CA Rouen, ch. civ. et com., 26 juin 2025, n° 24/04019
ROUEN
Arrêt
Autre
N° RG 24/04019 - N° Portalis DBV2-V-B7I-J2BT
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 26 JUIN 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
24/00446
Président du tribunal judiciaire de Rouen du 05 novembre 2024
APPELANTE :
S.A.S. GRILL JIJEL
[Adresse 6]
[Localité 7]
représentée et assistée par Me Virginie CAREL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMES :
Monsieur [X] [P]
né le 20 Avril 1947 à [Localité 13]
[Adresse 2]
[Localité 8]
représenté et assisté par Me Stéphanie BEAUREPAIRE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline RETOUT, avocat au barreau de ROUEN
Madame [M] [P]
née le 09 Mars 1951 à [Localité 13]
[Adresse 3]
[Localité 10]
représentée et assistée par Me Stéphanie BEAUREPAIRE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline RETOUT, avocat au barreau de ROUEN
Monsieur [E] [P]
né le 02 Septembre 1954 à [Localité 11] (76)
[Adresse 1]
[Localité 9]
représenté et assisté par Me Stéphanie BEAUREPAIRE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline RETOUT, avocat au barreau de ROUEN
Monsieur [Z] [P]
né le 19 Novembre 1961 à [Localité 11] (76)
[Adresse 4]
[Localité 8]
représenté et assisté par Me Stéphanie BEAUREPAIRE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline RETOUT, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 24 avril 2025 sans opposition des avocats devant Mme MENARD-GOGIBU, conseillère, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme VANNIER, présidente de chambre
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 24 avril 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 juin 2025 puis prorogé à ce jour.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 juin 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 4 décembre 2013, Messieurs [X], [E], [Z] [P] et Madame [M] [P] (les consorts [P]) ont consenti un bail commercial à la société Ms Bous portant sur des locaux situés au [Adresse 5] à [Localité 12], pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2014, moyennant un loyer trimestriel hors charge et hors taxe de 1.555,22 euros.
Par acte sous seing privé du 5 mai 2022, la société Grill Jijel a acquis de la société Safe Food venant aux droits successivement de la société Ali Food et de la société Ms Bous, le fonds de commerce de restaurant exploité dans les locaux précités sis [Adresse 6], comprenant notamment le droit au bail des lieux d'exploitation du fonds.
Le 24 avril 2024, en raison d'impayés de loyers, les consorts [P] ont fait délivrer par acte de commissaire de justice à la société Grill Jijel un commandement de payer la somme principale de 2.048,12 euros et visant la clause résolutoire insérée au bail.
Les causes du commandement n'ayant pas été apurées dans le délai d'un mois, les consorts [P] ont fait assigner le 11 juin 2024 la société Grill Jijel devant le tribunal judiciaire de Rouen aux fins de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, d'expulsion de tous occupants et de condamnation au paiement d'une somme provisionnelle de 1.755,76 euros, et d'une indemnité trimestrielle d'occupation.
Par ordonnance du 5 novembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Rouen a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial tacite conclu entre la société Grill Jijel venant aux droits de la société Ms Bous et les consorts [P], portant sur les locaux commerciaux sis [Adresse 6] à [Localité 12] ;
- constaté en conséquence la résiliation de plein droit du bail commercial à compter du 24 mai 2024 ;
- ordonné l'expulsion de tout occupant, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le délai d'un mois à compter de la signification de ladite ordonnance ;
- fixé l'indemnité d'occupation due par la société Grill Jijel, à compter du 24 mai 2024 à la somme trimestrielle de 1.629,21 euros et ce jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, et condamné à titre provisionnel la société Grill Jijel en tant que besoin au paiement de cette somme au profit des bailleurs sous réserve des sommes déjà versées ;
- condamné à titre provisionnel la société Grill Jijel à verser 162 euros au titre de la clause pénale, sous réserve des sommes déjà réglées ;
- condamné la société Grill Jijel aux dépens de l'instance, lesquels comprendront le coût du commandement de payer ;
- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;
- rappelé que ladite décision est exécutoire à titre provisoire.
