CA Amiens, 2e protection soc., 24 juin 2025, n° 24/02249
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
S.E.L.A.R.L. [E] ET [W]
C/
[T]
[10]
Copie certifiée conforme délivrée à :
- S.E.L.A.R.L. [E] ET [W]
- M. [I] [T]
- [10]
- Me Alexandre BAREGE
- Me Patrick LEDIEU
- tribunal judiciaire
Copie exécutoire :
- Me Alexandre BAREGE
- Me Patrick LEDIEU
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 24 JUIN 2025
*************************************************************
N° RG 24/02249 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JCZ5 - N° registre 1ère instance : 22/01522
Jugement du tribunal judiciaire de Lille (pôle social) en date du 24 avril 2024
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.E.L.A.R.L. [E] [12] [W]
Prise en la personne de Maître [F] [E], es qualité de liquidateur judiciaire de la société [11],ayant siège [Adresse 2] suivant jugement du Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE du 15 février 2021
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 17],
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Alexandre BAREGE de l'ASSOCIATION CALIFANO-BAREGE-BERTIN, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Morgane DELANNOY, avocat au barreau de LILLE
ET :
INTIMES
Monsieur [I] [T]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Patrick LEDIEU de la SCP LECOMPTE LEDIEU, avocat au barreau de CAMBRAI substitué par Me Nicolas BRANLY, avocat au barreau de LILLE
[10]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Mme [K] [N], munie d'un pouvoir régulier
DEBATS :
A l'audience publique du 24 mars 2025 devant M. Pascal HAMON, président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 juin 2025.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame ISABELLE [Localité 16]
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
M. Pascal HAMON en a rendu compte à la cour composée en outre de :
Mme Jocelyne RUBANTEL, présidente,
M. Pascal HAMON, président,
et Mme Véronique CORNILLE, conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 24 juin 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, président a signé la minute avec Mme Nathalie LEPEINGLE, greffier.
*
* *
DECISION
M. [I] [T], salarié de la société [11] en qualité de ferrailleur soudeur depuis le mois d'avril 2007 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, a été victime d'un accident du travail le 6 février 2013, dont les circonstances sont les suivantes : « retour au vestiaire en fin de journée, M. [T] marche sur une réservation en polystyrène de 0,20MX1.00 mis en dalle par le plombier CPG à [Localité 14] et s'est tordu la cheville gauche ».
Le certificat médical initial établi le jour de l'accident fait état d'une entorse de la cheville gauche.
Par décision du 18 février 2013, la [8] (la [9]) des Flandres a pris en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
L'état de santé de l'assuré a été déclaré consolidé le 30 mars 2014, avec fixation d'un taux d'incapacité permanente partielle de 20 %.
Saisi par M. [T] d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, par jugement du 24 avril 2024, a :
dit que l'accident du travail du 6 février 2013 de M. [T] est dû à la faute inexcusable de la SAS [11],
fixé au maximum la majoration de la rente sur la base du taux d'IPP tel que fixé par la caisse,
dit que l'avance sera faite par la caisse,
dit que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité en cas d'aggravation de l'état de santé de M. [T] dans les limites des plafonds de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
dit que les sommes allouées par la caisse au titre de l'indemnité forfaitaire, de la majoration de la rente du conjoint survivant, de l'indemnisation des préjudices personnels de M. [V] [Z] et de ses ayants droit seront inscrites au compte spécial des accidents du travail et maladies professionnelles,
dit que la caisse pourra récupérer, auprès de la SAS [11], le montant de la majoration de rente ou du capital alloué à M. [T] en fonction du taux qui est opposable à l'employeur,
ordonné, avant dire droit, sur les demandes d'indemnisation des préjudices de M. [T], une expertise médicale judiciaire et commet, pour y procéder, le docteur [S],
dit que dans le cadre de sa mission, l'expert désigné pourra s'entourer, à sa demande, d'un sapiteur de son choix,
dit que l'expert devra donner connaissance de ses premières conclusions aux parties et répondre à toutes observations écrites de leur part dans le délai qui leur aura été imparti avant d'établir son rapport définitif,
dit que l'expert adressera son rapport en quatre exemplaires au greffe dans un délai de trois mois après réception de sa mission,
dit que le rapport d'expertise dès réception sera adressé aux parties par le greffe,
dit que les frais d'expertise seront avancés par la caisse qui pourra en récupérer le montant auprès de la SAS [11], au titre des dépens,
dit que l'affaire sera renvoyée à l'audience de mise en état dématérialisée du jeudi 19 décembre 2024,
sursis à statuer sur les autres demandes en ce compris celles au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, dans l'attente de l'expertise,
alloué une provision de 5 000 euros à M. [T],
dit que la somme due à la victime au titre de la provision sera avancée par la caisse à M. [T] et portera intérêts au taux légal à compter du présent jugement devenu définitif,
dit que la caisse pourra récupérer le montant de la provision à l'encontre de l'employeur, la SAS [11], dans le cadre de son action récursoire,
dit que la SAS [11] devra rembourser à la caisse, dans le cadre de l'action récursoire, l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable,
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
ordonné l'exécution provisoire.
