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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 3 juin 2025, n° 23/19404

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/19404

3 juin 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 3 JUIN 2025

(n° / 2025, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/19404 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CITZZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 novembre 2023 -Tribunal de commerce de MEAUX - RG n° 2023000812

APPELANT

Monsieur [S] [M]

Né le [Date naissance 2] 1990 à [Localité 12]

De nationalité française

Demeurant au Centre pénitentiaire de [Localité 11]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34,

Assisté de Me Frédéric MENGES, avocat au barreau de PARIS, toque D 284,

INTIMÉS

S.E.L.A.R.L. [8], prise en la personne de Me [G] [F], en qualité de liquidateur judiciaire de la société par actions unipersonnelle [9],

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 478 547 243,

Dont le siège social est situé [Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Marc TOULON de la SELARL CALCADA-TOULON-LEGENDRE, avocat au barreau de MEAUX,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 3]

[Adresse 3]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 4 mars 2025, en audience publique, devant la cour, composée de:

Madame Constance LACHEZE, conseillère faisant fonction de présidente,

Monsieur François VARICHON, conseiller,

Madame Isabelle ROHART, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Isabelle ROHART dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit du 27 février 2024.

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Constance LACHEZE, conseillère faisant fonction de présidente, et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS ET PROCÉDURE:

La société par actions simplifiée unipersonnelle [9] créée le 31 août 2015, avait pour activité la réparation et le changement de pare-brise. Son dirigeant est M. [S] [M] depuis sa création.

Par jugement du 17 janvier 2022, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert à l'égard de la société [9] une procédure de redressement judiciaire. La date de cessation des paiements a été fixée au 18 juillet 2020.

La procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 14 mars 2022 qui a désigné la SELARL [8] prise en la personne de Me [F], en qualité de liquidateur judiciaire.

Par arrêt du 30 juin 2022, la cour d'appel de Paris a confirmé la conversion en liquidation judiciaire.

La SELARL [8] ès qualités se prévalant de l'insuffisance d'actif de la société [9] s'élevant à 4 623 060 euros, a assigné M. [S] [M] devant le tribunal de commerce de Meaux en responsabilité pour insuffisance d'actif et en sanction personnelle, lui reprochant une déclaration tardive de cessation des paiements, une comptabilité faussée par rapport à la situation réelle de la société, un détournement de l'actif de la société et une gestion ruineuse ayant contribué à aggraver l'insuffisance d'actifs de la société [9] et invoquant des griefs de comptabilité irrégulière, utilisation des fonds de la société pour ses intérêts personnels et de dissimulation des disponibilités financières.

Par un jugement contradictoire du 20 novembre 2023, le tribunal de commerce de Meaux a prononcé à l'égard de M. [S] [M] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans, condamné M. [M] à payer à la SELARL [8] ès qualités la somme de 2 millions d'euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société [9], la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le tribunal de commerce a, pour retenir la responsabilité en insuffisance d'actif, caractérisé les fautes de gestion de déclaration tardive de cessation des paiements, comptabilité non probante et opaque, un détournement de l'actif de la société à titre personnel ; pour condamner M. [M] à une sanction personnelle, il a retenu les griefs de déclaration tardive de cessation des paiements, de tenue d'une comptabilité fausse et opaque, de détournement ou dissimulation d'une partie de l'actif de la société et de défaut de communication avec les organes de la procédure.

Par déclaration d'appel du 4 décembre 2023, M. [S] [M] a relevé appel de ce jugement, intimant la SELARL [8] prise en la personne de Me [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [9] d'une part et le procureur général d'autre part.

Parallèlement à la procédure devant le tribunal de commerce, M. [M] a été déclaré coupable de faits de banqueroute par comptabilité manifestement incomplète et de faits de banqueroute par détournement d'actifs par un jugement du tribunal correctionnel de Meaux du 9 mars 2023.

Ce jugement a été assorti d'une interdiction de gérer de 10 ans, le tribunal correctionnel a condamné M. [M] à payer à la SELARL [8] 54 519,56 euros au titre des sommes détournées et 100 000 euros au titre de la somme forfaitaire liée à l'absence de comptabilité chez [9].

