Cass. crim., 25 juin 2025, n° 24-80.445
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Caisse primaire d'assurance maladie du Rhône
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Piazza
Avocat général :
Mme Viriot-Barrial
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, société Boré, Salve de Bruneton, Mégret
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement en date du 27 janvier 2019, le tribunal correctionnel, après avoir déclaré M. [O] [M] coupable d'escroquerie, a notamment ordonné la confiscation d'un immeuble.
3. Par requête en date du 25 novembre 2020, Mme [R] [C], divorcée de M. [M], a sollicité, à titre principal, la restitution de l'immeuble et, à titre subsidiaire, le cantonnement de la confiscation à la quote-part des droits détenus sur celui-ci par son ex-mari.
4. Par jugement en date du 10 septembre 2021, le tribunal correctionnel a fait droit à sa demande et a ordonné la restitution de l'immeuble à son profit.
5. Le ministère public, les parties civiles ainsi que Mme [C] ont relevé appel du jugement.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône contesté par les autres parties
6. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône a un intérêt à contester la restitution de l'immeuble, dont la confiscation conditionne l'application de l'article 706-164 du code de procédure pénale lorsque, comme en l'espèce, le tiers ayant des droits sur le bien confisqué n'ayant pas été appelé à la procédure au moment du jugement, sa demande est formée au stade de l'exécution de la confiscation devenue définitive.
7. Son pourvoi est, en conséquence, recevable.
Examen des moyens
Sur le quatre premiers moyens proposés par le procureur général et les deux premiers moyens proposés pour la caisse primaire d'assurance maladie
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen, pris en ses première et quatrième branches, proposé pour la caisse primaire d'assurance maladie
Enoncé du moyen
9. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement ayant ordonné la restitution à Mme [C] de l'immeuble dont la confiscation a été ordonnée à l'encontre de M. [M], par jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 17 janvier 2019, alors :
« 1°/ que, saisie en application de l'article 710 du code de procédure pénale d'une requête portant sur une difficulté d'exécution de la mesure de confiscation d'un bien immobilier acquis en commun par deux époux et définitive à l'égard du mari, condamné pénalement, la cour d'appel est tenue de statuer sur la demande de l'épouse, non condamnée, après avoir précisé si celle-ci doit être considérée ou non comme propriétaire de bonne foi de sa part de la communauté ; que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier sa décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que pour ordonner au profit de Mme [C] la restitution du bien immobilier dont la confiscation a été prononcée à l'encontre de son ex-époux, suite à la condamnation définitive de ce dernier du chef d'escroquerie par le jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 17 janvier 2019, dont elle était propriétaire en commun avec lui dans le cadre du régime matrimonial de la communauté réduite aux acquêts, la cour d'appel relève qu'il n'est pas contesté que « [R] [C] n'a pas été convoquée devant le tribunal correctionnel de Lyon à l'occasion de la procédure pénale dont a été l'objet son époux » et n'a « donc pas pu faire valoir ses observations et moyens devant la juridiction qui a prononcé la mesure de confiscation » ; qu'elle ajoute qu'il « n'est pas non plus contesté que [R] [C] n'a jamais été mise en cause dans le cadre de la procédure pénale diligentée à l'encontre de son époux, [O] [M], elle n'a notamment été ni entendue, ni mise en examen et encore moins poursuivie pour quelque cause que ce soit et notamment pour des faits de recel ou de blanchiment du produit venant d'un délit » ; qu'en se bornant ainsi à déduire la bonne foi de la requérante de son défaut de mise en cause dans le cadre de la procédure pénale diligentée à l'encontre de son époux et de son absence de convocation devant le tribunal correctionnel de Lyon, sans avoir nullement répondu à l'argumentation précise et détaillée de la CPAM du Rhône développée dans ses conclusions d'appel, démontrant la nécessaire connaissance par Mme [C] des infractions commises par son époux et de l'anormalité du niveau de vie de son ménage, antérieurement et durant la période de prévention, de nature à établir sa mauvaise foi manifeste, exclusive de toute restitution, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale en violation des articles 131-21 du code pénal, 593 et 710 du code de procédure pénale ;
