Accord ») : Citibank, en tant que ' trustee ', est devenue titulaire des droits avec effet immédiat au 14 novembre 2018, et elle seule pouvait invoquer la clause compromissoire ou initier un arbitrage ;
- C'est à tort que l'arbitre unique a énoncé dans la sentence partielle que Wingstop n'a transféré qu'une partie de ses droits en accordant une sûreté et que le droit de recourir à l'arbitrage de Wingstop était maintenu ;
- Contrairement à ce qu'invoque Wingstop, ce moyen ne constitue pas, sous couvert d'une critique de la compétence de l'arbitre, une critique de la recevabilité de l'action de Wingstop, mais relève bien d'une question de compétence du tribunal arbitral.
19. Wingstop réplique que sous couvert d'un grief sur la compétence de l'arbitre, les demanderesses remettent en cause la qualité à agir de Wingstop et fait valoir que :
- L'appréciation de la recevabilité de l'action de Wingstop n'entre pas dans le champ de l'article 1520, alinéa 1er du code de procédure civile ;
- Dans l'affaire Jnah c. Marriott, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de cour d'appel retenant que l'arbitre s'était déclaré à tort compétent sur le fondement d'un contrat contenant une clause arbitrale qui avait été cédé à un tiers, alors qu'il s'agissait en réalité d'une question de qualité à agir, soit de recevabilité des demandes ;
- La compétence et la recevabilité en arbitrage international français se distinguent en ce qu'en cas de défaut de compétence, le demandeur peut toujours recourir à une autre juridiction (étatique) alors qu'en cas d'irrecevabilité, le demandeur ne peut recourir à aucune juridiction ;
- Si Wingstop ne peut recourir à l'arbitrage ni recourir à aucun tribunal au titre de l'IMUFA, c'est qu'il s'agit bien d'une question de recevabilité et non de compétence ;
- Surabondamment, c'est à tort que B.Wing et Flight 83 invoquent une cession totale de tous les droits de Wingstop à Citibank en vertu des conventions de sûreté et garantie, notamment de la clause compromissoire : l'arbitre unique a justement relevé qu'une telle cession totale n'a jamais eu lieu. Il résulte des stipulations contractuelles que Wingstop conserve donc le droit de recourir à l'arbitrage.
ii. Réponse de la cour
20. L'article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation contre la sentence arbitrale lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.
21. Pour l'application de ce texte, il appartient au juge de l'annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage.
22. En vertu d'une règle matérielle du droit de l'arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, qui investit l'arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique.
23. Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l'annulation, qui n'a pas à s'arrêter aux dénominations et qualifications retenues par les arbitres ou proposées par les parties, n'ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé.
24. En l'espèce, les parties ont conclu une clause compromissoire stipulée à l'article 26.1 du Contrat, dont la validité n'est pas contestée.
25.Pour contester la compétence du tribunal arbitral, les demanderesses au recours soutiennent que Wingstop a perdu son droit de recourir à l'arbitrage pour l'avoir transféré à Citybank dans le cadre d'un Accord de garantie de sûreté dont la section 3.1 stipule :
'To secure the Obligations, each Guarantor [i.e. Wingstop] hereby pledges, assigns, conveys, delivers, transfers and sets over to the Trustee [i.e. Citibank], for the benefit of the Secured Parties, and hereby grants to the Trustee, for the benefit of the Secured Parties, a security interest in such Guarantor's right, title and interest in, to and under all of the following property, to the extend now owned or at any time hereafter acquired by such Guarantor (collectively, the 'Collateral'): [']
(ii) with respect to Wingstop Franchisor, the Franchise Assets [']
(viii) the rights, powers, remedies and authorities of such Guarantor under (A) each of the Transaction Documents (other than the Indenture and the Notes) to which such Guarantor is a party and (B) each of the documents relating to the Franchise Assets, the Contributed Vendor Rebate Contracts or the New Vendor Rebate Contracts to which such Guarantor is a party '.
