CA Montpellier, ch. com., 17 juin 2025, n° 24/02492
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 17 JUIN 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/02492 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QHRN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 25 AVRIL 2024
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2023020703
APPELANTE :
S.A.R.L. EPILOGUE, société à responsabilité limitée immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Montpellier, sous le numéro 980 989 321, dont le siège social est situé [Adresse 3] à [Localité 5] prise en la personne de Maître [V] [H] venant aux droits de La SELARL ETUDE BALINCOURT, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NIMES sous le n° 824 797 286, dont le siège social est [Adresse 4], suivant ordonnance présidentielle rendue par le Tribunal de commerce de MONTPELLIER en date du 6 novembre 2023, es qualites de mandataire liquidateur judiciaire de la Société [L] CONSTRUCTION, Société à responsabilité limitée à associé unique au capital de 1.000 euros, immatriculée au RCS de MONTPELLIER sous le n° 820 634 236 dont le siège social est sis [Adresse 2] à [Localité 7], désigné es qualités à ces fonctions suivant jugement du Tribunal de commerce de MONTPELLIER en date du 21 juin 2021 et ordonnance de transfert du mandat du 6 novembre 2023
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Ouiçal MOUFADIL substituant Me Emmanuelle MASSOL de la SELARL AMMA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [E] [L]
né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Christophe QUILIO substituant Me Benjamin BEAUVERGER de la SELARL BEAUVERGER AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de révocation de clôture et de nouvelle clôture le 20 mai 2025 pour accueillir l'avis du Ministère Public qui s'en rapporte
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mai 2025,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre et M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE
Ministère public :
L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis le 19 mai 2025.
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.
FAITS et PROCEDURE
La S.A.R.L.U. [L] Construction, dont M. [E] [L] était le gérant, a pour objet les travaux de maçonnerie générale et terrassement.
Le 7 juin 2021, M. [E] [L] a déclaré l'état de cessation de paiement de sa société auprès du greffe du tribunal de commerce de Montpellier et sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement du 21 juin 2021, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de liquidation à l'égard de la société [L] Construction et nommé la S.E.L.A.R.L. Etude Balincourt, prise en la personne de M. [V] [H], en qualité de liquidateur judiciaire.
Par exploit du 27 septembre 2023, M. [V] [H], ès qualités, a assigné M. [E] [L] en comblement du passif de la société [L] Construction.
Par jugement réputé contradictoire en date du 25 avril 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a :
condamné M. [L] à contribuer au comblement du passif de la société [L] Construction à hauteur de la somme de 4 218 euros ;
prononcé la faillite personnelle à l'encontre de M. [L], pour une durée de 3 ans ;
rappelé à M. [L] que la faillite personnelle emporte notamment comme conséquence, pour la durée ci-dessus, conformément à l'article L. 653-2 du code de commerce, l'interdiction de diriger, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute explication agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale ;
rappelé à M. [L] que s'il ne respecte pas l'interdiction ci-dessus, il sera passible des sanctions pénales suivantes : emprisonnement de deux ans et amende de 375 000 euros (article L. 654-15 du code de commerce) ;
condamné M. [L] à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné M. [L] aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés et taxés à la somme de 61,50 euros.
Par déclaration du 7 mai 2024, la société Epilogue, venant aux droits de la société Etude Balincourt, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [L] Construction.
Par conclusions du 4 octobre 2024, elle demande à la cour, au visa des articles R. 651-1 et suivants, L. 232-23, R. 247-3, L. 653-1 et suivants, L. 631-4 du code de commerce, et de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales de :
la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes ;
confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné M. [L] à contribuer au comblement du passif de la société [L] Construction à hauteur de la somme de 4 218 euros et condamné M. [L] à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
y faisant et statuant à nouveau,
déclarer que M. [L] en sa qualité de gérant a incontestablement aggravé la situation de la société [L] Construction en poursuivant une activité manifestement déficitaire et ce sans procéder à la déclaration à la moindre demande d'ouverture de procédure collective ;
en conséquence,
condamner M. [L] à contribuer au comblement du passif de la société [L] Construction à hauteur de la somme de 438 878, 53 euros ;
condamner M. [L] au paiement de la somme 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
et le condamner au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel outre les entiers dépens d'appel.
