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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 3 juin 2025, n° 24/20054

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/20054

3 juin 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 3 JUIN 2025

(n° / 2025 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/20054 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKOLL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 octobre 2024 -Tribunal de commerce de MELUN - RG n° 2024P00856

APPELANTE

S.A.S. TASQUINE, prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [T] [U] [S], domicilié audit siège en cette qualité,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MELUN sous le numéro 815 150 156,

Dont le siège social est situé [Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée et assistée de Me Carmencita BISPO, avocate au barreau de PARIS, toque : D0104,

INTIMES

S.E.L.A.R.L. MJC2A, ès qualités,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'EVRY sous le numéro 501 184 774

Dont le siège social est situé [Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Sarah DEGRAND de la SCP FGB, avocate au barreau de MELUN,

Assistée de Me Sara CLAVIER, avocate au barreau de MELUN, toque M2,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 3]

[Localité 5]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 mai 2025, en audience publique, devant la cour, composée de:

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Constance LACHEZE, conseillère,

Monsieur François VARICHON, conseiller,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur Serge ROQUES, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit du 26 février 2025 et ses observations orales lors de l'audience.

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS ET PROCÉDURE:

La société par actions simplifiée Tasquine, créée en 2016 par M. et Mme [S], exploite un fonds de commerce de restauration sous le nom commercial de " A Tasquinha ". Elle a deux salariés, son président M. [S] et sa directrice générale Mme [S].

Par requête, le ministère public a saisi le tribunal de commerce de Melun aux fins d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Tasquine. Le tribunal a désigné un enquêteur par jugement du 23 septembre 2024.

Par jugement réputé contradictoire du 21 octobre 2024, le tribunal de commerce de Melun a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Tasquine, fixé la date de cessation des paiements au 22 avril 2023 et désigné en qualité de liquidateur judiciaire la SELARL MJC2A, prise en la personne de Me [E].

Le tribunal s'est référé au rapport d'enquête préconisant l'ouverture d'un redressement judiciaire - dont il n'a pas suivi les conclusions -, listant les créances de la société Tasquine (une créance URSSAF de 5 876,96 euros, une créance du SIE de Roissy-en-Brie de 8 802,95 euros et une créance de 1 449 euros de la SA M.A.J.).

En l'absence de la débitrice à l'audience, le tribunal a retenu l'absence de proposition permettant d'apurer le passif et de poursuivre l'activité.

Par déclaration du 26 novembre 2024, la société Tasquine a relevé appel du jugement rendu le 21 octobre 2024 en intimant la SEARL MJC2A en sa qualité de liquidateur judiciaire, et le ministère public.

Par ordonnance du 27 mars 2025, le délégataire du Premier président a fait droit à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 21 janvier 2025, la société Tasquine demande à la cour de :

- la juger recevable et bien fondée en son appel, et y faisant droit ;

- débouter le ministère public et la SELARL MJC2A ès-qualités de ses demandes, fins et conclusions, comme irrecevables et mal fondées ;

- infirmer les termes du jugement rendu en date du 21 octobre 2024 par le tribunal de commerce de Melun en toutes ses dispositions ;

- en conséquence, statuant à nouveau, déclarer que la société Tasquine n'est pas en état de cessation de paiement ;

- déclarer que le redressement de la société Tasquine est envisageable ;

- à titre subsidiaire, convertir la procédure de liquidation judicaire ordonnée en procédure de redressement judiciaire à l'endroit de la société Tasquine ;

- en tout état de cause, condamner le ministère public aux entiers dépens ;

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 6 mars 2025, la SELARL MJC2A agissant en qualité de liquidateur judiciaire, demande à la cour de :

- débouter la société Tasquine de toutes ses demandes fins et conclusions ;

- en tout état de cause, constater l'état de cessation des paiements de la société Tasquine ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société Tasquine ;

- subsidiairement prononcer l'ouverture de son redressement judiciaire si des moyens sérieux de redressement sont justifiés et dans ce cas renvoyer le dossier devant le tribunal de commerce de Melun pour la poursuite des opérations de redressement ;

- condamner la société Tasquine en tous les frais et dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 26 février 2025, le ministère public demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé l'ouverture de la liquidation judiciaire à l'égard de la société Tasquine si la société n'établit pas l'existence d'un bénéfice en 2024 ouvrant des perspectives de redressement ;

- infirmer le jugement, en présence d'éléments comptables pour l'audience établissant l'existence d'un résultat pour 2024 ouvrant des perspectives de redressement.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 29 avril 2025.