Traduction libre :
« Pour garantir les Obligations, chaque Garant [i.e Wingstop] met en gage, cède, transmet, livre, transfère et cède au Fiduciaire [i.e. Citibank], au profit des parties garanties, et accorde par la présente au Fiduciaire, au profit des parties garanties, une sûreté sur le droit, le titre et l'intérêt de ce garant dans, à et au titre de tous les biens suivants, dans la mesure où ils sont actuellement détenus ou acquis par ce garant (collectivement, les "biens collatéraux"):
(ii) en ce qui concerne le franchiseur Wingstop, les actifs de la franchise
(viii) les droits, pouvoirs, recours et autorités de ce Garant en vertu de (A) chacun des Documents de Transaction (à l'exception de l'Acte de Fiducie et des Notes) auxquels le Garant est partie et (B) chacun des documents relatifs aux Actifs de Franchise, aux Contrats de Rabais Fournisseur Contribués ou aux Nouveaux Contrats de Rabais Fournisseur auxquels ce Garant est partie ».
26. Ce faisant, les demanderesses au recours mettent en cause, non la compétence du tribunal arbitral à connaître du litige opposant les parties sur le fondement de la clause compromissoire contenue dans l'IMUFA, mais l'éventuelle perte du droit d'agir de l'une d'elles à raison d'un transfert de droits.
27. Cette question relevant de la recevabilité des demandes soumises à la juridiction arbitrale, le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral est inopérant, la cour relevant au surplus que la section 3.2 de l'Accord de garantie réservait le maintien du droit de recourir à l'arbitrage de Wingstop sauf révocation de la part de Citybank, dont la preuve n'est nullement rapportée, ainsi qu'a jugé l'arbitre unique (notamment §4.32 de la sentence).
28. La demande de B.Wing et Flight 83 d'annulation de la sentence sur le fondement de l'article 1520, 1°, du code de procédure civile sera donc rejetée.
B. Sur le deuxième moyen tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral
i. Position des parties
29. B.Wing et Flight 83 soutiennent que :
- L'arbitre unique ne s'est pas prononcé sur la dernière demande reconventionnelle de B.Wing et Flight 83 relative à la responsabilité de Wingstop, demande qui figurait pourtant dans leur mémoire du 24 février 2023 et dans leurs soumissions sur le quantum du 15 mars 2024 et tendant à ordonner à Wingstop de payer à B.WING et/ou Flight 83 des dommages-intérêts d'un montant de 8.8 millions d'euros en raison du retard causé par Wingstop ;
- Contrairement à ce qu'allègue Wingstop, B.Wing et Flight 83 ont soulevé en temps utile, conformément au règlement de la LCIA, chacune de leur demandes, en ce que :
o L'article 27 du règlement de la LCIA prévoit qu'une sentence additionnelle peut être sollicitée par une partie sous 28 jours après la sentence finale pour se pencher sur toute demande, reconventionnelle ou non, qui n'aurait pas été tranchée par la sentence finale ;
o Les demanderesses ont soulevé leur demande de sentence additionnelle dès le 15 mars 2024, soit plusieurs mois avant la sentence finale, rendue le 30 octobre 2024 ;
o Les sociétés demanderesses étaient donc recevables en leur demande et l'arbitre unique a jugé, à tort, dans un courrier du 3 avril 2024 qu'elles étaient hors délai.
- L'arbitre unique a manqué à sa mission en ne statuant pas sur les conséquences juridiques du manquement de Wingstop, après avoir pourtant reconnu que Wingstop n'avait pas valablement notifié aux demanderesses sa volonté de réduction du territoire exclusif ni n'avait le droit de refuser l'ouverture de nouveaux restaurants pour la seule raison qu'ils étaient en dehors du territoire injustement réduit ;
- L'arbitre unique a à tort considéré dans la sentence partielle finale que ces questions ne se posaient pas.
