CA Douai, 2e ch. sect. 2, 26 juin 2025, n° 23/03011
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Decathlon France (SAS)
Défendeur :
Jil (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbot
Conseillers :
Mme Cordier, Mme Soreau
Avocats :
Me Kazmierczak, Me Houssier, Me Laforce, Me Grall, Me Pollak
FAITS ET PROCEDURE
La société Décathlon France (la société Décathlon), qui conçoit, fabrique et distribue des articles de sport, a notamment pour concurrent le réseau des magasins à l'enseigne Intersport, détenus par des sociétés commerciales indépendantes qui sont adhérentes d'une société coopérative de commerçants dénommée Intersport France.
La société Decathlon exploite plusieurs magasins en France métropolitaine, parmi lesquels un magasin situé à [Localité 7], au sein d'un centre commercial à l'enseigne Auchan.
La société Jil exploite quant à elle le magasin à l'enseigne Intersport situé dans le même centre commercial.
Soupçonnant des manquements de la société Jil à la réglementation applicable aux « vente en liquidation » et aux ouvertures dominicales, la société Décathlon a, par une requête du 13 janvier 2019, saisi le président du tribunal de commerce d'Arras sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, afin de faire pratiquer une mesure de constatations, par voie d'huissier de justice, dans le magasin de la société Jil précité.
Par une ordonnance du 14 février 2019, le président du tribunal de commerce d'Arras a accueilli cette requête.
Le 19 janvier 2019, les opérations de constatations se sont déroulées, donnant lieu à l'établissement d'un procès-verbal du même jour.
Saisi par les société Jil et Intersport France, le président du tribunal de commerce d'Arras a, par une ordonnance du 17 novembre 2020, rétracté son ordonnance sur requête du 14 février 2019, aux motif que ni la requête ni l'ordonnance ne contenaient de motifs susceptibles de justifier qu'il soit dérogé au principe de la contradiction.
La société Décathlon n'a pas relevé appel de cette décision de rétractation.
Le 10 janvier 2020, elle a assigné sur le fond la société Jil, devant le tribunal de commerce d'Arras, en lui reprochant des actes de concurrence déloyale caractérisés par des manquements à la législation applicable concernant une vente en liquidation réalisée en 2018 et des ouvertures dominicales.
Par un jugement du 28 juin 2023, le tribunal de commerce d'Arras
a :
- rejeté l'ensemble des demandes de la société Décathlon ;
- condamné la société Décathlon à payer à la société Jil les sommes suivantes :
' 5 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
' et 4 000 euros d'indemnité procédurale ;
- condamné la même aux dépens.
Le 30 juin 2023, la société Décathlon a relevé appel de ce jugement.
PRETENTIONS DES PARTIES
' Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 29 janvier 2025, la société Décathlon demande à la cour d'appel de :
Vu les articles 133, 142, 138 et 139 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 310-1, R. 310-2 et suivants, A. 310-1 et suivants du code de commerce,
Vu les articles L. 3132-26, L. 3132-25-1 et L. 3132-25-2, R. 3132-20-1 et R. 3132-19 du code du travail,
Vu les arrêtés municipaux pris depuis 2016 par le maire de la commune d'[Localité 7] en matière d'ouvertures dominicales,
Vu l'article 1240 du code civil,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
' rejette l'intégralité de ses demandes ;
' la condamne à payer à la société JIL la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
' et la condamne au paiement d'une indemnité de procédure de 4 000 euros, ainsi qu'aux dépens ;
Statuant à nouveau :
1. Sur la violation de la réglementation en matière de « liquidation
totale » :
- juger que la société Jil, prise en son établissement secondaire d'[Localité 7], n'a pas respecté les règles posées par le code de commerce en matière de vente en liquidation totale ;
- juger que ces manquements constituent des actes de concurrence déloyale à son égard, puisqu'elle, société Décathlon, a un magasin situé à proximité sur la même zone commerciale de la commune d'[Localité 7] ;
En conséquence :
- enjoindre à la société Jil de lui « communiquer », sous astreinte de
3 000 euros par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la signification du 'jugement' à intervenir :
' l'inventaire des marchandises à liquider qui a dû être déposé en annexe à la demande faite en mairie avant l'opération de liquidation litigieuse ;
' le listing des ventes effectivement réalisées du 18 décembre 2018 au 19 février 2019 dès lors que la liquidation était censée être « totale », afin de pouvoir vérifier la conformité de la liste des produits vendus par rapport à l'inventaire déposé au stade de la déclaration en mairie, et ce, après que la société Jil ait occulté les prix des produits vendus, de même que les prix d'achat qui ne l'intéressent aucunement elle, société Décathlon ;
' deux états de stock à produire et faire certifier par le commissaire aux comptes de la société Jil, l'un à la date du 18 décembre 2018, date de début de la période de liquidation, et l'autre à la date du 19 février 2019, date de fin de la période de liquidation ;
' le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé le 19 février 2019 sur les articles qu'elle a vendus dans le cadre de la « liquidation totale » qui aurait dû se terminer la veille ;
2. Sur les ouvertures dominicales illicites :
- juger que la société Jil n'a pas respecté la réglementation en matière d'ouvertures dominicales, et notamment les arrêtés pris par le maire de la commune d'[Localité 7] fixant chaque année des dates précises pour les ouvertures le dimanche des « commerces de vente au détail d'articles et vêtements de sports et loisirs » situés sur le territoire de la commune, alors même que le magasin qu'elle exploite sous enseigne Intersport à [Localité 7] n'est pas situé dans une « zone commerciale » au sens des articles L. 3132-25-1 et L. 3132-25-2 du code du travail ;
- juger que ces manquements constituent des actes de concurrence déloyale à son égard, puisqu'elle, société Décathlon, a un magasin situé à proximité sur la même zone commerciale de la commune d'[Localité 7] ;
En conséquence :
- condamner dès à présent la société Jil à lui payer à titre provisionnel la somme de 300 000 euros à valoir sur la parfaite indemnisation de son préjudice ;
- enjoindre à la société Jil de lui « communiquer » :
(i) la liste précise de tous les dimanches durant lesquels le magasin Intersport d'[Localité 7] a ouvert ses portes au public de 2016 à 2024 ;
(ii) le chiffre d'affaires qui a été réalisé par le magasin Intersport d'[Localité 7] lors de chaque dimanche des années de 2016 à 2024 où il a été ouvert au public en dehors des dimanches autorisés par le maire de la commune ;
- assortir cette mesure de communication forcée d'une astreinte de
