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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 25 juin 2025, n° 24/02250

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 24/02250

25 juin 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 25 JUIN 2025

N° RG 24/02250 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NYQR

S.A. LIXXBAIL

c/

S.E.L.A.R.L. EKIP'

S.A.S. VINEA ENERGIE

Nature de la décision : AU FOND

Notifié aux parties par LRAR le :

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 26 avril 2024 (R.G. 2024001472) par le Juge commissaire du tribunal de commerce de LIBOURNE suivant déclaration d'appel du 13 mai 2024

APPELANTE :

S.A. LIXXBAIL, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

Représentée par Maître Jean-Jacques BERTIN, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

S.E.L.A.R.L. EKIP', es qualité de mandataire judiciaire de la société VINEA ENERGIE, domiciliée en cette qualité [Adresse 3]

S.A.S. VINEA ENERGIE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

Représentées par Maître Marguerite VAUDRON-ESTEVES de la SELAS OPTEAM AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 mars 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

1. Par acte du 25 janvier 2022, la société par actions simplifiée Vinea Energie a conclu un contrat de crédit-bail avec la société anonyme Lixxbail portant sur une machine de triage de copeaux de bois d'une valeur de 120 000 euros TTC, contre paiement de 60 loyers mensuels de 2 262,45 euros TTC outre une éventuelle option d'achat de 1.000 euros HT en fin de contrat.

Le matériel a été réceptionné le 20 mai 2022.

Par jugement du 5 juin 2023, le tribunal de commerce de Libourne a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Vinea Energie et nommé la société Ekip' en qualité de mandataire judiciaire.

Le 26 juin 2023, la société Lixxbail a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire pour un montant de 117 819,54 euros TTC au titre des loyers impayés, des intérêts de retard et pénalité, des frais de recouvrement et, dans l'hypothèse où le contrat ne serait pas poursuivi, de dommages et intérêts constitués des loyers à échoir et de la valeur résiduelle de la machine objet du bail, outre une pénalité au titre de la résiliation du contrat.

Par courrier du même jour, la société Lixxbail a mis en demeure la société Vinea Energie de se prononcer sur la poursuite du contrat.

Par lettre du 6 juillet suivant, la société Vinea Energie a indiqué à la société Lixxbail qu'elle ne souhaitait pas poursuivre le contrat.

2. Par courrier du 30 octobre 2023, la société Ekip' es qualités a contesté la créance à la demande du dirigeant de la société Vinea Energie.

Par ordonnance du 26 avril 2024, le juge commissaire du tribunal de commerce de Libourne a statué ainsi qu'il suit :

- admettons pour un montant de 4 807,55 euros à titre chirographaire échu la créance n°56 déclarée initialement pour un montant de 115 469,54 euros par le créancier Lixxbail ([Adresse 4]) dans le cadre de la procédure collective de la société Vinea Energie ;

- la rejetons pour le surplus déclaré ;

- disons, en application de l'article R.624-8 du code de commerce, que la présente décision sera portée par madame la greffière sur la liste des créances mentionnées au premier alinéa de l'article R.624-2 du code de commerce ;

- disons, conformément aux articles R. 621-21 et R. 624-4 du code de commerce, que la présente ordonnance sera immédiatement déposée au greffe de ce tribunal et dans les 8 jours :

- notifiée en lettre recommandée avec demande d'avis de réception à la société Vinea Energie,

- notifiée en lettre recommandée avec demande d'avis de réception au créancier Lixxbail ([Adresse 4]),

- adressée, le cas échéant, aux avocats/mandataires par mail/lettre simple et aux contrôleurs par lettre simple,

- communiquée au ministère public et remise par voie électronique sécurisée avec accusé de réception à la société Ekip', prise en la personne de Maître [N] [J] ;

- rappelons que l'appel est ouvert au créancier, au débiteur et au mandataire de justice dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Par déclaration au greffe du 13 mai 2024, la société Lixxbail a relevé appel de cette décision, intimant la société Ekip' et la société Vinea Energie.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

3. Par dernières écritures notifiées le 2 août 2024, la société Lixxbail demande à la cour de :

Vu l'article L 622-13 V du code de commerce,

- infirmer l'ordonnance du juge commissaire rendue le 26 avril 2024 en ce qu'elle a :