La société Grill Jijel a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 22 novembre 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 22 avril 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de la société Grill Jijel qui demande à la cour de :
- dire l'appel de la société Grill Jijel recevable et bien fondé,
Infirmer l'ordonnance de référé du 5 novembre 2024 en ce qu'elle a :
* ordonné l'expulsion de tout occupant, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente ordonnance ;
* fixé l'indemnité d'occupation due par la société Grill Jijel, à compter du 24 mai 2024 à la somme trimestrielle de 1.629,21 euros et ce jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, et condamné à titre provisionnel la société Grill Jijel en tant que de besoin au paiement de cette somme au profit des bailleurs sous réserve des sommes déjà versées ;
* condamné à titre provisionnel la société Grill Jijel à verser 162 euros au titre de la clause pénale sous réserve des sommes déjà réglées ;
* condamné la société Grill Jijel aux dépens de l'instance, lesquels comprendront le coût du commandement de payer.
Par conséquent,
- accorder à la société Grill Jijel des délais rétroactifs au 25 juin 2024 et 8 juillet 2024 ;
- constater que les délais ont été respectés ;
- constater que les causes du commandement ont été réglées ;
- juger que la clause résolutoire n'a pas joué,
- débouter Monsieur [Z] [P], Monsieur [S] [P], Monsieur [E] [P], Monsieur [X] [P], Madame [M] [P] de toutes leurs demandes ;
- condamner solidairement Monsieur [Z] [P], Monsieur [S] [P], Monsieur [E] [P], Monsieur [X] [P], Madame [M] [P] à payer à la société Grill Jijel la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner solidairement Monsieur [Z] [P], Monsieur [S] [P], Monsieur [E] [P], Monsieur [X] [P], Madame [M] [P] aux entiers dépens.
Vu les conclusions du 27 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de Monsieur [Z] [P], Monsieur [E] [P], Monsieur [X] [P] et Madame [M] [P] qui demandent à la cour de:
Principalement :
- confirmer l'ordonnance rendue le 5 novembre 2024 par le tribunal judiciaire de Rouen en toutes ses dispositions ;
- condamner la société Grill Jijel prise en la personne de son représentant légal à régler la somme de 1.500euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Grill Jijel en tous les dépens.
Subsidiairement :
- débouter la société Grill Jijel de toutes ses demandes ;
- condamner la société Grill Jijel prise en la personne de son représentant légal à régler la somme de 1.500euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Grill Jijel en tous les dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 avril 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de délais rétroactifs et de suspension des effets de la clause résolutoire
La société Grill Jijel soutient que :
* le 3 octobre 2024, jour de l'audience devant le juge des référés, les causes du commandement étaient apurées ;
* le fondement de la procédure était le non-paiement des loyers et non l'absence d'exploitation ;
* elle a montré sa bonne foi en procédant au règlement des sommes dues avant la date de l'audience de référé et a instauré un prélèvement automatique pour éviter toute difficulté ;
* le loyer trimestriel exigible début avril 2025 a fait l'objet d'un rejet ; elle a immédiatement régularisé sur le nouveau compte bancaire.
Les consorts [P] répliquent que :
* l'octroi de délais de paiement n'est pas de plein droit et ne peut bénéficier qu'au débiteur de bonne foi ;
* la société Grill Jijel a acquis le fonds de commerce en mai 2022 ; depuis cette date, le fonds n'est pas garni ni exploité ; l'inexécution de l'obligation peut entraîner la résiliation du bail ;
* la société Grill Jijel est de mauvaise foi et ne pourra bénéficier des délais de paiement.