3 000 euros par jour de retard passé le délai calendaire de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, cette astreinte courant, par jour de retard et par manquement, c'est-à-dire à chaque fois que la société Jil n'aura pas apporté les éléments justificatifs relatifs à l'une quelconque des dates d'ouvertures qu'elle a effectuées de 2016 à 2024 en dehors de toute autorisation légale ou réglementaire ;
- juger que l'affaire sera rappelée à l'audience et par devant la cour d'appel de Douai afin qu'il soit statué sur la liquidation de son préjudice après exécution, par la société Jil, des mesures de communication de pièces ordonnées par la cour ;
* Subsidiairement,
- juger qu'il appartiendra au tribunal de commerce d'Arras de statuer sur la liquidation de son préjudice après exécution par la société Jil des mesures de communication de pièces ordonnées par la cour ;
* Dans tous les cas,
- débouter la société Jil de son appel incident et de toutes ses
prétentions ;
- la condamner au paiement d'une indemnité procédurale de 15 000 euros au titre de la procédure de première instance et de celle d'appel ;
- la condamner aux dépens, dont ceux d'appel qui pourront être recouvrés par Maître Patrick Kazmierczak dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
' Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 4 février 2025, la société Jil demande à la cour d'appel de :
Vu les articles 9, 11, 32-1, 142 et suivants et 378 du code de procédure civile,
Vu l'article 1240 du code civil,
Vu les articles L. 153-1 et R-153-1 et suivants du code de commerce,
Vu les articles L. 3132-20 et suivants et R. 3132-20-1 du code du travail,
Vu l'ordonnance de rétractation du 17 novembre 2020, et les ordonnances des 29 mars et 16 avril 2019 du président du tribunal de commerce d'Arras,
- la recevoir en l'ensemble de ses demandes ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
- rejeter l'ensemble des demandes de la société Décathlon ;
* À titre subsidiaire, en cas d'infirmation de l' 'ordonnance', pour le cas où une injonction de production de pièces serait prononcée contre
elle :
- limiter la production de pièces à l'inventaire des marchandises à liquider et à deux états de stocks datés l'un du 18 décembre 2018 et le second du 16 février 2019 ;
- ordonner la production de ces pièces à la seule attention de la cour, à l'exclusion de toute communication à la société Décathlon et se réserver leur analyse afin de les expurger de toutes informations confidentielles protégées par le secret des affaires, et, en ce qui concerne les éléments comportant des données chiffrées, conditionner leur communication au seul cas où une faute serait caractérisée ;
- 'enjoindre' une mesure de production forcée de pièces en application de l'article 142 du code de procédure civile à son profit à elle, société
Jil ;
- enjoindre à la société Décathlon, dans les mêmes limitations que s'agissant de l'injonction de production de pièces prononcée contre elle, société Jil, de produire à la seule attention de la cour, en ce qui concerne le magasin Décathlon exploité à [Localité 8] :
' la liste précise de tous les dimanches durant lesquels le magasin Décathlon d'[Localité 7] a ouvert ses portes au public de 2018 à 2024 ;
' le chiffre d'affaires qui a été réalisé par le magasin Décathlon d'[Localité 7] lors de chaque dimanche de 2018 à 2024 où il a été ouvert au public, en dehors de toute autorisation légale ou réglementaire ;
- assortir cette mesure de production forcée d'une astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai calendaire de 30 jours à compter du prononcé de la décision à intervenir, cette astreinte courant, par jour de retard et par manquement, c'est-à-dire à chaque fois que Décathlon n'aura pas apporté les éléments justificatifs relatifs à l'une quelconque des dates d'ouverture qu'elle a effectuée de 2018 à 2024 ;
- se réserver la liquidation de l'astreinte ainsi prononcée ;
* En tout état de cause :
- condamner la société Décathlon à lui payer la somme de 5 000 euros à titre d'indemnisation pour le caractère abusif de son appel ;
- condamner la même au paiement d'une indemnité de 7 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel, dont distraction
au profit de Maître Eric Laforce, avocat au barreau de Douai.
MOTIVATION
Il ressort de ses conclusions que l'action de la société Décathlon est fondée sur des faits de concurrence déloyale ayant une double origine : d'une part, le non-respect de la réglementation sur les ventes en liquidation (pp. 11 à 26 de ses conclusions), d'autre part, la violation de la réglementation relative aux ouvertures dominicales (pp. 27 à 46).
Il convient d'examiner successivement ces deux séries de faits.
A - Sur la demande de communication de pièces liée à l'opération de vente en liquidation totale, prétendument illicite
En droit, la demande de communication de pièces doit être distinguée de la demande de production de pièces : la communication de pièces consiste à transmettre au contradicteur la connaissance des pièces utilisées au soutien des prétentions, cependant que la production de pièces porte sur des pièces qui ne sont pas encore dans le débat, en ce qu'elles n'ont pas été invoquées au soutien d'une prétention, mais une partie en connaît l'existence.
La demande de production de pièces, devant le juge du fond, est réglementée à l'article 142 du code de procédure civile, qui dispose
que :
Les demandes de production des éléments de preuve détenus par les parties sont faites, et leur production a lieu, conformément aux dispositions des articles 138 et 139.
Il s'ensuit que la demande de production d'une pièce détenue par une partie, formée en application de l'article 142 précité, est soumise aux conditions des articles 138 et 139, qui concernent la production d'une pièce détenue par un tiers.
Aux termes de l'article 138 du code de procédure civile :
Si, dans le cours d'une instance, une partie entend faire état d'un acte authentique ou sous seing privé auquel elle n'a pas été partie ou d'une pièce détenue par un tiers, elle peut demander au juge saisi de l'affaire d'ordonner la délivrance d'une expédition ou la production de l'acte ou de la pièce.
Et l'article 139 du même code dispose que :
La demande est faite sans forme.
Le juge, s'il estime cette demande fondée, ordonne la délivrance ou la production de l'acte ou de la pièce, en original, en copie ou en extrait selon le cas, dans les conditions et sous les garanties qu'il fixe, au besoin à peine d'astreinte.
La demande de production de pièce fondée sur l'article 142 précité doit être utile à la résolution du litige dont est saisi le juge du fond, ne s'agissant pas d'un élément de preuve demandé avant tout procès en application de l'article 145 du code de procédure civile.
Selon une jurisprudence ancienne et constante, l'appréciation du bien-fondé d'une demande de production de pièces relève du pouvoir discrétionnaire du juge, de sorte que ce dernier peut rejeter une telle demande sans même être tenu de s'expliquer (v. not. 2e : Civ. 2e, 16 oct. 2003, n° 01-13770, publié ; 2e Civ., 2 déc. 2010, n° 09-17195 ; 1re Civ., 20 janv. 2011, n° 09-70847 ; Com., 29 mars 2011, n° 10-17647 ; Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-10659).
