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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 19 juin 2025, n° 24/08973

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/08973

19 juin 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 19 JUIN 2025

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/08973 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJNXE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2024 - Tribunal de Commerce de BOBIGNY - RG n° 2023L02957

APPELANT

M. [B] [S]

De nationalité française

Né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 14] (75)

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Assisté par Me Frédéric ENTREMONT, avocat au barreau de PARIS, toque : R196

INTIMÉS

S.E.L.A.R.L. [9]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Immatriculée au RCS de [Localité 10] sous le n° [N° SIREN/SIRET 8]

Représentée par Me Béatrice HIEST NOBLET de la SCP HYEST et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0311

Mme LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 3]

[Localité 6]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Avril 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Sophie MOLLAT, Présidente

Caroline TABOUROT, Conseillère

Isabelle ROHART, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA

LE MINISTERE PUBLIC :

représenté par M. François VAISSETTE, avocat général, qui fait valoir ses observations orales à l'audience.

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie MOLLAT, présidente, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.

Exposé des faits et de la procédure

La société par actions simplifiée [12], immatriculée le 22 décembre 2008 et présidée par M. [S], exerçait une activité de commerce de gros.

Saisi par déclaration de l'état de cessation des paiements du 4 mai 2022, effectuée par M. [S], par jugement du 25 mai 2022, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [12], désigné la SELAFA [13], prise en la personne de Me [L] en qualité de liquidateur judiciaire, et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 31 décembre 2021.

Puis la SELARL [9] a été désignée liquidateur judiciaire en lieu et place de la Selafa [13]

Selon le rapport du liquidateur judiciaire, l'insuffisance d'actif s'élève à 3.247.069 euros.

Par requête du 26 mai 2023, le ministère public a saisi le tribunal de commerce de Bobigny aux fins d'ouverture d'une faillite personnelle ou, à défaut, d'une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, une personne morale à l'égard de M. [S].

Le tribunal a fait citer à comparaître M. [S] à l'audience du 8 janvier 2024 aux fins que celui-ci soit entendu sur l'éventuelle application des articles L.653-1 à L.653-11 du code de commerce à son égard.

Par jugement réputé contradictoire du 9 avril 2024, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé à l'encontre de M. [S] une sanction d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale et toute personne morale pour une durée de douze ans, et mis les dépens du jugement à la charge du trésor public.

Par déclaration du 7 mai 2024, M. [S] a interjeté appel du jugement du 9 avril 2024, intimant ainsi la SELARL [9], ès-qualités, et M. le procureur général.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 janvier 2025, M. [S] demande à la cour d'appel de Paris de :

- Annuler la citation à comparaître, le jugement du 9 avril 2024 et tous actes subséquents.

Subsidiairement,

- Infirmer le jugement du 9 avril 2024 en ce qu'il a prononcé une interdiction de gérer à l'encontre de M. [S] ;

- Juger n'y avoir lieu à prononcer une quelque condamnation ;

- Réserver les dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 octobre 2024, le ministère public conclut à l'annulation du jugement du 9 avril 2024, mais conclut à la possibilité d'évoquer l'affaire en confirmant dans le principe le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer mais en infirmant le quantum de cette mesure, en prononçant une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans.

La SELARL [9], ès-qualités, a constitué avocat mais n'a pas conclu.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 mars 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité du jugement

M. [S] indique qu'il n'a pas comparu à l'audience, ni participé à la procédure, ni été informé de la requête du ministère public, car il n'a jamais reçu de citation à comparaître dans le cadre de cette procédure, étant précisé que le jugement du 9 avril 2024 ne mentionne pas selon quelle forme, ni comment il a été touché par la convocation.

Il fait valoir qu'il a été privé d'un débat contradictoire en première instance de sorte qu'il a été porté atteinte à ses droits de la défense et à un procès équitable, qu'en conséquence, en l'absence de preuve de signification de la convocation à comparaître, il considère que celle-ci est irrégulière et est frappée de nullité, autant que l'acte introductif d'instance et le jugement subséquent.

Il soutient qu'il ne saurait y avoir d'effet dévolutif de l'appel.

Le ministère public fait valoir que, conformément aux articles R.653-2, R.631-4 du code de commerce, et 14, 670, et 670-1 du code de procédure civile, il doit être procédé à la notification de la convocation à l'audience aux fins de statuer sur l'application des dispositions relatives à une interdiction de gérer, ou à défaut, à la signification de cet acte, qu'en l'espèce, il ressort du jugement du 9 avril 2024 que M. [S] n'a pas comparu à l'audience publique, qu'aucun n'élément ne permet de démontrer que l'acte de convocation à comparaître a été notifié ou, à défaut, signifié à M. [S] lequel n'a alors pas pu présenter ses explications et débattre contradictoirement. Il considère, en conséquence, que le jugement du 9 avril 2024 peut être annulé.