La SELARL [E] et Borkowiak, es qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [11], a relevé appel de cette décision le 23 mai 2024, suite à notification du 26 avril précédent.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 24 mars 2025.
Par conclusions visées le 24 mars 2025 et déposées lors de l'audience, la SELARL [E] [13], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [11], demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris,
statuant à nouveau, débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
déclarer irrecevable l'action récursoire de la caisse et sa demande formée en remboursement des sommes versées à son encontre,
condamner M. [T] à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [T] aux entiers dépens de l'instance.
Elle fait essentiellement valoir que l'assuré ne produit aucune pièce de nature à expliquer les circonstances de l'accident, ni à établir la conscience du danger et le fait qu'il n'a pas pris les mesures propres à l'éviter.
S'agissant de l'action récursoire de la caisse, elle explique que cette demande est irrecevable dès lors que cette dernière n'a pas déclaré sa créance à la procédure collective.
Par conclusions visées par le greffe le 24 mars 2025 et déposées lors de l'audience, M. [T], par l'intermédiaire de son conseil, demande à la cour de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
y ajoutant, condamner la SELARL [15] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
Il soutient que la société est taisante sur l'absence d'établissement d'un plan de coordination afin d'identifier les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, qu'il se trouvait sur un chantier où plusieurs entreprises intervenaient, qu'en le laissant travailler dans ces conditions son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et que, pour autant, il n'a pas pris les mesures pour l'en préserver.
Par conclusions visées par le greffe le 24 mars 2025 et développées oralement lors de l'audience, la [10] demande à la cour de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il a fait droit à toutes ses demandes dans le cadre des conséquences financières de la faute inexcusable,
juger que la reconnaissance de la faute inexcusable ne peut être retenue que si le caractère professionnel de l'accident est confirmé,
juger qu'elle s'en rapporte sur cette demande,
juger que la reconnaissance de la faute inexcusable emporte majoration de la rente allouée à la victime d'un accident du travail et que cette majoration suit l'évolution du taux d'incapacité de la victime,
dans tous les cas, condamner la société à lui rembourser toutes les sommes dont elle a et aura à faire l'avance,
juger que la caisse récupérera immédiatement le capital représentatif de la majoration de rente sur le fondement de l'article D. 452-1 du code de la sécurité sociale,
condamner la société aux éventuels frais d'expertise et aux dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
Motifs
Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Aux termes de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru à la survenance du dommage.
Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'avait pas pris les moyens nécessaires pour l'en préserver. La faute inexcusable ne pouvant donc être reconnue que si l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger.
Et lorsque la preuve de la conscience du danger est rapportée, le salarié doit démontrer que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir le risque d'accident ou de maladie professionnelle.
Sur la conscience du danger
En l'espèce, il ressort de la déclaration d'accident du travail du 6 février 2013 que l'assuré a fait l'objet d'une chute à la fin de sa journée de travail en marchant sur une réservation en polystyrène en dalles effectuée par un plombier d'une autre entreprise qui intervenait concomitamment sur le même chantier.