4°/ que en vertu de l'article 1er du protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l'homme, les dispositions protectrices du droit de toute personne au respect de ses biens ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes; que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier sa décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que dans ses conclusions régulièrement déposées, la CPAM du Rhône, partie civile, contestait l'interprétation du tribunal relative à l'atteinte portée au droit de propriété de la requérante, déduite de la seule constatation du caractère illusoire de la récompense due par son ex-époux du fait de l'insuffisance d'actifs, en l'absence de toute garantie légale d'effectivité du droit à la récompense ; qu'elle démontrait ainsi que le droit à récompense, défini par la loi préservait son droit de propriété sans qu'aucune disposition ne prévoie qu'il puisse être mis à la charge de l'Etat, ce dernier n'étant en aucun cas tenu de garantir que ce droit soit systématiquement rempli ; qu'elle soutenait alors que « cela reviendrait à créer un mécanisme de garantie au bénéfice d'un tiers supérieur à la garantie accordée aux victimes par le truchement des saisies gérées par l'AGRASC qui elles, ne peuvent être assurées d'être intégralement indemnisées », de sorte que « neutraliser l'efficacité du processus existant dans le seul but de préserver le droit de propriété de l'époux de bonne foi ferait primer ses intérêts sur ceux des victimes, ce qui est manifestement disproportionné » ; que loin de s'expliquer sur ces arguments déterminants de nature à exclure toute atteinte disproportionnée au droit de propriété de la requérante, la cour d'appel se borne, pour confirmer le jugement ayant ordonné la restitution, à relever à son tour, que « eu égard à la clôture pour insuffisance d'actifs de sa liquidation judiciaire de [O] [M] et autres peines, dommages et intérêts et confiscations prononcées par le jugement du 17 janvier 2019, le versement par [O] [M] d'une récompense à la communauté, correspondant à la perte subie du fait de la confiscation de l'immeuble, est illusoire, et en tout état de cause et surtout porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété de [R] [C] » ; qu'en conditionnant ainsi la confiscation du bien commun à la certitude pour l'épouse non condamnée pénalement de pouvoir obtenir une récompense effective, sans avoir même recherché, comme elle y était invitée, si la protection ainsi accordée au droit de propriété de l'épouse n'était pas excessive et contraire à l'intérêt général car portant atteinte aux intérêts des victimes, organismes sociaux, en les privant de leur droit à indemnisation au seul profit de cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1er du protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, 593 et 710 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour retenir la bonne foi de Mme [C] et le caractère disproportionné de la confiscation ordonnée, l'arrêt attaqué énonce que l'immeuble a été acquis le 19 juin 2009 par Mme [C] et M. [M], mariés depuis 2001 sous le régime de la communauté légale, financé par un apport personnel et le recours à un prêt bancaire, et qu'il ne peut constituer le produit direct ou indirect d'une infraction.
11. Les juges précisent que le jugement du tribunal correctionnel du 17 juin 2019 a ordonné la confiscation de l'immeuble à l'égard de M. [M] pour des faits d'escroquerie à la CPAM commis du 1er janvier 2010 au 23 janvier 2015, sans convoquer Mme [C], à l'égard de laquelle aucun fait pénalement répréhensible n'a été établi ni aucune poursuite n'a été engagée.
12. Ils relèvent que la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire prononcée à l'égard de M. [M] ainsi que les condamnations prononcées contre lui rendent illusoire le paiement de la récompense due par M. [M] à la communauté en cas de confiscation de l'immeuble.
13. En se déterminant ainsi par des motifs relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision.
Mais sur le cinquième moyen proposé par le procureur général et le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, proposé pour la caisse primaire d'assurance maladie
Enoncé des moyens
14. Le moyen proposé par le procureur général fait grief à l'arrêt attaqué, au visa des articles 131-21, 313-7, 4°, du code pénal, 1417 du code civil, d'avoir confirmé le jugement ayant ordonné la restitution de l'immeuble, alors que la chambre civile de la Cour de cassation, dans un avis du 5 mars 2020, et la chambre criminelle de la dite Cour, dans ses arrêts des 9 septembre 2020 et 30 mars 2022, ont dit possible la confiscation d'un immeuble appartenant à la communauté des époux, tandis que les droits du conjoint de bonne foi sont préservés par l'antépénultième alinéa de l'article 131-21 du code susvisé lors de la vente de l'immeuble.
