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Décisions

CA Douai, 8e ch. sect. 1, 19 juin 2025, n° 23/03039

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Cofidis (SA)

Défendeur :

Cofidis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Benhamou

Conseillers :

Mme Ménegaire, Mme Convain

Avocats :

Me Boulaire, Me Deffrennes

JCP [Localité 7], du 6 mars 2023, n° 22-…

6 mars 2023

EXPOSE DU LITIGE

le 10 décembre 2018, M. [F] [G] a commandé auprès de la société Objectif Economie une prestation relative à la fourniture et la pose d'une pompe à chaleur de marque Daikin avec ballon d'eau chaude thermodynamique pour un montant de 19 900 euros, dans le cadre d'un démarchage à domicile.

Cette installation a été financée au moyen d'un crédit affecté dont l'offre préalable a été souscrite le même jour par M. [G] et Mme [P] [X] épouse [G] auprès de la société Cofidis, d'un montant de 19 900 euros, remboursable en 120 mensualités avec un différé de 9 mois, au taux nominal annuel de 3,64 %.

Par jugement du 24 mai 2022, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire de la société Objectif Economie et a désigné Me [M] [B] en qualité de liquidateur judiciaire.

Par actes d'huissier de justice délivrés le 5 mai 2022, M. [G] et Mme [X] ont fait assigner en justice la société Objectif Economie prise en la personne de son liquidateur Me [M] [B] et la société Cofidis aux fins de voir notamment prononcer la nullité du contrat de vente et du contrat de crédit affecté.

Par jugement réputé contradictoire en date du 6 mars 2023, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille a :

- prononcé la nullité du contrat de vente conclu le 10 décembre 2018 entre M. [G] et la société Objectif Economie aux termes du bon de commande n°157388,

- constaté la nullité du contrat de crédit affecté souscrit par M. [G] et Mme [X] auprès de la société Cofidis le 10 décembre 2018,

- condamné la société Cofidis venant aux droits de la société Sofemo à restituer à M. [G] et Mme [X] la somme de 1 710,73 euros au titre de ce crédit annulé, assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision,

- dit qu'il appartient à Me [M] [B], en qualité de liquidateur de la société Objectif Economie, de procéder à la dépose des matériels, objets du bon de commande n° 157388 du 10 décembre 2018,

- rappelé à M. [G] et Mme [X] les dispositions de l'article L.622-24 alinéa 6 du code de commerce s'ils entendent voir admettre au passif de la procédure collective de la société Objectif Economie la créance postérieure tenant à la restitution du prix de vente,

- condamné la société Cofidis à payer à M. [G] et Mme [X] la somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné la société Cofidis aux dépens.

Par déclaration reçue par le greffe de la cour le 3 juillet 2023, M. [G] et Mme [X] ont relevé appel de cette décision uniquement en ce qu'elle a condamné la société Cofidis venant aux droits de la société Sofemo à leur restituer la somme de 1 710,73 euros au titre du crédit annulé, assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision et en ce qu'elle a rejeté le surplus des demandes des parties. Ils n'ont pas intimé Me [B], ès-qualité de liquidateur de la société Objectif Economie.

Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 7 janvier 2025, les appelants demandent à la cour de :

Vu l'article liminaire du Code de la consommation ;

Vu les anciens articles 1109 et 1116 du Code civil ;

Vu l'article 16 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finance rectificative pour 2012 ;

Vu l'article L.121-17 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-

344 du 17 mars 2014, désormais codifié à l'article 221-5 du même code ;

Vu les articles 221-5 et suivants du code de la consommation ;

L'article L. 111-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de la Loi n°2014-344

du 17 mars 2014 ;

L'article R.111-1 du même code, issu du Décret 2014-1061 du 17 septembre 2014

Vu l'article L. 121-28, tel qu'issu de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 ;

Vu la jurisprudence citée et l'ensemble des pièces visées aux débats ;

- Infirmer le jugement du Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de LILLE,

seulement en ce qu'il a :

- condamné la société Cofidis venant aux droits de la société Sofemo à restituer à

M. [G] et à Mme [X] la somme de 1.701,73 euros au titre de ce crédit annulé assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision ;

- rejeté le surplus des demandes des parties.

statuant de nouveau :

- condamner la société Cofidis venant aux droits de la SA Groupe Sofemo à payer à

M. et Mme [G] les sommes suivantes :

- 19 900 euros correspondant à l'intégralité du prix de vente de l'installation ;

- 4 866,71 euros somme à parfaire correspondant aux intérêts conventionnels et frais

payés par M. et Mme [G] à la société Cofidis en exécution du prêt souscrit ;

- 5.000 euros au titre du préjudice moral ;

- 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner que la société Cofidis soit privée de sa créance de restitution du capital emprunté ;