Par ailleurs, M. [M] est aujourd'hui incarcéré pour des faits étrangers à cette procédure.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 2 septembre 2024, M. [M] demande à la cour :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

- Limiter l'éventuelle condamnation qui serait prononcée par la cour au quantum correspondant à la seule aggravation du passif de l'entreprise qui serait directement imputable aux fautes qui seraient retenues en cause d'appel à son encontre, ce sous déduction des condamnations déjà prononcées au titre des intérêts civils et visant à réparer le même préjudice,

- Limiter l'éventuelle interdiction de gérer qui serait prononcée à l'exclusion d'une mesure de faillite personnelle, à une durée compatible avec les faits lui étant reprochés, de la situation et des condamnations déjà prononcées à son encontre par le juge pénal,

En tout état de cause :

- Débouter l'intimé de son appel incident et rejeter la demande de condamnation formulée à hauteur de l'intégralité de l'insuffisance d'actif,

- Condamner la SELARL [8] ès qualités à verser à l'appelant une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens dont distraction au profit de Me Moisan sur son affirmation de droit par application de l'article 699 du même code.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 1er juin 2024, la SELARL [8] demande à la cour :

- Constater que M. [S] [M] a commis de nombreuses fautes de gestion dans le cadre de ses fonctions de dirigeant de droit de la société [9],

- Constater que ces fautes ont contribué à l'aggravation de l'insuffisance d'actif et qu'elles le rendent par ailleurs éligible à la sanction de faillite personnelle,

- Constater que l'insuffisance d'actifs s'élève à 4 623 060 euros,

En conséquence,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Meaux :

o En ce qu'il a reconnu que la responsabilité de M. [S] [M] au titre de l'insuffisance d'actif de la société [9] était engagée ;

o En ce qu'il a condamné ce dernier à une mesure de faillite personnelle de 10 ans;

- Infirmer pour le surplus et porter le montant de la condamnation de M. [S] [M] au titre de l'insuffisance d'actif de la société [9] à 4 468 570 euros, cette somme correspondant à la totalité de l'insuffisance d'actifs déduction faite des 154 519,56 euros alloués à la liquidation par le tribunal correctionnel de Meaux aux termes de son jugement du 9 mars 2023,

- Condamner M. [S] [M] à payer à la SELARL [8], es qualité, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

- A l'audience, le ministère public qui n'a pas déposé d'avis écrit, demande la condamnation de M. [M] à payer la somme de 1 000 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif et à 10 ans de faillite personnelle.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 4 février 2025.

SUR CE,

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

Le montant de l'insuffisance d'actif de la société [9] s'élève à 4 623 060 euros et n'est pas contesté.

M. [M] a été condamné par le tribunal de commerce de Meaux à contribuer à hauteur de 2 000 000 euros à cette insuffisance d'actif.

Le liquidateur a relevé appel incident sur ce dernier point et demande à la cour de condamner M. [M] au montant de 4 468 570 euros au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actifs, correspondant à la totalité de l'insuffisance d'actif déduction faite des 154 519.56 euros alloués à la liquidation judiciaire par le tribunal correctionnel de Meaux dans son jugement du 9 mars 2023.

' Sur la faute de gestion tenant à déclaration tardive de l'état de cessation des paiements

Les premiers juges qui ont relevé que le jugement d'ouverture du 17 janvier 2022 avait fixé la date de cessation des paiements de la société [9] au 18 juillet 2020, soit au maximum légal, ont considéré que l'absence de déclaration de cessation des paiements dans les délais légaux était fautive car excédant la simple négligence.

Le liquidateur judiciaire fait valoir que le passif a fortement augmenté entre le 18 juillet 2020 et le 17 janvier 2022, date de l'ouverture de la procédure. Il indique que le passif au 31 décembre 2019 s'élevait à 917 000 euros et à 954 000 euros au 31 décembre 2020. Le liquidateur en conclut que la faute et l'aggravation du passif sont caractérisées.