30. Wingstop réplique que :
- L'article 1466 code civil dispose que la partie qui s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.
- En application de la jurisprudence, l' infra petita, constitue une omission de statuer et non une violation de la mission dans le cadre de l'article 1520 3° du code de procédure civile et l'omission de statuer n'est pas un cas d'ouverture du recours en annulation dès lors qu'il n'est pas démontré que la partie requérante se trouvait dans l'impossibilité de saisir l'arbitre en omission de statuer alors que le règlement d'arbitrage sous l'empire duquel les parties s'étaient placées en vertu de la clause compromissoire prévoit cette possibilité ;
- L'article 27 du règlement de la LCIA précise que les sentences additionnelles pour trancher une demande ignorée par la sentence doivent être demandées dans un délai de 28 jours après la sentence finale. La sentence partielle finale ayant été rendue le 27 septembre 2023, B.Wing et Flight 83 n'étaient donc plus recevables à solliciter une sentence partielle après le 26 octobre 2023 ;
- Le courrier de l'arbitre unique du 3 avril 2024 confirme qu'aucune notification n'a été faite par B.Wing ou Flight 83 ;
- En tout état de cause, l'arbitre unique n'a pas manqué de statuer sur la demande reconventionnelle des demanderesses au recours en annulation ;
o La jurisprudence est constante sur la détermination de l'objet du litige par la convention d'arbitrage et non par l'énoncé des questions contenu dans l'acte de mission : conformément à l'article 26.1.3, l'arbitre unique devait se fonder sur les soumissions des parties contenues dans leurs mémoires respectifs et non sur la liste des questions ;
o L'arbitre unique s'est prononcé sur toutes les demandes fournies par les parties, y compris les demandes reconventionnelles ;
o Enfin, l'arbitre unique a intégré un paragraphe dans la sentence finale sur les quantums et les coûts pour réitérer qu'il n'y avait pas eu de demande reconventionnelle en bonne et due forme contrairement aux allégations de B.Wing et Flight 83 et qu'il y avait déjà répondu dans la sentence finale partielle.
ii. Réponse de la cour
Sur la recevabilité du grief
31. Selon l'article 1466 du code de procédure civile, rendu applicable à l'arbitrage international par l'article 1506 du même code, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.
32. Le grief invoqué par les requérants au titre du non-respect par le tribunal arbitral de sa mission repose sur une omission de statuer qui, au regard de sa nature, n'a pu être découverte qu'au prononcé de la sentence.
33.L'existence d'une procédure spécifique prévue par le règlement d'arbitrage afin de remédier à ce type d'omission est sans emport, l'utilisation de cette voie ne pouvant conditionner la saisine du juge de l'annulation, sauf à faire courir à une partie le risque d'une irrecevabilité de son recours pour tardiveté.
34. Le moyen est dès lors recevable.
Sur le bienfondé du grief
35. Selon l'article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.
36.Définie par la convention d'arbitrage, cette mission est principalement délimitée par l'objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu'il y ait lieu de s'attacher uniquement à l'énoncé des questions figurant dans l'acte de mission.
37. En l'espèce, les demanderesses au recours font grief à l'arbitre unique d'avoir manqué à sa mission en ne statuant pas sur les conséquences juridiques des manquements contractuels de Wingstop, bien qu'elles l'aient expressément sollicité dans leurs demandes reconventionnelles.
38. Un tel manquement, même à le supposer caractérisé, ne saurait toutefois justifier l'annulation de la sentence, l'omission de statuer ne constituant pas un cas d'ouverture du recours en annulation.