En l'espèce, il importe de souligner que la cour d'appel ne statue pas en appel d'une ordonnance statuant en application de l'article 145 du code de procédure civile et de ses critères propres d'application, mais en appel d'un jugement rendu sur le fond.
L'argumentation de la société Décathlon consiste à soutenir que la société Jil aurait méconnu la réglementation applicable aux ventes en liquidation à l'occasion d'une vente organisée du 18 décembre 2018 au 19 février 2019, ce qui serait constitutif de faits de concurrence déloyale.
Cependant, la société Décathlon ne forme qu'une prétention en rapport avec les faits liés à cette vente en liquidation : qu'il soit enjoint à la société Jil de lui « communiquer » (comprendre, plus exactement, de
« produire ») certaines pièces, sous astreinte. L'appelante ne saisit la cour d'appel d'aucune demande indemnitaire en relation avec ces faits, la seule demande de provision formée par la société Décathlon se rattachant exclusivement aux faits d'ouvertures dominicales arguées d'illicites (v. le dispositif des conclusions de l'appelante, et aussi les motifs desdites conclusions, p. 47, § IV « Les demandes de la société Décathlon France concernant les ouvertures dominicales illicites [...] », point 1 « sur la demande de condamnation provisionnelle. »).
Dans ces conditions, les pièces réclamées par l'appelante ne pouvant, en aucune manière, servir à appuyer une demande au fond dont la cour d'appel serait saisie dans la présente instance, la demande de production de pièces formée par la société Décathlon est inutile.
Par ces seuls motifs, la cour d'appel estime qu'il y a lieu de rejeter cette demande.
Ce n'est, dès lors, qu'à titre surabondant qu'il sera ajouté que, selon une jurisprudence établie, constitue un acte de concurrence déloyale, par rupture d'égalité entre concurrents, le fait, pour un commerçant, de ne pas respecter la réglementation applicable à son activité afin de bénéficier indûment de l'avantage concurrentiel qui découle de l'inobservation de cette réglementation.
Les textes du code de commerce relatifs à la vente en liquidation, expressément invoqués par la société Décathlon, sont les suivants :
Article L. 310-1, situé dans le livre III, titre 1er, intitulé « Des liquidations, des ventes au déballage, des soldes et des ventes en magasins d'usine » [caractères d'imprimerie mis en gras par la cour d'appel] :
Sont considérées comme liquidations les ventes accompagnées ou précédées de publicité et annoncées comme tendant, par une réduction de prix, à l'écoulement accéléré de la totalité ou d'une partie des marchandises d'un établissement commercial à la suite d'une décision, quelle qu'en soit la cause, de cessation, de suspension saisonnière ou de changement d'activité, ou de modification substantielle des conditions d'exploitation.
Les liquidations sont soumises à déclaration préalable auprès du maire de la commune dont relève le lieu de la liquidation. Cette déclaration comporte la cause et la durée de la liquidation qui ne peut excéder deux mois. Elle est accompagnée d'un inventaire des marchandises à liquider. Lorsque l'événement motivant la liquidation n'est pas intervenu au plus tard dans les six mois qui suivent la déclaration, le déclarant est tenu d'en informer l'autorité administrative compétente.
Pendant la durée de la liquidation, il est interdit de proposer à la vente d'autres marchandises que celles figurant à l'inventaire sur le fondement duquel la déclaration préalable a été déposée.
Article R. 310-2, relatif à la déclaration préalable prévue par le premier texte :
Une déclaration préalable de la vente en liquidation est adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou remise au maire de la commune où les opérations de vente sont prévues, deux mois au moins avant la date prévue pour le début de la vente.
Toutefois, ce délai est réduit à cinq jours lorsque le motif invoqué à l'appui est consécutif à un fait imprévisible de nature à interrompre le fonctionnement de l'établissement.
Un arrêté du ministre chargé du commerce fixe la liste des informations relatives, notamment, à l'identité du vendeur, à la cause et à la durée de la vente et à l'inventaire des marchandises liquidées, ainsi que des pièces qui sont annexées à cette déclaration.
Article R. 310-3, concernant la délivrance d'un récépissé de la
déclaration :
Le maire délivre un récépissé de déclaration de la vente en liquidation dans un délai maximum de quinze jours à compter de la réception du dossier complet de ladite déclaration ; si le dossier est incomplet, le maire notifie à l'intéressé la liste des pièces manquantes dans un délai de sept jours à compter de sa réception ; à défaut de production des pièces complémentaires dans un délai de sept jours à compter de la réception de la notification des pièces manquantes, la déclaration mentionnée à l'article R. 310-2 ne peut faire l'objet d'un récépissé de déclaration.
Dans le cas de survenance du fait imprévisible mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 310-2, le maire délivre le récépissé de déclaration dès réception du dossier complet.
Aucune vente en liquidation ne peut intervenir tant que le récépissé de déclaration n'a pas été délivré par le maire.
Le maire informe la chambre de commerce et d'industrie territoriale de la vente en liquidation ainsi déclarée.
Article R. 310-4, relatif à l'affichage du récépissé de déclaration
préalable :
Le récépissé de déclaration est affiché sur les lieux de la vente en liquidation par le déclarant, pendant toute sa durée ; l'arrêté mentionné à l'article R. 310-2 fixe les conditions et les modalités de cet affichage.
Article R. 310-5, fixant la durée maximale de la vente en liquidation :
La durée maximale de la vente en liquidation fixée à deux mois par l'article L. 310-1 est réduite à quinze jours en cas de suspension saisonnière de l'activité du déclarant.
Article R. 310-6, concernant le cas de report de la date de la vente en liquidation :
Le report de la date de la vente en liquidation indiquée dans la déclaration mentionnée à l'article R. 310-2 fait l'objet d'une information préalable du maire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, comportant justification de ce changement.
Tout report de cette date supérieur à deux mois donne lieu à une nouvelle déclaration dans les conditions prévues à l'article R. 310-2.
Dès qu'il en a connaissance, le déclarant est tenu d'informer le maire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de toute modification de l'événement motivant la liquidation mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 310-1.
Article R. 310-7, sur la publicité relative à une vente en liquidation :
La publicité relative à une vente en liquidation ne peut porter que sur les produits inscrits à l'inventaire fourni en annexe à la déclaration préalable mentionnée à l'article R. 310-2.
L'arrêté mentionné à l'article R. 310-2 précise également les informations qui doivent figurer dans cette publicité et les modalités de son organisation.