- limité à 4 807,55 euros la créance chirographaire échue n°56 déclarée par la société Lixxbail initialement pour un montant de 115 469,54 euros dans le cadre de la procédure collective de la société Vinea Energie,

- rejeté le surplus déclaré ;

Statuant à nouveau,

- fixer au passif du redressement judiciaire de la société Vinea Energie la créance chirographaire de la société Lixxbail à la somme de 115 469,54 euros se décomposant comme suit :

- 4 807,55 euros au titre des loyers échus impayés,

- 110 661,99 euros et subsidiairement 90 305,50 euros au titre de l'indemnité de résiliation ;

- passer les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

4. Par dernières écritures notifiées le 7 novembre 2024, la société Vinea Energie et la société Ekip' demandent à la cour de :

Vu l'article L. 622-13 du code de commerce ;

Vu l'article 1231-5 du code civil ;

- confirmer purement et simplement en toutes ses dispositions l'ordonnance du 26 avril 2024 ;

- débouter la société Lixxbail de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Lixxbail aux dépens.

***

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 mars 2025.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

5. Au visa des articles L.622-13 V et R.622-21 alinéa 2 du code de commerce, la société Lixxbail fait grief au juge-commissaire de n'avoir admis au passif de la société Vinea Energie que la somme de 4.807,55 euros au titre des loyers échus et impayés et d'avoir rejeté le surplus de sa créance déclarée.

L'appelante fait valoir qu'il est de principe que la perte par le crédit-bailleur du droit de revendiquer le bien est sans aucune influence sur son droit à être admis au passif pour le montant de l'indemnité de résiliation et de la valeur résiduelle du matériel ; que l'indemnité de résiliation ne saurait donc être exclue au seul prétexte que le matériel a été restitué et pourra être revendu.

La société Lixxbail ajoute que l'indemnité de résiliation, qui doit en effet s'analyser en une clause pénale, ne peut pour autant être réduite à néant mais doit être appréciée uniquement à l'aune du

préjudice effectivement subi par le crédit-bailleur ; que, en l'espèce, elle a incontestablement subi un préjudice du fait de la résiliation anticipée du contrat avant le terme initialement fixé au 20 avril 2027 puisqu'elle a réglé au fournisseur une facture de 120.000 euros HT et n'a reçu de la société Vinea que le règlement de 11 loyers.

6. La société Vinea Energie et la société Ekip' es qualités répondent qu'il s'agit d'une créance de dommages et intérêts qui est donc nécessairement liée à la réalité d'un préjudice subi par le cocontractant et ne peut être automatique et forfaitaire puisque le cocontractant doit démontrer l'existence et le quantum de son préjudice.

Les intimées font valoir qu'il n'est pas contesté que le matériel objet du contrat a été restitué à la société Lixxbail pour sa revente éventuelle ; que celle-ci ne précise pas ce qu'il est advenu de la machine litigieuse et ne démontre donc pas la réalité du préjudice qu'elle subirait du fait de la résiliation du contrat.

La société Vinea Énergie et la société Ekip' es qualités ajoutent que, si l'on devait considérer qu'il existe un caractère automatique à cette indemnité et donc à la déclaration de créance en découlant, celle-ci ne pourrait alors qu'être qualifiée de clause pénale, dès lors soumise aux dispositions de l'article 1231-5 du code civil.

Sur ce,

7. L'article L.622-13 V du code de commerce prévoit que si l'administrateur n'use pas de la faculté de poursuivre le contrat ou y met fin dans les conditions du II ou encore si la résiliation est prononcée en application du IV du même article, l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les dommages et intérêts.

En vertu de l'article R.622-21 alinéa 2 du code de commerce, les cocontractants mentionnés aux articles L. 622-13 et L. 622-14 bénéficient d'un délai d'un mois à compter de la date de la résiliation de plein droit ou de la notification de la décision prononçant la résiliation pour déclarer au passif la créance résultant de cette résiliation. Il en est de même des créanciers d'indemnités et pénalités mentionnées au 2° du III de l'article L. 622-17 en cas de résiliation d'un contrat régulièrement poursuivi.

L'article 1231-5 du code civil dispose :

« Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.

Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure.»

8. La déclaration de créance de la société Lixxbail au titre des loyers échus impayés pour un montant de 4.807,55 euros TTC n'est pas contestée.

