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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 20 juin 2025, n° 24/00808

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Rolex France (SASU), Rolex SA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Vice-président :

Mme Salord

Conseiller :

M. Buffet

Avocats :

Me Fajgenbaum, Me Lachacinski, Me Puech, Me Mignon

T. com. Paris, 15e ch., du 2 oct. 2023, …

2 octobre 2023

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition

Vu le jugement contradictoire du 2 octobre 2023 du tribunal de commerce de Paris,

Vu l'appel interjeté le 20 décembre 2023 par la société de droit suisse Rolex SA et la société Rolex France,

Vu les dernières conclusions (« conclusions récapitulatives n°4 ») notifiées par la voie électronique le 19 février 2025 par les sociétés Rolex SA et Rolex France,

Vu les dernières conclusions (« conclusions récapitulatives ») notifiées par la voie électronique le 20 février 2025 par la société [H] & [H],

Vu l'ordonnance de clôture du 20 février 2025,

SUR CE, LA COUR

La société de droit suisse Rolex SA a pour activité la fabrication et la commercialisation de montres, d'instruments de mesure de temps et de leurs composants et accessoires.

La société Rolex France commercialise en France les produits d'horlogerie et d'horlogerie-joaillerie fabriqués par la société Rolex SA sous la marque Rolex.

La société [H] & [H] est spécialisée dans la conception, la fabrication et la vente de malles et de maroquinerie de luxe.

En 2019, la société [H] & [H] a conçu et commercialisé une gamme de remontoirs de montres de luxe, dénommés « Twins », sous la marque [H] & [H].

Considérant que les lunettes de ces remontoirs imitaient les lunettes des montres emblématiques de la Maison Rolex, par courrier recommandé avec demande d'accusé de réception du 2 juillet 2019, le conseil des sociétés Rolex SA et Rolex France a mis en demeure la société [H] & [H] de cesser la fabrication et la commercialisation de ses remontoirs, sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire, au motif que la stratégie adoptée laissait faussement croire que les remontoirs litigieux avaient été autorisés par la Maison Rolex dans le cadre d'un contrat de licence ou de co-branding.

Par ordonnance sur requête du 14 octobre 2020, le président du tribunal de commerce de Paris, constatant que la société [H] & [H] justifiait d'un motif légitime à solliciter la mise en 'uvre d'une mesure d'instruction en vue d'un procès futur en dénigrement contre la société Rolex France, a commis un huissier de justice pour se rendre au siège social de la société Rolex France, accéder à l'ordinateur de Mme [O], assistante de direction, et sa boîte mail et rechercher les documents comprenant en objet les termes « [H] & [H] ».

Par ordonnance de référé du 15 avril 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a débouté la société Rolex France de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 14 octobre 2020 et organisé les conditions de la levée du séquestre.

Entretemps, par exploit d'huissier de justice du 19 novembre 2020, les sociétés Rolex SA et Rolex France ont fait assigner la société [H] & [H] devant le tribunal de commerce de Paris en concurrence déloyale, pratique commerciale trompeuse et parasitisme.

Par jugement du 2 octobre 2023, ce tribunal a :

- mis hors de cause la société de droit suisse Rolex SA,

- débouté la société Rolex France de toutes ses demandes,

- condamné la société Rolex France à verser à la société [H] & [H] la somme de 5 400 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice économique,

- condamné la société Rolex France à verser à la société [H] & [H] la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

- débouté la société [H] & [H] de ses autres demandes,

- condamné la société Rolex France à verser à la société [H] & [H] la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- rappelé l'exécution provisoire de droit,

- condamné la société Rolex France aux dépens.

Par déclaration matérialisée par la voie électronique le 20 décembre 2023, les sociétés Rolex SA et Rolex France ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 février 2025, les sociétés Rolex SA et Rolex France demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du 2 octobre 2023 en ce qu'il a débouté la société suisse Rolex SA et la société Rolex France de l'ensemble de leurs demandes et en ce qu'il a déclaré la société Rolex France coupable d'actes de dénigrement au préjudice de la société [H] & [H] et l'a condamnée au versement de dommages-intérêts en réparation de ces actes et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- confirmer la mise hors de cause de Rolex SA,

Statuant à nouveau,

- recevoir la société suisse Rolex SA et la société Rolex France en leur action et leurs demandes bien fondées,

- débouter la société [H] & [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions et les dire tant irrecevables que mal fondées, s'agissant notamment de ses demandes au titre du dénigrement,

En conséquence,

- dire et juger que, en précisant dans sa requête aux fins de constat que "les revendeurs agréés Rolex constituent (') le réseau majeur de boutiques visées par [H] & [H] afin de commercialiser ses remontoirs", la société [H] & [H] a procédé à un aveu judiciaire de son intention de se placer dans le sillage des sociétés Rolex SA et Rolex France ; en tirer toutes conséquences de droit,

- condamner la société [H] & [H] à verser aux sociétés Rolex SA et Rolex France, chacune, la somme de 1 000 000 (un million) euros au titre du préjudice matériel, la somme de 2 000 000 (deux millions) euros au titre de l'impact à leur notoriété, outre la somme de 500 000 (cinq cent mille) euros au titre de leur préjudice moral, en réparation des actes de concurrence déloyale et de parasitisme et des pratiques commerciales trompeuses dont la société [H] & [H] s'est rendue coupable en fabriquant, en présentant, en proposant à la vente et en commercialisant une gamme de remontoirs pour montres automatiques dont l'apparence reprend les caractéristiques de montres Rolex,

- condamner la société [H] & [H] à payer à la société Rolex France la somme de 100 000 (cent mille) euros au titre de l'abus de procédure,

- condamner la société [H] & [H] à payer à la société Rolex SA et à la société Rolex France, chacune, la somme de 10 000 (dix mille) euros en réparation du préjudice causé par le manquement à son obligation légale de dépôts des comptes annuels depuis 2011,