Article A 310-2 :
La déclaration est accompagnée des documents suivants :
1° Toute pièce justifiant, selon le motif de la demande, de la perspective d'une cessation de commerce, d'une suspension saisonnière, d'un changement d'activité ou d'une modification substantielle des conditions d'exploitation et, notamment, en cas de prévision de travaux, le ou les devis correspondants ;
2° Un inventaire détaillé des marchandises concernées par l'opération de liquidation comportant au minimum les renseignements suivants : nature et dénomination précise des articles, quantités, prix de vente, prix d'achat moyen hors taxe. Les produits dont le prix de vente unitaire est inférieur à 5 € peuvent être décrits par lots homogènes ;
3° Le cas échéant, si la déclaration est faite par un mandataire, une copie de sa procuration.
Article A 310-4, pris en application de l'article R. 310-4 :
L'information sur le lieu de vente est assurée par le déclarant durant toute la durée de l'opération de liquidation au moyen de l'affichage d'une copie du récépissé de déclaration délivrée par la mairie qui est lisible de la voie publique.
Article A 310-6 [et non A 310-2, comme l'écrit la société Décathlon, p. 14 in fine, à la suite d'une erreur matérielle manifeste] :
Toute publicité relative à une opération de liquidation mentionne la date du récépissé de déclaration ainsi que la nature des marchandises sur lesquelles porte l'opération si celle-ci ne concerne pas la totalité des produits de l'établissement.
La société Décathlon affirme qu'à l'occasion d'une vente en liquidation réalisée à partir du 18 décembre 2018 et jusqu'en février 2019 (le 19 février selon elle, mais le 16 février selon son contradicteur), la société Jil aurait méconnu, à plusieurs égards, la réglementation applicable à de telles ventes, ce qui serait constitutif d'actes de concurrence déloyale.
La société Jil dément chacun des manquements invoqués par l'appelante.
Il convient, dès lors, d'examiner successivement chacun des manquements allégués par la société Décathlon au regard de la réglementation en cause, étant rappelé que la charge de la preuve repose sur cette société, en application de l'article 1353 du code civil.
1°- Sur l'absence d'affichage de récépissé de la déclaration sur la devanture du magasin Intersport, en violation de l'article R. 310-4 (pp. 15-16 des conclusions de l'appelante)
L'article R. 310-4 impose l'affichage d'une copie du récépissé de déclaration préalable « sur le lieu de vente » en liquidation, pendant toute l'opération, et l'article A. 310-4 précise que cet affichage « est lisible de la voie publique. »
A l'appui de ses allégations sur ce point, la société Décathlon se fonde sur un constat d'huissier portant sur les photographies réalisées par certains de ses propres collaborateurs, à l'époque de la vente litigieuse.
Le constat reproduisant les copies d'écrans de téléphone portable ne figure pas en pièce n° 5, comme l'indique à tort la société appelante, mais en pièce n° 8. Il s'agit d'un constat du 31 mai 2022, donc établi trois ans après la fin de la vente en liquidation litigieuse, qui a eu lieu de décembre 2018 à février 2019.
Cette pièce n'est toutefois pas probante. Outre qu'elle ne comporte aucune constatations personnelles directes de la part de l'officier ministériel instrumentaire, en tout état de cause, elle reproduit des copies d'écran de téléphone portable d'une salariée de la société Décathlon, de sorte qu'il existe un doute sur la fiabilité de ces clichés. Au surplus, ces derniers ne permettent pas d'établir que le récépissé obligatoire n'était pas affiché, et visible de la voie publique, à un autre endroit que ceux photographiés par cette salariée.
Ce premier grief n'est donc pas établi.
2°- Sur le non-respect des dates de vente en liquidation (pp. 16 à 19 des conclusions de l'appelante)
A titre liminaire, il y a lieu de préciser que les conclusions de la société Décathlon sont affectées d'une erreur matérielle en ce qu'elles visent, sur ce point, l'article R. 310-2, au lieu de l'article L. 310-1, voire R. 310-5.
Il résulte de leurs conclusions respectives que les parties coïncident pour dire que la vente en liquidation querellée a débuté le 18 décembre 2018 et que, par conséquent, elle devait s'achever le 18 février 2019.
En premier lieu, contrairement à ce qu'affirme la société Décathlon, il ne résulte pas des publications réalisées par la société Jil, et objet de constats d'huissier établis à la demande de l'appelante, que l'intimée ait laissé entendre qu'elle ne débuterait la vente en liquidation que le 19 décembre 2018, ni qu'elle aurait délibérément fait croire à la clientèle qu'était organisée« en avant-première » une vente distincte de la vente en liquidation elle-même.
Au surplus, à supposer même que cela fut le cas, cela ne constituerait pas un manquement à l'article L. 310-1 ou R. 310-5, en ce que cela aurait abouti non à dépasser la durée maximale autorisée par ces textes, mais à la réduire.
En second lieu, la circonstance que des publications de la société Jil aient évoqué une liquidation totale « jusqu'au 19 février » est, à elle seule, impropre à démontrer que, dans les faits, la vente en liquidation se serait effectivement prolongée après le 18 février 2019, engendrant, ce faisant, un dépassement de la durée maximale de deux mois autorisée par les textes applicables. De fait, aucune des pièces produites par la société Décathlon ne démontre que la vente en liquidation litigieuse aurait été maintenue jusqu'au 19 février inclusivement, contrairement à ce qu'affirme l'appelante (not. p. 19 de ses conclusions).
Au surplus, à supposer même que ces publications aient pu entraîner une méprise chez certains consommateurs, comme le prétend la société Décathlon, un tel grief est inopérant en ce qu'il est impropre à caractériser le non-respect des dates de vente en liquidation et, dès lors, une violation des textes réglementation les ventes en liquidation. La tromperie du consommateur alléguée n'est, en toute hypothèse, nullement démontrée par les pièces produites par l'appelante.
Ce deuxième grief n'est donc pas fondé.
3°- Sur le fait que la vente en liquidation n'aurait pas été « totale » (pp. 19-20 des conclusions de l'appelante)
Tel qu'énoncé précédemment, il appartient à la société Décathlon de rapporter la preuve de ses allégations, à savoir que la vente en liquidation en cause n'aurait pas été totale.
Or, la seule circonstance que, sur des affichages réalisés par la société Jil pendant cette vente, ait été apposée, à côté de la mention « liquidation totale » en gros caractères d'imprimerie, la mention « sur les articles signalés en magasin », ne démontre nullement que, en pratique, la vente en liquidation ne portait pas sur l'ensemble des articles se trouvant dans le magasin Intersport concerné. Sur ce point, l'appelante ne rapporte pas la preuve qui lui incombe au moyen des pièces qu'elle verse aux débats.
Ce grief doit donc être rejeté.
