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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 27 juin 2025, n° 22/08667

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Digital Classifieds France (SAS)

Défendeur :

Digital Classifieds France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de la Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Grinal, Me Havet, Me Dupré

T. com. Paris, du 31 janv. 2022

31 janvier 2022

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 31 janvier 2022 par lequel il a débouté la société [Z] [E] communication de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de sa relation commerciale établie avec la société Concept multimedia, débouté la la société Concept multimedia de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'abus de procédure et condamné la société [Z] [E] communication aux dépens et à payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* *

Vu l'appel interjeté le 28 avril 2022 par société [Z] [E] communication ;

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 18 mars 2025 pour société [Z] [E] communication afin d'entendre, en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel de la société [Z] [E] communication,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Concept multimedia de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'abus de procédure,

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [Z] [E] communication de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de leur relation commerciale établie avec la société Concept multimedia,, et condamné la société [Z] [E] communication aux dépens et à payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclarer que la société Concept multimedia a manifesté son intention de mettre un terme à la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la société [Z] [E] communication sans préavis, le 7 novembre 2018,

- déclarer que la société Concept multimedia a mis brutalement fin à la relation commerciale qui existait avec la société [Z] [E] communication,

- condamner en conséquence la société société Digital Classifieds France, venant aux droits de la société Concept multimedia, à payer la somme de 71.760 euros,

en tout état de cause :

- condamner la société Digital Classifieds France, à payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

* *

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 12 mars 2025 pour la société Digital Classifieds France, venant aux droits depuis le 24 mars 2021, la société Concept multimedia, afin d'entendre, en application des articles L. 442-1 et suivants et L. 442-6, ancien, du code de commerce, et 32-1 du code de procédure civile :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement,

à titre subsidiaire :

- débouter la société [Z] [E] communication de sa demande indemnitaire qui n'apparaît pas justifiée ou la réduire à de plus juste proportion,

en tout état de cause,

- condamner la société [Z] [E] communication à payer une somme d'un montant de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société [Z] [E] communication à supporter l'ensemble des dépens d'appel et de première instance.

SUR CE, LA COUR,

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties. Pour la clarté de la discussion, la cour conservera le nom de la société Concept multimedia.

Il sera succinctement rapporté qu'après avoir été employé jusqu'au 1er mars 2010 en qualité de rédacteur en chef de la société Concept multimedia, éditeur de contenus sur l'immobilier, M. [Z] [E] a poursuivi la fourniture de ses prestations par le truchement de sa société [Z] [E] communication ceci, sans contrat écrit, les commandes donnant lieu à une facturation forfaitaire annuelle révisée chaque année.

Le 11 octobre 2017, la société Concept multimedia a dénoncé à la société [Z] [E] communication le lancement d'un appel d'offres pour renouveler sa ligne éditoriale et la rédaction de ses magazines qui n'avaient pas évolués depuis 2011. Le 6 novembre 2017, la société [Z] [E] communication a déploré la volonté implicite de la société Concept multimedia de mettre fin à leur collaboration depuis avril 2010, puis elle a été retenue pour la l'appel d'offre pour l'année 2018.

Par courriel du 27 juin 2018, la société Concept multimedia a informé la société [Z] [E] communication de son intention de '[relancer] dès maintenant un appel d'offre pour la ligne éditoriale 2019' et lui a '[proposé de dérouler avec [elle] le contenu de l'AO en fonction de [leurs] disponibilités sur le mois de juillet', puis après avoir accusé réception, le 9 octobre 2018, de l'offre de la société [Z] [E] communication, la société Concept multimedia l'a informée par courriel du 7 novembre 2018 de ce qu'elle n'a pas été retenue à l'issue de l'appel d'offres pour les prestations de l'année 2019, ce que la prestataire a dénoncé dans une lettre du 10 janvier 2019 par laquelle elle a réclamé le paiement d'arriéré de factures ainsi qu'une solution amiable dans la rupture de 16 ans de relation commerciale avant d'assigner en dommages et intérêts sur ce dernier chef le 25 juin 2019 la société Concept multimedia devant la juridiction commerciale.

1. Sur l'existence d'une relation commerciale établie et la faute dans la rupture

Il est rappelé que l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, dans sa version en vigueur au 11 décembre 2016 et applicable au litige, dispose que :

'Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure (...).'