Réponse de la cour
L'article 835 du code de procédure civile prévoit que « le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »
L'article L145-41 du code de commerce dispose que : « Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. »
L'article 1343-5 du code civil dispose que : « Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
Toute stipulation contraire est réputée non écrite.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment. »
Par acte de commissaire de justice du 24 avril 2024, les consorts [P] ont fait délivrer à la société Grill Jijel un commandement visant la clause résolutoire du bail portant sur la somme de 2 048,12 euros au titre des loyers et charges impayés au 22 avril 2024.
Selon les propres écritures des appelants qui ne contestent nullement la dette locative alléguée par les consorts [P], un virement de 2 500 euros a été opéré le 24 juin 2024 puis deux règlements de 2 979,42 euros et 121,10 euros auprès du commissaire de justice les 8 et 9 juillet 2024.
Il s'ensuit que les causes du commandement n'ont pas été apurées dans le mois de sa date. L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail du fait de l'acquisition de la clause résolutoire à compter du 24 mai 2024.
Les consorts [P] soulèvent expressément le moyen tiré de ce que le fonds n'est pas exploité depuis mai 2022 et n'est pas garni pour répondre au paiement des loyers et des charges.
Ils produisent deux procès-verbaux dressés par Maître [U], commissaire de justice à [Localité 12] qui a constaté à six reprises entre les 26 avril et 23 mai 2024 et à huit reprises entre les 15 novembre et 10 décembre 2024 que le restaurant est fermé au public, que sous le rideau métallique entrouvert et au travers de la porte vitrée le restaurant est vide de tout occupant et d'activités commerciales.
La cour constate que si le commandement a été délivré pour un défaut de paiement des loyers et non en raison du manquement à une autre stipulation contractuelle telle que le garnissement des lieux, la société Grill Jijel n'a pas indiqué pour quelle raison le fonds n'est pas exploité pas plus qu'elle n'a indiqué pour quelle raison elle n'a pas réglé les loyers et les charges dus à son bailleur.
Par ailleurs il ressort du courrier du 15 avril 2025 du cabinet Leroux Cramilly chargé de la gestion du bien et adressé à la locataire, qu'un prélèvement de 1 632,21 euros est revenu impayé et si l'appelante justifie avoir régularisé le 17 avril 2025 cet impayé correspondant au loyer du deuxième trimestre 2025, elle n'établit pas que le rejet du paiement procéderait comme allégué d'un changement de références bancaires de l'agence immobilière ce qui de plus ne ressort nullement dudit courrier du 15 avril précité.
Si le juge peut tenir compte des efforts consentis par le preneur qui apure les causes du commandement y compris postérieurement au mois suivant la délivrance du commandement visant la clause résolutoire du bail, il appartient toutefois au preneur de justifier des circonstances qui ont entraîné sa défaillance.
Le juge ne pouvant accorder des délais, y compris rétroactifs, de nature à suspendre les effets de la clause résolutoire que « compte tenu de la situation du débiteur » et la société Grill Jijel ne précisant pas cette situation, les délais sollicités ne peuvent qu'être rejetés.
Par ailleurs, ni la société Grill Jijel ni les consorts [P] n'articulant aucun autre moyen d'appel de nature à entraîner l'infirmation de la décision entreprise, celle-ci sera confirmée pour le surplus de ses dispositions.