4°- Sur l'absence d'affichage de la nature des marchandises dans ses publicités, en violation de l'article A. 310-6 (p. 21 des conclusions de l'appelante) et sur la vente de marchandises en solde « mêlées » aux marchandises liquidées, en violation de l'article L. 310-1 (pp. 21-22 des conclusions de l'appelante)
Ces deux griefs présupposent que la vente en liquidation ne soit pas totale et ne porte que « sur une partie des marchandises d'un établissement commercial », comme l'y autorise l'article L. 310-1.
Or, dès lors que, pour les motifs ci-dessus retenus, il n'est pas établi que la vente en liquidation litigieuse ne portait pas sur l'ensemble des produits vendus dans le magasin Intersport concerné, ces griefs ne sont pas fondés.
Au total, ces motifs surabondants, desquels il résulte que la société Décathlon ne rapporte pas la preuve de ce que la société Jil aurait méconnu la réglementation applicable aux ventes en liquidation, justifient de plus fort le rejet de la demande de production de pièces formée par l'appelante.
Le jugement entrepris qui, en rejetant l'intégralité des demandes formées par la société Décathlon France, a notamment rejeté cette demande de production de pièces, doit donc être confirmé.
B- Sur les demandes liées aux ouvertures dominicales arguées d'illicites
En droit, la liberté du commerce et de l'industrie, qui a pour corollaire la libre concurrence, ne peut, comme toute liberté, s'exercer que dans le respect de celle d'autrui.
La théorie jurisprudentielle de la concurrence déloyale est fondée sur les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil. Le succès de l'action en concurrence déloyale suppose donc la réunion de trois conditions : une faute, laquelle ne requiert aucun élément intentionnel
(v. par ex. : Com. 12 mai 2021, n° 19-17714 ; Com. 8 juill. 2020, n°18-17169), un dommage certain, et un lien de causalité direct et certain entre la faute et le dommage.
La concurrence déloyale se définit comme la commission d'actes déloyaux, constitutifs de fautes dans l'exercice de l'activité commerciale, à l'origine d'un préjudice.
La charge de la preuve des faits de concurrence déloyale allégués repose sur le demandeur à l'action.
En l'espèce, l'argumentation de la société Décathlon repose sur l'affirmation selon laquelle la société Jil a, à plusieurs reprises, méconnu la réglementation relative aux ouvertures dominicales, en ouvrant son magasin Intersport au-delà du nombre de dimanches autorisés par la commune concernée, ce qui caractérise des faits de concurrence déloyale. Et la société Décathlon de former, en conséquence, deux demandes en lien avec ces faits-là : une demande de provision et une demande de communication de pièces.
De son côté, la société Jil demande le rejet de ces deux demandes, estimant, essentiellement, qu'en l'absence de violation de la réglementation sur les ouvertures dominicales de son magasin Intersport, il n'existe pas de motif légitime justifiant une production forcée de pièces et que la demande de provision n'est pas fondée.
Il convient donc, au préalable, d'apprécier la réalité des manquements allégués par la société Décathlon.
1°- Sur la faute
En droit, constitue un acte de concurrence déloyale, par rupture d'égalité entre concurrents, le fait, pour un commerçant, de ne pas respecter la réglementation applicable à son activité afin de bénéficier indûment de l'avantage concurrentiel qui découle de l'inobservation de cette réglementation.
En l'espèce, il est constant que les sociétés Décathlon et Jil sont des sociétés concurrentes exploitant, chacune, un magasin vendant des articles de sport au sein du même centre commercial Auchan, situé à [Localité 7].
Il résulte des pièces versées aux débats par la société Décathlon, et notamment de constats d'huissier relevant les annonces publicitaires effectuées sur le réseau Facebook et d'arrêtés municipaux pris par le maire de cette commune, que, abstraction faite des ouvertures dominicales autorisées en vertu de dérogations exceptionnelles, notamment pendant la période de la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19, le magasin à l'enseigne Intersport en cause a ouvert ses portes lors de dimanches où une telle ouverture n'était pas légalement autorisée, et ce depuis l'année 2018 et jusqu'en septembre 2024 -
Plus précisément, le nombre d'ouvertures dominicales prohibées s'établit comme suit :
* en 2018 : 8 dimanches (pour la première fois le 8 juillet 2018) ;
* en 2019 : 12 dimanches ;
* en 2020 : 12 dimanches ;
* en 2021 : 8 dimanches ;
* en 2022 : 10 dimanches ;
* en 2023 : 5 dimanches ;
* et 2024 : 8 dimanches (la dernière fois le 8 septembre 2024) ;
Soit au total 63 ouvertures dominicales illégales.
La société Jil ne conteste pas cet état de fait, mais objecte qu'elle bénéficie d'une dérogation de plein droit au principe du repos dominical, dès lors que son magasin se situe dans une zone commerciale, au sens de l'article L. 3132-25-1 du code du travail, sans que soit exigée une autorisation administrative préalable.
En droit, l'article L. 3132-1 du code du travail dispose qu'il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine et l'article L.3132-2 institue, au profit de tout salarié, un droit au repos hebdomadaire d'une durée minimale de 24 heures consécutives. En principe, l'article L.3132-3 du même code prévoit que ce repos hebdomadaire doit être donné le dimanche, mais le législateur a créé plusieurs dérogations à ce principe, parmi lesquelles :
- les dérogations accordées par le maire, qui peut décider d'une suppression du repos dominical dans la limite de 12 dimanches par an, en application de l'article L. 3132-26 du code du travail ;
- et celles que les auteurs appellent « les dérogations sur un fondement géographique », issues de la loi dite Macron du 6 août 2015.
Ces dernières dérogations portent sur des zones géographiques dans lesquelles il peut être dérogé au repos dominical. La loi détermine ainsi trois types de périmètres géographiques bénéficiant de cette dérogation, au nombre desquels figurent les « zones touristiques et commerciales. »
Les textes relatifs aux zones commerciales sont les suivants :
Article L. 3132-25-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 :
Les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services et qui sont situés dans les zones commerciales caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes, le cas échéant en tenant compte de la proximité immédiate d'une zone frontalière, peuvent donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel, dans les conditions prévues aux articles L. 3132-25-3 et L. 3132-25-4.
Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article.*
Article L. 3132-25-2 de ce code, dans la rédaction issue de la même loi :
I. La demande de délimitation ou de modification des zones définies aux articles L. 3132-25 et L. 3132-25-1 est faite par le maire ou, après consultation des maires concernés, par le président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, lorsque celui-ci existe et que le périmètre de la zone concernée excède le territoire d'une seule commune.
La demande de délimitation ou de modification de ces zones est transmise au représentant de l'Etat dans la région. Elle est motivée et comporte une étude d'impact justifiant notamment l'opportunité de la création ou de la modification de la zone.