M. [T] estime que son employeur avait nécessairement conscience du risque de chute, précise qu'il ne produit pas le plan de coordination, lequel aurait permis d'identifier les risques encourus et verse aux débats des témoignages, notamment :
celui de M. [J], maçon, qui indique qu'il était témoin de l'accident et précise « c'était fin de journée. Il est tombé dans un trou »,
celui de M. [B], chef de chantier qui précise, en substance, que « M. [T] [I] était en train de ramasser les outils de travail, malheureusement il y avait une réservation de plombier qui mesure 1,20 m sur 20 cm couvert avec le polystyrène, M. [T] [I] a essayé de traverser (') il s'est retrouvé allongé par terre à cause de la réservation en polystyrène (') j'ai appelé les pompiers »,
celui de M. [L], chef de chantier qui reprend la même description que celle de M. [B].
La SELARL [15], agissant en qualité de liquidateur de la société [11], employeur de M. [T], explique que les déclarations de l'assuré sont insuffisantes, que le certificat médical du 16 juillet 2020 produit par ce dernier pose difficulté et n'est pas contemporain et que les attestations versées ne font état d'aucun manquement.
L'article R. 4532-42 du code du travail indique que le maître d'ouvrage, ou l'entrepreneur principal en cas de sous-traitance, mentionne dans les documents remis aux entrepreneurs, que le chantier sur lequel ils seront appelés à travailler en cas de conclusions d'un contrat est soumis à l'obligation de plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé.
L'article R. 4532-44 du code du travail dispose que le plan général de coordination énonce, notamment, « 3° Les mesures de coordination prises par le coordonnateur en matière de sécurité et de santé et les sujétions qui en découlent concernant, notamment :
a) Les voies ou zones de déplacement ou de circulation horizontales ou verticales ;
b) Les conditions de manutention des différents matériaux et matériels, en particulier pour ce qui concerne l'interférence des appareils de levage sur le chantier ou à proximité, ainsi que la limitation du recours aux manutentions manuelles ;
c) La délimitation et l'aménagement des zones de stockage et d'entreposage des différents matériaux, en particulier s'il s'agit de matières ou de substances dangereuses ;
d) Les conditions de stockage, d'élimination ou d'évacuation des déchets et des décombres,
e) Les conditions d'enlèvement des matériaux dangereux utilisés ;
f) L'utilisation des protections collectives, des accès provisoires et de l'installation électrique générale ;
g) Les mesures prises en matière d'interactions sur le site ;
4° Les sujétions découlant des interférences avec des activités d'exploitation sur le site à l'intérieur ou à proximité duquel est implanté le chantier ;
5° Les mesures générales prises pour assurer le maintien du chantier en bon ordre et en état de salubrité satisfaisant (') ».
Les articles suivants du code du travail prévoient que le plan général de coordination est complété et adapté en fonction de l'évolution du chantier, que ces modifications sont portées à la connaissance des entreprises et qu'il intègre au fur et à mesure de leur élaboration les plans particuliers de sécurité et de santé.
En cause d'appel, comme devant les premiers juges, aucun plan de coordination n'est produit, de sorte que rien ne permet de dire que les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs ont été identifiés entre les différentes sociétés, alors même qu'il s'agit d'une obligation lorsque plusieurs entreprises interviennent.
Ainsi, et comme l'a justement relevé le tribunal, ces éléments sont suffisants à démontrer que la SAS [11] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait son salarié, M. [T].
Sur les mesures mises en 'uvre pour préserver les salariés
L. 4121-1 du code du travail précise que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » et que « ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels [...], des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ».
L'article L. 4121-2 du code du travail dispose quant à lui : « L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° éviter les risques ;
2° évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° combattre les risques à la source ;
4° adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;
8° prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° donner les instructions appropriées aux travailleurs ».