Sur les mesures accessoires
La société Grill Jijel partie perdante sera condamnée aux dépens d'appel et il serait inéquitable que les consorts [P] conservent la charge des frais irrépétibles exposés en appel de sorte que la société Grill Jijel sera condamnée à leur verser, ensemble, la somme de 1 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Déboute la société Grill Jijel de sa demande de délais rétroactifs suspendant les effets de la clause résolutoire du bail commercial conclu avec Messieurs [X], [E], [Z] [P] et Madame [M] [P] ;
Confirme l'ordonnance de référé entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Grill Jijel aux dépens de la procédure d'appel ;
Condamne la société Grill Jijel à payer à Messieurs [X], [E], [Z] [P] et Madame [M] [P], ensemble, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 26 JUIN 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
24/00446
Président du tribunal judiciaire de Rouen du 05 novembre 2024
APPELANTE :
S.A.S. GRILL JIJEL
[Adresse 6]
[Localité 7]
représentée et assistée par Me Virginie CAREL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMES :
Monsieur [X] [P]
né le 20 Avril 1947 à [Localité 13]
[Adresse 2]
[Localité 8]
représenté et assisté par Me Stéphanie BEAUREPAIRE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline RETOUT, avocat au barreau de ROUEN
Madame [M] [P]
née le 09 Mars 1951 à [Localité 13]
[Adresse 3]
[Localité 10]
représentée et assistée par Me Stéphanie BEAUREPAIRE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline RETOUT, avocat au barreau de ROUEN
Monsieur [E] [P]
né le 02 Septembre 1954 à [Localité 11] (76)
[Adresse 1]
[Localité 9]
représenté et assisté par Me Stéphanie BEAUREPAIRE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline RETOUT, avocat au barreau de ROUEN
Monsieur [Z] [P]
né le 19 Novembre 1961 à [Localité 11] (76)
[Adresse 4]
[Localité 8]
représenté et assisté par Me Stéphanie BEAUREPAIRE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline RETOUT, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 24 avril 2025 sans opposition des avocats devant Mme MENARD-GOGIBU, conseillère, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme VANNIER, présidente de chambre
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 24 avril 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 juin 2025 puis prorogé à ce jour.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 juin 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 4 décembre 2013, Messieurs [X], [E], [Z] [P] et Madame [M] [P] (les consorts [P]) ont consenti un bail commercial à la société Ms Bous portant sur des locaux situés au [Adresse 5] à [Localité 12], pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2014, moyennant un loyer trimestriel hors charge et hors taxe de 1.555,22 euros.
Par acte sous seing privé du 5 mai 2022, la société Grill Jijel a acquis de la société Safe Food venant aux droits successivement de la société Ali Food et de la société Ms Bous, le fonds de commerce de restaurant exploité dans les locaux précités sis [Adresse 6], comprenant notamment le droit au bail des lieux d'exploitation du fonds.
Le 24 avril 2024, en raison d'impayés de loyers, les consorts [P] ont fait délivrer par acte de commissaire de justice à la société Grill Jijel un commandement de payer la somme principale de 2.048,12 euros et visant la clause résolutoire insérée au bail.
Les causes du commandement n'ayant pas été apurées dans le délai d'un mois, les consorts [P] ont fait assigner le 11 juin 2024 la société Grill Jijel devant le tribunal judiciaire de Rouen aux fins de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, d'expulsion de tous occupants et de condamnation au paiement d'une somme provisionnelle de 1.755,76 euros, et d'une indemnité trimestrielle d'occupation.
Par ordonnance du 5 novembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Rouen a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial tacite conclu entre la société Grill Jijel venant aux droits de la société Ms Bous et les consorts [P], portant sur les locaux commerciaux sis [Adresse 6] à [Localité 12] ;
- constaté en conséquence la résiliation de plein droit du bail commercial à compter du 24 mai 2024 ;
- ordonné l'expulsion de tout occupant, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le délai d'un mois à compter de la signification de ladite ordonnance ;
- fixé l'indemnité d'occupation due par la société Grill Jijel, à compter du 24 mai 2024 à la somme trimestrielle de 1.629,21 euros et ce jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, et condamné à titre provisionnel la société Grill Jijel en tant que besoin au paiement de cette somme au profit des bailleurs sous réserve des sommes déjà versées ;
- condamné à titre provisionnel la société Grill Jijel à verser 162 euros au titre de la clause pénale, sous réserve des sommes déjà réglées ;
- condamné la société Grill Jijel aux dépens de l'instance, lesquels comprendront le coût du commandement de payer ;
- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;
- rappelé que ladite décision est exécutoire à titre provisoire.