39. La cour relève, surabondamment, que :
- il résulte de la sentence partielle finale du 27 septembre 2023 que le tribunal arbitral a bien répondu à la demande des sociétés B Wing et Flight 83 puisque, tout en reconnaissant que Wingstop n'était pas en droit de rejeter les Dossiers de Site, le tribunal arbitral n'a pas considéré qu'elle était en manquement au Contrat et a retenu que « Les Défendeurs sont empêchés d'invoquer des manquements au Contrat par le Demandeur lorsqu'il s'agit du rejet des Dossiers de Site » (pièce B Wing et Flight 83 n°1, pages 117 à 119 de la version française de la sentence) ;
- dans la sentence finale du 31 octobre 2024, le tribunal arbitral a d'ailleurs largement exposé la demande de B Wing et Flight 83 de 8,8 millions d'euros (pages 20 à 24). Le tribunal y a par ailleurs rappelé que cette demande a été rejetée par un courriel adressé aux parties le 3 avril 2024. Il a en outre indiqué maintenir sa position en rappelant précisément les motifs pour lesquelles cette demande a été rejetée dans le cadre de la sentence partielle finale du 27 septembre 2023, en soulignant que la demande n'avait pas fait l'objet d'une notification dans les conditions prévues à l'article 27 du règlement de la LCIA et en retenant que l'un des arguments invoqués constituait une tentative tardive de soulever un moyen qui ne l'a pas été au stade approprié de la procédure, c'est-à-dire dans le cadre de la phase consacrée au bien-fondé des demandes (' merits ') (pièce B Wing et Flight 83 n°6, pages 34 et 35 de la sentence finale du 30 octobre 2024, développements sous le titre ' The Respondents' Request for an Award of Damages in the Amount of EUR 8.8 million ').
40.Il s'ensuit que le tribunal s'est conformé à la mission qui lui avait été confiée par les parties.
41.Par suite, la demande de B Wing et Flight 83 d'annuler la sentence sur le fondement de l'article 1520, 2°, du code de procédure civile sera rejetée.
C. Sur le troisième moyen tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence à l'ordre public international
i. Position des parties
42. B.Wing et Flight 83 soutiennent que la solution retenue par la sentence du 27 septembre 2023 contrevient à l'ordre public international en ce que :
- L'article L 330-3 du code de commerce, qui impose une obligation d'information précontractuelle à tout franchiseur, vise à protéger le franchisé souscrivant un engagement d'exclusivité en lui permettant d'apprécier la portée de cet engagement, en particulier s'agissant de la durée, des conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat et du champ des exclusivités ;
- Cette obligation, qui contribue à garantir la transparence et l'équilibre dans les relations commerciales et dont la violation peut entraîner l'annulation du contrat pour vice du consentement, relève de l'ordre public international, ce qu'a reconnu la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 25 octobre 2011 (n°10/24023) ;
- En l'espèce, Wingstop a fourni un document d'information précontractuel aux sociétés B.Wing et Flight 83 qui contenait un projet de contrat différent du contrat effectivement signé (sur la loi applicable et clause de résolution du litige) ;
- Dans sa sentence partielle, l'arbitre a reconnu à Wingstop un droit de refuser des propositions de sites faites par B.Wing qui n'était prévu ni dans le document d'information précontractuel ni dans l'IMUFA ;
- Par une telle décision, l'arbitre a altéré l'économie du contrat, en faisant peser une obligation supplémentaire sur les franchisés et, surtout, en accordant au franchiseur un droit de résilier de l'IMUFA, qui n'aurait pas reçu le consentement des demanderesses au recours si elles en avaient été informées avant la conclusion de l'Accord, de sorte que leur consentement au recours a été vicié.