En l'espèce, les témoignages des collègues de M. [T] ne font état d'aucune mesure de sécurité, rien ne permet de dire que la réservation faite par le plombier l'ait été correctement, M. [J] précisant que cette dernière « n'était pas dans les normes », et comme le souligne à juste titre le tribunal, aucun élément ne démontre que la zone était balisée.
L'employeur ne produit aucun élément, aucun plan de coordination n'est versé de sorte que rien ne permet de dire que la prévention de ce genre de risque était prévue.
Ainsi, comme l'ont justement noté les premiers juges, ces éléments sont suffisants à démontrer que la SAS [11], qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait son salarié, n'a pas pris les mesures nécessaires pour le protéger et qu'elle a ainsi commis une faute inexcusable qui est la cause de l'accident du travail du 6 février 2013.
Sur les conséquences de la faute inexcusable
Sur la majoration de la rente
L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En application de l'article L. 452-2 du même code, la majoration maximale de la rente doit suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime en cas d'aggravation de son état de santé, dans la limite des plafonds prévus par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
La faute inexcusable de la SAS [11] étant reconnue, le jugement qui a ordonné la majoration maximale de la rente servie à M. [T], dans les limites fixées par la loi, sera confirmé.
Sur l'indemnisation des préjudices
Il y a lieu de renvoyer aux dispositions du jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille le 24 avril 2024 qui a ordonné, avant dire droit, une expertise médicale judiciaire et a désigné Mme [P] [S], médecin, pour procéder à l'évaluation des préjudices.
S'agissant de l'indemnité provisionnelle, c'est à juste titre que les premiers juges ont alloué à M. [T] une provision d'un montant de 5 000 euros, l'employeur n'apportant aucun élément justifiant de minorer cette dernière.
Sur l'action récursoire de la caisse
La caisse sollicite le bénéfice de son action récursoire sans apporter de détail s'agissant de la déclaration de sa créance du fait de la liquidation judiciaire de la société.
Le liquidateur de la SAS [11] soutient que l'action récursoire de la caisse est irrecevable dans la mesure où elle n'a pas déclaré sa créance à la procédure collective.
Aux termes des articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce, à partir de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans un délai de deux mois.
La créance de restitution de l'indemnisation complémentaire versée par la caisse à la victime d'un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur, qui a pour origine la faute de celui-ci, est soumise à déclaration au passif de la société placée sous le régime d'une procédure collective dès lors qu'un accident est antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
En application de l'article L. 622-26 du même code, sauf relevé de forclusion par le juge commissaire dans un délai de six mois, les créances non déclarées régulièrement dans ces délais ne sont pas éteintes mais sont inopposables à la liquidation judiciaire.
En l'espèce, l'accident du travail dont a été victime M. [T] a eu lieu le 6 février 2013. La société [11] qui employait M. [T] et dont la faute inexcusable a été reconnue a été placée en liquidation judiciaire le 15 février 2021, ce qui n'est pas remis en cause. L'accident à l'origine de la faute inexcusable est donc antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
Il s'ensuit que, contrairement à ce que le premier juge a décidé, la caisse ne justifiant ni d'une déclaration de créance ni d'un relevé de forclusion, ladite créance est inopposable à la liquidation judiciaire et l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur est irrecevable.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la SELARL [15], liquidateur de la société [11], appelante qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.
