Cass. crim., 25 juin 2025, n° 24-81.671
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Piazza
Avocat général :
Mme Viriot-Barrial
Avocat :
SCP Le Bret-Desaché
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mmes [S] [R], [Z] [K] et M. [P] [K], associés de la société [1] avec M. [L] [R], gérant, ont déposé plainte contre lui à la suite de la découverte d'anomalies financières mises en évidence par la vérification fiscale de la société.
3. A l'issue de l'enquête, M. [R] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour abus de biens sociaux, faux et usage, non-soumission des documents comptables à l'assemblée générale d'une société à responsabilité limitée et défaut de dépôt des comptes annuels au greffe du tribunal de commerce.
4. Par jugement en date du 5 juillet 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [R] coupable de ces infractions et l'a condamné à vingt-quatre mois d'emprisonnement dont quatorze mois avec sursis probatoire, 500 euros d'amende, cinq ans d'interdiction de gérer et une mesure de confiscation. Sur l'action civile, le tribunal a notamment reçu la constitution de partie civile de Mmes [S] [R], [Z] [K], M. [P] [K] et condamné M. [R] à payer les sommes de 90 879 et 30 000 euros à Mme [S] [R], 56 393 et 30 000 euros à Mme [Z] [K], 131 158 et 30 000 euros à M. [P] [K], en réparation de leurs préjudices matériel et moral respectifs.
5. M. [R] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [R] coupable du délit de non-soumission des documents comptables à l'assemblée générale d'une société à responsabilité limitée et l'a condamné pénalement et civilement, alors « que l'article L. 241-5 du code de commerce, d'interprétation stricte, ne réprime que le fait, pour les gérants, de ne pas avoir soumis à l'approbation de l'assemblée des associés l'inventaire, les comptes annuels et le rapport de gestion établis pour chaque exercice ; qu'en déclarant M. [R] coupable de ce délit parce qu'il n'avait pas soumis à l'assemblée des associés de la Sarl [1] l'inventaire, les comptes annuels et le rapport de gestion pour les exercices 2012, 2013 et 2014 « dans les six mois de la clôture de chacun des exercices concernés », cependant que la soumission tardive de ces documents par rapport au délai prévu par l'article L. 223-6 du code de commerce ne constitue pas une infraction pénale, la cour d'appel a violé l'article L. 241-5 du même code, ensemble l'article 111-4 du code pénal et l'article 7 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 241-5 du code de commerce :
8. Est constitutif du délit prévu par ce texte le fait, pour les gérants de sociétés à responsabilité limitée, de ne pas soumettre à l'approbation de l'assemblée des associés ou de l'associé unique l'inventaire, les comptes annuels et le rapport de gestion établis pour chaque exercice.
9. Pour déclarer M. [R] coupable du délit de non-soumission des documents comptables à l'assemblée générale d'une société à responsabilité limitée, l'arrêt attaqué énonce que l'inventaire, les comptes annuels et le rapport de gestion des exercices 2012, 2013 et 2014 n'ont pas été soumis par le prévenu, gérant de la société, à l'assemblée des associés dans les six mois de leur clôture.
10. Les juges précisent que le prévenu a exposé avoir proposé l'approbation des comptes des exercices 2012 et 2013 à l'assemblée générale des associés du 2 février 2015 et qu'à cette date, la décision a été ajournée en raison de l'incertitude du régime fiscal de la société faisant l'objet d'échanges avec l'administration fiscale et d'une consultation auprès d'un avocat spécialisé.
11. Ils en déduisent que l'infraction est constituée puisqu'il n'est justifié d'aucune impossibilité absolue de présenter les comptes à l'approbation des associés dans le délai de la loi, le contentieux avec l'administration fiscale ne pouvant justifier cette circonstance.
12. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé pour les motifs qui suivent.
13. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 22 mars 2012, qui a modifié l'article L. 241-5 du code de commerce, ne se trouve plus réprimé le fait de ne pas procéder à la réunion de l'assemblée des associés dans les six mois de la clôture de l'exercice ou, en cas de prolongation, dans le délai fixé par décision de justice.
14. Il s'en déduit que le seul retard dans la soumission des documents comptables à l'assemblée des associés ou de l'associé unique d'une société à responsabilité limitée n'est pas constitutif d'infraction pénale.
15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief.