- débouter la société Cofidis venant aux droits de la SA Groupe Sofemo de l'intégralité de

ses prétentions, fins et conclusions contraires ;

- condamner la société Cofidis venant aux droits de la SA Groupe Sofemo à supporter les dépens de l'instance.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 décembre 2023, la société Cofidis demande à la cour de :

Vu les articles 1103 et 1104 du code civil,

vu les articles L.312-1 et suivants du code de la consommation,

vu l'article 1353 du code civil,

A titre principal,

- confirmer le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection le 6 mars 2023 en toutes ses dispositions, notamment en ce qu'il a condamné la société Cofidis à restituer à M. [G] et Mme [X] uniquement les intérêts et frais perçus, soit la somme de 1 710,73 euros au titre du crédit annulé assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification,

- débouter M. [G] et Mme [X] de l'ensemble de leurs demandes,

- constater que la société Cofidis n'a commis aucune faute dans la délivrance des fonds ni dans l'octroi du crédit,

- par conséquent, confirmer le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection le 6 mars 2023 en ce qu'il a condamné la société Cofidis à restituer à M. [G] et Mme [X] uniquement les intérêts et frais perçus, soit la somme de 1 710,73 euros au titre du crédit annulé, assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

A titre subsidiaire, si par impossible la cour devait considérer que la société Cofidis a commis une faute dans le déblocage des fonds,

- dire et juger que le préjudice subi du fait de la perte de chance de ne pas contracter le contrat de crédit litigieux ne peut être égal au montant de la créance de la banque,

- dire et juger que la pompe à chaleur et le ballon thermodynamique commandés par M. [G] et Mme [X] ont bien été livrés et posés à leur domicile, que lesdits matériels fonctionnent parfaitement puisque les époux M. [G] ne rapportent absolument pas la preuve d'un quelconque dysfonctionnement qui affectait les matériels installés de nature à les rendre impropres à leur destination,

- dire et juger que M. [G] et Mme [X] conserveront l'installation des matériels commandés et livrés à leur domicile par la société Objectif Economie (puisque ladite société se trouve en liquidation judiciaire de sorte qu'elle ne se présentera jamais au domicile des époux [G] pour récupérer les matériels installés) et que l'installation fonctionne parfaitement à défaut de preuve contraire émanant de la partie demanderesse,

- par conséquent, dire et juger que la société Cofidis ne saurait être privée de la totalité de sa créance de restitution compte tenu de l'absence de préjudice avéré pour M. [G] et Mme [X],

- par conséquent, confirmer le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection le 6 mars 2023 en ce qu'il a condamné la société Cofidis à restituer à M. [G] et Mme [X] uniquement les intérêts et frais perçus, soit la somme de 1 710,73 euros au titre du crédit annulé, assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

- à défaut, réduire à de bien plus justes proportions le préjudice subi par les époux [G] et dire et juger que M. [G] et Mme [X] devraient à tout le moins restituer au prêteur une fraction du capital prêté, fraction qui ne saurait être inférieure aux deux tiers du capital prêté par la société Cofidis à M. [G] et Mme [X],

en tout état de cause,

- débouter M. [G] et Mme [X] de leurs demandes de dommages et intérêts en l'absence de faute imputable au prêteur et à défaut de justifier de la réalité et du sérieux d'un quelconque préjudice qui serait directement lié à la prétendue faute que M. [G] et Mme [X] tentent de mettre à la charge de l'établissement prêteur,

- condamner M. [G] et Mme [X] à payer à la société Cofidis la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [G] et Mme [X] aux entiers frais et dépens, y compris ceux d'appel, dont distraction au profit de Me Francis Deffrennes, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.

La clôture de l'affaire a été rendue le 17 mars 2025.

MOTIFS

Sur la nullité du contrat de vente et du contrat de crédit affecté

Au visa des articles L.111-1, L.221-5, L.221-9, L.242-1 du code de la consommation, le premier juge a prononcé la nullité des contrats de vente et de crédit accessoire à raison des irrégularités formelles affectant de bon de commande au regard des dispositions d'ordre public du code de la consommation en matière de vente hors établissement, au motif que ledit bon de commande ne prévoit pas de délai de livraison des matériels, ni de délai de pose et de mise en service de l'installation.

M. [G] et Mme [X] n'ont pas relevé appel des dispositions du jugement qui ont prononcé la nullité des contrats de vente et de crédit, cependant que la société Cofidis n'a pas fait appel incident et n'en demande pas l'infirmation, en sorte que ces dispositions sont définitives.

Sur les conséquences de l'annulation des contrats de vente et de crédit

Les annulations des contrats entraînent en principe la remise des parties en l'état antérieur à la conclusion des contrats.