II. Les zones mentionnées au I sont délimitées ou modifiées par le représentant de l'Etat dans la région après avis :
1° Du conseil municipal des communes dont le territoire est concerné ;
2° Des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés intéressées ;
3° De l'organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont sont membres les communes dont le territoire est concerné ;
4° Du comité départemental du tourisme, pour les zones touristiques mentionnées à l'article L. 3132-25 ;
5° De la chambre de commerce et d'industrie et de la chambre de métiers et de l'artisanat, pour les zones commerciales mentionnées à l'article L. 3132-25-1.
L'avis de ces organismes est réputé donné à l'issue d'un délai de deux mois à compter de leur saisine en cas de demande de délimitation d'une zone et d'un mois en cas de demande de modification d'une zone existante.
III. Le représentant de l'Etat dans la région statue dans un délai de six mois sur la demande de délimitation dont il est saisi. Il statue dans un délai de trois mois sur une demande de modification d'une zone.
Article R. 3132-20-1 du même code :
I. - Pour être qualifiée de zone commerciale au sens de l'article L. 3132-25-1, la zone faisant l'objet d'une demande de délimitation ou de modification remplit les critères suivants :
1° Constituer un ensemble commercial au sens de l'article L. 752-3 du code de commerce d'une surface de vente totale supérieure à 20 000 m² ;
2° Avoir un nombre annuel de clients supérieur à 2 millions ;
3° Etre dotée des infrastructures adaptées et accessible par les moyens de transport individuels et collectifs.
II. - Lorsque la zone est située à moins de 30 kilomètres d'une offre concurrente située sur le territoire d'un Etat limitrophe, les valeurs applicables au titre des critères de surface de vente et de nombre annuel de clients énoncés respectivement au 1° et au 2° du I sont de 2 000 m2 et de 200 000 clients.
Il résulte de ces textes que les établissements situés dans une zone commerciale ont certes de plein droit le droit de faire travailler leurs salariés les dimanches, mais cette possibilité est subordonnée à plusieurs conditions préalables, en particulier la délimitation et la création de cette zone par un arrêté préfectoral, ce qui implique de suivre la procédure précisément détaillée par l'article L. 3132-25-2.
C'est donc à tort, au prix d'une dénaturation de dispositions législatives claires et précises, que la société Jil prétend qu'il suffit qu'une zone commerciale remplisse les critères édictés à l'article R. 3132-20-1 pour que les commerces qui s'y trouvent bénéficient automatiquement de la dérogation au repos dominical prévue par l'article L. 3132-25-1, puisqu'il est, au contraire, impératif qu'un arrêté préfectoral ait préalablement délimité cette zone pour que la dérogation puisse s'appliquer.
Au cas présent, la société Jil, sur laquelle repose la charge de cette preuve, ne justifie pas de ce qu'un arrêté préfectoral aurait classé en « zone commerciale », au sens de l'article L. 3231-25-1, la zone dans laquelle est situé son établissement d'[Localité 7], et ce à compter de l'année 2018, époque à partir de laquelle ont été constatées les premières ouvertures dominicales litigieuses - c'est-à-dire celles intervenues en dehors des « dimanches du maire ».
Au contraire, la société Décathlon verse aux débats :
- un courriel du 17 mars 2022 émanant de la section centrale du travail de la Direction départementale de l'emploi, du travail et de la solidarité (DDETS) du Pas-de-[Localité 6], où est localisé le magasin à l'enseigne Intersport ici en cause, indiquant qu'il n'existe aucune zone commerciale dans le Pas-de-[Localité 6] ayant fait l'objet d'un arrêté ;
- un courriel du 4 août 2023, envoyé par le responsable de la section centrale du travail de la préfecture du Pas-de-[Localité 6], indiquant qu'à sa connaissance, il n'existe, sur ce département, aucun arrêté préfectoral actant une zone commerciale au sens de l'article L. 3132-25-1 du code du travail ;
- et une lettre du directeur du travail de la DDETS de la préfecture du Pas-de-[Localité 6], établie le 29 novembre 2023, précisant que, si le préfet de région a sollicité chaque préfet de département pour étudier la possibilité de définir des zones commerciales dans ce département, en application de l'article L. 3132-25, aucun arrêté n'a, à ce jour, été pris dans le département à ce sujet.
Il résulte de ce qui précède que, depuis 2018, la société Jil a ouvert son magasin illégalement certains dimanches, cependant que ce magasin, non situé dans une zone commerciale classée au sens de l'article L. 3132-25-1 du code du travail, ne peut revendiquer le bénéfice de la dérogation géographique prévue par ce texte.
La méconnaissance, par la société Jil, de cette réglementation obligatoire est constitutive de faits de concurrence déloyale. La faute imputée à l'intimée est donc établie à ce titre.
Le jugement entrepris doit, dès lors, être infirmé en ce que, ayant exclu toute faute, il a rejeté les demandes formées par la société Décathlon en lien avec cette faute, notamment sa demande de provision.
2°- Sur le préjudice
Il résulte d'une jurisprudence ancienne et constante qu'un préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, générateur d'un trouble commercial, ce préjudice fût-il seulement moral (v. par ex. : Com. 3 mars 2021, n° 18-24373 ; Com. 13 oct. 2021, n° 19-23597 ; Com. 7 sept. 2022, n° 21-14028). Néanmoins, il appartient à la victime de prouver l'étendue de son préjudice et de le chiffrer (v. par ex. Com. 10 févr. 2021, n° 18-26035).
Par ailleurs, une jurisprudence tout aussi constante énonce que, sous peine de commettre un déni de justice, le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties (v. par ex., en dernier lieu : Civ. 2e, 4 avr. 2024, n° 21-24981 ; Com. 18 déc. 2024, n° 22-21487). Dans une telle hypothèse - c'est-à-dire quand le seul point en litige réside dans la détermination du montant du préjudice -, il appartient au juge de statuer sur la demande, au besoin en enjoignant une partie de produire des justificatifs (v. par ex. Com. 19 nov. 2013, n° 12-21377), ou en ordonnant, au besoin d'office, une mesure d'instruction (v. par ex. : 2e Civ., 28 juin 2006, n° 04-17224, publié ; Com. 20 avr. 2017, n° 15-20306).
En l'espèce, en application de la jurisprudence précitée, la méconnaissance, par la société Jil, de l'interdiction d'ouvrir son magasin certains dimanches non légalement autorisés a causé un préjudice, ne fût-il que moral, à la société Décathlon, concurrente de la société Jil qui exploite un magasin dans le même centre commercial.