M.[M] répond que la fixation de la date de cessation des paiements au 18 juillet 2020 procède d'une erreur du tribunal. Il explique que la société débitrice avait dans un premier temps été assignée par le ministère public en ouverture d'une procédure collective, mais que le tribunal de commerce de Meaux avait, par jugement du 21 septembre 2020, rejeté la demande en considérant qu'il n'y avait pas lieu d'ouvrir une procédure collective, à cette date. Il fait valoir que ce jugement a autorité de chose jugée. Il en conclut qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir fautivement retardé l'ouverture de la procédure ou de ne pas avoir procédé à la déclaration de cessation des paiements avant cette date et même dans les 45 jours suivant le prononcé de ce premier jugement soit jusqu'au 6 novembre 2020, ce jugement étant passé en force de chose jugée. Il soutient qu'en fait c'est son incarcération intervenue le 1er décembre 2021 qui a précipité les difficultés et que c'est ainsi le redressement judiciaire a été ouvert, cette fois ci encore à la requête du ministère public. Par ailleurs il prétend qu'il n'est pas démontré qu'entre le 6 novembre 2020 et le 16 septembre 2021, le passif se soit aggravé dans les proportions indiquées par l'intimé, soit 3 700 000 d'euros ou même 2 000 000 d'euros. Il considère que ce montant a été retenu arbitrairement par le liquidateur judiciaire, qu'il comprenait des dettes qui n'étaient pas toutes nées au cours de l'exercice 2021 et notamment la créance du service des impôts au titre du rehaussement pour 425 000 euros, ni les créances correspondant aux déchéances des soldes des contrats de prêt ou de crédit-bail, et notamment le prêt [5] à hauteur de 270.000 euros. Ces dettes qui étaient antérieures à la date de cessation des paiements ou qui sont nées par l'effet du jugement d'ouverture et ne sauraient ainsi être imputées aux fautes reprochées à M. [M]. Il ne pourrait être condamné qu'au passif réellement et nouvellement crée après le 6 novembre 2020, sur un montant qui ne saurait atteindre le quantum de 2 000 000 d'euros fixé arbitrairement par le tribunal. Selon lui ce n'est pas le retard apporté à effectuer une déclaration de cessation des paiements qui a créé le passif, mais c'est le changement de modèle économique de l'entreprise allié à la crise du covid 19 et les fermetures d'établissements qui ont causé la déconfiture et alourdi le passif.

Il résulte de l'article L.651-2 du code de commerce que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

En l'espèce, alors que l'article L. 634-1 du code de commerce fait obligation à toute entreprise d'effectuer une déclaration de son état de cessation des paiements et de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai de 45 jours de la survenance de celle-ci, M. [M] s'est abstenu d'y procéder, sans pour autant demander l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Si par jugement du 21 septembre 2020 le tribunal avait rejeté la demande d'ouverture d'une procédure collective, au motif qu'à cette date la société débitrice n'était pas en cessation des paiements, le jugement du 17 janvier 2022 a irrévocablement fixé la déclaration de cessation des paiements au 18 juillet 2020 sur la base d'éléments postérieurs et nouveaux. Cette date s'impose au juge de la sanction.

Il résulte en outre du rapport de Me [X], administrateur judiciaire, que " la gestion hasardeuse de la société par M. [M] et les moyens employés pour retarder l'ouverture du redressement judiciaire ont eu pour effet de créer un passif considérable " et il considère en page 6 de son rapport qu'il est très vraisemblable que l'état de cessation des paiements ait été caractérisé dès 2020. De son côté, la cabinet [6], technicien désigné par le juge-commissaire, indique que les déclarations de créances déposées révèlent des difficultés financières de la société [9] dès le 2ème semestre 2019, que dès 2019 le passif exigible s'accroit car la société ne règle pas ses dettes fiscales et sociales et que l'analyse des relevés bancaires met en évidence l'absence de liquidités suffisantes pour assurer ses paiements dès la fin de l'année 2019. Il en conclut qu'à tout le moins la société [9] était en état de cessation des paiements depuis le 18 juillet 2019.