Ainsi, l'annulation du contrat de prêt en conséquence de celle du contrat de vente qu'il finançait emporte, pour l'emprunteur, l'obligation de rembourser au prêteur le capital prêté, peu important que ce capital ait été versé directement au vendeur par le prêteur, sauf si l'emprunteur établi l'existence d'une faute du prêteur et d'un préjudice consécutif à cette faute. Elle emporte également pour le prêteur l'obligation de restituer les sommes déjà versées par l'emprunteur.

Il est constant que commet une faute la banque qui verse les fonds prêtés au vendeur sans avoir dûment et préalablement vérifié la conformité du bon de commande aux dispositions du code de la consommation. La banque commet également une faute en ne s'assurant pas au moyen de toutes démarches utiles, de la bonne exécution des travaux par le vendeur conformément à ses engagements contractuels avant de débloquer les fonds prêtés.

En l'espèce, la société Cofidis fait valoir qu'elle n'a pas commis de faute dès lors qu'elle a débloqué les fonds au vu de l'attestation de livraison et demande de financement signée par M. [G].

Toutefois, elle ne conteste pas que le contrat de vente était affecté d'une irrégularité flagrante puis qu'il ne comportait aucunement la date ou le délai auquel le professionnel s'engageait à livrer le bien ou à exécuter le service, ni a fortiori ne précisait la date de pose et de mise en service, contrairement aux dispositions de l'article 111-1 3°) du code de la consommation, et n'a d'ailleurs pas relevé appel incident du jugement en ce qu'il a annulé le bon de commande à raison de l'irrégularité formelle qui l'affectait.

La société Cofidis a donc manifestement commis une faute en débloquant les fonds alors que le bon de commande était irrégulier.

Force est de constater que la faillite du vendeur doit être considérée comme générant un préjudice suffisant pour priver le prêteur de sa créance de restitution. En effet du fait de la déconfiture de la société Objectif Economie, les époux [G] se verront incontestablement dans l'impossibilité de récupérer le prix de vente auprès de cette société placée en liquidation judiciaire et d'obtenir la désinstallation du matériel - alors même que cette restitution du prix aurait été la conséquence juridique normale et automatique résultant de l'annulation du contrat de vente, peu important que le matériel ait fonctionné ou non.

Il est rappelé que dans un arrêt de principe en date du 10 juillet 2024 la première chambre civile de la cour de cassation a considéré que lorsque la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné, par suite de l'annulation du contrat de vente ou de prestation de service, est devenue impossible du fait de l'insolvabilité du vendeur ou du prestataire, le consommateur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d'une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente ou de prestation de service annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n'a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal (Cass. Civ, 1ère 10 juillet 2024, n° du pourvoi 23-15.802).

La cour de cassation estime ainsi qu'en libérant le capital emprunté sans vérifier la régularité du contrat principal, la banque a manqué à ses obligations, et que d'autre part, l'emprunteur avait subi un préjudice consistant à ne pas pouvoir obtenir, auprès d'un vendeur placé en liquidation judiciaire, la restitution du prix de vente du matériel. Elle en déduit que la banque dans ce cas doit être condamnée à restituer à l'emprunteur à titre de dommages et intérêts une somme correspondant au capital emprunté.

La faute avérée de la Cofidis en l'espèce a causé à M. [G] et Mme [X] un préjudice incontestable qui doit être justement et exactement arbitré à hauteur du montant intégral de la créance de restitution. Il convient de souligner qu'il doit être fait application en l'espèce du principe de réparation intégrale du préjudice qui commande de réparer tout le préjudice mais rien que le préjudice qui doit être arbitré à hauteur du montant exact du capital emprunté.

Il convient dès lors d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Cofidis à payer aux époux [G] la somme de 19.900 euros correspondant au montant exact du capital emprunté.

Par ailleurs, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [G] et Mme [X] de leurs demandes de dommages et intérêts complémentaires pour préjudice moral, aucun élément venant établir l'existence d'un tel préjudice.

Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M. [G] et Mme [X] les frais irrépétibles exposés par eux devant la cour et non compris dans les dépens.

Il convient dès lors de condamner la société Cofidis à payer à M. [G] et Mme [X] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

En revanche, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Cofidis les frais irrépétibles exposés par elle devant la cour et non compris dans les dépens.

Il y a lieu en conséquence de débouter la société Cofidis de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

Il convient de condamner la société Cofidis qui succombe, aux entiers dépens d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de l'appel ;

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Cofidis à restituer à M. [F] [G] et Mme [P] [X] les intérêts et frais perçus, soit la somme de 1 710,73 euros au titre du crédit annulé, assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau du chef infirmé ;

Condamne la société Cofidis à payer à M. [F] [G] et Mme [P] [X] la somme de 19.900 euros correspondant au montant exact du capital emprunté,

Condamne la société Cofidis à payer à M. [F] [G] et Mme [P] [X] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Cofidis aux dépens de l'instance d'appel.

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