Mais également,

- interdire à la société [H] & [H] de fabriquer, exposer, proposer à la vente et commercialiser une gamme de remontoirs reprenant les caractéristiques des lunettes des modèles Rolex "GMT 62 Master", "GMT-Master II", "Submariner", "Daytona" et "Explorer II" ainsi que tous autres modèles Rolex et ce, sous astreinte de 5 000 (cinq mille) euros par infraction constatée dans les 8 (huit) jours du prononcé de la décision à intervenir,

- ordonner la destruction sous contrôle de commissaire de justice, aux frais de la société [H] & [H], de l'intégralité des stocks de la gamme de remontoirs litigieux ou à tout le moins de leurs lunettes (sous réserve qu'elles en soient dissociables), sous astreinte de 5 000 (cinq mille) euros par jour de retard à compter d'un délai de 15 (quinze) jours suivant le prononcé de la décision à intervenir, la cour restant saisie pour statuer sur la liquidation de l'astreinte,

- ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir pendant une période d'un mois sur la version française de la page d'accueil du site Internet de la société [H] & [H] accessible à l'adresse www.[07].com (ou tout autre site qui lui serait substitué) à compter du huitième jour suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros (mille euros) par jour de retard limitée à 3 mois, la cour restant saisie pour statuer sur la liquidation de ladite astreinte,

- ordonner que cette publication intervienne en partie supérieure de cette page d'accueil et en toute hypothèse au-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères "Times New [Localité 8]", de taille "12", droits, de couleur noire et sur fond blanc, dans un encadré de 468 x 120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre "COMMUNIQUE JUDICIAIRE" en lettres capitales de taille 14,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir, en entier ou par extraits au choix des sociétés Rolex SA et Rolex France, dans cinq journaux maximum, au choix des sociétés Rolex SA et Rolex France mais aux frais avancés de l'intimée, sans que le coût global de l'ensemble de ces publications n'excède la somme de 100 000 (cent mille) euros hors taxes à la charge de la société [H] & [H],

- condamner la société [H] & [H] à payer aux sociétés Rolex SA et Rolex France, chacune, la somme de 80 000 (quatre-vingt mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre la restitution des 7 000 euros versés à la société [H] & [H] aux termes de l'ordonnance du 20 janvier 2022,

- condamner la société [H] & [H] aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel (dont les frais de constat APP et de commissaire de justice), dont distraction au profit de la SCP NFALAW en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 février 2025, la société [H] & [H] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Rolex France et Rolex SA de l'ensemble de leurs demandes,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'il n'est pas établi que [H] & [H] a souhaité se placer dans le sillage des sociétés Rolex,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la preuve d'une intention de [H] & [H] n'a pas été rapportée et qu'aucune faute du parasitisme ne peut être retenue à l'encontre de [H] & [H],

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à la demande des sociétés Rolex de voir mise hors de cause la société Rolex SA,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu le caractère de valeur économique individualisée aux lunettes des montres GMT-Master, GMT-Master II, Submariner, Daytona et Explorer II commercialisées par les sociétés Rolex,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la société Rolex France coupable d'actes de dénigrement au préjudice de la société [H] & [H] et l'a condamnée au versement de dommages et intérêts en réparation de ces actes,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Rolex France au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que [H] & [H] a subi un préjudice matériel,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité l'indemnisation allouée à la société [H] & [H] au titre de son préjudice économique à la somme de 5 400 euros,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que [H] & [H] a subi un préjudice moral,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité l'indemnisation allouée à la société [H] & [H] au titre de son préjudice moral à la somme de 50 000 euros,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de la société [H] & [H] de voir la publication de la décision intervenue publiée sur le site Internet des sociétés Rolex,

Statuant à nouveau,

- condamner solidairement les sociétés Rolex France et Rolex SA à verser la somme de 53 831,25 euros à la société [H] & [H] au titre de la marge perdue résultant de l'annulation des commandes du Baselworld 2019,

- condamner solidairement les sociétés Rolex France et Rolex SA à verser la somme de 627 449,20 euros à la société [H] & [H] au titre de la marge brute manquée sur l'année 2019,

- condamner solidairement les sociétés Rolex France et Rolex SA à verser la somme de 4 263 849,06 euros à la société [H] & [H] au titre de la marge brute manquée sur l'année 2020,

- condamner solidairement les sociétés Rolex France et Rolex SA à verser la somme de 7 453 172,16 euros à la société [H] & [H] au titre de la marge brute manquée sur l'année 2021,

- condamner solidairement les sociétés Rolex France et Rolex SA à verser la somme de 10 425 010,00 euros à la société [H] & [H] au titre de la marge brute manquée sur l'année 2022,

- condamner solidairement les sociétés Rolex France et Rolex SA à verser la somme de 11 950 536,40 euros à la société [H] & [H] au titre de la marge brute manquée sur l'année 2023,

- condamner solidairement les sociétés Rolex France et Rolex SA à verser la somme de 21 278 153,50 € à la société [H] & [H] au titre de la marge brute manquée sur l'année 2024,

- condamner solidairement les sociétés Rolex France et Rolex SA à verser la somme de 3 000 000 euros à la société [H] & [H] au titre de son préjudice moral résultant de la dégradation de son image de marque du fait de la communication dénigrante menée à son encontre par les sociétés demanderesses,

En tout état de cause :

- condamner solidairement les sociétés Rolex à verser la somme de 50 000 euros à la société [H] & [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la publication du dispositif du « jugement » (sic) à intervenir sur la page d'accueil du site internet des sociétés Rolex France et Rolex SA accessible à l'URL suivante: https://www.rolex.com/fr (ou de tout site qui y serait substitué), pendant 2 mois, ainsi que dans dix journaux, au choix de la société [H] & [H], mais aux frais des sociétés Rolex, sans que le coût global de l'ensemble de ces publications n'excède la somme de 400 000 (deux cent mille) euros hors taxes à la charge des sociétés Rolex (sic),

- ordonner la publication du même dispositif dans trois périodiques au choix de la partie défenderesse, aux frais des sociétés Rolex France et Rolex SA, et sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 10 000 euros HT,

- ordonner que les publications requises interviennent dans les huit jours suivant la signification de la décision à intervenir sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 20 février 2025.

