CA Colmar, 3e ch. A, 16 juin 2025, n° 24/01528
COLMAR
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fabreguettes
Vice-président :
M. Laethier
Conseiller :
Mme Deshayes
Avocats :
Me Nicolas, Me Heichelbech
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [B] [D] est un entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne « GC Peinture Multi-Services ».
Par acte de commissaire de justice du 2 août 2022, M. [D] a fait assigner M. [E] [S] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Mulhouse afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 8 548 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2022, outre la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de l'instance.
Par jugement du 31 juillet 2023, le juge des contentieux de la protection s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire à la chambre du tribunal judiciaire de Mulhouse chargée des affaires dont la valeur en litige est inférieure à 10 000 euros.
Devant le tribunal, M. [D] a fait valoir que M. [S] lui avait confié des travaux de ravalement de façade et de rénovation de la cage d'escalier de sa maison située à Pfastatt sur la base de deux devis signés en mai 2021 pour un montant total de 34 194 euros TTC et que le défendeur n'avait versé aucun acompte alors que les contrats prévoyaient le versement d'un acompte de 25 % à la signature. Il a soutenu avoir engagé des frais importants pour le chantier de M. [S] et qu'il était fondé à obtenir sa condamnation au paiement des acomptes soit la somme de 8 548 euros.
M. [S] a conclu à l'irrecevabilité et au rejet des prétentions du demandeur, à la nullité du contrat, et à la condamnation du demandeur au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a fait valoir que le contrat conclu était nul au motif qu'il a été conclu à distance sans faire mention des informations relatives au droit de rétractation du consommateur et sans être accompagné du formulaire type de rétractation. Il a également soutenu que les travaux n'avaient pas démarré, que le demandeur ne justifiait pas avoir engagé des frais et qu'il ne justifiait d'aucun préjudice.
Par jugement contradictoire du 15 mars 2024, le tribunal judiciaire de Mulhouse a :
- condamné M. [S] à payer à M. [D], entrepreneur individuel exploitant sous l'enseigne « CG Peinture Multi-Services », la somme de 8 548 euros au titre des devis signés en mai 2021,
- rejeté l'ensemble des demandes de M. [S],
- condamné M. [S] aux dépens,
- condamné M. [S] à payer à M. [D], entrepreneur individuel exploitant sous l'enseigne « CG Peinture Multi-Services », la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que les deux devis ont été signés en mai 2021 au domicile de M. [S] et que les contrats conclus ne peuvent être qualifiés de contrats à distance.
Sur la demande en paiement, le premier juge a considéré que les devis signés prévoyaient le versement d'un acompte de 25 % à la signature et que M. [S] ne justifiait pas du versement d'un acompte.
M. [S] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement par déclaration adressée au greffe par voie électronique le 15 avril 2024.
Dans ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 25 avril 2025, M. [S] demande à la cour de :
- déclarer l'appel recevable et bien fondé,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Mulhouse, pôle de la protection, de l'exécution et de la proximité en date du 15 mars 2024, en ce qu'il a :
' condamné M. [S] à payer à M. [D], entrepreneur individuel exploitant sous l'enseigne « CG Peinture Multi-Services » la somme de 8 548 euros au titre des devis signés en mai 2021,
' rejeté l'ensemble des demandes de M. [S],
' condamné M. [S] aux dépens,
' condamné M. [S] à payer à M. [D], entrepreneur individuel exploitant sous l'enseigne « CG Peinture Multi-Services » la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
- constater l'absence de contrat,
Subsidiairement,
- dire et juger que le contrat est nul et de nul effet,
En tout état de cause,
- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions,
- condamner M. [D] à verser à M. [S] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [D] aux entiers frais et dépens,
- rappeler le caractère exécutoire de la décision à intervenir.
L'appelant fait valoir qu'il a toujours contesté avoir signé les deux devis produits par M. [D] et qu'il est particulièrement surprenant que son premier conseil ne l'ait pas mentionné lors de la procédure de première instance. Il ajoute que les messages produits par l'intimé font état du report du début des travaux mais peuvent également concerner le report de la date de signature du contrat.
Subsidiairement, M. [S] soutient que les contrats signés hors établissement sont nuls car M. [D] aurait dû informer son client du délai et des modalités d'exercice du droit de rétractation et lui remettre un formulaire type permettant d'exercer un tel droit. L'appelant précise qu'il s'agit d'une nullité inhérente au contrat et non d'une nullité de procédure, de sorte que la demande formulée ne saurait être considérée comme tardive.