Et sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile de Mme [S] [R], M. et Mme [K] et a condamné M. [R] à leur payer respectivement les sommes de 90 879 euros, 56 393 euros et 131 158 euros en réparation de leur préjudice financier et la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral, alors :
« 1°/ que hors le cas d'exercice de l'action ut singuli, les associés d'une société victime d'un abus de biens sociaux sont irrecevables à se constituer partie civile pour obtenir la réparation d'un préjudice résultant de la perte des gains escomptés, qui ne constitue pas un préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant directement de l'infraction ; qu'en déclarant recevables les constitutions de parties civiles de Mme [S] [R], Mme [Z] [K] et M. [P] [K], associés de la Sarl [1] dès lors qu'ils auraient sollicité la réparation d'un « préjudice personnel résultat directement des infractions commises par M. [R] au préjudice de (cette) société, (celui-ci), consistant dans la différence (prétendue) entre les sommes qu'ils auraient dû percevoir en fonction (des) bénéfices (de la société) sur la base desquels ils (avaient été) imposés par l'administration fiscale et les sommes, inférieures, par eux effectivement perçues, du fait des détournements imput(és) à (ce dernier) » et en faisant droit à ces demandes, cependant qu'à la supposer établie, la différence entre les bénéfices qui leur avaient été distribués et ceux qui auraient dû l'être résultant d'une diminution de l'actif social de la société [1] n'était donc pas un préjudice propre des associés, distinct du préjudice social, découlant directement de l'abus de biens sociaux imputé à M. [R], de sorte qu'il appartenait à la cour d'appel de déclarer irrecevables leurs constitutions de partie 51 civile, elle a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, ensemble l'article L. 241-3, 4°, du code de commerce ;
2°/ que le préjudice propre des associés d'une société victime d'abus de biens sociaux, distinct du préjudice social, découlant directement de l'infraction doit être réparé sans perte ni profit pour eux ; qu'en condamnant M. [R], pour réparer un préjudice « direct et personnel » subi par Mme [S] [R], Mme [Z] [K] et M. [P] [K], résultant de ce qu'ils auraient été imposés, en partie, sur des bénéfices qui ne leur auraient pas été distribués en raison des « détournements » imputés à M. [R], à leur payer la somme globale de 278 430 euros correspondant à la différence prétendue entre les bénéfices qui leur avaient été distribués et ceux qui auraient dû l'être, tandis que ce préjudice ne pouvait être réparé, sans perte ni profit, que par l'allocation du montant de la fraction d'impôts calculée sur l'assiette de cette différence et non, comme elle l'a fait, une fraction de l'actif social reconstitué, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1240 du code civil ;
3°/ que le dommage résultant d'une infraction doit être réparé sans perte ni profit pour la victime ; qu'en condamnant M. [R] à payer à Mme [S] [R] et Mme [Z] [K] respectivement les sommes de 90 879 euros, et 56 393 euros correspondant à la différence prétendue entre les bénéfices qui leur avaient été distribués et ceux qui auraient dû l'être, sans répondre au moyen de M. [R], tiré de ce que, les sommes inscrites en débit de leurs comptes-courants d'associé, que l'enquête avait révélées, devaient être déduites du quantum de leurs prétentions indemnitaires car, si les bénéfices sur lesquels elles avaient été imposées leur avaient été effectivement distribués, il n'en reste pas moins que ces sommes n'en auraient pas moins été déduites pour apurer la créance détenue par la société à leur encontre, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
17. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
18. Pour confirmer la condamnation de M. [R] à payer à Mmes [R], [K] et M. [K], les sommes respectives de 90 879, 56 393 et 131 158 euros en réparation de leurs préjudices matériels et de 5 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral, l'arrêt attaqué énonce qu'ils justifient d'un préjudice personnel consistant dans la différence entre les sommes qu'ils auraient dû percevoir en fonction des bénéfices de la société [1] sur la base desquelles ils ont été imposés par l'administration fiscale et les sommes, inférieures, effectivement perçues, du fait des détournements imputables à M. [R].
19. Les juges précisent que la contestation opposée par M. [R] relativement au montant des sommes effectivement perçues par les parties civiles est dépourvue de pertinence, dès lors que le calcul qu'il propose prend en compte des sommes perçues dans le cadre de la succession de [X] [R] et de la vente d'une parcelle qui ne fait pas partie des terrains d'assiette du lotissement.
20. Ils ajoutent que la commission des infractions dans un cadre familial justifie l'existence d'un préjudice moral.
21. En se déterminant ainsi, sans mieux préciser la nature et le montant des chefs de préjudice retenus, l'arrêt attaqué, qui ne met pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que seul a été indemnisé le préjudice direct et personnel de Mmes [R], [K] et de M. [K] résultant des faits objet de la poursuite et qui ne répond pas aux conclusions du prévenu sur la prise en compte du montant de leurs comptes courants créditeurs, n'a pas justifié sa décision.
22. La cassation est par conséquent encore encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation sera limitée à la culpabilité du chef de non-soumission des documents comptables à l'assemblée générale d'une société à responsabilité limitée, aux peines et aux dispositions civiles. Les autres dispositions seront donc maintenues.
24. Il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 25 janvier 2024, mais en ses seules dispositions portant sur la culpabilité du chef de non-soumission des documents comptables à l'assemblée générale d'une société à responsabilité limitée, les peines et les dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé .