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Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 18 juin 2025, n° 24/00783

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Autre

CA Saint-Denis de la Réunion n° 24/0078…

18 juin 2025

Arrêt N°25/

SL

R.G : N° RG 24/00783 - N° Portalis DBWB-V-B7I-GCLS

[T]

C/

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

S.E.L.A.R.L. [F] DE LA SARL [15]

COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS

ARRÊT DU 18 JUIN 2025

Chambre commerciale

Appel d'un jugement rendu par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-DENIS en date du 03 JANVIER 2024 suivant déclaration d'appel en date du 26 JUIN 2024 rg n°: 2021F223

APPELANT :

Monsieur [M] [D] [T]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentant : Me Jean Pierre GAUTHIER de la SCP CANALE-GAUTHIER-ANTELME-BENTOLILA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMES :

Monsieur LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT DENIS

[Adresse 13]

[Localité 9]

S.E.L.A.R.L. [F], prise en la personne de Maître [R] [F], Mandataire judiciaire, société immatriculée au RCS de Saint Denis de La Réunion sous le numéro [N° SIREN/SIRET 3], domiciliée au [Adresse 6], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [15], société à responsabilité limitée, dont le siège est sis [Adresse 2], immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Saint Denis sous le numéro [N° SIREN/SIRET 4]

Désignée à ces fonctions par jugement rendu par le Tribunal mixte de commerce de Saint Denis le 23 mai 2018

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentant : Me Amandine JAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 avril 2025 devant la cour composée de :

Président : Madame Séverine LEGER,Conseillère

Conseiller : Madame Claire BERAUD, Conseillère

Conseiller : Monsieur [R] FRAVETTE, Vice-président placé affecté à la cour d'appel de Saint-Denis par ordonnance de Monsieur le Premier Président

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

En présence de Madame Fabienne ATZORI, Procureure Générale.

A l'issue des débats, la présidente a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 18 juin 2025.

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 18 juin 2025.

Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.

* * *

LA COUR

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La SARL [15] (ci-après la société [17]) a été créée le 10 novembre 2011 avec pour activité le transport de marchandises et la location de véhicules avec conducteur.

Sur requête de la [10] ([11]), le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion, par jugement du 28 mars 2018, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à son endroit et a fixé la date de cessation des paiements au 9 novembre 2017. Par jugement du 23 mai 2018, le redressement a été converti en liquidation judiciaire.

Par un acte d'huissier du 26 mars 2021, la SELARL [F], prise en la personne de Maître [R] [F], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur de la société [17], a fait assigner M. [M] [D] [T], ancien gérant de la société, afin de le voir condamner au paiement de la somme de 445 170,63 euros au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif et qu'il soit personnellement sanctionné par le prononcé d'une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans ou subsidiairement, d'une interdiction de gérer d'une durée de 15 ans.

Par jugement contradictoire du 3 janvier 2024, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion a :

- condamné M. [M] [T] à combler le passif de la société [16] pour un montant de 100 000 euros (cent mille euros) et à verser cette somme à la SELARL [F], prise en la personne de Maitre [R] [F], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [17],

- prononcé la faillite personnelle de M. [M] [T] pour une durée de 10 années,

- dit qu'en application de l'article 768-5° du code de procédure pénale, la présente décision sera mentionnée au casier judiciaire, qu'elle fera l'objet à la diligence du greffier des publicités prévues à l'article R. 621-8 du code de commerce et qu'elle sera adressée aux autorités mentionnées à l'article R. 621-7 du même code,

- dit qu'en application de l'article R. 651-3 du code de commerce, le présent jugement sera communiqué par le greffe à Monsieur le procureur de la République.

- ordonné la signification de la décision aux formes et droit, puis sa transcription au casier judiciaire national,

- condamné M. [M] [T] au paiement des entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement conformément à la loi.

Par déclaration du 26 juin 2024, M. [T] a interjeté appel de cette décision en limitant son recours aux chefs ayant pour objet le prononcé d'une faillite personnelle et les publicités et formalités en découlant, ainsi qu'aux dépens.