MOTIFS :

Sur la concurrence déloyale et les pratiques commerciales trompeuses :

Les sociétés Rolex SA et Rolex France font valoir que les faits de concurrence déloyale sont caractérisés, les remontoirs commercialisés par la société [H] & [H] renvoyant directement et nécessairement aux montres Rolex dans l'esprit du public.

Elles exposent, à cet égard, que les remontoirs litigieux et les montres Rolex visent un même public aisé, amateur de montres à remontage automatique ; que les montres Rolex jouissent d'une notoriété exceptionnelle, tant auprès des amateurs de belles montres que du grand public ; que les remontoirs litigieux reprennent sans nécessité les codes de modèles emblématiques Rolex ; qu'à cet égard, la société [H] & [H] commercialise, sans aucune nécessité ou contrainte technique, 4 séries/13 modèles de remontoirs correspondant précisément aux lunettes et couleurs des modèles Rolex iconiques « GMT-MASTER », « SUBMARINER », « DAYTONA » et « EXPLORER II », les remontoirs litigieux reprenant de manière systématique et non nécessaire les mêmes gradations, chiffres et index des lunettes Rolex, ainsi que les mêmes choix de présentation, étant déclinés dans les mêmes couleurs que les modèles iconiques Rolex, les rares différences ne portant que sur des détails ; que les lunettes des remontoirs de la société [H] & [H] sont inspirées des seuls modèles des sociétés Rolex ; que la société [H] & [H] utilise le sigle « RLX » faisant référence à Rolex pour commercialiser ses remontoirs, dans le cadre de son tableau des « commandes de remontoirs suite à Baselworld2019 » ; que les noms des séries des remontoirs litigieux font directement référence aux dénominations des modèles Rolex, les remontoirs étant désignés sous les références « SUB WIN », « GMT TWIN », « DT-TWIN » et « XP-TWIN » correspondant aux modèles de Rolex « SUBMARINER », « GMT-MASTER », « GMT-MASTER II », « DAYTONA » et « EXPLORER II » ; que la mise en scène des remontoirs litigieux entretient encore l'amalgame concernant une collaboration avec la Maison Rolex ; qu'à cet égard, le site Internet de la société intimée met en avant les termes « SUB » et « GMT » pour désigner les remontoirs litigieux et non le signe « TWIN » ; que la société [H] & [H] ne conteste pas avoir mis en scène des montres Rolex aux côtés de ses remontoirs afin de les valoriser ; que la société [H] & [H] a été l'auteur d'un aveu judiciaire, ayant précisé dans le cadre de sa requête aux fins de mesures conservatoires, que « les revendeurs agréés Rolex constituent (') le réseau majeur des boutiques visées par [H] & [H] afin de commercialiser ses remontoirs », M. [T] [H] ayant spontanément admis, dans une interview de juin 2019, que l'idée des remontoirs litigieux lui était venue en contemplant sa « SUBMARINER » ; que la dénomination « TWIN » vient du fait que l'apparence du remontoir correspond à celle de la lunette de la montre qui a été copiée ; que le site Internet de la société [H] & [H] fait expressément référence aux noms des modèles Rolex pour promouvoir ses remontoirs ; que, de façon unanime, la presse procède à un rapprochement systématique entre les remontoirs en cause et les montres Rolex dont ils sont la simple déclinaison, différents articles de presse étant à la lecture sur le site Internet de la société [H] & [H] ; que les professionnels ainsi que les acquéreurs des remontoirs procèdent à un rapprochement direct avec les montres Rolex ; que le public croira en toute hypothèse en l'existence d'un accord commercial avec la Maison Rolex, à la lumière des nombreux partenariats conclus par la société [H] & [H] dans le secteur de l'horlogerie de prestige.

Les sociétés Rolex SA et Rolex France font valoir que le comportement de la société [H] & [H] engage également sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article L.121-2 du code de la consommation sur les pratiques commerciales trompeuses, l'apparence des remontoirs litigieux ainsi que leur commercialisation créant un risque de confusion avec les produits Rolex auxquels ils sont systématiquement associés conformément au concept « TWIN ».

La société [H] & [H] réplique que le développement et la commercialisation de remontoirs de montres ornés de lunettes inspirées de lunettes de montres les plus couramment exploitées dans le monde de l'horlogerie ne sauraient constituer une faute au titre de la concurrence déloyale ni une pratique commerciale trompeuse ; qu'aucun risque de confusion avec les produits de la marque Rolex ne peut être retenu, les remontoirs commercialisés par la société [H] & [H] ne faisant apparaître que la marque [H] & [H] et le nom de sa partenaire, la société Swiss Kubik ; que la société [H] & [H] n'a jamais communiqué sur une quelconque collaboration avec les sociétés appelantes ni entretenu le moindre doute à cet égard ; qu'aucun des contenus et articles de presse opérant un rapprochement entre les remontoirs [H] & [H] et Rolex n'émane de consommateurs d'attention moyenne, seul public pertinent à prendre en compte pour caractériser le risque de confusion allégué ; que la preuve n'est pas rapportée d'une confusion ou d'une association dans l'esprit du consommateur moyen entre les remontoirs [H] & [H] et les montres des sociétés Rolex ; qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dès lors qu'elle a créé une collection de remontoirs uniques ornés de lunettes qui lui sont propres, inspirées des lunettes les plus répandues sur le marché de l'horlogerie ; que les sociétés Rolex SA et Rolex France ne justifient d'aucun préjudice, ne se trouvant pas dans une situation de concurrence avec la société [H] & [H] dès lors qu'elles ne fabriquent ni ne commercialisent de remontoirs ; que les remontoirs créés par la société [H] & [H] ont vocation à être associés à une pluralité de modèles et de marques de montres ; qu'elle n'a pas utilisé de codes renvoyant à des modèles de montres Rolex.