Contrairement à ce que soutient la société Jil (pp. 38 à 40 de ses conclusions), il n'est pas démontré, au vu des pièces versées aux débats, qu'en 2020, 2021 et 2022, la société Décathlon aurait elle-même ouvert illégalement son magasin d'[Localité 7]. En effet, l'appelante justifie d'autorisations préfectorales d'ouvertures s'ajoutant aux « dimanches du maire » les jours des années 2020 et 2021 incriminés par la société Jil, tandis que, s'agissant de l'année 2022, la publicité invoquée par cette dernière (sa pièce n° 71) n'établit nullement que la société Décathlon aurait effectivement ouvert son magasin les dimanches 29 mai, 5 juin et 12 juin 2022.
Le principe d'un préjudice, ne serait-ce que moral, étant donc certain, la cour d'appel est tenue de le quantifier.
Afin qu'il soit procédé à cette évaluation, la société Décathlon demande, dans le dispositif de ses écritures :
- qu'il soit enjoint à la société Jil de produire non seulement la liste des dimanches où son magasin Intersport a été ouvert illicitement entre l'année « 2016 » (il s'agit là manifestement d'une simple erreur matérielle, les faits les plus anciens remontant à l'année 2018 selon l'appelante elle-même) et l'année 2024, mais aussi le chiffre d'affaires réalisé par ce magasin Intersport lors des dimanches d'ouverture illicite ;
- et qu'après l'exécution de la mesure de production forcée, la cour d'appel dise que l'affaire sera rappelée à une audience ultérieure afin qu'il soit statué sur la liquidation de son préjudice.
S'agissant de la demande de production du chiffre d'affaires réalisé par le magasin Intersport en cause, la société Décathlon affirme que son préjudice, qui consiste en une perte de chance de gain manqué, doit être évalué sur la base du chiffre d'affaires de l'auteur des actes déloyaux - soit, en l'espèce, la société Jil -, et que la jurisprudence « permet désormais au juge du fond de déterminer souverainement le montant de l'indemnisation à allouer à la victime d'une concurrence déloyale, en se plaçant du côté de l'auteur des actes déloyaux, par référence au montant du gain ou de l'économie qu'il a pu réaliser indûment, et donc de l'enrichissement injustifié qu'il a pu se procurer de cette façon, indépendamment du quantum du préjudice subi par la victime » (v. not. p. 52-53, et p. 56 de ses conclusions).
Néanmoins, ces affirmations reposent sur une jurisprudence qui n'a vocation à s'appliquer qu'en cas de parasitisme (Com., 12 févr. 2020, n°17-31614, publié ; solution réitérée par Com. 5 juin 2024, n° 23-2122), lequel est défini comme une forme de déloyauté consistant, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (v. not. Com. 26 juin 2024, n° 23-13535, publié). Tel n'étant pas le cas des faits de concurrence déloyale retenus, en l'occurrence, contre la société Jil, cette jurisprudence n'est pas applicable en l'espèce.
Le scénario contrefactuel propre à replacer fictivement la partie dans la situation qui eût été la sienne sans la commission des actes déloyaux doit être basé sur des données plus amples que le seul chiffre d'affaires du magasin Intersport exploité par la société Jil, notamment le propre chiffre d'affaires réalisé par la société Décathlon dans son magasin d'[Localité 7], et ce avant comme après la commission de ces actes, afin qu'une comparaison pertinente puisse être effectuée entre les chiffres obtenus. Autrement dit, la communication du chiffre d'affaires de la société Jil n'est pas une donnée suffisante afin de déterminer l'exact préjudice subi par la société Décathlon en conséquence des actes de concurrence déloyale litigieux.
Dans ces conditions, force est de constater que la cour d'appel ne dispose pas des éléments pertinents et objectifs propres à lui permettre l'évaluation de l'exact préjudice subi par la société Décathlon, étant rappelé que, conformément au droit à la réparation intégrale du préjudice, celui-ci doit être réparé « sans perte ni profit pour la victime » (v. not. Civ. 1ère, 9 nov. 2004, Bull. n° 264). Une mesure d'expertise s'impose donc avant dire droit sur ce point.
L'autre demande de production de pièces formée par la société Décathlon en relation avec ces faits de concurrence déloyale porte sur la liste des dimanches d'ouverture du magasin Intersport sur la période litigieuse. Néanmoins, cette demande est superflue, l'expert devant nécessairement établir cette liste afin de mener à bien ses opérations.
Enfin, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, il convient d'allouer à la société Décathlon une provision de 150 000 euros, à valoir sur l'indemnisation de son entier préjudice. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de provision.
C- Sur les demandes reconventionnelles formées par la société Jil
La société Jil demande :
- d'une part, subsidiairement, si la cour accueillait la demande de production de pièces forcée de la société Décathlon, la production forcée de pièces contre Décathlon, sous astreinte, en raison des comportements déloyaux de l'appelante. Ces éléments lui permettront de se défendre utilement et de manière équitable face à ce concurrent (pp. 49-50) ;
- d'autre part, la condamnation de la société Décathlon à lui payer des dommages et intérêts pour procédure abusive et appel abusif (pp. 50 à 53).
La société Décathlon objecte que :
- les prétendues ouvertures illicites de son magasin d'[Localité 7] n'existent pas ;
- les allégations de non-respect de réglementation dans d'autres centres commerciaux sont fausses et cet argumentaire 'n'est pas recevable en droit' : le magasin Intersport d'[Localité 7] ne peut être considéré comme un concurrent des magasins Décathlon situés dans d'autres centres commerciaux. En outre, seules les autres sociétés Intersport ont le droit d'agir pour des faits les concernant. Enfin, les reproches formulés par l'intimée sont infondés (p. 63) ;
- aucun acharnement procédural ne peut lui être imputé (pp. 65-66). La condamnation pour procédure abusive prononcée par les premiers juges doit donc être infirmée.
Réponse de la cour :
En premier lieu, il résulte du dispositif (p. 54) comme des motifs (p. 49) de ses conclusions que la société Jil ne demande la production forcée de pièces à la société Décathlon qu'à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où serait accueillie la demande de production forcée de pièces formée par la société Décathlon.
Cependant, outre la circonstance que la demande de production formée la société Décathlon a été rejetée ci-dessus, en tout état de cause, cette demande est inutile en l'état de la désignation d'un expert, qui pourra demander aux parties tous éléments nécessaires à l'accomplissement de sa mission.
Cette première demande reconventionnelle de la société Jil est donc rejetée.
Il sera, sur ce point, ajouté au jugement entrepris, dès lors qu'il ne résulte pas de ses mentions que les premiers juges auraient été saisis de cette première demande.