M. [M] n'ayant pas déclaré l'état de cessation des paiements dans les 45 jours à compter du 18 juillet 2020 sans demander pour autant l'ouverture d'une procédure de conciliation, la faute de gestion est caractérisée et cette faute excède la simple négligence.

Il résulte des comptes sociaux que le passif était d'un montant de 917.000 euros, de 954.000 euros au 31 décembre 2020 et que le passif admis s'est élevé à 4.655.000 euros, ce qui démontre l'importance de l'augmentation du passif pendant la période suspecte.

En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal a retenu cette faute de gestion.

' Sur la faute tenant à la comptabilité anormale et opaque

Les premiers juges ont retenu que les comptes présentés par la société [9] ont un caractère non probant et opaque et notamment que l'apport en nature de 800 000 euros permettant de porter le capital à hauteur d'un million d'euros n'est pas justifié.

Le liquidateur judiciaire fait valoir que la société [9] a présenté des comptes faussés par rapport à sa situation réelle, c'est pour cette raison qu'une mission d'expertise a été confiée à la société [6] qui a confirmé le caractère anormal et opaque de la comptabilité.

Il considère que l'apport en nature de 800 000 euros du 16 juin 2021 augmentant le capital social à 1 million d'euros n'est pas justifié, alors qu'au 30 juin 2021, le capital social était de 200 000 euros, l'appelant a donc sciemment trompé ses partenaires sur la rentabilité et la santé réelle de sa société.

S'agissant des relevés de compte, il estime que ceux-ci font apparaître de nombreux retraits en espèces, alors que les comptes sociaux ne font état d'aucun compte de caisse.

Le liquidateur judiciaire estime que ces irrégularités s'expliquent par le fait que l'expert-comptable de la société [9], avait des intérêts personnels dans l'exploitation de celle-ci, ce dernier ayant octroyé à des conditions très favorables pour lui, un prêt à sa cliente pour 180 000 euros le 19 juin 2019, créant des flux anormaux entre les deux sociétés. Par ailleurs, selon lui, ce sont près de 646 840 euros qui ont été payés au cabinet d'expertise comptable sans que l'on sache à quoi cette somme correspond. De surcroît, il relève que de nombreux prêts ont été accordés à la société débitrice, qui n'auraient pas dû l'être si sa comptabilité avait donné une image fidèle, or l'obtention de ces crédits et leur absence de remboursement n'ont fait qu'aggraver le passif de la liquidation.

Enfin, le liquidateur judiciaire conteste avoir reçu une copie de la comptabilité par le dirigeant de la société [9].

M. [M] répond que la comptabilité de la société [9] était tenue par le cabinet [7] en la personne de M. [V], qu'il a personnellement remis au mandataire une clé USB contenant la comptabilité de la société, que les livres de compte existaient, étaient tenus et avaient bien été communiqués aux organes de la procédure. Il souligne que sur le plan pénal, il n'a été retenu contre lui que le fait que la comptabilité était incomplète et non insincère.

Il ajoute qu'en tout état de cause l'absence de communication au mandataire des pièces comptables ne sauraient être à l'origine de la création ou de l'aggravation du passif.

Sur l'apport en nature d'un montant de 800 000 euros portant le capital social à 1 million d'euros, il explique qu'il s'agit d'une erreur matérielle de l'expert-comptable de la société qui avait déposé un greffe du tribunal un projet non réalisé suite au défaut de production du rapport du commissaire aux apports et que c'était à tort que cette formalité avait été enregistrée par le greffe et qu'il y avait eu depuis rectification, et que subsidiairement cette opération a eu lieu le 16 juin 2021 soit avant l'ouverture de la procédure collective le 16 septembre 2021.

La cour constate que M. [M] reconnait que la comptabilité était incomplète, ce qui est corroboré par le rapport du technicien qui indique n'avoir reçu que des éléments incomplets. L'expert-comptable de la société [9] a écrit au technicien " les pièces remises à Me [F], sont des situations prévisionnelles de bilan et non des bilans arrêtés et signés par l'expert-comptable. Aucune signature ou cachet ne figure sur ces liasses fiscales, ces situations ne sont que provisoires. Leur analyse démontre que de nombreuses écritures (d'amortissement, écriture d'inventaire et d'impôt sur les sociétés) ne sont pas présentes. Les bilans 2020 et 2021 n'ont jamais été établis faute de documents comptables manquants' ".