Par conclusions du 16 septembre 2024, formant appel incident, M. [L] demande à la cour de :
débouter l'appelant de ses demandes ;
déclarer recevable son appel incident ;
infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau,
constatant l'absence de faute ayant contribué à l'accroissement de l'insuffisance d'actif au visa notamment l'article L 651-2 du code de commerce et sa jurisprudence attenante, débouter la société Epilogue de sa demande visant à voir prononcer à son encontre une condamnation en comblement du passif ;
débouter la société Epilogue de sa demande visant à voir prononcer à son encontre une mesure de faillite civile et d'interdiction de gérer ;
dire n'y avoir lieu à le condamner au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Epilogue à lui payer la somme de 3 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Le ministère public, par avis du 19 mai 2025 communiqué aux parties par le
RP VA, a indiqué s'en rapporter à la décision de la cour.
L'ordonnance de clôture du 29 avril 2025 a été révoquée à l'audience du 20 mai 2025 afin d'admettre aux débats l'avis du ministère public avant l'ouverture des débats, et la procédure a été à nouveau clôturée.
MOTIFS :
Sur la responsabilité de M. [L] pour insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L.651-2, alinéa 1, du code de commerce : lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Il appartient au liquidateur de démontrer l'existence d'une faute de gestion imputable au dirigeant, hors une simple négligence de sa part, en relation directe avec cette insuffisance d'actif.
Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable, sur le fondement de l'article L.651-2 précité, même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et peut être condamné à supporter en totalité ou partie les dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles.
Le passif de la société [L] construction s'élève à la somme de 438 878,53 euros de créances admises à titre définitif à la date d'ouverture de la liquidation judiciaire.
Sur les fautes de gestion
Sur le non-respect de la législation sociale et fiscale
Il résulte des productions que la société [L] construction n'a pas déclaré la TVA pour la période du 1er janvier au 21 juin 2021, ce qui a engendré une proposition de rectification de l'administration fiscale le 22 octobre 2021 pour un rappel de droits de 34 338 euros objet d'une taxation d'office.
Il importe peu que M. [L] ait eu connaissance de la proposition de rectification postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, le fait générateur étant antérieur à celle-ci, alors qu'il était dirigeant de la société.
En conséquence, son absence de déclaration est à l'origine de la taxation d'office et du passif de la société [L] construction à ce titre.
Sur l'absence de tenue d'une comptabilité régulière ou sa production tardive
Le liquidateur fait la démonstration qu'aucune comptabilité n'a été tenue pour les exercices des années 2020 et 2021, M. [L] indiquant lui-même qu'il n'avait plus les moyens de payer son expert-comptable, de sorte qu'il a fait établir seulement le 5 décembre 2023 une comptabilité provisoire pour l'année 2020.
Ce faisant, M. [L] s'est privé de la connaissance de la situation financière exacte de la société sur les exercices 2019 et 2020 lui permettant de réagir utilement ou de tenter de remédier à la situation difficile que celle-ci rencontrait, poursuivant de surcroît une activité structurellement déficitaire, de sorte que cette carence fautive a contribué à l'insuffisance d'actif telle que constatée.
Sur l'absence de dépôt des comptes annuels
Si la société [L] construction n'a déposé aucun de ses comptes annuels depuis sa création, il n'est cependant nullement démontré par le liquidateur, sur qui pèse la charge de la preuve, que ce défaut de dépôt des comptes annuels dans les délais ait contribué à l'insuffisance d'actif de la société, en ce que ce défaut de publication a empêché toute personne ayant intérêt de percevoir l'évolution réelle de la situation financière de la société et d'en contrôler la rentabilité comme il le soutient.
La faute est ainsi établie, mais non l' aggravation du passif en résultant. Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur l'omission ou retard dans la déclaration de l'état de cessation des paiements
L'absence de déclaration de la cessation des paiements peut, si elle est avérée, constituer une faute de gestion susceptible d'entraîner la condamnation du dirigeant.
L'omission sciemment de déclarer la cessation des paiements doit s'apprécier au regard de la date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou de report.
La date de cessation des paiements a été arrêtée par le tribunal de commerce au 20 mai 2021.
Cependant, le liquidateur ne démontre pas que M. [L] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de sa société à cette date du seul fait qu'il avait connaissance dès le début de l'année 2020 des difficultés rencontrées par sa société, étant seulement en possession du bilan comptable de la société pour l'exercice de l'année 2019.
Cette faute n'est dès lors pas caractérisée.
Sur la poursuite d'une activité déficitaire
Il résulte des bilans comptables de la société pour les exercices 2018 et 2019 une augmentation des dettes qui sont passées de 149 556 euros à 197 095 euros.
