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CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 19 juin 2025, n° 24/12339

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/12339

19 juin 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 19 JUIN 2025

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/12339 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJW6R

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Mai 2024 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2023065186

APPELANT

M. [J] [B]

De nationalité algérienne

Né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 13] (ALGERIE)

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représenté par Me Astou DIAGNE, avocate au barreau de PARIS, toque : B0436

INTIMÉS

S.E.L.A.R.L. [10] ès qualités de liquidateur judiciaire de la Société [12]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Immatriculée au RCS de [Localité 11] sous le n° [N° SIREN/SIRET 5]

Représentée par Me Justine CAUSSAIN, avocate au barreau de PARIS, toque : D0203

Assistée par Me Frédéric MANGEL de la SELARL MANGEL AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN, toque : 02100

Mme LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 3]

[Localité 7]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Avril 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Sophie MOLLAT, Présidente

Caroline TABOUROT, Conseillère

Isabelle ROHART, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA

LE MINISTERE PUBLIC :

représenté par M. François VAISSETTE, avocat général, qui fait valoir ses observations orales à l'audience.

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie MOLLAT, présidente, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.

Exposé des faits et de la procédure

La société par actions simplifiée [12], créée en mars 2017, était présidée par M. [F] en qualité de président et dirigée par M. [B] en qualité de directeur général. Elle exerçait une activité de restauration de type rapide.

Sur déclaration de cessation des paiements déposée le 5 décembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 20 décembre 2022, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [12], fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 5 décembre 2022, soit à la date de la déclaration de cessation des paiements, et nommé la SELARL [10] en qualité de liquidateur judiciaire.

L'insuffisance d'actif s'élève à 260.000 euros.

Sur requête du 9 novembre 2023, le ministère public a saisi le même tribunal aux fins que soit prononcée une mesure d'interdiction de gérer d'une durée d'un an à l'encontre de M. [B].

Par jugement du 7 mai 2024, le tribunal a prononcé une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale, à l'encontre de M. [B] pour une durée d'un an, et dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 4 juillet 2024, M. [B] a interjeté appel de cette décision, intimant ainsi la SELARL [10] et M. le procureur général.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er octobre 2024, M. [B] demande à la cour d'appel de Paris de :

- Juger qu'aucune faute de gestion n'a été établie à l'encontre des appelants :

- Infirmation du jugement du 7 mai 2024, en ce qu'il a :

« ['] ' Interdit au dirigeant, [J] [B], né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 13] (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant [Adresse 8], de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale ;

- Fixe la durée de cette mesure à 1 an ;

- Dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

- Dit qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce ;

- Dit que les dépens du présent jugement liquidés à la somme de 107,66 euros TTC (dont TVA : 15,66 euros) seront employés en frais de liquidation judiciaire ['] » :

- Confirmer le jugement sur le surplus ;

Statuant à nouveau sur ces points et ajoutant au jugement :

- Dire et juger sans fondement les demandes d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, une personne morale à l'encontre de M. [B] ;

- Condamner la SELARL [10], à payer à M. [B] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SELARL [10], en tous les dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 décembre 2024, la SELARL [10] demande à la cour d'appel de Paris de :

- Dire M. le procureur de la République recevable et bien fondé en sa procédure de sanctions à l'encontre de M. [B].

En conséquence,

- Condamner M. [B] à une mesure d'interdiction de gérer d'une durée d'un an ;

- Condamner M. [B] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [B] aux entiers dépens.

Par avis notifié par voie électronique le 20 décembre 2024, le ministère public conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [B] à une interdiction de gérer d'un an.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 20 mars 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'absence de tenue de la comptabilité

La SELARL [10] fait valoir que, malgré ses relances, elle n'a pas obtenu communication des documents comptables de la société [12] prévus à l'article L. 123-12 et suivants du code de commerce. Elle précise que seul le bilan 2021 a été communiqué au soutien de la déclaration de cessation des paiements, qu'aucun compte annuel n'a fait l'objet d'un dépôt au greffe.