L'affaire a été fixée à bref délai par ordonnance du 20 août 2024 et appelée à l'audience du 20 novembre 2024 en vue de la fixation des dates de clôture et d'audience de plaidoirie.

L'appelant a notifié ses conclusions par voie électronique le 19 septembre 2024 et l'intimée le 25 octobre 2024.

Le dossier a été communiqué au ministère public qui, selon son avis du 29 octobre 2024 transmis aux parties par voie électronique, a requis la confirmation du jugement aux motifs que M. [T] n'ayant pas justifié de la tenue d'une comptabilité et ayant maintenu une exploitation déficitaire de manière abusive dans son propre intérêt, la faillite prononcée était justifiée, peu important qu'il soit gérant de droit ou de fait.

Par ordonnance du 20 novembre 2024, la procédure a été clôturée avec effet différé au 2 avril 2025, l'affaire fixée à l'audience du 16 avril 2025 et la décision mise en délibéré par mise à disposition au greffe le 18 juin 2025.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS

Dans ses dernières conclusions d'appelant notifiées par voie électronique le 1er avril 2025, M. [T] demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a été prononcé à son encontre une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans et ordonné la transcription du jugement au casier judiciaire national, ainsi que la publicité prévue à l'article R.621-8 du code de commerce et les formalités à l'article R. 621-7 du même code, et statuant à nouveau, de :

- débouter la SELARL [F], prise en la personne de Maitre [R] [F] es qualité de liquidateur judiciaire de la société [15] de ses demandes tant au titre de la faillite personnelle que de l'interdiction de gérer,

- dire n'y avoir lieu à sanction personnelle à son encontre,

- débouter la SELARL [F], prise en la personne de Maitre [R] [F] es qualité de liquidateur judiciaire de la société [15] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

L'appelant fait valoir que :

- les fautes reprochées ne lui sont pas imputables dans la mesure où il n'était ni le dirigeant de la société, ni le gestionnaire de transport à la date de la cessation des paiements, à la date de l'ouverture de la procédure collective ni même pendant la dernière année l'ayant précédée,

- les missions d'un gestionnaire de transport ne le conduisaient pas à être en charge de la gestion comptable et financière de la société,

- l'intérêt personnel qu'il aurait retiré de la poursuite de l'activité déficitaire de la société n'est pas démontré,

- sa situation personnelle justifie qu'aucune sanction personnelle ne soit prononcée qui soit inscrite au bulletin numéro deux de son casier judiciaire et lui fasse perdre son emploi actuel alors qu'il a établi un échéancier pour payer la somme fixée au titre de la réparation de l'insuffisance d'actif qu'il n'a pas contestée.

Dans ses dernières conclusions d'intimée récapitulatives et responsives devant la cour d'appel notifiées par voie électronique le 1er avril 2025, la SELARL [F] demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel, et, à titre subsidiaire, de :

- l'infirmer en ce qu'il a prononcé la faillite personnelle de M. [T],

- le confirmer sur le surplus,

Et, statuant à nouveau,

- prononcer l'interdiction de diriger de M. [T] pour une durée de 10 ans,

En tout état de cause,

- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L'intimée fait valoir que :

- deux fautes des gestion justifiant le prononcé d'une faillite personnelle sont caractérisées dans la mesure où d'une part, l'appelant n'a pu justifier d'une comptabilité régulière depuis l'année 2015 et, d'autre part, la poursuite abusive de l'exploitation déficitaire de la société résulte de l'ancienneté de ses dettes à l'égard des organismes sociaux et fiscaux, de son impossibilité à y faire face dans la durée et du fait que c'est la caisse de sécurité sociale qui a provoqué l'ouverture de la procédure collective après de nombreuses mises en demeure et tentatives de recouvrement restée infructueuses,

- en outre, cette dernière faute a été commise dans l'intérêt personnel de l'appelant qui, en maintenant de manière artificielle la survie de la société, a mis à disposition d'une société concurrente sa capacité de transport en devenant salarié gestionnaire de cette dernière à compter du 27 avril 2017, privant la ainsi société [14] de toute possibilité de poursuivre son activité,