Réponse de la cour :

Il convient de rappeler que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme, lequel est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens du texte susvisé, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit, qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée.

Le seul fait de commercialiser des produits identiques ou similaires à ceux, qui ne font pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, distribués par un concurrent relève de la liberté du commerce et n'est pas fautif, dès lors que cela n'est pas accompagné de man'uvres déloyales constitutives d'une faute telle que la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

En vertu de l'article L.121-1 du code de commerce, les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service (').

Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7.

Aux termes de l'article L.121-2 1° dudit code, une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent.

Si les sociétés Rolex SA et Rolex France ne fabriquent ni ne commercialisent de remontoirs pour montres en 2019, lorsque la société [H] & [H] a commencé à promouvoir et commercialiser ses remontoirs sous la dénomination « TWIN », il est cependant relevé que ces remontoirs s'adressent à un public amateur de montres, et qu'ils sont des produits complémentaires destinés au rechargement des montres automatiques.

Le public ciblé par la communication commerciale de la société [H] & [H] est celui des possesseurs de montres (procès-verbal de constat de l'Agence pour la Protection des Programmes du 22 septembre 2020 ' pièce 6.3 appelantes), évoluant plus particulièrement dans le domaine du haut de gamme, la société [H] & [H], qui est positionnée dans le secteur du luxe, commercialisant ses remontoirs au prix unitaire de 1 350 euros sur son site Internet marchand.

Aussi, la clientèle des produits fabriqués et commercialisés par les parties est commune et d'attention élevée, le consommateur concerné par les remontoirs connaissant les modèles de montres présents sur le marché de l'horlogerie et plus particulièrement ceux commercialisés sous la marque Rolex dont la notoriété n'est pas contestée.

Les sociétés Rolex SA et Rolex France font valoir que les remontoirs commercialisés par la société [H] & [H] reprennent les mêmes visuels et couleurs que les lunettes des modèles Rolex déclinés sous les dénominations « GMT-MASTER », « GMT-MASTER II », « SUBMARINER », « DAYTONA » et « EXPLORER II ».

Elles produisent un tableau comparatif entre les remontoirs litigieux et les montres Rolex (pièce 15) commercialisées sous ces dénominations, dont la teneur n'est pas contestée.

Si la simple imitation d'un produit ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, il en va différemment lorsque la reproduction présente un caractère servile, systématique ou répétitif.

Il résulte des visuels du tableau communiqué par les sociétés appelantes que les lunettes de douze remontoirs commercialisés par la société [H] & [H] reprennent les mêmes éléments graphiques et les couleurs que les lunettes des montres de marque Rolex « GMT-MASTER », dans ses déclinaisons « Pepsi », « Coke », « Batman » et « Root Beer », « SUBMARINER » dans ses différentes couleurs, « DAYTONA » et « EXPLORER II », leur conférant une impression visuelle très similaire, les différences invoquées par la société [H] & [H] étant minimes et peu susceptibles de retenir l'attention du public.

Les lunettes des remontoirs litigieux correspondent par conséquent à un nombre important de montres de marque Rolex, la reproduction des lunettes des différents modèles de ces montres présentant un caractère répétitif.

La société [H] & [H] ne justifie pas que ses remontoirs résulteraient de ses propres choix créatifs et s'inspireraient du fond commun de l'horlogerie, les nombreux visuels de montres de différents fabricants (pièce intimée 3) qui reproduisent les lunettes des modèles Rolex précitées portant sur des commercialisations postérieures à la divulgation de ces modèles.

Les sociétés Rolex SA et Rolex France soutiennent que la société [H] & [H] utilise le signe « RLX », correspondant à une de ses marques déposées, pour commercialiser ses remontoirs, communiquant à cet égard (pièce 25.2) un tableau de commande du 12 juillet 2019 mentionnant, à côté des références des remontoirs, des libellés reproduisant ce signe.

Il est observé que ce document apparaît comme purement interne à la société [H] & [H], aucune pièce n'étant produite de nature à établir qu'elle reproduirait le signe « RLX » dans sa communication commerciale pour identifier ses produits.

Il est établi en revanche que, sur son site Internet marchand www.[07].com, la société [H] & [H] commercialise ses remontoirs sous les dénominations « GMT.TWIN » et « SUB.TWIN » (procès-verbal de constat de l'Agence pour la Protection des Programmes du 20 septembre 2019 ' pièce appelantes 6.2), tandis qu'elle a établi des bons de commande reproduisant, pour chaque modèle de remontoirs, les références « SUB », « GMT », « DT » et « XP » (pièce appelante 25.1).

Si la société [H] & [H] fait valoir que plusieurs opérateurs sur le marché de l'horlogerie utilisent le signe « GMT », qui renvoie à une fonctionnalité, pour désigner leurs montres, elle ne justifie pas que le signe « SUB » est un terme générique communément utilisé par les marques d'horlogerie pour désigner des modèles de montres de plongée présentant une graduation permettant au plongeur de marquer des paliers de décompression lors de sa remontée, ne produisant aucune pièce de nature à justifier de l'exploitation de ce signe par d'autres opérateurs économiques avant le lancement de ses remontoirs, tandis que les sociétés Rolex SA et Rolex France fabriquent et commercialisent un modèle de montre Rolex intitulé « SUBMARINER » depuis de nombreuses années (pièces appelantes 28).

Si le modèle « SUBMARINER » est également connu par le public sous le surnom « Hulk » compte tenu des tons verts qu'il reproduit, il n'en demeure pas moins que le public concerné, qui connaît les différents modèles de montres Rolex, sera amené à associer le signe « SUB » à la montre « SUBMARINER », les trois premières lettres étant communes. Le consommateur considérera donc que le remontoir « SUB.TWIN » a été conçu pour être associé aux montres Rolex « SUBMARINER » et ce, d'autant qu'il reproduit le même visuel que la lunette de ces montres.