En effet, la discussion porte sur l'admission au passif de la société Vinea Energie de la somme de 113.011,99 euros, ainsi détaillée dans la déclaration de créance du 26 juin 2023 :

- dommages et intérêts :

- montant total des loyers à échoir : 106.335,24 euros TTC

- valeur résiduelle : 1.200 euros TTC

- peine pour inexécution : 5 % du montant total des loyers échus impayés et 5 % des loyers à échoir : 5.476,75 euros TTC.

Il apparaît que les sommes déclarées ont été contractuellement prévues à l'article 9 du contrat de bail du 25 janvier 2022, dont le 3) stipule :

« Dès résiliation du contrat, le locataire doit immédiatement restituer le matériel (...) et verser au bailleur, outre les sommes impayées au jour de la résiliation, une indemnité en réparation du préjudice subi égale au montant total des loyers hors taxes restant à échoir à la date de la résiliation, majorée d'un montant égal à l'option d'achat.

En cas de résiliation pour manquements contractuels du locataire tels que visés à l'article 9.1.a) et e) ci-dessus, s'ajoutera une pénalité de 5 % des sommes impayées et du montant total des loyers hors taxes restant à échoir à la date de la résiliation.

En cas de résiliation de plein droit du contrat au cours d'une procédure collective à l'encontre du locataire et ce quelle que soit la cause de cette résiliation, une indemnité identique à celle due en cas de résiliation pour manquements contractuels sera due.»

9. Il est constant en droit qu'une telle indemnité de résiliation s'analyse en une clause pénale en ce qu'elle remplit à la fois une fonction comminatoire et une fonction d'indemnisation forfaitaire ; que, en effet, l'anticipation de l'exigibilité des loyers dès la date de la résiliation a été stipulée à la fois comme un moyen de contraindre à l'exécution et comme l'évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice futur subi par le crédit-bailleur du fait de l'accroissement de ses frais résultant de l'interruption des paiements prévus.

Il y a donc lieu de faire application des alinéas 2 et 3 de l'article 1231-5 du code civil cités supra.

10. En l'espèce, il n'est pas discuté que la société Vinea Energie a réglé 11 des 60 loyers espérés par la société Lixxbail, qui subit donc la perte de 49 loyer. Il s'agit en réalité d'un manque à gagner du fait de la marge commerciale non réalisée, de sorte que la société Lixxbail ne peut à la fois réclamer l'indemnisation, à titre de clause pénale, de la perte complète des loyers, soit les loyers échus mais également les loyers à échoir, ce qui constituerait en réalité une exécution intégrale du contrat de bail alors même que ce contrat est résilié et que le matériel a été récupéré. Dès lors, l'indemnité stipulée est manifestement excessive au sens de l'article L.1231-5 du code civil.

Il ne peut être tenu compte de l'argumentation de l'appelante relative au prix d'achat de cette machine puisqu'elle ne renseigne pas la cour sur le montant de la revente du bien objet du financement.

Néanmoins, l'examen des pièces produites aux débats met en évidence le fait que la société Lixxbail a acheté la machine litigieuse à la société Mécaméto au prix HT de 100.000 euros ; que le contrat de crédit bail conclu avec la société est de 135.747 euros HT, de sorte que le gain espéré par la société Lixxbail était en l'espèce de 35.747 euros HT, dont il faut déduire la somme de 6.553,62 euros HT, correspondant à la marge réalisée sur les 11 loyers réglés.

11. En conséquence, faisant application de l'article 1231-5 alinéas 2 et 3 du code civil mais infirmant le premier juge quant au quantum de la modération légalement prévue, la cour ramènera la créance de la société Lixxbail au titre de la clause pénale à la somme de 29.193,38 euros HT, soit 35.032,06 euros TTC.

Les dépens de l'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,

Infirme l'ordonnance prononcée le 26 avril 2024 par le juge commissaire du tribunal de commerce de Libourne en ce qu'elle a rejeté l'admission au passif de la créance déclarée au titre de l'indemnité de résiliation.

Statuant à nouveau de ce chef,

Fixe au passif du redressement judiciaire de la société Vinea Energie la créance de la société Lixxbail à titre chirograpahire échu à la somme de 39.839,61 euros TTC se décomposant ainsi :

- 4 807,55 euros au titre des loyers échus impayés,

- 35.032,06 euros au titre de l'indemnité de résiliation.

Ordonne l'emploi des dépens de l'appel en frais privilégiés de la procédure collective.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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