- l'appelant est responsable de la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements car, alors qu'il avait dirigé la société jusqu'en avril 2017, celle-ci connaissait d'importantes difficultés depuis 2015 qui auraient justifié une déclaration dès cette année-ci,

- l'appelant était gérant de droit entre le 31 décembre 2015 et le 24 avril 2017, période au cours de laquelle il ne peut être justifié d'aucune comptabilité et se sont accumulées les dettes auprès des organismes sociaux et fiscaux générant ainsi 96% du passif,

- le fait qu'il ne soit plus gérant au jour de l'ouverture de la procédure collective ou à la date retenue pour la cessation des paiements est indifférent à ce que des fautes gestions susvisées, commises pendant sa période de gérance, lui soit imputées,

- l'appelant s'est comporté en gérant de fait pendant toute la durée de la procédure collective en se présentant et en se comportant comme responsable légal de la société, en ne contestant pas sa qualité de gérant devant le premier juge et en ne relevant pas appel des dispositions le reconnaissant responsable de l'insuffisance d'actif et le condamnant à combler le passif de la société,

- concernant la sanction, l'appelant ne justifie pas de ses assertions quant à sa situation personnelle.

Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les chefs de jugement non critiqués :

L'appelant ne conteste pas sa condamnation au paiement d'une somme de 100 000 euros au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif de la société.

Sur les fautes susceptibles d'entraîner le prononcé d'une sanction et leur imputabilité à l'appelant :

Le code de commerce prévoit à ses articles L.653-5 6)° et L.653-3 que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé le fait de ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou d'avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ou d'avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements.

L'article L.653-8 du même code dispose que dans les cas prévus aux articles L653-3 à L653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

Cette interdiction peut, en outre, être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

- sur l'absence de comptabilité

Aux termes de l'article L123-12 du code de commerce toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.

Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise.

Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable. L'article L123-14 alinéa 1er du même code précise que les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise.

En l'espèce, l'appelant ne conteste pas qu'aucune comptabilité n'a été tenue à compter du 31 décembre 2015. Il soutient néanmoins que cette faute ne lui est pas imputable dans la mesure où il n'était plus dirigeant de la société depuis le 24 avril 2017 et notamment à la date de cessation des paiements.

L'article 6 de l'acte de cession de parts sociales signé par chacune des parties et enregistré auprès des services des finances publiques le 8 janvier 2016 prévoit que l'appelant occupera les fonctions de gérant à compter du 12 décembre 2015. Cette modification a fait l'objet d'une publicité par publication au BODACC le 16 juin 2016 et ce n'est que par décision de l'assemblée générale de la société du 24 avril 2017 qu'il a été remplacé à ce poste. Il en découle qu'il était dirigeant de droit entre le 12 décembre 2015 et le 24 avril 2017.

Le défaut de comptabilité est constitué à compter du 31 décembre 2015. La date de cessation des paiements a été fixée au 9 novembre 2017 et l'assignation en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire délivrée par la [11] met en lumière que des mises en demeure de payer les cotisations sociales ont été délivrées à compter du 15 février 2016, puis des significations de contraintes et de procès-verbal de saisie attribution et commandements aux fins de saisie vente sans succès, la dette étant ainsi évaluée à la somme de 200 580,79 euros entre l'année 2012 et le mois de décembre 2017.

Il en résulte qu'au cours de la période où l'appelant était le gérant de la société, aucune comptabilité n'a été tenue. Il n'a ainsi pas respecté une de ses obligations élémentaires, ce qui lui aurait permis de prendre conscience de l'ampleur de la dette au regard de la situation financière de la société et de se mobiliser pour réagir en vue de sa survie et dans les intérêts des créanciers.

Il a ainsi commis la faute visée par l'article L.653-5 6°), ce qu'il n'a, du reste, pas contesté dans le cadre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif.

