Cass. crim., 25 juin 2025, n° 24-80.490
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Directrice générale des finances publiques
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Michon
Avocat général :
Mme Viriot-Barrial
Avocats :
SCP Delamarre et Jehannin, SCP Foussard et Froger
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. MM. [V] et [X] [H] ont créé en 2004 une société [2], M. [V] [H] étant gérant tandis que M. [X] [H] exerçait à l'origine une activité de production.
3. La société a été placée en redressement judiciaire par jugement du 14 mai 2018, la date de cessation des paiements ayant été fixée au 14 novembre 2016.
4. MM. [V] et [X] [H] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel pour diverses infractions, et déclarés coupables par jugement du 7 mars 2022.
5. Ils ont interjeté appel de ce jugement, limitant leur appel à la déclaration de culpabilité pour banqueroute et aux peines, s'agissant de M. [V] [H], à la peine d'interdiction professionnelle, s'agissant de M. [X] [H], et à la solidarité fiscale.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [V] [H] coupable pour les faits de banqueroute : augmentation frauduleuse du passif du débiteur, commis du 14 novembre 2016 au 20 novembre 2019 à Rennes, l'a condamné à un emprisonnement délictuel de dix-huit mois intégralement assorti du sursis, l'a condamné au paiement d'une amende de 15 000 euros, et l'a condamné à une interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale sur le fondement de l'article L. 645-9 du code de commerce, 313-7 du code pénal et 441-1 du code pénal, pour une durée de sept ans, alors :
« 1°/ que constitue le délit de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif, l'acte qui emporte majoration du passif au détriment des créanciers de la société débitrice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le délit de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif serait caractérisé par le fait que M. [V] [H] ne rapporterait pas la preuve que les paiements des 18 juin et 19 juillet 2018 à l'entreprise [1], pour des montants de 3 600 euros et 1 850 euros auraient une cause licite ; qu'en statuant de la sorte, sans aucunement caractériser en quoi lesdits paiements, quelle qu'ait été leur cause, auraient entraîné une majoration du passif au détriment des créanciers de la société [2], la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 654-2, 3° du code de commerce ;
2°/ que seul caractérise le délit de banqueroute par détournement d'actif du débiteur, le fait, pour le dirigeant de la personne morale débitrice, de s'octroyer une rémunération excessive ou injustifiée ; qu'en l'espèce, M. [V] [H] soutenait que les paiements des 18 juin et 19 juillet 2018 à l'entreprise [1], pour des montants de 3 600 euros et 1 850 euros avaient une cause licite correspondant au versement de ses honoraires, qu'il avait décidé de percevoir sur le compte bancaire ouvert au nom de l'entreprise de son épouse ; que la cour d'appel a toutefois considéré « qu'en dépit des difficultés rencontrées par la société [2], [V] [H] et [X] [H] avaient avant tout comme objectif de préserver leurs propres rémunérations, voire de les augmenter encore et partant, leur train de vie, sans vouloir être impactés par les difficultés rencontrées par la personne morale » ; qu'en statuant ainsi, sans aucunement caractériser en quoi la rémunération en cause aurait été excessive, ce qui seul aurait pu caractériser le fait de banqueroute par détournement d'actif, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 654-2, 2° du code de commerce ;
3°/ que toute personne accusée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie ; que nul ne peut être contraint d'établir son innocence ; qu'il ne saurait être imposé au prévenu d'établir qu'un paiement effectué par la personne morale débitrice avait une cause licite, étrangère à tout détournement d'actif ou augmentation frauduleuse du passif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, après avoir considéré qu'il n'était pas établi que les paiements litigieux correspondaient à des prestations de l'entreprise [1], qu' « il appartient à [V] [H] de rapporter la preuve que pour autant ces paiements pourraient avoir toute autre cause licite », et qu' « en tout état de cause [V] [H] ne rapporte nullement la preuve qui lui incombe, que ces flux financiers, inscrits en comptabilité de la SARL [2], en faveur de l'entreprise [1] détenue par son épouse, étaient causés par des rémunérations et légitimes au regard de la tâche effectuée » ; qu'elle a ainsi fait peser sur le prévenu la charge de démontrer son innocence, et a violé les articles 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et préliminaire du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour dire établi le délit de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que M. [V] [H] a, dans un premier temps, reconnu durant la procédure de vérification fiscale que les factures avaient pour objet de permettre le prélèvement de fonds sur l'actif social, puis affirmé que les factures en cause auraient été imputées sur la société à la suite d'une erreur du comptable, qui aurait été rectifiée, ce qui a été démenti par l'intéressé.
9. Les juges indiquent qu'il n'est pas justifié que les flux financiers en cause, en faveur de l'entreprise détenue par son épouse, étaient causés par des rémunérations et légitimes au regard de la tâche effectuée.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés.
11. En effet, ayant constaté l'existence de flux financiers anormaux susceptibles de constituer une augmentation frauduleuse du passif, elle a souverainement, et sans inverser la charge de la preuve, apprécié le caractère probant des explications et des éléments de preuve apportés en défense.
12. Le moyen doit donc être écarté.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique à l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamnés MM. [X] et [V] [H] à la peine de diffusion, à leur frais, ceux-ci ne pouvant excéder le montant maximum de l'amende encourue, dans les journaux Ouest-France et le Télégramme, du dispositif de l'arrêt, alors « que peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la date de la commission des faits ; qu'en l'espèce, MM. [X] et [V] [H] ont été condamnés pour des faits de fraude fiscale commis entre le 1er janvier 2016 et le 28 février 2018 ; que l'article 1741 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable entre le 1er janvier 2011 et le 25 octobre 2018, soit à la date de commission des faits, prévoyait que la peine complémentaire de publication ne présentait qu'un caractère facultatif et non obligatoire ; que la cour d'appel, citant les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts en vigueur depuis le 25 octobre 2018, a toutefois retenu que la peine de diffusion et d'affichage était obligatoire, sauf décision contraire du juge spécialement motivée, et qu' « en l'espèce, il n'existe pas de motifs qui pourraient conduire la juridiction à ne pas prononcer a minima une de ces deux mesures » ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 112-1, alinéa 2, du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 112-1, alinéa 2, du code pénal, 1741, alinéa 3, devenu alinéa 9, du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 :
14. Il résulte du premier de ces textes que peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la date de la commission des faits.
15. Aux termes du second, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, la juridiction qui prononce une condamnation du chef de fraude fiscale peut ordonner l'affichage de la décision et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du code pénal.
16. Après avoir retenu la culpabilité des prévenus du chef de fraude fiscale pour la période du 1er février 2016 au 28 février 2018, l'arrêt attaqué énonce que la peine de publication est encourue, sauf à ce que la juridiction décide, par une décision spécialement motivée, de ne pas l'ordonner, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur, et qu'en l'espèce il n'existe pas de motif qui pourrait conduire la juridiction à ne pas ordonner une telle mesure.
17. En statuant ainsi, en faisant implicitement application de la modification de l'article 1741 du code général des impôts consécutive à la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, et alors que, à la date des faits, le prononcé de la peine de publication ou d'affichage était purement facultatif, la cour d'appel a violé les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation sera limitée à la peine de publication prononcée à l'encontre des deux prévenus, dès lors que les autres dispositions n'encourent pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 21 décembre 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la peine de publication prononcée à l'encontre de MM. [V] et [X] [H], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composées, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;