Par ailleurs, le technicien a mentionné dans son rapport que la gestion opaque de la société, faute d'éléments comptables, n'a pas permis de constater quels ont été les bénéficiaires des sorties de fonds importantes et c'est ainsi que la société [9] a emprunté plus d'un million d'euros entre juin 2019 et juin 2020 et que les fonds n'ont pas été retrouvés dans la trésorerie. Il est ainsi établi que la comptabilité était incomplète et il s'agit d'une faute d'une particulière gravité car ce défaut de comptabilité fiable n'a pas permis à la société [9] de bénéficier d'outils de pilotage et au contraire, ainsi que le mentionne le technicien, a permis une gestion opaque de la société et d'aboutir à des prélèvements non justifiés. Cette faute de gestion a ainsi gravement contribué à l'insuffisance d'actif.

Il s'ensuit que c'est à juste titre que le tribunal a retenu cette faute de gestion.

' Sur le détournement des fonds de la société

Les premiers juges ont retenu d'une part qu'il existait des retraits d'espèces sans justification des bénéficiaires, et d'autre part, qu'il a été constaté des flux financiers entre la société [9] et la société [10], toutes deux dirigées par M. [M] et que ce dernier n'a pas justifié de l'utilisation des fonds empruntés pour un montant d'environ 1 000 000 d'euros.

Le liquidateur judiciaire estime que M. [M] a détourné des fonds de la société [9] pour des intérêts étrangers à celle-ci. Il souligne que la société [9] a eu recours massivement à l'emprunt au cours du 1er semestre 2020, ces fonds n'ont pas servi à renforcer sa trésorerie, mais ont été utilisés en chèques, virements et retraits d'espèces non identifiés.

Il fait valoir que malgré un résultat net bénéficiaire de plus de 100 000 euros chaque année sur les exercices 2017 à 2020, la société [9] n'avait plus aucune trésorerie, et M. [M] n'a fourni aucune explication sur le sort des fonds empruntés.

Le liquidateur judiciaire ajoute que M.[M] dirigeait de nombreuses sociétés, notamment la société [10] placée en liquidation judiciaire depuis, qu'il y avait donc une réelle suspicion de transfert de fonds vers ses autres sociétés ou à titre personnel, la procédure pénale ayant notamment démontré que celui-ci avait retiré en espèces 167 835 euros entre 2015 et 2018.

M.[M] répond que c'est le cabinet d'expertise comptable [7] qui avait accordé depuis juin 2021, un concours financier exceptionnel à la société [9] qui avait besoin d'un relais de trésorerie pour un montant total de 250 000 euros et non 680 000 euros comme indiqué par le liquidateur. Il soutient que ce prêt n'est pas illicite et ne constitue pas un flux anormal car il n'est pas interdit de recevoir un prêt d'un fournisseur, tel son expert-comptable.

Il ajoute que le prêt est de 250 000 euros et non de 684 840 euros, que le liquidateur a à tort additionné des mouvements de caisse et écritures comptables tout en prenant en compte des chèques qui n'ont pas été remis à l'encaissement, n'ayant pas été honorés, faute de provision, il n'est pas démontré que [9] aurait versé à [7] la somme de 648 840 euros entre 2017 et 2022, qui en outre n'était pas son expert-comptable avant 2018. Il mentionne à cet effet que la société [7] a déclaré sa créance pour 250 000 euros à la procédure et non pour 648 840 euros.

Il indique encore que les flux entre [7] et [9], antérieurs à la date de cessation des paiements même si anormaux, ne peuvent avoir contribué au passif et ne sauraient justifier de la condamnation proposée et aucune somme n'a été versée à la société [7] après la date de cessation des paiements que le règlement des honoraires, les chèques correspondant au remboursement de l'emprunt n'ayant pas été honorés et n'ayant pu, de ce fait, aggraver le passif.

