CJUE, 2e ch., 3 juillet 2025, n° C-653/23
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
TOODE
Défendeur :
Valsts ieņēmumu dienests
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Président de chambre :
Mme Jürimäe
Juges :
M. Lenaerts, M. Gavalec, M. Csehi (rapporteur), M. Schalin
Avocat général :
M. Rantos
LA COUR (deuxième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et de l’article 1er, sous b), ii), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « TOODE » SIA au Valsts ieņēmumu dienests (administration fiscale nationale, Lettonie) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet d’une décision par laquelle cette administration a refusé d’octroyer à TOODE une aide destinée à assurer le fonds de roulement des entreprises touchées par la crise de COVID-19.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement 2015/1589
3 L’article 1er du règlement 2015/1589 dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
b) “aide existante” :
[...]
ii) toute aide autorisée, c'est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission [européenne] ou le Conseil [de l’Union européenne] ;
[...]
c) “aide nouvelle” : toute aide, c'est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ;
[...] »
La communication relative à l’encadrement temporaire
4 La communication de la Commission, relative à l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (2020/C 91 1/01, JO 2020, C 91 I, p. 1) a été publiée le 20 mars 2020 au Journal officiel de l’Union européenne avant d’être modifiée à sept reprises. Les points 21 et 22 de cette communication, telle que modifiée par la communication de la Commission du 24 novembre 2021 (2021/C 473/01, JO 2021, C 473, p. 1) (ci-après la « communication relative à l’encadrement temporaire »), figuraient dans la section 3.1, intitulée « Montants d’aide limités », de cette dernière et énonçaient :
« 21. Au-delà des possibilités existantes fondées sur l’article 107, paragraphe 3, point c), TFUE, l’octroi, à titre temporaire, de montants d’aide limités à des entreprises confrontées à une pénurie soudaine, voire à une absence de liquidités peut constituer une solution appropriée, nécessaire et ciblée dans les circonstances actuelles.
22. La Commission considérera qu’une aide d’État de ce type est compatible avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, point b), TFUE, pour autant que toutes les conditions suivantes soient remplies [...] :
[...]
d) l’aide est octroyée au plus tard le 30 juin 2022 [...];
[...] »
Le droit letton
5 L’article 250, paragraphe 2, de l’Administratīvā procesa likums (loi relative à la procédure administrative), dans sa version applicable aux faits au principal, dispose :
« En appréciant la légalité d’un acte administratif, le juge ne prend en compte dans sa décision que les motifs retenus par l’administration dans l’acte administratif. Cette limitation ne s’applique pas aux cas dans lesquels la demande concerne l’adoption d’un acte administratif favorable. »
6 L’article 254, paragraphe 1, de cette loi est libellé en ces termes :
« Lorsque le juge estime que la demande d’acte administratif est fondée, il ordonne à l’autorité publique de délivrer l’acte administratif concerné. »
7 Les autorités lettones ont adopté le Ministru kabineta noteikumi Nr. 676 « Noteikumi par atbalstu Covid-19 krīzes skartajiem uzņēmumiem apgrozāmo līdzekļu plūsmas nodrošināšanai » (décret no 676 du conseil des ministres établissant les règles en matière d’aides destinées à assurer le fonds de roulement des entreprises touchées par la crise de COVID-19), du 10 novembre 2020 (Latvijas Vēstnesis, 2020, no 222A, ci-après les « règles lettones en matière d’aides »). Le régime d’aides instauré par les règles lettones en matière d’aides, entrées en vigueur le 17 novembre 2020, a été institué conformément aux exigences énoncées à la section 3.1 de la communication relative à l’encadrement temporaire. Par décision SA.59592 (2020/N) du 16 décembre 2020, la Commission a considéré que ce régime était compatible avec le marché intérieur pour autant, notamment, que les aides concernées soient accordées le 30 juin 2021 au plus tard, cette date ayant par la suite été prorogée, par décision SA.100596 (2021/N) de la Commission du 14 décembre 2021, jusqu’au 30 juin 2022.