Si la faute tenant à la poursuite d'une activité déficitaire ne peut résulter du seul constat d'une augmentation du montant des dettes, elle peut tenir dans la poursuite d'une activité déficitaire sans perspective de redressement, ou provenir de l'absence de réaction du dirigeant ou de l'absence de tenue de comptabilité.
Or, il est démontré par le liquidateur que M. [L] n'a engagé aucune action concrète pour réduire l'endettement de la société qui s'avérera en définitive être d'un montant de 438 878,53 euros à la date d'ouverture de la liquidation judiciaire, et ce peu important que la société ait pu augmenter son chiffre d'affaires, ce qui n'est cependant pas avéré en l'absence d'un bilan comptable définitif pour l'année 2020.
Le jugement sera réformé de ce chef.
En définitive, au regard des fautes retenues et du principe selon lequel le dirigeant peut être condamné à l'intégralité de l'insuffisance d'actif, M. [L] sera condamné à le supporter celui-ci pour son montant total de 438 878,53 euros, aucune disproportion n'étant alléguée et a fortiori démontrée.
Le jugement sera réformé.
Sur la sanction
L'importance et la gravité des fautes ci-dessus constatées et commises par le dirigeant qui ont conduit à une très importante insuffisance d'actif, justifient de sanctionner M. [L], qui est âgé de 34 ans et qui ne produit aucune pièce concernant sa situation professionnelle et financière actuelle, par une mesure de faillite personnelle d'une durée de 3 années.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [E] [L] à contribuer au comblement du passif de la société [L] Construction à hauteur de la somme de 4 218 euros,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne M. [E] [L] à payer à la S.E.L.A.R.L. Étude Balincourt (devenue Épilogue), prise en la personne de Me [V] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L.U. [L] construction, la somme de 438 878,53 euros en comblement du passif de cette dernière,
Confirme pour le surplus le jugement déféré,
Y ajoutant
Condamne M. [E] [L] aux dépens d'appel,
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [E] [L] à payer à la S.E.L.A.R.L. Étude Balincourt (devenue Épilogue), prise en la personne de Me [V] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L.U. [L] construction, la somme de 2 000 euros et rejette les autres demandes.
Ordonne qu'en application des articles L.128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code du commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) n°2016/679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
La greffière La présidente
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 17 JUIN 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/02492 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QHRN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 25 AVRIL 2024
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2023020703
APPELANTE :
S.A.R.L. EPILOGUE, société à responsabilité limitée immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Montpellier, sous le numéro 980 989 321, dont le siège social est situé [Adresse 3] à [Localité 5] prise en la personne de Maître [V] [H] venant aux droits de La SELARL ETUDE BALINCOURT, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NIMES sous le n° 824 797 286, dont le siège social est [Adresse 4], suivant ordonnance présidentielle rendue par le Tribunal de commerce de MONTPELLIER en date du 6 novembre 2023, es qualites de mandataire liquidateur judiciaire de la Société [L] CONSTRUCTION, Société à responsabilité limitée à associé unique au capital de 1.000 euros, immatriculée au RCS de MONTPELLIER sous le n° 820 634 236 dont le siège social est sis [Adresse 2] à [Localité 7], désigné es qualités à ces fonctions suivant jugement du Tribunal de commerce de MONTPELLIER en date du 21 juin 2021 et ordonnance de transfert du mandat du 6 novembre 2023
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Ouiçal MOUFADIL substituant Me Emmanuelle MASSOL de la SELARL AMMA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [E] [L]
né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Christophe QUILIO substituant Me Benjamin BEAUVERGER de la SELARL BEAUVERGER AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de révocation de clôture et de nouvelle clôture le 20 mai 2025 pour accueillir l'avis du Ministère Public qui s'en rapporte
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mai 2025,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre et M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE
Ministère public :
L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis le 19 mai 2025.
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.
FAITS et PROCEDURE
La S.A.R.L.U. [L] Construction, dont M. [E] [L] était le gérant, a pour objet les travaux de maçonnerie générale et terrassement.
Le 7 juin 2021, M. [E] [L] a déclaré l'état de cessation de paiement de sa société auprès du greffe du tribunal de commerce de Montpellier et sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement du 21 juin 2021, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de liquidation à l'égard de la société [L] Construction et nommé la S.E.L.A.R.L. Etude Balincourt, prise en la personne de M. [V] [H], en qualité de liquidateur judiciaire.