La société Grill Jijel a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 22 novembre 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 22 avril 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de la société Grill Jijel qui demande à la cour de :
- dire l'appel de la société Grill Jijel recevable et bien fondé,
Infirmer l'ordonnance de référé du 5 novembre 2024 en ce qu'elle a :
* ordonné l'expulsion de tout occupant, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente ordonnance ;
* fixé l'indemnité d'occupation due par la société Grill Jijel, à compter du 24 mai 2024 à la somme trimestrielle de 1.629,21 euros et ce jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, et condamné à titre provisionnel la société Grill Jijel en tant que de besoin au paiement de cette somme au profit des bailleurs sous réserve des sommes déjà versées ;
* condamné à titre provisionnel la société Grill Jijel à verser 162 euros au titre de la clause pénale sous réserve des sommes déjà réglées ;
* condamné la société Grill Jijel aux dépens de l'instance, lesquels comprendront le coût du commandement de payer.
Par conséquent,
- accorder à la société Grill Jijel des délais rétroactifs au 25 juin 2024 et 8 juillet 2024 ;
- constater que les délais ont été respectés ;
- constater que les causes du commandement ont été réglées ;
- juger que la clause résolutoire n'a pas joué,
- débouter Monsieur [Z] [P], Monsieur [S] [P], Monsieur [E] [P], Monsieur [X] [P], Madame [M] [P] de toutes leurs demandes ;
- condamner solidairement Monsieur [Z] [P], Monsieur [S] [P], Monsieur [E] [P], Monsieur [X] [P], Madame [M] [P] à payer à la société Grill Jijel la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner solidairement Monsieur [Z] [P], Monsieur [S] [P], Monsieur [E] [P], Monsieur [X] [P], Madame [M] [P] aux entiers dépens.
Vu les conclusions du 27 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de Monsieur [Z] [P], Monsieur [E] [P], Monsieur [X] [P] et Madame [M] [P] qui demandent à la cour de:
Principalement :
- confirmer l'ordonnance rendue le 5 novembre 2024 par le tribunal judiciaire de Rouen en toutes ses dispositions ;
- condamner la société Grill Jijel prise en la personne de son représentant légal à régler la somme de 1.500euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Grill Jijel en tous les dépens.
Subsidiairement :
- débouter la société Grill Jijel de toutes ses demandes ;
- condamner la société Grill Jijel prise en la personne de son représentant légal à régler la somme de 1.500euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Grill Jijel en tous les dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 avril 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de délais rétroactifs et de suspension des effets de la clause résolutoire
La société Grill Jijel soutient que :
* le 3 octobre 2024, jour de l'audience devant le juge des référés, les causes du commandement étaient apurées ;
* le fondement de la procédure était le non-paiement des loyers et non l'absence d'exploitation ;
* elle a montré sa bonne foi en procédant au règlement des sommes dues avant la date de l'audience de référé et a instauré un prélèvement automatique pour éviter toute difficulté ;
* le loyer trimestriel exigible début avril 2025 a fait l'objet d'un rejet ; elle a immédiatement régularisé sur le nouveau compte bancaire.
Les consorts [P] répliquent que :
* l'octroi de délais de paiement n'est pas de plein droit et ne peut bénéficier qu'au débiteur de bonne foi ;
* la société Grill Jijel a acquis le fonds de commerce en mai 2022 ; depuis cette date, le fonds n'est pas garni ni exploité ; l'inexécution de l'obligation peut entraîner la résiliation du bail ;
* la société Grill Jijel est de mauvaise foi et ne pourra bénéficier des délais de paiement.