8 Le point 23 des règles lettones en matière d’aides, dans leur version applicable aux faits au principal, énonçait :
« La date d’octroi de l’aide est réputée être la date à laquelle [l’administration fiscale] adopte la décision d’octroi de l’aide. »
9 Le point 24 de ces règles était rédigé de la manière suivante :
« La décision est adoptée au plus tard le 30 juin 2022 conformément à [la communication relative à] l’encadrement temporaire. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Les 25 mars et 9 avril 2021, TOODE a demandé à l’administration fiscale de bénéficier du régime national d’aides destinées à assurer le fonds de roulement des entreprises touchées par la crise de COVID-19. Par deux décisions initiales des 23 avril et 7 juin 2021, puis deux décisions définitives des 9 juin et 23 juillet 2021, cette administration a refusé de lui accorder l’aide demandée au motif qu’elle ne remplissait pas l’une des conditions prévues par les règles lettones en matière d’aides, relative à la diminution du chiffre d’affaires.
11 TOODE a introduit, sans succès, un recours devant une juridiction de première instance avant de former appel, le 29 juin 2022, devant l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), qui est la juridiction de renvoi. Par cet appel, TOODE vise à ce que, conformément à l’article 254, paragraphe 1, de la loi relative à la procédure administrative, dans sa version applicable aux faits au principal, cette juridiction ordonne à l’administration fiscale d’adopter un acte administratif favorable accordant l’aide demandée.
12 La juridiction de renvoi rappelle que le régime national d’aides précité a, ainsi qu’il ressort du point 7 du présent arrêt, été déclaré compatible avec le marché intérieur par la Commission, pour autant notamment que les aides concernées soient accordées, conformément au point 24 des règles lettones en matière d’aides et au point 22, sous d), de la communication relative à l’encadrement temporaire, le 30 juin 2022 au plus tard. Elle relève que ce délai a expiré au cours de la procédure engagée devant elle.
13 Cette juridiction explique qu’elle doit, dans le cadre de l’appel formé par TOODE visant à obtenir un acte administratif favorable, apprécier si cette société peut encore bénéficier de l’aide demandée. À cet égard, elle doit déterminer la date à laquelle cette aide est réputée avoir été « accordée », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où il s’agit d’un élément fondamental pour déterminer si ladite aide constitue une aide d’État « existante » ou « nouvelle », au sens de l’article 1er du règlement 2015/1589. Elle précise toutefois que, en droit letton, les juridictions nationales peuvent uniquement ordonner l’adoption d’actes administratifs favorables pour l’avenir (ex nunc).
14 La juridiction de renvoi rappelle qu’une aide est réputée avoir été accordée au moment où un droit certain et inconditionnel à la percevoir est octroyé au bénéficiaire en vertu du droit national. Or, compte tenu du fait que l’administration fiscale n’a jamais reconnu à TOODE le droit de bénéficier de l’aide demandée, un tel droit certain et inconditionnel ne pourrait naître, en principe, pour un justiciable tel que TOODE qu’à la suite d’une décision de justice, lorsque le juge constate, à l’issue d’un contrôle de légalité complet conformément à l’article 250, paragraphe 2, seconde phrase, de la loi relative à la procédure administrative, dans sa version applicable aux faits au principal, que ce justiciable remplit toutes les conditions prévues par le droit national pour bénéficier de l’aide en question et ordonne à l’autorité compétente, sur le fondement de l’article 254, paragraphe 1, de cette loi, d’adopter un acte administratif favorable pour l’avenir.
15 La juridiction de renvoi rappelle cependant qu’une aide accordée par l’autorité compétente à une personne après l’expiration d’un régime d’aides national autorisé par la Commission doit être qualifiée d’aide « nouvelle » conformément à la jurisprudence de la Cour. Elle se demande néanmoins si cette jurisprudence est transposable dans le cas où l’administration compétente a indûment refusé d’accorder l’aide alors que ce régime était encore en vigueur et où cette administration, après l’expiration dudit régime, se voit ordonner par une décision de justice d’accorder et de verser le montant de l’aide.
16 Dans ces conditions, l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’une aide d’État doit être considérée comme ayant été “accordée” au moment où l’autorité compétente a indûment dénié à un particulier le droit au bénéfice de l’aide, ce qui a été constaté par une décision de justice après l’expiration du délai fixé pour l’octroi de l’aide ?