En second lieu, l'existence de faits de concurrence déloyale commis par la société Jil, constatée par le présent arrêt, suffit à démontrer que ne peuvent être imputés à la société Décathlon ni procédure abusive, ni appel abusif, ni acharnement procédural. En l'absence de faute, la demande indemnitaire de la société Jil doit donc être rejetée.
Le jugement entrepris est donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Décathlon au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.
D - Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La teneur du présent arrêt justifie qu'il soit sursis à statuer sur les dépens, ainsi que sur les demandes d'indemnité procédurale fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
- DIT que la société Décathlon France ne rapporte pas la preuve de manquements, par la société Jil, à la réglementation applicable aux ventes en liquidation à l'occasion de la vente intervenue entre décembre 2018 et février 2019 au sein du magasin Intersport situé à [Localité 7] ;
- DIT que la société Jil a commis des faits de concurrence déloyale liés à l'ouverture de son magasin à l'enseigne Intersport situé au centre commercial d'[Localité 7] en dehors des dimanches légalement autorisés entre le 8 juillet 2018 et le 8 septembre 2024 ;
- En conséquence, INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce que, rejetant l'intégralité des demandes formées par la société Décathlon France, il rejette la demande de production de pièces formée par cette société en lien avec de prétendus manquements à la réglementation relative aux ventes en liquidation ;
Et statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant ;
- Avant dire droit sur l'évaluation du préjudice subi par la société Décathlon France du fait des ouvertures dominicales illicites :
' ORDONNE une mesure d'expertise ;
' COMMET pour y procéder :
M. [G] [C] (société Finexsi), expert inscrit près la cour d'appel de Paris et agréé par la Cour de cassation,
demeurant [Adresse 1])
[Courriel 9]
avec pour mission de :
' aviser les parties de la date et du lieu de l'expertise et les convoquer auxdites opérations ;
' entendre les parties en leurs explications ;
' se faire communiquer l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission ;
' dresser, sur la base des pièces communiquées par les parties, la liste des dimanches durant lesquels le magasin Intersport exploité par la société Jil (situé dans le centre commercial d'[Localité 7]) a été ouvert entre le 8 juillet 2018 et le 8 septembre 2024 et celles des dimanches durant lesquels le magasin de la société Décathlon situé sur la même commune était ouvert au cours de la même période ;
' se faire communiquer par les parties, pour chacun de ces dimanches ouverts, les chiffres d'affaires réalisés par le magasin Intersport et par le magasin Décathlon, ainsi que leurs chiffres d'affaires journaliers respectifs réalisés au cours de la semaine précédente et de la semaine suivant ces ouvertures ;
' établir, dans la zone de chalandise du magasin Décathlon situé dans le centre commercial d'[Localité 7], l'impact de l'ouverture dominicale du magasin Intersport exploité par la société Gil dans la même commune, sur le chiffre d'affaires de ce magasin Décathlon, durant la période du 8 juillet 2018 au 8 septembre 2024 ;
' calculer quels auraient été les chiffres d'affaires du magasin Décathlon d'[Localité 7], fermé durant la période du 8 juillet 2018 au 8 septembre 2024, en l'absence des ouvertures dominicales illégales de son concurrent sur cette même période, et les comparer aux chiffres d'affaires effectivement réalisés ;
' établir, au cours de la même période, les chiffres d'affaires hypothétiques du magasin Décathlon concerné, selon le même scénario contrefactuel et les comparer aux chiffres
d'affaires effectivement réalisés ;
' à cet effet, se faire communiquer la comptabilité analytique des établissements Intersport et Décathlon concernés, à savoir les magasins situés dans le centre commercial d'[Localité 7], ainsi que tout autre élément nécessaire à sa mission, et en particulier les éléments de calcul de la marge sur coûts variables dégagée sur une journée d'exploitation du magasin en fonction de son chiffre d'affaires, ainsi que les coûts spécifiques à une ouverture dominicale ;
' fournir à la cour d'appel tous les éléments lui permettant de fixer le préjudice ;
' DIT que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile et, en particulier, qu'il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s'adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près la cour d'appel de Douai ;
' DIT que l'expert devra préalablement communiquer aux parties un pré-rapport et recueillir contradictoirement leurs observations ou réclamations écrites dans le délai qu'il fixera, puis qu'il joindra ces observations ou réclamations à son rapport définitif en indiquant quelles suites il leur aura données ;
' RAPPELLE qu'en application de l'article 276 du code de procédure civile, les parties devront, dans leurs dernières observations ou réclamations, reprendre sommairement le contenu de celles qu'elles avaient précédemment présentées, à défaut de quoi, elles seront réputées les avoir abandonnées ;
' FIXE à 15 000 euros (quinze mille euros) le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, que versera la société Décathlon France entre les mains du régisseurs d'avances et de recettes de la cour d'appel de Douai, et ce, avant le 15 septembre 2025, l'expert devant estimer ses diligences et procéder aux demandes de consignation complémentaires dans les meilleurs délais ;
' DIT que l'expert ne pourra pas commencer sa mission avant d'avoir été avisé du versement de la consignation ci-dessus fixée ;
' RAPPELLE qu'à défaut de consignation dans le délai ci-dessus fixé, la désignation de l'expert sera caduque, et DIT que la cour d'appel tirera toute conséquence du défaut de consignation éventuel ;
' DESIGNE le magistrat de la mise en état de la chambre 2, section 2, en qualité de magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise ;
' DIT qu'en cas d'empêchement ou de carence de l'expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise sur requête à lui présenter par la partie la plus diligente ou d'office ;
' DIT que l'expert déposera le rapport de ses opérations au greffe de la cour dans les neuf mois (9 mois) de sa saisine, par la signification qui lui sera faite de la consignation, à moins que sa mission ne devienne sans objet si les parties viennent à concilier ;
- En conséquence, DIT n'y avoir lieu d'accueillir la demande de production de pièces formée par la société Décathlon France en lien avec les ouvertures dominicales illicites du magasin Intersport de la société Jil situé à [Localité 7], à savoir la liste de tous les dimanches durant lesquels ce magasin Intersport a ouvert ses portes au public de 2016 à 2024, et le chiffre d'affaires réalisé par ce magasin lors de chaque dimanche d'ouverture illégale sur la même période ;
- CONDAMNE la société Jil à payer à la société Décathlon France une provision de 150 000 euros à valoir sur son préjudice résultant des ouvertures dominicales illicites ;
- REJETTE les demandes de la société Jil tendant :
' à ce qu'il soit enjoint à la société Décathlon France de produire des pièces ;
' à la condamnation de la société Décathlon France au paiement de dommages et intérêts pour appel abusif ;
- SURSOIT à statuer sur les dépens et les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.