Par ailleurs, les références « DT » et « XP », sont évocatrices des modèles de montres Rolex « DAYTONA » et « EXPLORER II », reprenant des consonnes de leurs dénominations, cet effet étant d'autant plus marqué que ces références désignent des remontoirs dont les caractéristiques visuelles des lunettes sont très proches de celles de ces montres. La société [H] & [H] ne justifie pas dans ses écritures des choix l'ayant poussée à adopter ces signes pour désigner ses remontoirs, étant souligné que, dans le bon de commande passé par la société Kahs [Localité 6] Louvre (pièce appelantes 25.3), la société [H] & [H] identifie clairement les remontoirs qu'elle a vendus sous les appellations « SUBMARINER », « GMT » et « DAYTONA ».

Il apparaît donc que l'ensemble des signes « GMT », « SUB », « DT » et « XP » a été adopté pour faire expressément référence aux montres de marque Rolex commercialisées sous les noms « GMT-MASTER », « SUBMARINER », « DAYTONA » et « EXPLORER II », dont la notoriété n'est pas contestée, afin de souligner auprès du public la correspondance entre les remontoirs et ces montres.

Au regard du caractère quasi-servile et systématique de la reproduction des lunettes des montres de marque Rolex et des codes d'identification utilisés renvoyant à ces montres, le public concerné pourrait être amené à acheter les remontoirs de la société [H] & [H] en considérant qu'ils sont destinés aux montres de marque Rolex et en étant ainsi convaincu que les sociétés Rolex SA et Rolex France sont à l'origine de leur production ou qu'elle a été autorisée par elles, le fait que les remontoirs reproduisent la marque « [H] & [H] » étant insuffisant à empêcher cette appréciation par le consommateur.

La preuve est donc rapportée de l'existence de man'uvres déloyales, lesquelles génèrent un risque de confusion par association dans l'esprit de la clientèle sur l'origine des remontoirs, les sociétés Rolex SA et Rolex France produisant plusieurs articles de presse spécialisée soulignant d'ailleurs l'identité entre les remontoirs litigieux et les montres Rolex : « Vos Rolex préférées en mouvement perpétuel avec [H] et [H] : le spécialiste de la malle sur-mesure [H] et [H] dévoile des watch winders/remontoirs destinés à vos montres Rolex préférées dont la face avant affiche une lunette inspirée des lunettes Rolex » (article The Watch Observer), « Baselworld 2019 : [H] & [H] remontoir Twin. Le remontoir assorti à votre montre : c'est l'accessoire ultime pour tout amateur de montre. Que vous soyez l'heureux propriétaire d'une GMT, d'une Submariner, d'un Cosmograph Daytona, d'une Royal Oak ou encore d'une Richard Mille, il existe un écrin portatif assorti à votre montre (') » (article publié sur le site uptime.mensup.fr le 25 mars 2019) (pièces appelantes 6).

Les faits de concurrence déloyale reprochés à la société [H] & [H], de nature à faire indûment bénéficier ses remontoirs de la notoriété des montres de marque Rolex, sont donc caractérisés, lesquels s'analysent également en une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L.121-2 1° du code de la consommation, le public étant amené à considérer, du fait des agissements de la société [H] & [H], que les remontoirs sont destinés aux montres de marque Rolex.

Le jugement déféré sera donc infirmé.

Sur le parasitisme :

Les sociétés Rolex SA et Rolex France font valoir que la société [H] & [H] a été l'auteur d'actes de parasitisme ; que les lunettes des modèles de montres de marque Rolex présentent une valeur économique individualisée, ces montres ayant acquis une exceptionnelle notoriété tandis que la Maison Rolex a consenti des investissements conséquents pour leur développement, leur promotion et leur commercialisation ; que l'existence d'éventuels investissements par l'auteur des actes de parasitisme est indifférente tandis que la société [H] & [H] ne justifie pas des investissements qu'elle aurait consentis pour le développement et la création de ses remontoirs ; que l'intention parasitaire de la société [H] & [H] résulte de la reprise systématique des lunettes des montres emblématiques de marque Rolex, de l'adoption de noms de collection renvoyant de manière transparente à des marques de montres Rolex, de la mise en scène des remontoirs avec ces montres dans le cadre de la communication promotionnelle de la société [H] & [H] et des déclarations même de cette société.

La société [H] & [H] réplique que les sociétés Rolex SA et Rolex France n'apportent pas la preuve de la valeur économique individualisée qui aurait été reprise ; que pléthore de marques horlogères commercialisent des montres ornées de lunettes similaires à celles des montres des sociétés Rolex SA et Rolex France et celles de la société [H] & [H], de sorte qu'aucune marque ne saurait utilement revendiquer un monopole d'exploitation de ce type de lunettes ; qu'en commercialisant ses remontoirs, la société [H] & [H] ne fait aucune référence aux montres de marque Rolex ; que la société [H] & [H] n'a pas cherché à se placer dans le sillage des sociétés appelantes ; que l'intention de la société [H] & [H] était d'imaginer des remontoirs qui puissent être associés à une pluralité de modèles et de marques de montres ; que sa communication est exempte de toute ambiguïté et n'a pas pour objet de générer une association entre ses remontoirs et les montres de marque Rolex ; que la société Rolex France ne commercialise que des montres ; que la société [H] & [H] est reconnue pour ses malles et son savoir-faire de maroquinier ; que les remontoirs ne peuvent être confondus avec des montres de marque Rolex ; que la marque [H] & [H] apparaît clairement sur le devant et au dos des remontoirs ; que la société [H] & [H] n'a pas utilisé de codes renvoyant aux modèles de montres de marque Rolex ; que la société [H] & [H] a réalisé des investissements réels et sérieux pour la conception et la création de ses remontoirs qui présentent des différences avec les lunettes des montres de marque Rolex.