Par exploit du 27 septembre 2023, M. [V] [H], ès qualités, a assigné M. [E] [L] en comblement du passif de la société [L] Construction.
Par jugement réputé contradictoire en date du 25 avril 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a :
condamné M. [L] à contribuer au comblement du passif de la société [L] Construction à hauteur de la somme de 4 218 euros ;
prononcé la faillite personnelle à l'encontre de M. [L], pour une durée de 3 ans ;
rappelé à M. [L] que la faillite personnelle emporte notamment comme conséquence, pour la durée ci-dessus, conformément à l'article L. 653-2 du code de commerce, l'interdiction de diriger, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute explication agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale ;
rappelé à M. [L] que s'il ne respecte pas l'interdiction ci-dessus, il sera passible des sanctions pénales suivantes : emprisonnement de deux ans et amende de 375 000 euros (article L. 654-15 du code de commerce) ;
condamné M. [L] à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné M. [L] aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés et taxés à la somme de 61,50 euros.
Par déclaration du 7 mai 2024, la société Epilogue, venant aux droits de la société Etude Balincourt, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [L] Construction.
Par conclusions du 4 octobre 2024, elle demande à la cour, au visa des articles R. 651-1 et suivants, L. 232-23, R. 247-3, L. 653-1 et suivants, L. 631-4 du code de commerce, et de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales de :
la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes ;
confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné M. [L] à contribuer au comblement du passif de la société [L] Construction à hauteur de la somme de 4 218 euros et condamné M. [L] à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
y faisant et statuant à nouveau,
déclarer que M. [L] en sa qualité de gérant a incontestablement aggravé la situation de la société [L] Construction en poursuivant une activité manifestement déficitaire et ce sans procéder à la déclaration à la moindre demande d'ouverture de procédure collective ;
en conséquence,
condamner M. [L] à contribuer au comblement du passif de la société [L] Construction à hauteur de la somme de 438 878, 53 euros ;
condamner M. [L] au paiement de la somme 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
et le condamner au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel outre les entiers dépens d'appel.
Par conclusions du 16 septembre 2024, formant appel incident, M. [L] demande à la cour de :
débouter l'appelant de ses demandes ;
déclarer recevable son appel incident ;
infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau,
constatant l'absence de faute ayant contribué à l'accroissement de l'insuffisance d'actif au visa notamment l'article L 651-2 du code de commerce et sa jurisprudence attenante, débouter la société Epilogue de sa demande visant à voir prononcer à son encontre une condamnation en comblement du passif ;
débouter la société Epilogue de sa demande visant à voir prononcer à son encontre une mesure de faillite civile et d'interdiction de gérer ;
dire n'y avoir lieu à le condamner au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Epilogue à lui payer la somme de 3 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Le ministère public, par avis du 19 mai 2025 communiqué aux parties par le
RP VA, a indiqué s'en rapporter à la décision de la cour.
L'ordonnance de clôture du 29 avril 2025 a été révoquée à l'audience du 20 mai 2025 afin d'admettre aux débats l'avis du ministère public avant l'ouverture des débats, et la procédure a été à nouveau clôturée.
MOTIFS :
Sur la responsabilité de M. [L] pour insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L.651-2, alinéa 1, du code de commerce : lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Il appartient au liquidateur de démontrer l'existence d'une faute de gestion imputable au dirigeant, hors une simple négligence de sa part, en relation directe avec cette insuffisance d'actif.
Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable, sur le fondement de l'article L.651-2 précité, même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et peut être condamné à supporter en totalité ou partie les dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles.
Le passif de la société [L] construction s'élève à la somme de 438 878,53 euros de créances admises à titre définitif à la date d'ouverture de la liquidation judiciaire.
Sur les fautes de gestion
Sur le non-respect de la législation sociale et fiscale
Il résulte des productions que la société [L] construction n'a pas déclaré la TVA pour la période du 1er janvier au 21 juin 2021, ce qui a engendré une proposition de rectification de l'administration fiscale le 22 octobre 2021 pour un rappel de droits de 34 338 euros objet d'une taxation d'office.
Il importe peu que M. [L] ait eu connaissance de la proposition de rectification postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, le fait générateur étant antérieur à celle-ci, alors qu'il était dirigeant de la société.
En conséquence, son absence de déclaration est à l'origine de la taxation d'office et du passif de la société [L] construction à ce titre.