Pour voir confirmer le jugement qui a débouté la société [Z] [E] communication de sa demande du chef de la rupture brutale de la relation commerciale établie, la société Concept multimedia soutient, en premier lieu, que la relation contractuelle avec la société [Z] [E] communication était précaire et échappait par conséquent à l'exigence du préavis préalable institué par l'article L. 442-6 I 5° en raison, d'une part, des prestations intellectuelles en matière de presse éditoriale dont elle soutient que dans leur nature, et suivant l'usage de la profession, elles ne garantissent aucun engagement dans leur renouvellement, et d'autre part, que les accords annuellement forfaitisés et négociés par les parties des parties et qui se sont succédé depuis mars 2010 n'ont jamais été formalisés par un écrit tandis et qu'aucune des commandes que la société Concept multimedia a émises ne stipulait la reconduction tacite de la prestation

Au demeurant, il n'est codifié par aucun usage professionnel de la presse écrite ou numérique, et il ne se déduit en rien de la nature des prestations de rédaction d'articles de magazines que la société Concept multimedia a sollicité sur l'année, et qu'elle reconduit tous les ans, y compris à l'occasion de l'appel d'offre, la preuve que cette prestation était précaire et soustraite à la dénonciation d'un préavis préalable à la relation commerciale établie.

Et d'autre part, l'appréciation de l'existence d'une relation commerciale établie n'est pas, par elle-même, subordonnée à la formation d'un engagement écrit ni à celle d'un accord à durée indéterminée, mais d'après le caractère suivi, stable et habituel de la relation commerciale tel que les cocontractants pouvaient raisonnablement anticiper la poursuite pour l'avenir une certaine continuité de leur flux d'affaires.

La société Concept multimedia conclut, en second lieu, avoir satisfait à la dénonciation préalable du préavis à la suite de la notification de son recours à un appel d'offres valant notification de la rupture de la relation commerciale et se prévaut, à cette fin, du préavis de 14 mois et 14 jours qui a suivi la dénonciation à la société [Z] [E] communication le 11 octobre 2017 du recours au premier appel d'offres, ou subsidiairement, du préavis de 6 mois et 4 jours qui a suivi la dénonciation le 27 juin 2018 du recours au second appel d'offres, ou encore, du délai de 2 mois que les premiers juges ont retenu d'après la notification le 11 octobre 2017 à la [Z] [E] communication de ce qu'elle n'était pas retenue pour les prestation de 2019.

Toutefois, le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie régi par l'article L. 442-6 I 5° doit résulter d'un préavis exprimant le point de départ ainsi que le terme de la fin de la relation commerciale, de telle sorte que la seule information du co-contractant au recours à un appel d'offres est aléatoire et exclut par conséquent la certitude de la rupture de la relation commerciale.

Et tandis qu'il est constant que la société [Z] [E] communication n'a pas été informée de la fin de sa relation commerciale avec la société Concept multimedia avant qu'elle ne lui notifie le 7 novembre 2018 avec pour effet au 31 décembre suivant, qu'elle n'était pas retenue pour l'appel d'offres pour la poursuite des prestations en 2019, il se déduit que le préavis n'a pas été régularisé avant cette date et était par conséquent limité à 1 mois et 27 jours.

Sur la base d'une relation commerciale établie depuis le 1er mars 2010 de dix ans et dix mois, il est manifeste que le préavis donné par la société Concept multimedia nécessaire à sa reconversion était insuffisant, de sorte qu'elle sera déclarée responsable de la rupture brutale de la relation commerciale, que le jugement sera infirmé de ce chef, la cour fixant le préavis utile à la reconversion de la société [Z] [E] communication non pas à 15 mois, comme elle y prétend, mais à sept mois.

2. Sur la réparation du préjudice

D'après les productions de la société [Z] [E] communication, il est établi que sur les trois dernières années, elle a réalisé avec la société Concept multimedia un chiffre d'affaires moyen de 57.400 euros, soit 4.783 euros mensuels.

Alors qu'il est manifeste que pour les prestations intellectuelles, le chiffre d'affaires est équivalent à la marge brute sur la base de laquelle doit être calculée l'indemnité de l'article L. 442-6 I 5°, et tandis qu'à la suite de ce qui est retenu au point 1 ci-dessus, la société [Z] [E] communication a été privée d'un préavis de 5 mois, il convient de condamner la société Concept multimedia à verser la somme de 23.916 euros de dommages et intérêts.

3. Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Concept multimedia succombant à l'action, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a tranché les dépens et les frais irrépétibles, et statuant à nouveau de ces chefs y compris en cause d'appel, elle sera condamnée aux dépens ainsi qu'à verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

DONNE acte à la société Digital Classifieds France de ce qu'elle vient aux droits de la société Concept multimedia ;

INFIRME le jugement en l'état de toutes ses dispositions déférées ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société Digital Classifieds France à verser à la société [Z] [E] communication la somme de 23.916 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

CONDAMNE la société Digital Classifieds France aux dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE la société Digital Classifieds France à verser à la société [Z] [E] communication la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

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