Le ministère public soutient toutefois que le tribunal a été régulièrement saisi par le ministère public, ce dont il résulte que la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel pourra statuer dans le cadre de la présente instance.

Sur ce,

Selon l'article 14 du code de procédure civile, « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée. »

En l'espèce, le jugement déféré ne mentionne aucune date de signification d'une assignation et il n'existe aucun élément permettant de démontrer que l'acte de convocation à comparaître a été effectivement notifié ou signifié à M. [S].

En conséquence, il y a lieu d'annuler le jugement déféré pour violation du principe du contradictoire.

Cependant, le tribunal a été saisi, non pas par une citation à comparaitre, mais par la requête du ministère public, il s'ensuit que la nullité n'atteint pas la saisine du tribunal. La cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, statuera donc sur le fond du litige.

Sur le fond

1 Sur le grief de retard d'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.

Le ministère public rappelle que le jugement du 25 mai 2022 a fixé la date de cessation des paiements au 31 décembre 2021, que la déclaration de cessation des paiements effectuée par M. [S] le 4 mai 2022, est intervenue avec cinq mois et quatre jours de retard. Il souligne que l'insuffisance d'actif créée pendant les trois ans d'exploitation s'élève à plus d'un million d' euros et qu'en conséquence M. [S] ne pouvait ignorer les difficultés de la société. Il en déduit que M. [S] a sciemment omis de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours.

M. [S] répond que le seul retard de la déclaration de cessation des paiements ne peut suffire à établir le caractère délibéré de l'omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal, qu'en l'espèce, la déclaration de cessation des paiements a été effectuée le 4 mai 2022 et que le tribunal a fixé la date de cessation des paiements au 31 décembre 2021, qu'il en résulte que le retard n'est pas de cinq mois et de quatre jours, mais de quatre mois et quatre jours, soit soixante-dix-neuf jours. Il explique que le bilan de l'exercice 2021 ne lui a été transmis par l'expert-comptable que le 25 avril 2024 et qu'il a alors immédiatement déclaré son état de cessation des paiements et qu'en conséquence, il ne saurait lui être reproché d'avoir sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai légal.

Sur ce,

Selon l'article L.653-8 du code de commerce, « Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. [']

Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. »

En l'espèce, le jugement d'ouverture du 25 mai 2022 a fixé la date de cessation des paiements au 31 décembre 2021, étant précisé que la déclaration de cessation des paiements a été effectuée par M. [S] le 4 mai 2022, de sorte que cette déclaration est intervenue avec plus de 4 mois de retard. La date de cessation des paiements ainsi fixée par le tribunal s'impose au juge de la sanction.

L'étude du passif démontre que de nombreux loyers de la SCI [11] depuis n'ont pas été payés pour un total de 49.391 euros, que l'Urssaf est créancière pour plus de 130.000 euros en raison de cotisations non réglées dont certaines depuis décembre 2016, que l'administration fiscale est créancière pour plus de 300.000 euros depuis 2017.

Ainsi, le dirigeant qui ne réglait pas régulièrement ses cotisations sociales et ses dettes fiscales, qui ne payait pas davantage ses loyers, n'a pu que constater le défaut de trésorerie de la société qu'il dirigeait et avait donc nécessairement connaissance de son état de cessation des paiements. C'est donc de façon consciente que M. [S] n'a pas effectué de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal.

Il s'ensuit que le grief est caractérisé.

2 .Sur la sanction

M. [S] soutient que l'interdiction de gérer constitue une sanction facultative qui impose aux juges du fond de motiver leur décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle du dirigeant.

Il reproche au jugement qui l'a condamné à une interdiction de gérer de 12 ans de ne faire état d'aucun élément d'appréciation de son comportement, ni des dommages subis par ses créanciers qui auraient résulté de sa prétendue abstention.

Il explique que, malgré ses difficultés, la société est parvenue à dégager des chiffres d'affaires importants en 2019 (plus de 3 millions d' euros), 2020 (1 325 723 euros) et 2021 (2 244 135 euros), qu'en outre, au 31 décembre 2021, le résultat n'était déficitaire que de 276.013 euros. Selon lui, le prononcé d'une interdiction de gérer d'une durée de 12 ans apparaît injustifiée.

Le ministère public est d'avis qu'en raison du montant de l'insuffisance d'actif, la cour pourrait prononcer à l'égard de M. [S] une mesure d'interdiction de gérer de 5 ans.

Sur ce,

Le grief étant caractérisé et eu égard à l'importance de l'insuffisance d'actif il convient de condamner M. [S] à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale pour une durée de 3 ans.

Les dépens

M. [S] sera condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Annule le jugement,

Statuant au fond compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel,

Condamne M. [B] [S] à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale pour une durée de 3 ans,

Condamne M. [B] [S] aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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