Dans ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 25 avril 2025, M. [D] demande à la cour de :
- déclarer l'appel mal fondé,
- déclarer irrecevables les prétentions nouvelles de M. [S] tendant à voir :
' constater l'absence de contrat,
' subsidiairement dire et juger que le contrat est nul et de nul effet,
- confirmer le jugement du 15 mars 2024,
- débouter M. [S] de ses demandes,
- le condamner aux dépens.
M. [D] fait valoir que les prétentions de M. [S] tendant à voir constater l'absence de contrat et subsidiairement, dire et juger que le contrat est nul et de nul effet, ont été formulées pour la première fois dans ses conclusions du 25 avril 2025 et sont irrecevables en application de l'article 910-4 ancien du code de procédure civile.
L'intimé soutient que M. [S] a bien signé les devis produits et que les SMS échangés entre les parties viennent le corroborer. Il ajoute que la signature des devis n'avait pas été contestée par l'appelant en première instance.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le 5 mai 2025.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 12 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des demandes de M. [S] tendant à voir « constater l'absence de contrat » et « dire et juger que le contrat est nul et de nul effet » :
Aux termes des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, applicable au jour de la déclaration d'appel, « à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs de jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».
En l'espèce, s'agissant de la demande tendant à voir « constater l'absence de contrat », la cour relève qu'il ne s'agit pas d'une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais d'un moyen au soutien de la prétention de l'appelant tendant au rejet des demandes de M. [D], de sorte qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur sa recevabilité et que la cour y répondra dans les motifs de l'arrêt.
En ce qui concerne la demande tendant à voir « dire et juger que le contrat est nul et de nul effet », il résulte de la procédure que cette demande a été formulée pour la première fois par l'appelant dans ses conclusions d'appel transmises le 25 avril 2025 et que ses conclusions initiales du 12 juillet 2024 n'en faisaient pas état.
Dès lors, cette demande constitue une demande nouvelle qui sera déclarée irrecevable en application des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile.
Sur la demande en paiement de M. [D] :
Conformément à l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L'article 299 du code de procédure civile dispose que, si un écrit sous seing privé produit en cours d'instance est argué faux, il est procédé à l'examen de l'écrit litigieux comme il est dit aux articles 287 à 295.
Aux termes de l'article 287, alinéa 1er, du code de procédure civile, si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte. Si l'écrit contesté n'est relatif qu'à certains chefs de la demande, il peut être statué sur les autres.
L'article 288 du même code précise qu'il appartient au juge de procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont il dispose après avoir, s'il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous sa dictée, des échantillons d'écriture. Dans la détermination des pièces de comparaison, le juge peut retenir tous documents utiles provenant de l'une des parties, qu'ils aient été émis ou non à l'occasion de l'acte litigieux.
En l'espèce, M. [D] fonde sa demande en paiement sur deux devis non datés, d'un montant total de 34 194 euros TTC, sur lesquels sont apposées la mention manuscrite « bon pour accord » et une signature.
M. [S] dénie être l'auteur de la mention manuscrite et de la signature figurant sur ces devis et produit deux devis datés du 30 mars 2021, dépourvus de toute mention manuscrite et signature.
Il verse aux débats, en pièce 3, une attestation manuscrite reproduisant la mention « bon pour accord et réalisation » suivie de sa signature ainsi qu'une copie de sa carte d'identité.
Cependant, la carte d'identité a été établie le 26 février 2014 soit plusieurs années avant la signature alléguée des documents contractuels alors qu'il eût été plus probant de verser aux débats des échantillons de signature figurant sur des documents rédigés à une période contemporaine des actes litigieux.
Quant à l'attestation, elle n'est pas datée et ne permet pas à la cour d'être suffisamment informée, de sorte qu'il sera procédé à une vérification d'écritures conformément aux articles 287 et 288 du code de procédure civile.
M. [S] devra se munir à cette occasion de documents signés de sa main, datés d'une période contemporaine à celle de la signature alléguée des devis (mai 2021, selon M. [D]).
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et par arrêt avant-dire droit,
DECLARE irrecevable la demande de l'appelant tendant à voir « dire et juger que le contrat est nul et de nul effet »,
REVOQUE l'ordonnance de clôture du 05 mai 2025,
ORDONNE la comparution personnelle M. [E] [S], en présence de son conseil et du conseil de M. [B] [D], en vue d'une vérification d'écritures,
ENJOINT à M. [E] [S] de produire plusieurs documents comportant sa signature et son écriture manuscrite (pièces d'identité, lettres, contrats etc.), datés d'une période contemporaine à celle de la signature alléguée du contrat (mai 2021),
FIXE la comparution personnelle des parties au lundi 01 septembre 2025 à 10h30, salle 28,
DIT que M.[E] [S] devra se munir d'une pièce d'identité,
SURSOIT à statuer sur les demandes des parties,
RESERVE les dépens.