2) L’article 1er, sous b), [...] ii), du règlement [...] 2015/1589 [...] doit-il être interprété en ce sens que constitue une aide existante une aide qui, à défaut d’une décision ouvrant droit au bénéfice de l’aide adoptée par l’autorité compétente dans le délai d’octroi de l’aide prévu par un régime d’aides, a été accordée à un particulier après l’expiration dudit délai en exécution d’une décision de justice déclarant que, dans le délai susmentionné, le particulier avait rempli toutes les conditions prévues par le droit national pour pouvoir prétendre à l’aide en question et que le refus de l’autorité compétente d’accorder l’aide était illégal ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
Observations liminaires
17 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une aide d’État relevant d’un régime d’aides national autorisé par la Commission doit être considérée comme ayant été « accordée », au sens de cette disposition, au moment où l’autorité nationale compétente a indûment refusé le droit au bénéfice de l’aide à un particulier qui en a fait la demande dans le délai prévu pour son octroi, lorsqu’une décision de justice constate le caractère illégal de ce refus après l’expiration de ce délai.
18 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les aides doivent être considérées comme étant « accordées », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, au moment où le droit de les recevoir est conféré au bénéficiaire en vertu de la réglementation nationale applicable. L’élément déterminant pour établir la date à laquelle le droit de percevoir une aide d’État a été conféré à ses bénéficiaires par une mesure déterminée tient à l’acquisition par ces bénéficiaires d’un droit certain à percevoir cette aide et à l’engagement corrélatif, à la charge de l’État, d’accorder ladite aide. En effet, c’est à cette date qu’une telle mesure est susceptible d’entraîner une distorsion de la concurrence de nature à affecter les échanges entre les États membres, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2013, Magdeburger Mühlenwerke, C‑129/12, EU:C:2013:200, point 40, ainsi que du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C‑638/19 P, EU:C:2022:50, points 115 et 123).
19 Il appartient donc à la juridiction de renvoi de déterminer, sur la base du droit national applicable et dans le respect du droit de l’Union, le moment auquel l’aide d’État en cause au principal doit être considérée comme ayant été accordée. À cette fin, cette juridiction doit tenir compte de l’ensemble des conditions posées par le droit national pour l’octroi de l’aide concernée (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2013, Magdeburger Mühlenwerke, C‑129/12, EU:C:2013:200, point 41, ainsi que du 28 octobre 2020, INAIL, C‑608/19, EU:C:2020:865, points 31 et 32).
20 En particulier, la juridiction de renvoi doit déterminer si le droit national autorise à considérer, dans une situation telle que celle au principal, que le droit certain de percevoir l’aide concernée doit être réputé avoir été acquis ex tunc à la date à laquelle l’autorité compétente aurait dû agir légalement, c’est-à-dire à la date du refus indu exprimé par celle-ci, ou bien si, au contraire, ce droit national ne peut être interprété qu’en ce sens que la décision de refus de cette autorité, quand bien même elle serait déclarée illégale, n’a pas pu faire acquérir au demandeur un droit certain de percevoir l’aide.
21 Cela étant, compte tenu du fait qu’il ressort des explications de la juridiction de renvoi que le droit national ne semble pouvoir être interprété que dans ce dernier sens, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à la Cour de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il lui incombe, le cas échéant, de reformuler les questions qui lui sont soumises. Afin de fournir une telle réponse utile, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 1986, Tissier, 35/85, EU:C:1986:143, point 9, ainsi que du 9 septembre 2021, LatRailNet et Latvijas dzelzceļš, C‑144/20, EU:C:2021:717, point 29).
22 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, en substance, le régime d’aides en cause au principal a déterminé la date limite prévue pour l’octroi de l’aide sur la base de celle prévue dans la communication relative à l’encadrement temporaire et que ce régime a été déclaré compatible avec le marché intérieur par décision de la Commission au regard, notamment, du fait que cette date limite lui conférait un caractère temporaire. Il s’ensuit que l’application dudit régime constitue une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
23 Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner que l’application des règles de l’Union en matière d’aides d’État repose sur une obligation de coopération loyale entre, d’une part, les juridictions nationales et, d’autre part, la Commission et les juridictions de l’Union, dans le cadre de laquelle chacun agit en fonction du rôle qui lui est assigné par le traité (arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, point 41). À cet égard, s’il appartient, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits individuels dérivés de l’ordre juridique de l’Union, les États membres ont toutefois la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, le respect du droit à une protection juridictionnelle effective desdits droits tel que garanti à l’article 47, premier alinéa, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2015, E.ON Földgáz Trade, C‑510/13, EU:C:2015:189, points 49 et 50, ainsi que du 28 janvier 2025, ASG 2, C‑253/23, EU:C:2025:40, point 75). En vertu de cet article 47, premier alinéa, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal.