S'agissant de l'utilisation non justifiée des fonds empruntés pour un montant d'environ un million d'euros, il fait valoir que le liquidateur judiciaire ne justifie pas en quoi ce montant aurait été détourné par lui et il insiste sur le fait qu'il n'existe aucune preuve de détournements, qu'il s'agit d'une simple suspicion de transfert de fonds vers ses autres entités ou à son bénéfice personnel.

Il précise que le juge pénal n'a retenu qu'un montant de 54 519,56 euros de dépenses considérées comme personnelles, et qu'en conséquence ces détournements n'ont pu aggraver le passif que dans la limite de 54 519,56 euros et non de 2 000 000 euros. Il indique que le préjudice subi par les créanciers de la procédure a déjà été réparé par la condamnation au pénal au titre des intérêts civils octroyés au liquidateur, qui ne saurait formuler une double demande à ce titre.

La cour constate que s'il n'existe pas de preuve des détournements vers des tiers, faute d'éléments comptables, néanmoins M.[M] reconnait l'existence de détournements effectués à titre personnel pour 54 519,56 euros.

Il s'agit d'une faute de gestion d'une particulière gravité et le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu cette faute.

' Sur la faute de gestion ruineuse des effectifs

Le liquidateur judiciaire fait valoir que la gestion ruineuse des effectifs a conduit à générer un passif supplémentaire de 193 000 euros.

Il indique qu'au premier et second semestre 2021, la société a recruté massivement (45 personnes) et licencié massivement en novembre et décembre 2021 (41 personnes), que c'est ainsi qu'il a été sollicité par 61 salariés qui attendaient leur solde de tout compte au mois de novembre 2021, qu'il a dû demander la prise en charge de l'AGS pour 193 000 euros.

M. [M] répond que la gestion calamiteuse des effectifs n'est pas avérée et n'a pas contribué à aggraver le passif, la dette sociale ne résultant que de l'échec de l'activité de la société débitrice.

La cour constate que M. [M] a embauché 45 personnes pendant l'année 2021, alors que la société était déjà en état de cessation des paiements et ne payait pas ses dettes fiscales et sociales et n'explique pas ce qui aurait rendu nécessaire des embauches massives, pour décider brutalement de licencier 41 salariés à la fin de l'année. Il s'agit manifestement d'une gestion erratique, qui a nécessité la prise en charge des AGS et a donc augmenté le passif. La faute est ainsi caractérisée et sera retenue.

Sur le montant de la condamnation au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif.

Le tribunal avait condamné M.[M] à payer au liquidateur, ès qualités, une somme de 2 millions d'euros.

En appel, le liquidateur judiciaire demande la condamnation de M. [M] à lui payer la somme de 4.468.570 euros, correspondant à la totalité de l'insuffisance d'actif, déduction faite des 154 519,56 euros alloués à la liquidation par le tribunal correctionnel de Meaux aux termes de son jugement du 9 mars 2023.

La cour relève que le passif s'est aggravé de plus de 3 millions d'euros pendant la période suspecte, ce qui est la conséquence de l'omission d'effectuer la déclaration de l'état de cessation des paiements pendant le délai légal, que le caractère opaque et incomplet de la comptabilité a permis à M. [M] de transférer des fonds, sans justification, à des tiers ou à lui-même, que l'on ne retrouve pas en trésorerie le million d'euros qui a été emprunté et qu'enfin les embauches importantes de salariés, suivies très rapidement par des licenciements ont aggravé le passif.

Compte tenu de ces éléments et de la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel, il apparait proportionné de condamner M. [M] à payer à la SELARL [8], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [9], la somme de 1 000 000 d'euros au titre de l'insuffisance d'actif.

Sur la sanction personnelle

' Sur le grief de détournement de l'actif de la société.

Le liquidateur judiciaire estime que M. [M] a utilisé les fonds de la société [9] dans son intérêt personnel ou pour favoriser une autre de ses sociétés, notamment la société [10].

M. [M] soutient que les détournements à son profit n'excèdent pas 54.519 euros, tels que retenus par le juge pénal.

L'article L.653-4 du code de commerce dispose que " Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après : ['] 3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement "

En l'espèce, le grief de détournement de la somme de 54.519 euros est caractérisé, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal l'a retenu.