SUR CE,

L'article L. 640-1 du code de commerce institue une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

Sur l'état de cessation des paiements

L'article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme l'impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.

La preuve de l'état de cessation des paiements doit être rapportée par celui qui demande l'ouverture de la procédure alors que la preuve de l'existence de réserves de crédit ou de moratoires lui permettant de faire face à son passif exigible incombe au débiteur.

En cas d'appel, l'état de cessation des paiements s'apprécie au jour où la cour statue.

La société Tasquine soutient qu'elle n'est pas en état de cessation des paiements, que la liquidation judiciaire a été ordonnée sur la base de seulement trois dettes pour un montant total de 16 128, 91 euros, que son compte bancaire faisait état d'un solde créditeur de 3 010,36 euros au 31 octobre 2024, que ses demandes visant à établir un échéancier de paiement auprès de l'URSSAF et du SIE de [Localité 7] sont restées sans réponse, qu'elle a procédé à ses obligations déclaratives en temps utiles auprès de l'URSSAF et qu'aucune dette salariale n'existait avant sa mise en liquidation, que, par comparaison, son fonds de commerce, racheté à la barre de sorte que celui-ci a été intégralement payé ab initio, constitue une immobilisation incorporelle à hauteur de 17 000 euros, qu'elle possède d'autres immobilisations incorporelles évaluées à 13 153 euros, précisant que si les immobilisations ne sont pas prises en compte dans le calcul de l'actif disponible, elles constituent néanmoins un élément important dont la cour devra tenir compte dans son raisonnement, qu'en 2023 elle a réalisé en chiffre d'affaires de 141 478 euros, qu'il ressort du prévisionnel un bénéfice de 38 897 euros au titre de l'année 2025/2026, que ses résultats fiscaux étaient déficitaires depuis 2020 (pour l'année 2020 : un déficit de 16 023 euros, pour l'année 2021 : un déficit de 61 822 euros, pour l'année 2022 : un déficit de 14 470 euros, pour l'année 2023 : un déficit de 20 051 euros.

Le liquidateur judiciaire indique qu'il résulte des créances déclarées un passif de 36 071,44 euros, que l'actif disponible s'élève à 3 000 euros et que dans ces conditions l'état de cessation des paiements est avéré.

Le ministère public fait observer que la société Tasquine ne peut faire face à son passif exigible, s'élevant à 16 128, 91 euros, avec son actif disponible, constitué d'un solde créditeur bancaire de 3 010,36 euros au 31 octobre 2024.

- Sur le passif exigible

Il ressort de l'état des créances déclarées au 18 février 2025 que le passif déclaré de la société Tasquine s'élève à 36 071,44 euros dont 10 142,75 euros à titre provisionnel et 18 130,15 euros à échoir. Sept créances ont été déclarées par la banque BCP (19 327,34 euros dont 18 130,15 euros à échoir), les sociétés EDF (1 059,89 euros), Elis (1 071,81 euros), Engie (175,73 euros), Orange (749,63 euros), le PRS de Seine-et-Marne (1 617 euros) et l'URSSAF d'Île-de-France (12 070,14 euros dont 10 142,75 euros à titre provisionnel). Aucune d'entre elles n'est contestée.

Ne relèvent pas du passif exigible au sens de l'article L. 631-1 du code de commerce les créances déclarées à titre provisionnel et à échoir, en l'occurrence de 10 142,75 euros pour la créance de l'URSSAF et de 18 130,15 euros pour la part de la créance de la banque BCP correspondant au capital restant dû au titre d'un prêt PGE devenu exigible uniquement en raison de l'ouverture de la liquidation judiciaire.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant du passif exigible au sens de l'article L. 631-1 du code de commerce s'élève à la somme 7 798,54 euros (36 071,44 - 10 142,75 - 18 130,15).

- Sur l'actif disponible

Il est constant que l'actif disponible consiste en un solde créditeur du compte bancaire de la société Tasquine ouvert auprès de la banque BCP qui s'élevait à 3 010,36 euros au 31 octobre 2024.

Il s'ensuit que cet actif disponible ne permet pas de faire face au passif exigible avec son actif disponible, de sorte que la société Tasquine se trouve en état de cessation des paiements.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a constaté son état de cessation des paiements.

Sur les perspectives de redressement

La société Tasquine sollicite à titre subsidiaire, " la conversion " de la procédure de liquidation judiciaire en procédure de redressement judiciaire faisant valoir qu'elle est en mesure de se redresser. Elle explique que ses deux salariés, Mme et M. [S], sont disposés à rouvrir immédiatement les portes de l'établissement, qu'elle est reconnue dans son domaine d'activité de restauration de spécialités portugaises par une clientèle fidélisée et qu'aux termes du prévisionnel, un bénéfice de 38 897 euros est espéré pour l'année 2025/2026.