Elle sera déboutée de sa demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à verser la somme de 1 500 euros à M. [T] en application de ces dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement sauf en ses dispositions relatives à l'action récursoire de la caisse,
Y ajoutant et statuant à nouveau dans cette limite,
Déclare la créance de la [10] inopposable à la liquidation judiciaire de la SAS [11],
Déclare irrecevable l'action récursoire de la [10],
Renvoie aux dispositions du jugement concernant la liquidation des préjudices de M. [T],
Condamne la SAS [11], représentée par la SELARL [E] et Borkowiak, ès qualité de liquidateur judiciaire, aux dépens d'appel,
Condamne la SAS [11], représentée par la SELARL [E] et Borkowiak, ès qualité de liquidateur judiciaire, au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,
N°
S.E.L.A.R.L. [E] ET [W]
C/
[T]
[10]
Copie certifiée conforme délivrée à :
- S.E.L.A.R.L. [E] ET [W]
- M. [I] [T]
- [10]
- Me Alexandre BAREGE
- Me Patrick LEDIEU
- tribunal judiciaire
Copie exécutoire :
- Me Alexandre BAREGE
- Me Patrick LEDIEU
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 24 JUIN 2025
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N° RG 24/02249 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JCZ5 - N° registre 1ère instance : 22/01522
Jugement du tribunal judiciaire de Lille (pôle social) en date du 24 avril 2024
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.E.L.A.R.L. [E] [12] [W]
Prise en la personne de Maître [F] [E], es qualité de liquidateur judiciaire de la société [11],ayant siège [Adresse 2] suivant jugement du Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE du 15 février 2021
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 17],
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Alexandre BAREGE de l'ASSOCIATION CALIFANO-BAREGE-BERTIN, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Morgane DELANNOY, avocat au barreau de LILLE
ET :
INTIMES
Monsieur [I] [T]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Patrick LEDIEU de la SCP LECOMPTE LEDIEU, avocat au barreau de CAMBRAI substitué par Me Nicolas BRANLY, avocat au barreau de LILLE
[10]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Mme [K] [N], munie d'un pouvoir régulier
DEBATS :
A l'audience publique du 24 mars 2025 devant M. Pascal HAMON, président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 juin 2025.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame ISABELLE [Localité 16]
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
M. Pascal HAMON en a rendu compte à la cour composée en outre de :
Mme Jocelyne RUBANTEL, présidente,
M. Pascal HAMON, président,
et Mme Véronique CORNILLE, conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 24 juin 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, président a signé la minute avec Mme Nathalie LEPEINGLE, greffier.
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DECISION
M. [I] [T], salarié de la société [11] en qualité de ferrailleur soudeur depuis le mois d'avril 2007 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, a été victime d'un accident du travail le 6 février 2013, dont les circonstances sont les suivantes : « retour au vestiaire en fin de journée, M. [T] marche sur une réservation en polystyrène de 0,20MX1.00 mis en dalle par le plombier CPG à [Localité 14] et s'est tordu la cheville gauche ».
Le certificat médical initial établi le jour de l'accident fait état d'une entorse de la cheville gauche.
Par décision du 18 février 2013, la [8] (la [9]) des Flandres a pris en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
L'état de santé de l'assuré a été déclaré consolidé le 30 mars 2014, avec fixation d'un taux d'incapacité permanente partielle de 20 %.
Saisi par M. [T] d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, par jugement du 24 avril 2024, a :
dit que l'accident du travail du 6 février 2013 de M. [T] est dû à la faute inexcusable de la SAS [11],
fixé au maximum la majoration de la rente sur la base du taux d'IPP tel que fixé par la caisse,
dit que l'avance sera faite par la caisse,
dit que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité en cas d'aggravation de l'état de santé de M. [T] dans les limites des plafonds de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,
dit que les sommes allouées par la caisse au titre de l'indemnité forfaitaire, de la majoration de la rente du conjoint survivant, de l'indemnisation des préjudices personnels de M. [V] [Z] et de ses ayants droit seront inscrites au compte spécial des accidents du travail et maladies professionnelles,
dit que la caisse pourra récupérer, auprès de la SAS [11], le montant de la majoration de rente ou du capital alloué à M. [T] en fonction du taux qui est opposable à l'employeur,
ordonné, avant dire droit, sur les demandes d'indemnisation des préjudices de M. [T], une expertise médicale judiciaire et commet, pour y procéder, le docteur [S],
dit que dans le cadre de sa mission, l'expert désigné pourra s'entourer, à sa demande, d'un sapiteur de son choix,
dit que l'expert devra donner connaissance de ses premières conclusions aux parties et répondre à toutes observations écrites de leur part dans le délai qui leur aura été imparti avant d'établir son rapport définitif,
dit que l'expert adressera son rapport en quatre exemplaires au greffe dans un délai de trois mois après réception de sa mission,
dit que le rapport d'expertise dès réception sera adressé aux parties par le greffe,
dit que les frais d'expertise seront avancés par la caisse qui pourra en récupérer le montant auprès de la SAS [11], au titre des dépens,
dit que l'affaire sera renvoyée à l'audience de mise en état dématérialisée du jeudi 19 décembre 2024,
sursis à statuer sur les autres demandes en ce compris celles au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, dans l'attente de l'expertise,
alloué une provision de 5 000 euros à M. [T],
dit que la somme due à la victime au titre de la provision sera avancée par la caisse à M. [T] et portera intérêts au taux légal à compter du présent jugement devenu définitif,
dit que la caisse pourra récupérer le montant de la provision à l'encontre de l'employeur, la SAS [11], dans le cadre de son action récursoire,
dit que la SAS [11] devra rembourser à la caisse, dans le cadre de l'action récursoire, l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable,
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
ordonné l'exécution provisoire.