' Sur le grief de défaut de coopération avec les organes de la procédure collective

Le liquidateur judiciaire fait valoir que M. [M] n'a pas coopéré avec les organes de la procédure collective notamment en s'abstenant de présenter la comptabilité au liquidateur et en ne donnant pas d'explication en mouvements bancaires des fonds de la société [9].

L'article L.653-5 du code de commerce dispose que " Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après : (') 5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ; "

En l'espèce, outre les affirmations du liquidateur judiciaire, il résulte du rapport de Me [X], administrateur judiciaire et du rapport du technicien, que très peu de documents sont parvenus aux organes de la procédure, que le technicien indique " nous n'avons pas pu, malgré nos multiples relances par courriers et e mails, obtenir les détails des comptes ou même les fichiers d'écritures comptables (') ".

Ce défaut de remise des documents, malgré les relances, revêt un caractère volontaire et a nui au bon déroulement de la procédure.

Le grief est donc caractérisé et c'est à juste titre que le tribunal l'a retenu.

' Sur le grief de comptabilité irrégulière

Le liquidateur estime que M. [M] a tenu une comptabilité irrégulière et ce dernier admet qu'elle est incomplète mais non insincère.

L'article L.653-5 du code de commerce dispose que " Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après : (') 6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ; "

En l'espèce, ainsi qu'il a été précédemment démontré la comptabilité était incomplète et opaque.

Le grief est caractérisé et c'est donc à juste titre que le tribunal l'a retenu.

' Sur le grief de dissimulation des disponibilités financières

Le liquidateur fait valoir que M. [M] a clairement dissimulé des disponibilités financières de la société [9] en les utilisant à des fins étrangères à l'intérêt de celle-ci.

L'article L.653-4 du code de commerce dispose que " Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après : ['] 5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. "

En l'espèce, le fait d'avoir effectué des retraits d'argent et des virements à des personnes physiques ou morales, non identifiées et sans qu'il soit justifié d'une contrepartie s'assimile à un détournement de l'actif.

Le grief est également caractérisé et c'est donc à juste titre que le tribunal l'a retenu.

Sur la sanction personnelle

M. [M] fait valoir que les griefs susceptibles de lui être réellement imputés n'étaient pas par leur nature et leur gravité de nature à justifier du prononcé de la mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans. Il indique avoir 3 enfants à charge et demande à ce qu'une sanction d'interdiction de gérer et non de faillite personnelle soit prononcé pour une durée plus brève.

Le liquidateur judiciaire et le ministère public demandent la confirmation du jugement qui l'a condamné à une faillite personnelle de 10 ans.

La cour relève que les agissements de M. [M], en raison notamment d'une comptabilité incomplète et opaque, du défaut d'explications fournies aux organes de la procédure sur le fait que les importantes sommes empruntées ne se sont pas retrouvées dans la trésorerie de la société débitrice ont contribué à l'importance de l'insuffisance d'actif.

Compte tenu de la gravité et de la multiplicité des griefs retenus, c'est à juste titre que le tribunal l'a condamné à une faillite personnelle de 10 ans.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur les dépens et frais hors dépens

M. [M], qui demeure condamné en cause d'appel, sera condamné aux dépens, ainsi qu'à payer à la SELARL [8], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [9], une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamné aux dépens, M. [M] ne peut prétendre au paiement d'une indemnité au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné M. [M] à une sanction de faillite personnelle d'une durée de 10 ans,

Confirme le jugement en ce qu'il a reconnu que la responsabilité de M. [S] [M] au titre de l'insuffisance d'actifs de la société [9] était engagée,

L'infirme sur le montant de la condamnation,

Statuant à nouveau de ce chef infirmé,

Condamne M. [S] [M] à payer à la SELARL [8] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [9], la somme de 1 000 000 (un million) d'euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif,

Condamne M. [S] [M] aux dépens et à payer à la SELARL [8] ès qualités une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [S] [M] de sa demande à ce titre.

Liselotte FENOUIL

Greffière

Constance LACHEZE

Conseillère faisant fonction de présidente

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