Elle indique que c'est ainsi que, sans comptabilité la société n'était pas à même de faire face à ses obligations sociales, ce qui a conduit l'Urssaf à effectuer une taxation d'office pour les mois de juillet, octobre, novembre et décembre 2022.

Elle ajoute que la liasse fiscale qu'elle produit est un document fiscal et non comptable et que la situation de compte au 30 septembre 2022 qu'elle verse aux débats n'a pas été établie par expert-comptable, ne constitue pas un bilan mais une situation intermédiaire de l'entreprise et a uniquement été établie pour les besoins de la cause. Elle en conclut que le grief tenant à l'absence de tenue de la comptabilité est caractérisé.

Le ministère public soutient des moyens analogues à ceux développés par la SELARL [10] et conclut à la caractérisation du grief tenant à l'absence de tenue de la comptabilité.

M. [B] répond que la simple négligence ne peut pas entraîner le prononcé d'une interdiction de gérer, qu'un fait isolé ne constitue pas un motif de sanction du gérant, que le jugement du 7 mai 2024 confirme qu'il a produit les documents comptables et sociaux sur la période de 2019 à 2021, les déclarations de TVA de 2020 à 2021, ainsi que la situation des comptes au 30 septembre 2022. Il en conclut qu'aucun manquement délibéré ne lui est imputable et que le grief relatif à l'absence de tenue de la comptabilité n'est donc pas caractérisé.

Sur ce,

Selon l'article L. 653-5 du code de commerce, « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après : [']

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ».

En l'espèce, faute d'avoir reçu les documents comptables, le liquidateur a envoyé le 1° février 2023 une mise en demeure d'avoir à lui adresser les bilans 2019,2020 et 2022, ainsi que les coordonnées de l'expert-comptable, ce qui démontre que 3 mois après le jugement d'ouverture, il ne disposait toujours pas desdits documents.

Cependant, à l'audience devant le tribunal de commerce statuant en sanction, M. [B] a produit les liasses fiscales 2019,2020 et 2021, une situation de compte au 30 septembre 2022, des déclarations de TVA 2020, 2021 et une déclaration de demande de remboursement de crédit de TVA 2021.

Or, les liasses fiscales incluent les bilans, les comptes de résultat et les annexes, et il s'agit des comptes qu'une personne morale doit établir conformément à l'article L.123-12 du code de commerce.

Il s'ensuit que c'est à juste titre que le tribunal a considéré que la comptabilité était complète et n'a pas retenu ce grief.

Sur l'augmentation frauduleuse du passif

La SELARL [10] fait valoir que l'Urssaf a déclaré, dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire, une créance d'un montant de 55 961,52 euros, révélant que les dirigeants de la société [12] se sont abstenus de payer les cotisations de mai 2021 à décembre 2022 ainsi que le précompte salarial à hauteur de 17 839,52 euros, que le défaut de paiement des charges sociales procure des moyens financiers fautifs, qu'en conséquence, le grief tenant à l'augmentation frauduleuse du passif est caractérisé.

Le ministère public indique que si l'Urssaf a déclaré une créance de 55 961,52 euros au titre des cotisations de mai 2021 à décembre 2021, faisant apparaître une part salariale de 17 839,52 euros, cependant, la société n'a pas fait l'objet de majorations ou pénalités ayant augmenté le passif, de sorte que le grief tenant à l'augmentation frauduleuse du passif n'est pas caractérisé.

M. [B] soutient que l'importance du passif social ne lui est pas imputable en ce qu'il n'est, en sa qualité de dirigeant, pas tenu d'une obligation de résultat ; que la somme qui était due à l'Urssaf s'élève, contrairement à ce que soutiennent les intimés, à la somme de 11 410,15 euros et que les taxations d'office d'octobre à décembre 2022 sont à annuler en l'absence de masse salariale ; qu'il a établi ses déclarations comptables, fiscales et sociales ainsi que le règlement des taxes y afférentes jusqu'au 30 septembre 2022 ; que le passif établi par le liquidateur judiciaire est antérieur aux faits reprochés ; qu'en conséquence, sa mauvaise foi n'est pas caractérisée.