43. Wingstop réplique que :
- Les dispositions de l'article L. 330-3 du code de commerce sont improprement qualifiées de lois de police et ne relèvent, en tout état de cause, pas de l'ordre public international :
o L'ordre public, même interne, s'accommode en effet de la violation de ces dispositions puisque celle-ci n'est sanctionnée que lorsqu'il en résulte un vice du consentement du créancier de l'information. Or, l'application d'une loi de police ne saurait dépendre de l'attitude des parties au litige ;
o Dans la mesure où il ne protège que des intérêts privés, l'article L. 330-3 du code de commerce relève en réalité de la catégorie des " lois de police internes " que la cour d'appel de Paris exclut de l'ordre public international ;
o En conséquence, il ne saurait être intégré à l'ordre public international qui, au regard d'une jurisprudence constante de la cour, ne rassemble que " des valeurs et des principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international " ;
- Les demanderesses n'établissent en tout état de cause aucune violation de l'article L. 330-3 du code de commerce :
o L'article L. 330-3 du code de commerce impose au franchiseur de remettre un document d'information précontractuelle (DIP) au moins 20 jours avant la signature du contrat de franchise, dont les informations sont précisées par l'article R. 330-1 du même code ;
o Les Demanderesses ne contestent pas avoir reçu un DIP au moins 20 jours avant la signature de l'IMUFA ;
o Les informations qu'elles prétendent (à tort) n'avoir pas reçues dans le DIP (loi et règlement d'arbitrage applicables) ne font pas partie de celles qui doivent être communiquées en vertu des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce.
- Si l'Arbitre Unique a expressément relevé dans la Sentence Partielle que Wingstop « n'a pas le droit exprès, en vertu du Contrat, de rejeter les Dossiers de Site », il a écarté la responsabilité de Wingstop à cet égard dans la mesure où il a considéré que les Parties se sont comportées comme si c'était le cas.
ii. Réponse de la cour
44. Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.
45. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.
46. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.
47. Les demanderesses au recours invoquent ici une atteinte portée à l'ordre public international à raison de la reconnaissance par l'arbitre unique du droit de Wingstop de refuser des propositions de sites faites par B.Wing qui n'étaient prévues ni dans le document d'information précontractuel ni dans l'IMUFA, cette reconnaissance heurtant selon elles les exigences de l'article L. 330-3 du code de commerce.
48. Les dispositions de l'article L. 330-3 du code de commerce régissent les obligations d'information au bénéfice du franchisé dont il est exigé un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité. Elles imposent au franchiseur, en amont de la conclusion du contrat, de fournir un document, dont le contenu est fixé par décret, donnant des informations sincères afin de permettre à l'autre partie de s'engager en connaissance de cause, ce document précisant notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.
49. Ces dispositions constituent des obligations formelles d'information au bénéfice du franchisé dont le non-respect n'est sanctionné par la nullité du contrat que dans la mesure où celui-ci a vicié le consentement du franchisé.
50. Leur méconnaissance, à la supposer acquise, ne peut être considérée comme portant atteinte à la conception française de l'ordre public international, la cour relevant qu'il n'est en toute hypothèse pas établi par les demanderesses que les informations qu'elles soutiennent n'avoir pas reçues, tenant notamment au droit de refuser des propositions de sites sur des bases élargies, entreraient dans le champ des exigences de l'article L. 330-3 du code de commerce.
51. Il s'ensuit que B.Wing et Flight 83 ne démontrent pas en quoi la reconnaissance ou l'exécution de la sentence contreviendrait à l'ordre public international.
52. Leur demande d'annulation de la sentence sur le fondement de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile sera en conséquence rejetée.
D. Sur les frais du procès
53. B.Wing et Flight 83 succombant en leurs demandes, elles seront condamnées in solidum aux dépens de l'instance en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile.
54. Pour ce motif, elles seront déboutées de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnées in solidum à payer, sur ce fondement, la somme de 50 000 euros à la société Wingstop.
Par ces motifs, la cour :
1) Rejette le recours en annulation formé contre la sentence rendue le 27 septembre 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la London Court of International Arbitration (LCIA Arbitration Case No. 215285) ;
2) Rappelle qu'en application de l'article 1527 du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence ;
3) Condamne in solidum les sociétés S.A.S. B.Wing et S.A.S. Flight 83 aux dépens ;
4) Condamne in solidum les sociétés S.A.S. B.Wing et S.A.S. Flight 83 à payer à la société Wingstop Franchising LLC la somme de cinquante mille (50 000) euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.