Réponse de la cour :

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque.

Au cas d'espèce, la notoriété des montres de marque Rolex n'est pas contestée. Il est justifié (pièce appelante 32) qu'à la suite d'un sondage effectué par le site watchfinder & co, font notamment partie des modèles phares de l'horlogerie les modèles de montres de marque Rolex « COSMOGRAPH DAYTONA », « SUBMARINER » et « GMT-MASTER II ». Ces montres, avec le modèle « EXPLORER » font l'objet de très importants chiffres de vente (pièce appelante 35).

Il est établi que les modèles de montres opposés par les sociétés Rolex SA et Rolex France présentent une valeur économique individualisée.

Si la société [H] & [H] justifie d'investissements (pièces 5) dans le cadre du développement et de la production des remontoirs litigieux, il n'est pas justifié de manière précise des dépenses consenties dans le cadre de la conception des lunettes des remontoirs.

Par ailleurs, il est établi que douze modèles des remontoirs commercialisés sous la marque « [H] & [H] » reprennent de manière systématique les visuels des lunettes des déclinaisons des modèles de marque Rolex « GMT-MASTER », « SUBMARINER », « DAYTONA » et « EXPLORER », sans qu'il soit justifié que leur conception s'inscrive dans le fonds commun de l'horlogerie, tandis que la société [H] & [H] a utilisé auprès du public des codes d'identification de ses remontoirs qui renvoient directement à ces modèles.

Par conséquent, il y a lieu de retenir que la société [H] & [H], sans bourse délier, a cherché à se placer dans le sillage des sociétés Rolex SA et Rolex France afin que ses remontoirs bénéficient auprès du public de la notoriété des modèles de montres de marque Rolex.

Les faits de parasitisme sont donc constitués.

Sur le préjudice des sociétés Rolex SA et Rolex France :

Les sociétés Rolex SA et Rolex France font valoir qu'a minima, treize déclinaisons des remontoirs litigieux ont été proposées à la vente et commercialisées par la société [H] & [H] depuis 2019 ; que 922 exemplaires de remontoirs litigieux ont été commercialisés depuis 2019 pour un chiffre d'affaires HT de 642 753 euros, avec une marge globale de 280 966 euros ; que l'association des remontoirs litigieux avec l'image des montres Rolex a permis à l'intimée de bénéficier d'un surcroît d'attractivité aux yeux des consommateurs, son image de marque étant valorisée grâce à la notoriété des produits Rolex ; que les retombées médiatiques de la campagne de la société [H] & [H] grâce à ses remontoirs sont très importantes ; que les sociétés Rolex SA et Rolex France ont subi un grave préjudice d'image, la société [H] & [H] n'ayant jamais caché son intention de commercialiser ses remontoirs par le biais de revendeurs d'horlogerie multi-marques, soit potentiellement des distributeurs y compris non agréés Rolex.

La société [H] & [H] réplique que les sociétés Rolex SA et Rolex France n'ont subi aucun préjudice ; que ces sociétés ne démontrent pas en quoi la commercialisation d'une gamme de remontoirs reprenant les lunettes de montres couramment utilisées par de nombreuses marques horlogères leur occasionne un préjudice matériel ; qu'aucun détournement de clientèle ni perte de chiffre d'affaires ne sont justifiés ; qu'il n'est pas plus établi que les appelantes auraient subi un préjudice immatériel.

Réponse de la cour :

Il est constant que la commercialisation des remontoirs litigieux a généré pour la société [H] & [H] un chiffre d'affaires de 642 753,45 euros HT pour une marge brute globale de 280 967,22 euros.

En l'absence de fabrication et de commercialisation de remontoirs pour montres, les sociétés Rolex SA et Rolex France n'établissent aucun préjudice matériel ou commercial qui lui aurait été causé par la promotion et la vente des remontoirs par la société [H] & [H].

En revanche, les agissements de la société [H] & [H], de nature à capter la renommée des montres de marque Rolex au profit des remontoirs litigieux, afin d'accroitre leur attractivité auprès du consommateur, ont causé un préjudice moral aux sociétés Rolex SA et Rolex France du fait de la dilution et de la banalisation de l'image de leurs produits bénéficiant d'une importante notoriété.

Par conséquent, la société [H] & [H] sera condamnée à payer aux sociétés Rolex SA et Rolex France, ensemble, la somme de 75 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Il y a lieu de faire interdiction à la société [H] & [H] de poursuivre la commercialisation des remontoirs comportant les lunettes reprenant les caractéristiques des lunettes des montres « GMT-MASTER », « SUBMARINER », « DAYTONA » et « EXPLORER II » et de les désigner sous les signes « GMT », « SUB », « DT » et « XP », dans les conditions fixées au dispositif du présent arrêt.

L'atteinte cessant du fait de la mesure d'interdiction, la demande de destruction est rejetée.

Le préjudice étant intégralement réparé, les demandes de publications judiciaires seront rejetées.

Sur l'absence de dépôt des comptes :

Les sociétés Rolex SA et Rolex France font valoir que la société [H] & [H] n'a pas publié ses comptes annuels depuis 2011, en violation de l'article L.232-22 du code de commerce, ce qui justifie sa condamnation, sans qu'il soit nécessaire d'établir un préjudice économique des tiers, étant ajouté qu'eu égard à la demande de condamnation formée par la société [H] & [H] au titre des remontoirs dont la vente aurait été manquée, elles ont le plus grand intérêt à comparer les chiffres avancés avec les chiffres d'affaires annuels de l'intimée.