Le liquidateur judiciaire réplique que la société Tasquine fait preuve d'un optimisme exagéré au regard du prévisionnel faisant apparaitre subitement un bénéfice de près de 40 000 euros alors que depuis 2020, ses quatre derniers bilans sont déficitaires.

Le ministère public objecte que la société Tasquine a réalisé un chiffre d'affaires de 141 478 euros en 2023 et prétend qu'elle devrait réaliser un bénéfice de 38 897 euros selon le prévisionnel, mais que les quatre derniers exercices déficitaires ne permettent pas de garantir un tel bénéfice en 2026 et qu'à moins de justifier d'un bénéfice pour 2024, le redressement de la société Tasquine apparaît manifestement impossible.

La cour observe que le montant du passif de la société Tasquine est modéré, qu'il est principalement composé de la créance de prêt PGE échelonnable dans le cadre d'un plan de redressement et que les deux salariés qu'elle emploie sont M. et Mme [S] qui reçoivent chacun un salaire net mensuel de 1 000 euros.

Mme et M. [S] se déclarent prêts à rouvrir immédiatement les portes de l'établissement au public et font état d'une clientèle fidèle.

En outre le plan de redressement proposé à la cour montre leur prise de conscience quant à la nécessaire amélioration de la gestion de l'entreprise. Ce plan liste en effet des mesures de gestion destinées à augmenter le chiffre d'affaires (ouverture du restaurant 7 jours sur 7, accueil d'évènements les week ends, mise en place d'un service de restauration à emporter), à réduire les coûts (mise en place d'un plat du jour le midi pour réduire les achats de marchandises, optimisation des stocks, mise en place d'un tableau de flux de trésorerie pour optimiser la gestion du restaurant) et à attirer la clientèle (publications des menus journaliers sur les réseaux sociaux).

Si le bénéfice prévisionnel escompté de 38 897 euros pour l'année 2025/2026 apparaît optimiste, le prévisionnel produit par la société Tasquine permet néanmoins d'envisager de dégager un bénéfice suffisant pour apurer son passif, modéré, dans le cadre d'un plan de redressement.

Dans ces conditions, le redressement de la société Tasquine n'apparait pas manifestement impossible en l'état.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il ouvert une procédure liquidation judiciaire et, statuant à nouveau, de prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Tasquine.

Il ressort du rapport d'enquête que la dette fiscale est ancienne, les premiers impayés remontant à novembre 2022, la date de cessation des paiements sera fixée par la cour au maximum autorisé de 18 mois, soit au 3 décembre 2023.

Le chiffre d'affaires et le nombre de salariés de la société Tasquine sont inférieurs aux seuils prévus aux articles L. 621-4 et R. 621-11 du code de commerce et il n'y a pas lieu d'user de la faculté offerte par le premier de ces textes de désigner néanmoins un administrateur judiciaire.

Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a constaté l'état de cessation des paiements et dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Ouvre une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société par actions simplifiée Tasquine, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Melun sous le numéro 815 150 156, et dont le siège social se situe [Adresse 2] à [Localité 7].

Fixe la durée de la période d'observation à six mois à compter du présent arrêt ;

Fixe la date de cessation des paiements au 3 décembre 2023 ;

Désigne la SELARL MJC2A, prise en la personne de Me [Y] [E], en qualité de mandataire judiciaire ;

Désigne la SELARL [N] [J] - Commissaire-priseur judiciaire, représentée par Me [J], [Adresse 4] à [Localité 6], commissaire-priseur, aux fins de réaliser, s'il y a lieu, l'inventaire prévu par l'article L. 622-6 du code de commerce et la prisée de l'actif du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent;

Fixe à quatre mois à compter de la publication de l'arrêt au BODACC le délai pour établir la liste des créances mentionnée à l'article L. 624-1 du code de commerce ;

Fixe le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée à 12 mois ;

Invite les délégués du personnel ou les salariés s'il en existe à désigner un représentant dans les conditions prévues par les articles L. 621-4 et L. 621-6 du code de commerce et à en communiquer le nom et l'adresse au greffe du tribunal de commerce de Melun ;

Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce de Melun pour la poursuite de la procédure et la désignation du juge-commissaire ;

Y ajoutant,

Rappelle que le greffe du tribunal de commerce de Melun devra procéder aux mentions et publicités prévues par la loi ;

Ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de la procédure collective.

Liselotte FENOUIL

Greffière

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

Présidente

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