Sur l'absence de tenue d'une comptabilité régulière ou sa production tardive
Le liquidateur fait la démonstration qu'aucune comptabilité n'a été tenue pour les exercices des années 2020 et 2021, M. [L] indiquant lui-même qu'il n'avait plus les moyens de payer son expert-comptable, de sorte qu'il a fait établir seulement le 5 décembre 2023 une comptabilité provisoire pour l'année 2020.
Ce faisant, M. [L] s'est privé de la connaissance de la situation financière exacte de la société sur les exercices 2019 et 2020 lui permettant de réagir utilement ou de tenter de remédier à la situation difficile que celle-ci rencontrait, poursuivant de surcroît une activité structurellement déficitaire, de sorte que cette carence fautive a contribué à l'insuffisance d'actif telle que constatée.
Sur l'absence de dépôt des comptes annuels
Si la société [L] construction n'a déposé aucun de ses comptes annuels depuis sa création, il n'est cependant nullement démontré par le liquidateur, sur qui pèse la charge de la preuve, que ce défaut de dépôt des comptes annuels dans les délais ait contribué à l'insuffisance d'actif de la société, en ce que ce défaut de publication a empêché toute personne ayant intérêt de percevoir l'évolution réelle de la situation financière de la société et d'en contrôler la rentabilité comme il le soutient.
La faute est ainsi établie, mais non l' aggravation du passif en résultant. Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur l'omission ou retard dans la déclaration de l'état de cessation des paiements
L'absence de déclaration de la cessation des paiements peut, si elle est avérée, constituer une faute de gestion susceptible d'entraîner la condamnation du dirigeant.
L'omission sciemment de déclarer la cessation des paiements doit s'apprécier au regard de la date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou de report.
La date de cessation des paiements a été arrêtée par le tribunal de commerce au 20 mai 2021.
Cependant, le liquidateur ne démontre pas que M. [L] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de sa société à cette date du seul fait qu'il avait connaissance dès le début de l'année 2020 des difficultés rencontrées par sa société, étant seulement en possession du bilan comptable de la société pour l'exercice de l'année 2019.
Cette faute n'est dès lors pas caractérisée.
Sur la poursuite d'une activité déficitaire
Il résulte des bilans comptables de la société pour les exercices 2018 et 2019 une augmentation des dettes qui sont passées de 149 556 euros à 197 095 euros.
Si la faute tenant à la poursuite d'une activité déficitaire ne peut résulter du seul constat d'une augmentation du montant des dettes, elle peut tenir dans la poursuite d'une activité déficitaire sans perspective de redressement, ou provenir de l'absence de réaction du dirigeant ou de l'absence de tenue de comptabilité.
Or, il est démontré par le liquidateur que M. [L] n'a engagé aucune action concrète pour réduire l'endettement de la société qui s'avérera en définitive être d'un montant de 438 878,53 euros à la date d'ouverture de la liquidation judiciaire, et ce peu important que la société ait pu augmenter son chiffre d'affaires, ce qui n'est cependant pas avéré en l'absence d'un bilan comptable définitif pour l'année 2020.
Le jugement sera réformé de ce chef.
En définitive, au regard des fautes retenues et du principe selon lequel le dirigeant peut être condamné à l'intégralité de l'insuffisance d'actif, M. [L] sera condamné à le supporter celui-ci pour son montant total de 438 878,53 euros, aucune disproportion n'étant alléguée et a fortiori démontrée.
Le jugement sera réformé.
Sur la sanction
L'importance et la gravité des fautes ci-dessus constatées et commises par le dirigeant qui ont conduit à une très importante insuffisance d'actif, justifient de sanctionner M. [L], qui est âgé de 34 ans et qui ne produit aucune pièce concernant sa situation professionnelle et financière actuelle, par une mesure de faillite personnelle d'une durée de 3 années.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [E] [L] à contribuer au comblement du passif de la société [L] Construction à hauteur de la somme de 4 218 euros,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne M. [E] [L] à payer à la S.E.L.A.R.L. Étude Balincourt (devenue Épilogue), prise en la personne de Me [V] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L.U. [L] construction, la somme de 438 878,53 euros en comblement du passif de cette dernière,
Confirme pour le surplus le jugement déféré,
Y ajoutant
Condamne M. [E] [L] aux dépens d'appel,
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [E] [L] à payer à la S.E.L.A.R.L. Étude Balincourt (devenue Épilogue), prise en la personne de Me [V] [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L.U. [L] construction, la somme de 2 000 euros et rejette les autres demandes.
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La greffière La présidente