Réponse de la cour
L'article 835 du code de procédure civile prévoit que « le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »
L'article L145-41 du code de commerce dispose que : « Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. »
L'article 1343-5 du code civil dispose que : « Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
Toute stipulation contraire est réputée non écrite.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment. »
Par acte de commissaire de justice du 24 avril 2024, les consorts [P] ont fait délivrer à la société Grill Jijel un commandement visant la clause résolutoire du bail portant sur la somme de 2 048,12 euros au titre des loyers et charges impayés au 22 avril 2024.
Selon les propres écritures des appelants qui ne contestent nullement la dette locative alléguée par les consorts [P], un virement de 2 500 euros a été opéré le 24 juin 2024 puis deux règlements de 2 979,42 euros et 121,10 euros auprès du commissaire de justice les 8 et 9 juillet 2024.
Il s'ensuit que les causes du commandement n'ont pas été apurées dans le mois de sa date. L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail du fait de l'acquisition de la clause résolutoire à compter du 24 mai 2024.
Les consorts [P] soulèvent expressément le moyen tiré de ce que le fonds n'est pas exploité depuis mai 2022 et n'est pas garni pour répondre au paiement des loyers et des charges.
Ils produisent deux procès-verbaux dressés par Maître [U], commissaire de justice à [Localité 12] qui a constaté à six reprises entre les 26 avril et 23 mai 2024 et à huit reprises entre les 15 novembre et 10 décembre 2024 que le restaurant est fermé au public, que sous le rideau métallique entrouvert et au travers de la porte vitrée le restaurant est vide de tout occupant et d'activités commerciales.
La cour constate que si le commandement a été délivré pour un défaut de paiement des loyers et non en raison du manquement à une autre stipulation contractuelle telle que le garnissement des lieux, la société Grill Jijel n'a pas indiqué pour quelle raison le fonds n'est pas exploité pas plus qu'elle n'a indiqué pour quelle raison elle n'a pas réglé les loyers et les charges dus à son bailleur.
Par ailleurs il ressort du courrier du 15 avril 2025 du cabinet Leroux Cramilly chargé de la gestion du bien et adressé à la locataire, qu'un prélèvement de 1 632,21 euros est revenu impayé et si l'appelante justifie avoir régularisé le 17 avril 2025 cet impayé correspondant au loyer du deuxième trimestre 2025, elle n'établit pas que le rejet du paiement procéderait comme allégué d'un changement de références bancaires de l'agence immobilière ce qui de plus ne ressort nullement dudit courrier du 15 avril précité.
Si le juge peut tenir compte des efforts consentis par le preneur qui apure les causes du commandement y compris postérieurement au mois suivant la délivrance du commandement visant la clause résolutoire du bail, il appartient toutefois au preneur de justifier des circonstances qui ont entraîné sa défaillance.
Le juge ne pouvant accorder des délais, y compris rétroactifs, de nature à suspendre les effets de la clause résolutoire que « compte tenu de la situation du débiteur » et la société Grill Jijel ne précisant pas cette situation, les délais sollicités ne peuvent qu'être rejetés.
Par ailleurs, ni la société Grill Jijel ni les consorts [P] n'articulant aucun autre moyen d'appel de nature à entraîner l'infirmation de la décision entreprise, celle-ci sera confirmée pour le surplus de ses dispositions.
Sur les mesures accessoires
La société Grill Jijel partie perdante sera condamnée aux dépens d'appel et il serait inéquitable que les consorts [P] conservent la charge des frais irrépétibles exposés en appel de sorte que la société Grill Jijel sera condamnée à leur verser, ensemble, la somme de 1 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Déboute la société Grill Jijel de sa demande de délais rétroactifs suspendant les effets de la clause résolutoire du bail commercial conclu avec Messieurs [X], [E], [Z] [P] et Madame [M] [P] ;
Confirme l'ordonnance de référé entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Grill Jijel aux dépens de la procédure d'appel ;
Condamne la société Grill Jijel à payer à Messieurs [X], [E], [Z] [P] et Madame [M] [P], ensemble, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,