La SELARL [E] et Borkowiak, es qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [11], a relevé appel de cette décision le 23 mai 2024, suite à notification du 26 avril précédent.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 24 mars 2025.
Par conclusions visées le 24 mars 2025 et déposées lors de l'audience, la SELARL [E] [13], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [11], demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris,
statuant à nouveau, débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
déclarer irrecevable l'action récursoire de la caisse et sa demande formée en remboursement des sommes versées à son encontre,
condamner M. [T] à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [T] aux entiers dépens de l'instance.
Elle fait essentiellement valoir que l'assuré ne produit aucune pièce de nature à expliquer les circonstances de l'accident, ni à établir la conscience du danger et le fait qu'il n'a pas pris les mesures propres à l'éviter.
S'agissant de l'action récursoire de la caisse, elle explique que cette demande est irrecevable dès lors que cette dernière n'a pas déclaré sa créance à la procédure collective.
Par conclusions visées par le greffe le 24 mars 2025 et déposées lors de l'audience, M. [T], par l'intermédiaire de son conseil, demande à la cour de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
y ajoutant, condamner la SELARL [15] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
Il soutient que la société est taisante sur l'absence d'établissement d'un plan de coordination afin d'identifier les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, qu'il se trouvait sur un chantier où plusieurs entreprises intervenaient, qu'en le laissant travailler dans ces conditions son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et que, pour autant, il n'a pas pris les mesures pour l'en préserver.
Par conclusions visées par le greffe le 24 mars 2025 et développées oralement lors de l'audience, la [10] demande à la cour de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il a fait droit à toutes ses demandes dans le cadre des conséquences financières de la faute inexcusable,
juger que la reconnaissance de la faute inexcusable ne peut être retenue que si le caractère professionnel de l'accident est confirmé,
juger qu'elle s'en rapporte sur cette demande,
juger que la reconnaissance de la faute inexcusable emporte majoration de la rente allouée à la victime d'un accident du travail et que cette majoration suit l'évolution du taux d'incapacité de la victime,
dans tous les cas, condamner la société à lui rembourser toutes les sommes dont elle a et aura à faire l'avance,
juger que la caisse récupérera immédiatement le capital représentatif de la majoration de rente sur le fondement de l'article D. 452-1 du code de la sécurité sociale,
condamner la société aux éventuels frais d'expertise et aux dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
Motifs
Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Aux termes de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru à la survenance du dommage.
Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'avait pas pris les moyens nécessaires pour l'en préserver. La faute inexcusable ne pouvant donc être reconnue que si l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger.
Et lorsque la preuve de la conscience du danger est rapportée, le salarié doit démontrer que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir le risque d'accident ou de maladie professionnelle.
Sur la conscience du danger
En l'espèce, il ressort de la déclaration d'accident du travail du 6 février 2013 que l'assuré a fait l'objet d'une chute à la fin de sa journée de travail en marchant sur une réservation en polystyrène en dalles effectuée par un plombier d'une autre entreprise qui intervenait concomitamment sur le même chantier.