La société [H] & [H] ne réplique pas sur ce point.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En vertu de l'article L.232-22 du code de commerce :

« I. - Toute société à responsabilité limitée est tenue de déposer au greffe du tribunal, pour être annexés au registre du commerce et des sociétés, dans le mois suivant l'approbation des comptes annuels par l'assemblée ordinaire des associés ou par l'associé unique ou dans les deux mois suivant cette approbation lorsque ce dépôt est effectué par voie électronique :

1° Les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe, les rapports des commissaires aux comptes sur les comptes annuels et les comptes consolidés, éventuellement complétés de leurs observations sur les modifications apportées par l'assemblée ou l'associé unique aux comptes annuels qui leur ont été soumis, ainsi que, le cas échéant, le rapport de certification des informations en matière de durabilité ; (') »

Tout intéressé, qui a subi un préjudice résultant du non-dépôt des comptes annuels d'une société, peut engager sa responsabilité civile délictuelle pour se voir allouer des dommages-intérêts.

Si la société [H] & [H] n'a pas déposé ses comptes annuels, les sociétés Rolex SA et Rolex France ne justifient d'aucun préjudice personnel que lui aurait causé cette infraction, ne se prévalant que de l'impossibilité d'apprécier le préjudice invoqué par la société [H] & [H], alors qu'il appartient à cette société de produire tous éléments probants de nature à permettre à la juridiction d'établir le bien fondé de ses demandes.

La demande de dommages-intérêts formée par les sociétés Rolex SA et Rolex France sera donc rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur les demandes formées par la société [H] & [H] au titre du dénigrement :

La société [H] & [H] fait valoir que les sociétés Rolex SA et Rolex France ont adressé une communication dénigrante pour la présenter comme parasitaire, à 115 destinataires qui représentent 344 points de vente et clients potentiels en France, à l'international et l'intégralité du réseau de distribution des sociétés Rolex, ce qui a mis un frein à la commercialisation de ses remontoirs ; que l'instruction illicite donnée par la société Rolex France s'est traduite par une injonction adressée à des revendeurs qui a entraîné l'annulation de l'intégralité des commandes de remontoirs [H] & [H] du Baselworld 2019 et une absence de commandes régularisées à ce jour ; que les propos tenus par les sociétés Rolex SA et Rolex France, privés de base factuelle suffisante, ne se rapportent qu'à leur intérêt privé et exclusif et ont été exprimés sans aucune mesure dans l'étendue et les moyens employés, caractérisant ainsi une communication dénigrante à l'encontre de la société [H] & [H] ; que cette société se trouve dans l'impossibilité de travailler avec des revendeurs de montres professionnels à l'échelle internationale, lesquels craignent de ne plus avoir le droit de commercialiser les montres de la marque Rolex ; qu'à cet égard, la part de marché des montres Rolex sur le marché de l'horlogerie de luxe est telle que se voir retirer l'autorisation de vendre les produits de la marque Rolex est une mesure de rétorsion aux conséquences désastreuses pour ces professionnels ; que les revendeurs indépendants se trouvent dans une situation de quasi-dépendance vis-à-vis des sociétés Rolex SA et Rolex France, la communication faite par elles auprès d'eux s'analysant en une véritable injonction ; qu'ainsi, des annulations de commandes sont intervenues le jour même de la réception de la communication dénigrante des sociétés Rolex SA et Rolex France ; que la comparaison entre la marge brute prévisionnelle liée à la commercialisation des remontoirs de l'espèce et la marge brute effectivement réalisée par la société [H] & [H] suite à la communication dénigrante fait apparaître un écart de 56 052 001,60 euros qui constitue le préjudice économique subi ; que le préjudice d'image occasionné est également très important.

Les sociétés Rolex SA et Rolex France répliquent que, sauf à priver une société à la tête d'un réseau de distribution sélective de tout droit de communiquer avec ses détaillants officiels, il ne saurait lui être contesté le droit d'informer ses revendeurs de l'absence de partenariat avec un tiers, sous réserve de choisir des termes neutres et factuels, exempts de toute polémique ; que l'information des détaillants officiels Rolex sur l'absence de partenariat avec la société [H] & [H] pour la production des remontoirs litigieux était d'autant plus nécessaire que, du propre aveu de l'intimée, les revendeurs agréés Rolex constituent le réseau majeur de boutiques visées par la société [H] & [H] afin de commercialiser ses remontoirs ; que les actes de dénigrement incriminés ne concernent que la société Rolex France, seule en charge du marché français, de sorte que c'est à bon droit que la société Rolex SA a été mise hors de cause ; que l'unique email envoyé par la société Rolex à ses seuls détaillants officiels ne contient aucun propos malveillant, se contentant de rappeler que les remontoirs litigieux ne bénéficient d'aucune autorisation ou licence de la Maison Rolex ; que le courriel du 2 juillet 2019 ne fait état que d'une situation objective en des termes neutres et généraux, exempts de polémique ou de nature à jeter un discrédit sur la société [H] & [H] ; que ce courrier, à destination des membres du réseau de distribution des produits Rolex, n'a pas été diffusé au grand public ; que les détaillants officiels ont seulement été invités à ne pas associer les remontoirs à la marque Rolex, par exemple en les présentant directement à proximité des montres Rolex ; que le courrier litigieux concernait exclusivement les détaillants officiels Rolex situés sur le territoire français, correspondant seulement à 43 points de vente bénéficiant d'un agrément Rolex ; que les commandes manquées alléguées par la société [H] & [H] ne sont pas justifiées, celle-ci ne communiquant que deux courriers de désistement pour les précommandes réalisées lors du Baselworld 2019 ; que la société Rolex France n'est en charge que du marché français tandis que la compétence des juridictions françaises se limite aux seuls actes prétendument commis en France ; que les demandes indemnitaires de la société [H] & [H] sont infondées.

Réponse de la cour :

Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

Au cas d'espèce, est incriminé à titre de comportement dénigrant un courriel adressé par la société Rolex France à ses distributeurs français du mois de juillet 2019, rédigé comme suit :

« Notre attention a été attirée sur des watch winders / remontoirs de montres automatiques, imaginés, fabriqués, proposés à la vente et commercialisés par la société [H] & [H] qui font référence à la lunette des modèles ROLEX.