- sur l'exercice abusif d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale

La poursuite abusive d'une activité déficitaire est caractérisée dans la mesure où le relevé des déclarations de créances atteste de ce que la dette de la [11] s'est constituée à compter de l'année 2013, celle déclarée par la [12] entre l'année 2012 et l'année 2017 et celle de la caisse réunionnaise de retraite à compter de l'année 2015. Entre le 12 décembre 2015 et le 24 avril 2017, période au cours de laquelle l'appelant était gérant de droit de la société, la société a généré auprès des créanciers fiscaux et sociaux une dette de 173 094,69 euros.

L'appelant ne pouvait ignorer l'ampleur de cette dette compte tenu des multiples actes de recouvrements engagés par la [11]. Le montant ainsi accumulé, son ancienneté et l'impossibilité chronique pour la société d'y faire face caractérise le caractère abusif de la poursuite de l'activité déficitaire de la société qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements si des mesures n'étaient pas prises rapidement.

Dès lors, l'exercice abusif d'une activité déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale était caractérisée au cours de la période où il était gérant de droit, peu important qu'il n'ait plus eu cette qualité à la date de la cessation des paiements.

L'intimée soutient que l'appelant a maintenu l'activité déficitaire de la société pour pouvoir être embauché par une autre entreprise comme gestionnaire de transport à compter du 27 avril 2017. Elle considère que ces faits, constitutifs d'abus de biens sociaux, lui ont ainsi permis d'obtenir une place privilégiée au sein d'une entreprise concurrente et qu'il en a ainsi retiré un intérêt personnel.

Cependant, aucun élément ne permet de caractériser la réalité de l'abus de bien social allégué, qui n'est corroboré par aucune décision pénale au demeurant. En outre, un nouveau responsable de l'activité de transport a été désigné à compter du 13 avril 2017, la société pouvant continuer à exercer son activité de ce fait.

Le lien entre la poursuite de l'activité déficitaire de la société et les choix professionnels de l'appelant qui est devenu salarié d'une autre société, tout en restant associé majoritaire de celle-ci n'est donc pas établi. Il en découle qu'il n'est pas démontré qu'il a retiré un intérêt personnel de la poursuite de l'activité déficitaire de la société.

- sur l'omission volontaire de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements

Lorsqu'elle se trouve dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, la société est en état de cessation des paiements et son dirigeant est tenu de demander l'ouverture d'une procédure collective.

Pour être fautive, l'omission de demander l'ouverture d'une procédure doit être volontaire sans que néanmoins la loi n'impose de démontrer l'existence d'une intention frauduleuse. Ce caractère volontaire découle de la double connaissance de l'état de cessation des paiements d'une part, et de celle de l'obligation légale de demander l'ouverture d'une procédure auprès de la juridiction commerciale.

Au terme de ses conclusions l'intimée sollicite, au soutien du prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer à titre de sanction si la cour d'appel ne confirmait pas celle de faillite prononcée par le premier juge, qu'il soit retenu que l'appelant a commis une faute en omettant volontairement de déclarer l'état de cessation des paiements. L'appelant soutient qu'une telle faute ne peut lui être imputée dans la mesure où il n'était plus gérant de la société à la date fixée pour l'état de cessation des paiements.

La date de cessation de paiement retenue par le tribunal mixte de commerce a été fixée au 9 novembre 2017. A cette date, l'appelant n'était plus le gérant de droit de la société depuis le 24 avril 2017.

Comme le relève l'intimée, il a participé en cette qualité aux audiences devant le tribunal mixte de commerce et au procès-verbal d'inventaire dressé le 13 juillet 2018. De même, il a réalisé l'entretien social en étant désigné comme dirigeant sans qu'il n'ait jamais contesté cette qualification. Il s'est ainsi présenté en tant que gérant de la société durant toute la durée de la procédure collective, se comportant comme gérant de fait.