15. Le moyen proposé pour la caisse primaire d'assurance maladie fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement ayant ordonné la restitution à Mme [C] de l'immeuble dont la confiscation a été ordonnée à l'encontre de M. [M], par jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 17 janvier 2019, alors :
« 2°/ que selon le dernier état de la jurisprudence de la chambre criminelle rendue au visa des articles 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention européenne des droits de l'homme et 131-21 du code pénal, lorsqu'a été confisqué un bien commun en répression d'une infraction commise par l'un des époux, que la requête est présentée par l'époux non condamné pénalement, et que ce dernier est de bonne foi, la juridiction pénale ne peut ordonner la restitution de ses droits à l'époux de bonne foi, la confiscation faisant naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci (Crim., 9 septembre 2020, pourvoi n° 18-84.619) ; que dans ce cas, il appartient à la cour d'appel, statuant sur le bienfondé de la requête en restitution d'un bien commun placé sous main de justice, d'abord de s'assurer du caractère confiscable du bien dont la restitution est sollicitée, en application des conditions légales, en précisant la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure (Crim., 27 juin 2018, pourvoi n° 16-87.009, Bull. crim. 2018, n° 128) ; qu'en confirmant le jugement ayant ordonné la restitution au profit de Mme [C] du bien immobilier dont la confiscation avait été prononcée à l'encontre de son époux par le jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 17 janvier 2019, et dont elle était propriétaire en commun avec lui dans le cadre du régime matrimonial de la communauté réduite aux acquêts, sans avoir ni recherché ni précisé le fondement de la mesure de confiscation litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes et principes susvisés et des articles 593 et 710 du code de procédure pénale ;
3°/ que selon le dernier état de la jurisprudence de la chambre criminelle rendue au visa des articles 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention européenne des droits de l'homme et 131-21 du code pénal, lorsqu'a été confisqué un bien commun en répression d'une infraction commise par l'un des époux, que la requête est présentée par l'époux non condamné pénalement, et que ce dernier est de bonne foi, la juridiction pénale ne peut ordonner la restitution de ses droits à l'époux de bonne foi, la confiscation faisant naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci (Crim., 9 septembre 2020, pourvoi n° 18-84.619) ; que dans ce cas, il appartient à la cour d'appel, statuant sur le bienfondé de la requête en restitution d'un bien commun placé sous main de justice, de s'assurer d'abord du caractère confiscable du bien dont la restitution est sollicitée, en application des conditions légales, en précisant la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure (Crim., 27 juin 2018, pourvoi n° 16-87.009, Bull. crim. 2018, n° 128) ; qu'il lui appartient ensuite d'apprécier si, nonobstant la reconnaissance d'un droit à récompense pour la communauté, il y a lieu de confirmer la confiscation en tout ou partie, en restituant tout ou partie du bien à la communauté, au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation de son auteur, ainsi que de la situation personnelle de l'époux de bonne foi, en s'expliquant, hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction, sur le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'époux de bonne foi lorsqu'une telle garantie est invoquée, ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une confiscation de tout ou partie du patrimoine (Crim., 30 mars 2022, n° 21-82.217) ; qu'en se bornant à confirmer le jugement ayant ordonné au seul profit de Mme [C] la restitution du bien immobilier dont la confiscation avait été prononcée à l'encontre de son époux par le jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 17 janvier 2019, et dont elle était propriétaire en commun avec lui dans le cadre du régime matrimonial de la communauté réduite aux acquêts, sans s'être nullement expliquée sur les circonstances de l'infraction, ni sur la personnalité de son auteur, pas plus que sur la situation personnelle de Mme [C], qui, en sa qualité d'infirmière libérale, ne pouvait ignorer que les revenus dégagés par son ex-époux étaient à l'évidence incompatibles avec un exercice régulier de leur profession commune, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes et principes susvisés et des articles 593 et 710 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
16. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, 710 du code de procédure pénale et 1417 du code civil :
17. Il résulte des trois premiers de ces textes que doit être examinée au regard des premier et deuxième de ceux-ci la requête de toute personne non condamnée pénalement qui est propriétaire d'un bien confisqué et soulève des incidents contentieux relatifs à l'exécution de la décision pénale ordonnant la confiscation.
18. En application du dernier, la confiscation, qui constitue une pénalité évaluable en argent, est susceptible de faire naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci.
19. Il en résulte que lorsque le bien confisqué constitue un bien commun à la personne condamnée et à son conjoint, la confiscation du bien prononcée en répression d'une infraction commise par l'un des époux emporte sa dévolution pour le tout à l'Etat, sans qu'il demeure grevé des droits de l'époux non condamné pénalement, y compris lorsque ce dernier est de bonne foi, mais elle est susceptible de faire naître un droit à récompense pour la communauté.
20. Après condamnation emportant confiscation définitive du bien commun, il appartient à la cour d'appel saisie d'une requête en difficulté d'exécution par l'époux non condamné pénalement d'apprécier sa bonne foi et, si celle-ci est retenue, de se prononcer sur le caractère proportionné de l'atteinte portée à son droit de propriété lorsqu'une telle garantie est invoquée pour décider de la restitution de tout ou partie du bien à la communauté.
21. Pour ordonner la restitution de l'immeuble à Mme [C], l'arrêt attaqué énonce que celle-ci est de bonne foi et retient le caractère disproportionné de la confiscation ordonnée.
22. En statuant ainsi, alors que la restitution de tout ou partie du bien ne pouvait être ordonnée qu'au bénéfice de la communauté, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
23. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
24. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 11 janvier 2024 ;
DIT que la restitution de l'immeuble est ordonnée au bénéfice de la communauté ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;