La société [H] & [H] peut laisser faussement croire que les remontoirs qu'elle fabrique auraient été autorisés par la Maison ROLEX, dans le cadre d'un contrat de licence voire de co-branding, ce que nous réfutons.

Pour prévenir tout malentendu, nous souhaiterions éviter que ces remontoirs puissent être associés à la marque ROLEX et nous vous serions reconnaissants de nous soutenir dans cette démarche. »

Aucune pièce communiquée par la société [H] & [H] n'est de nature à établir que la société Rolex SA aurait adressé un courrier à des distributeurs relatif à la commercialisation des remontoirs litigieux.

Le courriel de la société Rolex France repose sur une base factuelle suffisante en qu'il est établi que les lunettes des remontoirs évoquent les lunettes des montres de marque Rolex, présente une certaine mesure en ce qu'il n'affirme pas de manière formelle que la société [H] & [H] aurait été l'auteur d'actes de concurrence déloyale ou parasitaire et de pratiques commerciales trompeuses. Il informe les revendeurs de manière générale que la société Rolex France n'a conclu aucun accord avec la société [H] & [H] concernant la commercialisation des remontoirs qu'ils seraient amenés à vendre, les invitant à ne pas les présenter comme des produits en lien avec les montres de marque Rolex.

Il n'est donc pas établi que ce courriel présente un caractère dénigrant.

Il n'est pas formellement justifié que les sociétés Rolex SA et Rolex France auraient été les auteurs d'autres agissements de nature à empêcher les revendeurs de produits Rolex de commercialiser les remontoirs de la société [H] & [H].

Par conséquent, les demandes formées au titre du dénigrement seront rejetées, le jugement étant infirmé de ce chef.

Il est précisé que le tribunal a mis « hors de cause » la société Rolex SA au motif qu'elle n'avait pas été à l'origine d'actes de nature à constituer un dénigrement.

Cette mise hors de cause s'analyse en un rejet des demandes formées contre la société Rolex SA. Par conséquent, la cour rejetant les demandes formulées au titre du dénigrement, il n'y a pas lieu de confirmer le jugement du chef de la mise hors de cause de la société Rolex SA.

Sur le détournement de procédure :

Les sociétés Rolex SA et Rolex France font valoir que, pour obtenir des mesures probatoires sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société [H] & [H] a procédé à une version tronquée des faits ayant conduit à tromper le président du tribunal de commerce de Paris et a eu un comportement déloyal, de sorte que la société [H] & [H] a engagé sa responsabilité, la société Rolex France ayant subi un grave préjudice moral en voyant intervenir un huissier de justice dans ses locaux, lequel a eu accès à ses serveurs informatiques.

La société [H] & [H] réplique que sa requête afin de constat était fondée, que son objectif était de découvrir l'ampleur et les destinataires de la communication dénigrante de la société Rolex France et qu'aucun détournement fautif de procédure ne peut lui être reproché.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il est rappelé que, par ordonnance sur requête du 14 octobre 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a, constatant que la société [H] & [H] justifiait d'un motif légitime à solliciter la mise en 'uvre d'une mesure d'instruction en vue d'un procès futur en dénigrement contre la société Rolex France, commis un huissier de justice pour se rendre au siège social de la société Rolex France et procéder à des recherches sur son serveur informatique. Une demande de rétractation de cette ordonnance a été rejetée par ordonnance de référé du 15 avril 2021.

La société Rolex France échoue à rapporter la preuve que la société [H] & [H] aurait fautivement usé de man'uvres déloyales pour se voir délivrer l'ordonnance du 14 octobre 2020, les éléments invoqués au soutien de sa requête ayant été soumis à l'appréciation du président du tribunal de commerce qui a autorisé la mesure.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Rolex France de sa demande indemnitaire à ce titre.

Sur les mesures accessoires :

Le jugement sera infirmé du chef des dépens et des frais irrépétibles. Cette infirmation implique l'obligation de rembourser les sommes payées en exécution du jugement, sans qu'il soit nécessaire d'en ordonner la restitution.

Partie succombante, la société [H] & [H] sera condamnée aux dépens de première et d'appel.

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des sociétés Rolex SA et Rolex France, qui incluent les frais des constats effectués au soutien de leurs intérêts.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Rolex France au titre de l'absence du dépôt des comptes annuels de la société [H] & [H] et du détournement de procédure,

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

DIT qu'en faisant la promotion, en commercialisant et en offrant à la vente les remontoirs à montres automatiques « TWIN » reprenant les caractéristiques visuelles des lunettes des montres de marque Rolex « GMT-MASTER », « SUBMARINER », « DAYTONA » et « EXPLORER II » et en les désignant auprès du public par les références « GMT », « SUB », « DT » et « XP », la société [H] & [H] a commis des actes de concurrence déloyale, de pratique commerciale trompeuse et de parasitisme au préjudice des sociétés Rolex SA et Rolex France,

CONDAMNE la société [H] & [H] à payer aux sociétés Rolex SA et Rolex France, ensemble, la somme de 75 000 euros à titre de dommages-intérêts,

FAIT interdiction à la société [H] & [H] de faire la promotion, commercialiser et offrir à la vente des remontoirs de montres automatiques reproduisant les caractéristiques des montres de marque Rolex « GMT-MASTER », « SUBMARINER », « DAYTONA » et « EXPLORER II » et de les désigner auprès du public par les références « GMT », « SUB », « DT » et « XP », sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée, laquelle commencera à courir passé un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt et pour une durée de six mois,

DEBOUTE les sociétés Rolex SA et Rolex France de leur demande de destruction,

DIT n'y avoir lieu de se réserver la liquidation de l'astreinte,

DEBOUTE les sociétés Rolex SA et Rolex France de leurs demandes de publications judiciaires,

DEBOUTE la société [H] & [H] de ses demandes formées au titre du dénigrement,

CONDAMNE la société [H] & [H] aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la société [H] & [H] à payer aux sociétés Rolex SA et Rolex France, ensemble, la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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