M. [T] estime que son employeur avait nécessairement conscience du risque de chute, précise qu'il ne produit pas le plan de coordination, lequel aurait permis d'identifier les risques encourus et verse aux débats des témoignages, notamment :
celui de M. [J], maçon, qui indique qu'il était témoin de l'accident et précise « c'était fin de journée. Il est tombé dans un trou »,
celui de M. [B], chef de chantier qui précise, en substance, que « M. [T] [I] était en train de ramasser les outils de travail, malheureusement il y avait une réservation de plombier qui mesure 1,20 m sur 20 cm couvert avec le polystyrène, M. [T] [I] a essayé de traverser (') il s'est retrouvé allongé par terre à cause de la réservation en polystyrène (') j'ai appelé les pompiers »,
celui de M. [L], chef de chantier qui reprend la même description que celle de M. [B].
La SELARL [15], agissant en qualité de liquidateur de la société [11], employeur de M. [T], explique que les déclarations de l'assuré sont insuffisantes, que le certificat médical du 16 juillet 2020 produit par ce dernier pose difficulté et n'est pas contemporain et que les attestations versées ne font état d'aucun manquement.
L'article R. 4532-42 du code du travail indique que le maître d'ouvrage, ou l'entrepreneur principal en cas de sous-traitance, mentionne dans les documents remis aux entrepreneurs, que le chantier sur lequel ils seront appelés à travailler en cas de conclusions d'un contrat est soumis à l'obligation de plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé.
L'article R. 4532-44 du code du travail dispose que le plan général de coordination énonce, notamment, « 3° Les mesures de coordination prises par le coordonnateur en matière de sécurité et de santé et les sujétions qui en découlent concernant, notamment :
a) Les voies ou zones de déplacement ou de circulation horizontales ou verticales ;
b) Les conditions de manutention des différents matériaux et matériels, en particulier pour ce qui concerne l'interférence des appareils de levage sur le chantier ou à proximité, ainsi que la limitation du recours aux manutentions manuelles ;
c) La délimitation et l'aménagement des zones de stockage et d'entreposage des différents matériaux, en particulier s'il s'agit de matières ou de substances dangereuses ;
d) Les conditions de stockage, d'élimination ou d'évacuation des déchets et des décombres,
e) Les conditions d'enlèvement des matériaux dangereux utilisés ;
f) L'utilisation des protections collectives, des accès provisoires et de l'installation électrique générale ;
g) Les mesures prises en matière d'interactions sur le site ;
4° Les sujétions découlant des interférences avec des activités d'exploitation sur le site à l'intérieur ou à proximité duquel est implanté le chantier ;
5° Les mesures générales prises pour assurer le maintien du chantier en bon ordre et en état de salubrité satisfaisant (') ».
Les articles suivants du code du travail prévoient que le plan général de coordination est complété et adapté en fonction de l'évolution du chantier, que ces modifications sont portées à la connaissance des entreprises et qu'il intègre au fur et à mesure de leur élaboration les plans particuliers de sécurité et de santé.
En cause d'appel, comme devant les premiers juges, aucun plan de coordination n'est produit, de sorte que rien ne permet de dire que les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs ont été identifiés entre les différentes sociétés, alors même qu'il s'agit d'une obligation lorsque plusieurs entreprises interviennent.
Ainsi, et comme l'a justement relevé le tribunal, ces éléments sont suffisants à démontrer que la SAS [11] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait son salarié, M. [T].
Sur les mesures mises en 'uvre pour préserver les salariés
L. 4121-1 du code du travail précise que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » et que « ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels [...], des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ».
L'article L. 4121-2 du code du travail dispose quant à lui : « L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° éviter les risques ;
2° évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° combattre les risques à la source ;
4° adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;
8° prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° donner les instructions appropriées aux travailleurs ».