En revanche, entre la date à laquelle il a quitté la gérance et le 45ème jour ayant suivi la date de cessation des paiements, aucun élément objectif ou objectivable ne permet d'affirmer qu'il ait accompli des actes positifs de gestion ou de direction de manière indépendante. Il ne peut être considéré qu'il était gérant de fait pendant cette période.

En outre, il n'est pas non plus démontré que la société se trouvait en état de cessation des paiements lorsqu'il était gérant de droit, car si les dettes sociales et fiscales étaient importantes, il n'est pas prouvé que l'actif disponible ne permettait pas d'y faire face.

En conséquence, il ne peut lui être reproché d'avoir volontairement omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements.

Sur la sanction :

La faillite personnelle, tout comme l'interdiction de gérer, sont des sanctions personnelles et les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation en la matière.

Du fait de leur nature de sanctions, elles sont soumises aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ce qui impose qu'elles soient motivées dans leur principe et leur quantum, la motivation devant prendre en compte la gravité des fautes et la situation personnelle de l'intéressé. A l'instar de ce qu'il en est de l'action pour insuffisance d'actif, si plusieurs fautes sont reprochées, chacune d'elles doit être justifiée.

L'appelant fait valoir sa situation personnelle en précisant qu'il est marié et père de deux enfants et professionnelle en justifiant d'une nouvelle embauche en tant que gestionnaire de transport. Il soutient qu'en cas de prononcé d'une mesure de faillite ou d'interdiction de gérer, cette sanction sera inscrite au bulletin numéro deux de son casier judiciaire,ce qui compromettrait la poursuite de son emploi et donc sa capacité à subvenir aux besoins de sa famille et d'honorer le paiement de la somme à laquelle il a été condamné au titre de l'insuffisance d'actif, mais également l'activité de son nouvel employeur et des autres salariés de cette société. Il souligne, enfin, qu'il n'a pas fait appel de la sanction pécuniaire prononcée et entend ainsi ne pas se dérober à ses responsabilités.

L'exercice d'une capacité de transport est soumis à une condition d'honorabilité. Néanmoins les articles R.3113-23 à 30 du code des transport prévoient la perte de cette honorabilité en cas de plusieurs condamnations inscrites à son casier judiciaire.

Si à compter de l'année 2015 où il est devenu gérant, l'appelant n'a pas respecté l'obligation comptable qui lui incombait, il doit être retenu qu'il était alors âgé de 26 ans, n'était pas un gérant averti et n'a exercé cette qualité que pendant un an et quatre mois. Il n'est pas démontré que son intention ait été de vider la société de ses actifs dans son intérêt et qu'il présente une dangerosité dans le domaine économique justifiant qu'il en soit mis à l'écart. Enfin, la sanction pécuniaire prononcée parait suffisante à le dissuader de réitérer.

Dès lors, le prononcé d'une sanction, que cela soit une mesure de faillite ou une interdiction de gérer, n'est ni opportune en son principe ni proportionnée au regard de la gravité de la faute commise et de sa situation personnelle ainsi que professionnelle actuelle.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a prononcé une faillite d'une durée de dix ans et la demande subsidiaire de prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer sera également rejetée.

Sur les autres demandes :

Bien qu'ayant obtenu gain de cause en appel s'agissant de l'infirmation de la sanction prononcée à son encontre par le premier juge, M. [T] sera condamné à régler les entiers dépens de l'appel sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile au regard de la nature de l'action engagée à son encontre à l'origine de la condamnation en paiement prononcée par le premier juge et non dévolue à la présente cour d'appel.

Aucune considération d'équité ne commande d'allouer une quelconque somme à l'intimée au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré dans l'intégralité de ses dispositions soumises à la cour d'appel ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une faillite personnelle à l'encontre de M. [M] [D] [T] ;

Déboute la SELARL [F] de sa demande de prononcé d'une interdiction de gérer ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire ;

Condamne M. [M] [D] [T] aux entiers dépens de l'appel;

Déboute la SELARL [F] ès qualités de liquidateur de la société [16] de sa prétention au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame Séverine LEGER, conseillère faisant fonction de présidente de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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