24 Dans ces conditions, il convient de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et l’article 47, premier alinéa, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’interprétation d’une réglementation nationale qui a pour effet qu’une aide individuelle relevant d’un régime d’aides d’État autorisé par la Commission ne peut pas être considérée comme ayant été « accordée », au sens de cette disposition du traité FUE, à la date à laquelle l’autorité nationale compétente en a indûment refusé le bénéfice à un particulier qui en a fait la demande dans le délai prévu pour son octroi, lorsqu’une décision de justice constate le caractère illégal de ce refus après l’expiration de ce délai.
Sur le fond
25 Compte tenu du fait que l’interprétation du droit letton semble aboutir, ainsi que cela ressort du point 21 du présent arrêt, à ce que l’aide en cause au principal ne peut être réputée « accordée », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qu’à la date d’adoption d’un acte administratif favorable pris en exécution d’une décision de justice, l’adoption d’un tel acte et, partant, l’exécution de cette décision ne seraient pas possibles, lorsque, comme en l’occurrence, le délai pour l’octroi de l’aide a expiré au cours de la procédure judiciaire.
26 En effet, une aide accordée à un moment où l’autorisation de la Commission pour cette aide n’est plus en vigueur doit, du fait qu’il s’agit d’une aide nouvelle, faire l’objet d’une notification à la Commission en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et ne peut être mise à exécution tant que la Commission n’a pas constaté sa compatibilité avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 28 octobre 2021, Eco Fox e.a., C‑915/19 à C‑917/19, EU:C:2021:887, point 36, et du 7 avril 2022, Autonome Provinz Bozen, C‑102/21 et C‑103/21, EU:C:2022:272, points 32, 34 et 42).
27 Il s’ensuit que le caractère effectif du droit au recours garanti à l’article 47, premier alinéa, de la Charte pour un justiciable tel que TOODE ne pourrait pas, dans l’hypothèse décrite au point 25 du présent arrêt, être assuré, alors qu’il serait pourtant reconnu par décision de justice, à l’issue d’un contrôle de légalité complet, que le requérant, demandeur de l’aide en cause, remplissait à l’origine toutes les conditions pour pouvoir bénéficier de cette aide dans le cadre temporel fixé par le régime d’aides concerné.
28 Or, l’exécution d’une décision judiciaire fait partie intégrante du droit à un recours effectif, au sens de l’article 47 de la Charte. En effet, ce droit serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État membre permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie (arrêts du 30 juin 2016, Toma et Biroul Executorului Judecătoresc Horaţiu-Vasile Cruduleci, C‑205/15, EU:C:2016:499, point 43, ainsi que du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 57).
29 Par conséquent, dans l’hypothèse envisagée au point 25 du présent arrêt, l’article 47, premier alinéa, de la Charte impose, en tant que disposition de droit de l’Union dotée d’un effet direct, que le juge national laisse inappliqué le droit national empêchant de considérer que l’aide individuelle a été octroyée à la date de la décision de refus de l’autorité compétente (voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 61, et du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 139 et 140 ainsi que jurisprudence citée). Dans ces conditions, la date à laquelle cette aide est réputée avoir été « accordée », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, doit correspondre à celle à laquelle l’autorité compétente a indûment opposé un refus à cette société.
30 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et l’article 47, premier alinéa, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’interprétation d’une réglementation nationale qui a pour effet qu’une aide individuelle relevant d’un régime d’aides national autorisé par la Commission ne peut pas être considérée comme ayant été « accordée », au sens de cette disposition du traité FUE, à la date à laquelle l’autorité nationale compétente en a indûment refusé le bénéfice à un particulier qui en a fait la demande dans le délai prévu pour son octroi, lorsqu’une décision de justice constate le caractère illégal de ce refus après l’expiration de ce délai.
Sur la seconde question
31 À titre liminaire, compte tenu de la réponse apportée à la première question, il convient de relever que l’aide en cause au principal doit être réputée avoir été accordée à la date des décisions de refus de l’administration fiscale, soit avant l’expiration du délai prévu pour l’octroi de l’aide.