En l'espèce, les témoignages des collègues de M. [T] ne font état d'aucune mesure de sécurité, rien ne permet de dire que la réservation faite par le plombier l'ait été correctement, M. [J] précisant que cette dernière « n'était pas dans les normes », et comme le souligne à juste titre le tribunal, aucun élément ne démontre que la zone était balisée.
L'employeur ne produit aucun élément, aucun plan de coordination n'est versé de sorte que rien ne permet de dire que la prévention de ce genre de risque était prévue.
Ainsi, comme l'ont justement noté les premiers juges, ces éléments sont suffisants à démontrer que la SAS [11], qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait son salarié, n'a pas pris les mesures nécessaires pour le protéger et qu'elle a ainsi commis une faute inexcusable qui est la cause de l'accident du travail du 6 février 2013.
Sur les conséquences de la faute inexcusable
Sur la majoration de la rente
L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En application de l'article L. 452-2 du même code, la majoration maximale de la rente doit suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime en cas d'aggravation de son état de santé, dans la limite des plafonds prévus par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
La faute inexcusable de la SAS [11] étant reconnue, le jugement qui a ordonné la majoration maximale de la rente servie à M. [T], dans les limites fixées par la loi, sera confirmé.
Sur l'indemnisation des préjudices
Il y a lieu de renvoyer aux dispositions du jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille le 24 avril 2024 qui a ordonné, avant dire droit, une expertise médicale judiciaire et a désigné Mme [P] [S], médecin, pour procéder à l'évaluation des préjudices.
S'agissant de l'indemnité provisionnelle, c'est à juste titre que les premiers juges ont alloué à M. [T] une provision d'un montant de 5 000 euros, l'employeur n'apportant aucun élément justifiant de minorer cette dernière.
Sur l'action récursoire de la caisse
La caisse sollicite le bénéfice de son action récursoire sans apporter de détail s'agissant de la déclaration de sa créance du fait de la liquidation judiciaire de la société.
Le liquidateur de la SAS [11] soutient que l'action récursoire de la caisse est irrecevable dans la mesure où elle n'a pas déclaré sa créance à la procédure collective.
Aux termes des articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce, à partir de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans un délai de deux mois.
La créance de restitution de l'indemnisation complémentaire versée par la caisse à la victime d'un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur, qui a pour origine la faute de celui-ci, est soumise à déclaration au passif de la société placée sous le régime d'une procédure collective dès lors qu'un accident est antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
En application de l'article L. 622-26 du même code, sauf relevé de forclusion par le juge commissaire dans un délai de six mois, les créances non déclarées régulièrement dans ces délais ne sont pas éteintes mais sont inopposables à la liquidation judiciaire.
En l'espèce, l'accident du travail dont a été victime M. [T] a eu lieu le 6 février 2013. La société [11] qui employait M. [T] et dont la faute inexcusable a été reconnue a été placée en liquidation judiciaire le 15 février 2021, ce qui n'est pas remis en cause. L'accident à l'origine de la faute inexcusable est donc antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
Il s'ensuit que, contrairement à ce que le premier juge a décidé, la caisse ne justifiant ni d'une déclaration de créance ni d'un relevé de forclusion, ladite créance est inopposable à la liquidation judiciaire et l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur est irrecevable.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la SELARL [15], liquidateur de la société [11], appelante qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.
Elle sera déboutée de sa demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à verser la somme de 1 500 euros à M. [T] en application de ces dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement sauf en ses dispositions relatives à l'action récursoire de la caisse,
Y ajoutant et statuant à nouveau dans cette limite,
Déclare la créance de la [10] inopposable à la liquidation judiciaire de la SAS [11],
Déclare irrecevable l'action récursoire de la [10],
Renvoie aux dispositions du jugement concernant la liquidation des préjudices de M. [T],
Condamne la SAS [11], représentée par la SELARL [E] et Borkowiak, ès qualité de liquidateur judiciaire, aux dépens d'appel,
Condamne la SAS [11], représentée par la SELARL [E] et Borkowiak, ès qualité de liquidateur judiciaire, au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,