Sur ce,

Selon l'article L. 653-5 du code de commerce, « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après : [']

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. »

En l'espèce, si les dirigeants n'ont pas régulièrement payé l'Urssaf, toutefois les taxations d'office n'ont pas engendré de pénalités, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal n'a pas retenu ce grief.

Sur l'absence de communication des renseignements demandés

La SELARL [10] fait valoir que M. [B] ne lui a pas remis les renseignements qu'il était tenu de communiquer en sa qualité de directeur général conformément aux dispositions de l'article L. 622-6 et suivant du code de commerce et a, partant, violé l'obligation d'information prévue à l'article L. 622-22 du code de commerce ; qu'une mise en demeure à cet effet a été réceptionnée par M. [B] le 3 février 2023, qui n'y a pas donné de suite ; que cette absence totale de collaboration des dirigeants a eu pour conséquence d'accroître l'insuffisance d'actif ; que cette carence fait obstacle au bon déroulement de la procédure en ce qu'elle a retardé les opération de liquidation, obligeant le liquidateur judiciaire à rechercher, en vain, les éléments manquants ; que les motifs familiaux soulevés par l'appelant sont inopérants pour justifier sa carence, que l'appelant admet sa carence dans ses écritures alors que la production des pièces comptables et fiscales relève de la responsabilité du dirigeant ; qu'ainsi sa mauvaise foi est établie ; qu'en conséquence, le grief tenant à l'absence de communication des renseignements demandés par le liquidateur judiciaire est caractérisé.

Le ministère public soutient des moyens analogues à ceux développés par la SELARL [10].

M. [B] répond que sa mauvaise foi n'est pas établie, qu'il n'est pas dirigeant de droit ni de fait de la société, mais seulement associé et directeur, et ne peut donc pas être confronté à une interdiction de gérer pour des diligences qui ne lui incombaient pas ; qu'il a été confronté à des problèmes personnels liés au syndrome post congé parental de son épouse qui a été victime d'un licenciement discriminatoire après la reprise de son emploi en avril 2022 puis a été, dès novembre 2022, dans un état de dépression aggravée, et que c'est donc dans ces circonstances indépendantes de sa volonté qu'il n'a pas pu répondre aux demandes de renseignements qui lui ont été envoyées ; qu'en conséquence, le grief tenant à l'absence de communication des renseignements demandés par le liquidateur n'est pas caractérisé.

Sur ce,

Selon l'article L. 653-8, alinéa 2 du code de commerce, « L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22. »

En l'espèce, le liquidateur a envoyé à M. [B] le 1° février 2023 une mise en demeure d'avoir à lui adresser les bilans 2019,2020 et 2022, ainsi que les coordonnées de l'expert-comptable et cette mise en demeure est demeurée vaine.

M. [B] ne conteste pas sa carence, mais indique qu'il n'était ni dirigeant de fait ni dirigeant de droit. Or, sont dirigeants de droit les organes statutaires des sociétés, tel le directeur général. Il s'ensuit que M. [B], directeur général, avait bien la qualité de dirigeant de droit.

C'est en vain que M. [B] tente de s'exonérer de sa responsabilité en invoquant la dépression de son épouse. En effet, M. [B] a bien réceptionné la mise en demeure du 1° février 2023 envoyée par le liquidateur par courrier recommandé avec accusé de réception et le défaut de réponse à cette mise ne demeure démontre que c'est de mauvaise foi qu'il n'a pas envoyé les documents.

C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu ce grief.

Sur la sanction.

M. [B] a été condamné en première instance à une interdiction de gérer d'une durée d'un an et tant le ministère public que le liquidateur sollicitent la confirmation du jugement.

Le grief d'absence, de mauvaise foi, de communication des renseignements demandés étant caractérisé, c'est de façon proportionnée que le tribunal a prononcé cette condamnation.

Le jugement sera donc confirmé.

Sur les dépens et les frais hors dépens.

M. [B] sera condamné aux dépens, ainsi qu'à payer à la SELARL [10], es qualités de liquidateur judiciaire de la société [12], une somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement,

Condamne M. [J] [B] aux dépens et à payer à la SELARL [10], es qualités de liquidateur judiciaire de la société [12], une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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