32 Afin de fournir à la juridiction de renvoi une réponse utile à la seconde question, il convient donc de comprendre cette question comme visant à savoir, en substance, si l’article 1er, sous b), ii), du règlement 2015/1589 doit être interprété en ce sens que doit être qualifiée d’« aide existante », au sens de cette disposition, une aide individuelle réputée accordée à la date à laquelle l’autorité compétente l’a indûment refusée à un particulier qui en a fait la demande dans le délai prévu pour son octroi, mais versée à ce particulier en exécution d’un acte administratif favorable adopté sur injonction d’une décision de justice constatant le caractère illégal du refus après l’expiration de ce délai.
33 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 1er, sous b), ii), de ce règlement dispose qu’une « aide existante » est une aide autorisée, ce qui englobe les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil. L’article 1er, sous c), dudit règlement dispose, quant à lui, qu’on entend par « aide nouvelle » tout régime d’aides ou toute aide individuelle qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante.
34 La Cour a en outre jugé que, à partir du moment où le droit certain de recevoir une aide d’État est conféré au bénéficiaire en vertu du droit national applicable, l’aide doit être considérée comme étant accordée, de telle sorte que le transfert effectif des ressources en cause n’est pas décisif (arrêts du 19 décembre 2019, Arriva Italia e.a., C-385/18, EU:C:2019:1121, point 36, et du 20 mai 2021, Azienda Sanitaria Provinciale di Catania, C‑128/19, EU:C:2021:401, point 45 et jurisprudence citée).
35 Il découle de cette jurisprudence que, dès lors qu’une aide d’État telle que celle en cause au principal est réputée avoir été accordée à un moment où l’autorisation de la Commission pour cette aide était en vigueur, elle doit être qualifiée d’« aide autorisée » et, partant, d’« aide existante », au sens de l’article 1er, sous b), ii), du règlement 2015/1589, indépendamment du fait qu’elle est versée après la fin de validité du régime d’aides approuvé par la Commission.
36 Il convient de préciser que, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 47 de ses conclusions, une telle interprétation ne saurait fausser la concurrence sur le marché. En effet, puisque, comme cela ressort de la jurisprudence mentionnée au point 18 du présent arrêt, c’est à la date à laquelle le droit certain de percevoir une aide d’État a été conféré qu’une mesure est susceptible d’entraîner une distorsion de la concurrence de nature à affecter les échanges entre les États membres, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le versement d’une aide telle que celle en cause au principal postérieurement à l’expiration du régime d’aides concerné place le demandeur de l’aide dans la situation dans laquelle il aurait dû se trouver si l’autorité compétente avait agi légalement et permet ainsi précisément de restaurer l’équilibre concurrentiel sur le marché.
37 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 1er, sous b), ii), du règlement 2015/1589 doit être interprété en ce sens que doit être qualifiée d’« aide existante », au sens de cette disposition, une aide individuelle réputée accordée à la date à laquelle l’autorité compétente l’a indûment refusée à un particulier qui en a fait la demande dans le délai prévu pour son octroi, mais versée à ce particulier en exécution d’un acte administratif favorable adopté sur injonction d’une décision de justice constatant le caractère illégal du refus après l’expiration de ce délai.
Sur les dépens
38 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
1) L’article 107, paragraphe 1, TFUE, et l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
doivent être interprétés en ce sens que :
ils s’opposent à l’interprétation d’une réglementation nationale qui a pour effet qu’une aide individuelle relevant d’un régime d’aides national autorisé par la Commission européenne ne peut pas être considérée comme ayant été « accordée », au sens de cette disposition du traité FUE, à la date à laquelle l’autorité nationale compétente en a indûment refusé le bénéfice à un particulier qui en a fait la demande dans le délai prévu pour son octroi, lorsqu’une décision de justice constate le caractère illégal de ce refus après l’expiration de ce délai.
2) L’article 1er, sous b), ii), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE],
doit être interprété en ce sens que :
doit être qualifiée d’« aide existante », au sens de cette disposition, une aide individuelle réputée accordée à la date à laquelle l’autorité compétente l’a indûment refusée à un particulier qui en a fait la demande dans le délai prévu pour son octroi, mais versée à ce particulier en exécution d’un acte administratif favorable adopté sur injonction d’une décision de justice constatant le caractère illégal du refus après l’expiration de ce délai.